EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 14 novembre 2018, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 185 - Diplomatie culturelle et d'influence - de la mission « Action extérieure de l'Etat » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019.

M. Robert del Picchia, co-rapporteur du programme 185, rapporteur général . - Les instruments de la diplomatie culturelle et d'influence sont actuellement un chantier de réflexions multiples, encore inabouties. Un rapprochement de l'Institut français et de la Fondation alliance française est en cours. Une réforme de l'enseignement français à l'étranger est évoquée. La diplomatie économique est, elle aussi, en transformation, avec la mise en place de « guichets uniques », et un possible rapprochement entre les opérateurs Business France et Atout France, qui suscite des interrogations.

Le Président de la République veut imprimer sa marque sur la diplomatie culturelle. Il a présenté, le 20 mars dernier, à l'Académie française, un plan ambitieux pour la langue française et le plurilinguisme. Dont acte. Mais les moyens sont-ils au rendez-vous ?

Je présenterai rapidement les grandes évolutions du programme 185, puis André Vallini abordera plus précisément les moyens mis en oeuvre pour la promotion de la langue française.

Après une année stable, précédée par deux années de recul, les crédits du programme 185 sont en recul de 2,6%. Ils passent, symboliquement, sous la barre des 700 millions d'euros (699,57 M€).

Cette baisse résulte essentiellement d'un changement de périmètre. Les crédits relatifs à la sécurité des établissements scolaires à l'étranger, soit 14,7 millions d'euros en 2018, sont soustraits du programme 185, pour être portés par le compte d'affectation spéciale « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État ». Cette opération n'est pas totalement neutre. C'est un report de l'effort à accomplir : l'avance du compte d'affectation spéciale devra en effet être remboursée d'ici à 2025, grâce à des cessions immobilières. Or, vous le savez, les biens cessibles du ministère sont de plus en plus rares. La politique consistant à céder des emprises pour pouvoir en sécuriser d'autres n'est pas satisfaisante, même si certains efforts de rationalisation sont bienvenus.

Hors changement de périmètre, la subvention à l'AEFE est stable à 384 millions d'euros, conformément aux promesses faites, à la suite du plan d'économies décidé en conséquence des mesures de régulation budgétaire subies par l'agence en 2017 à hauteur de 33 millions d'euros. Ce plan d'économies entraîne toutefois la suppression de 166 ETP après une suppression de 180 ETP cette année.

Plusieurs mesures très contraignantes pour les établissements ont été mises en oeuvre : anticipation de certaines contributions, augmentation de la participation financière complémentaire, passée de 6% à 9% des frais de scolarité dans les établissements en gestion directe et les établissements conventionnés. Il nous a toutefois été indiqué que cette participation serait ramenée à un taux de 7,5% en 2019.

En conséquence, les frais de scolarité connaissent une augmentation constante, variable selon les continents et les types d'établissements, très prononcée par exemple en Amérique. En 2017, les parents ont participé à hauteur de 65% au financement des établissements en gestion directe et des établissements conventionnés.

L'équation du financement de l'AEFE repose fondamentalement sur le diptyque État/familles, la recherche de partenariats locaux ou de mécénat se révélant complexe et aléatoire.

Ce budget de l'AEFE soulève des incertitudes : d'une part, par le passé, les crédits de sécurisation ont servi à financer des opérations de cyber-sécurité. Cela sera-t-il toujours possible, compte tenu du transfert des crédits au compte d'affectation spéciale ? Qu'en sera-t-il pour la sécurisation de locaux n'appartenant pas forcément à l'État ? Enfin, une réforme de l'Association Nationale des Écoles Françaises de l'Étranger (ANEFE) est en cours, qui l'a conduit à stopper ses activités de prêts garantis par l'État aux établissements ; cette situation est regrettable, compte tenu de la situation budgétaire actuelle.

Les autres opérateurs voient également leurs subventions stagner. C'est le cas notamment de Campus France, et des bourses de mobilité pour les étudiants étrangers en France, alors que le nombre de boursiers a été quasiment divisé par 2 en 10 ans. Un rapport d'évaluation stratégique a récemment recommandé une recentralisation de la politique des bourses, qui est aujourd'hui essentiellement la résultante d'objectifs locaux. Le ministère doit jouer un rôle de pilotage accru. Un chantier de simplification est en cours. Ce rapport d'évaluation souligne, par ailleurs, que l'impact de ces bourses est difficile à évaluer, faute d'indicateurs précis.

Dans ce contexte de stagnation budgétaire, l'Institut français fait figure d'exception, puisque sa subvention augmente de près de 7%, de même que les subventions aux alliances françaises, qui croissent de 6%, pour mettre en oeuvre le plan en faveur de la langue française.

S'il n'est pas sans susciter des interrogations, le budget de la diplomatie culturelle est préservé. Les opérateurs, que nous avons rencontrés lors de nos auditions, nous ont fait part de leur relative satisfaction. Leurs moyens sont stabilisés. Bien sûr, nous sommes inquiets pour l'avenir, compte tenu de la réduction des moyens de l'action extérieure de l'État.

M. André Vallini, co-rapporteur du programme 185 . - Mes chers collègues, Le programme 185 est marqué, cette année, par un effort particulier en faveur de la langue française, clé de voûte de notre influence culturelle. Comme l'a mentionné Robert del Picchia, des objectifs ambitieux ont été fixés par le Président de la République le 20 mars dernier.

Pour autant, le plan en faveur de la langue française soulève plusieurs interrogations.

Avant de les aborder, je souhaite évoquer rapidement le choix, suscité, soutenu, défendu par la France de nommer à la tête de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), lors du récent sommet d'Erevan, la Rwandaise Louise Mushikiwabo. Ce choix a provoqué une certaine perplexité dans la mesure où non seulement le Rwanda est l'objet de nombreuses dénonciations relatives au respect des droits de l'homme et de la démocratie mais aussi, et pour s'en tenir à l'objet de notre rapport, parce que ce pays a remplacé le français par l'anglais dans son système scolaire et dans ses services publics. Si la défense du plurilinguisme est légitime, elle ne saurait se faire au détriment du français.

Pour en revenir au plan en faveur de la langue française, il repose essentiellement sur l'enseignement français à l'étranger, qui doit être profondément réformé. L'objectif est ambitieux : doubler le nombre d'élèves scolarisés en français à l'étranger d'ici à 2030.

L'AEFE pilote aujourd'hui un réseau de 350 000 élèves dans 492 établissements homologués par le ministère de l'Éducation nationale : l'attractivité de ces lycées résulte pour beaucoup de cette homologation et de l'engagement des personnels détachés par le ministère au nombre de 6 480 soit 1 070 expatriés et 5 410 résidents.

La hausse des effectifs se poursuit mais son rythme ralentit et à moyens constants, la croissance ne saurait donc reposer uniquement sur le réseau de l'AEFE. Une offre complémentaire existe déjà : le « LabelFrancEducation » et les associations Français langue maternelle (FLAM). La demande est forte pour une éducation en français, ou bilingue, ne suivant pas forcément les programmes de l'Éducation nationale et de nouvelles formes de partenariat sont à l'étude.

Les objectifs quantitatifs du gouvernement posent donc deux questions :

- d'une part, sur la qualité de l'enseignement : doubler les effectifs signifie aussi doubler le nombre d'enseignants, mais aussi soutenir et contrôler l'offre nouvelle. Comment trouver la ressource nécessaire ?

- d'autre part, sur l'accessibilité de cette offre nouvelle, notamment pour les familles françaises à revenus modestes.

En outre il faut s'interroger sur les priorités géographiques de ce redéploiement.

Autre interrogation, celle relative à l'Institut français : sur les 33 mesures du plan en faveur de la langue française, 17 concernent en effet l'Institut français. Une réorganisation est en cours, au travers du rapprochement Institut français-Fondation alliance française.

L'ambassadeur Pierre Vimont, que la commission a reçu à ce sujet, a proposé, dans une note stratégique au Président de la République, de rationaliser les relations entre les ambassades et les Alliances. Il suggère, par ailleurs, de recentrer la Fondation Alliance française et de modifier sa gouvernance. C'est l'Institut français qui, dans ce schéma, doit devenir l'opérateur pivot de l'action culturelle extérieure française, au service des deux réseaux. Une localisation commune des deux structures est par ailleurs proposée.

Ce rapprochement, qui ressemble fort à une absorption de la Fondation par l'Institut, sera sans conséquences, il faut le rappeler, sur l'existence et l'organisation des deux réseaux culturels à l'étranger.

A ce sujet, nous avons plusieurs points d'attention :

- l'Institut français bénéficie de moyens budgétaires supplémentaires, (+2 millions d'euros, cela reste modeste) mais pas d'emplois supplémentaires alors que la Fondation perd de son côté une quinzaine d'emplois en 2 ans. Il nous paraîtrait légitime, à tout le moins, de veiller à ce que l'Institut récupère les moyens numériques coûteux développés par la Fondation ;

- par ailleurs, il sera nécessaire de préparer les Alliances à cette évolution. Elles seront en effet confrontées à des acteurs nouveaux : l'ambassadeur au plan local, et l'Institut français, au plan national ;

- enfin troisième interrogation, le plan en faveur de la langue française prévoit un doublement du nombre d'étudiants étrangers en provenance des pays émergents et une rénovation de leurs conditions d'accueil.

Les étudiants en mobilité choisissent en effet leur pays d'accueil en fonction d'une expérience globale, qui dépasse la seule question de l'enseignement, mais inclut aussi le logement, la simplicité des démarches, l'offre sportive et culturelle etc. Ces questions jouent aussi beaucoup sur notre attractivité vis-à-vis des chercheurs, que nous souhaitons attirer en France, dans le contexte d'une concurrence internationale très rude.

Dans le domaine du changement climatique, par exemple, la Chine et l'Inde sont en train de devenir des leaders, alors que l'Europe avait un boulevard devant elle, étant donné le désengagement américain. Mais les moyens mis en oeuvre sont insuffisants.

Nous demeurons donc vigilants malgré la stabilisation de ce programme 185.

M. Richard Yung . - Il faut à tout prix éviter l'absorption des alliances françaises locales par l'administration. Les alliances sont des associations de droit local qui fonctionnent bien. Leur indépendance doit être préservée.

Le basculement des crédits de sécurité sur le compte d'affectation spéciale est très problématique. La subvention budgétaire est supprimée au profit d'une avance remboursable. Il faudra que le Quai d'Orsay vende encore quelques bijoux de famille ! Ne pourront en profiter que les établissements qui sont la propriété de l'État, ce qui n'est pas le cas de beaucoup d'entre eux. Enfin, comme l'a mentionné Robert del Picchia, les travaux de cyber-sécurité ne seront pas éligibles à ce financement. Je suis inquiet.

M. Jean-Marie Bockel . - Je ne partage pas le point de vue exprimé par André Vallini sur la nomination de la nouvelle secrétaire générale de l'OIF. La tribune signée par plusieurs anciens ministres de la francophonie, à la veille du sommet d'Erevan, m'a semblé virulente et tardive. Cette nomination ne pourrait-elle pas marquer une évolution du Rwanda sur la francophonie ? Laissons une chance à ce choix.

M. Christian Cambon, président . - Il n'y a pas de pensée unique dans cette commission.

Mme Christine Prunaud . - Vous avez souligné l'effort budgétaire réalisé dans le cadre du plan en faveur de la langue française. Mais des instituts français ferment leurs portes. Connaissez-vous le nombre de ces fermetures et avez-vous des informations sur une éventuelle réouverture de l'Institut français de Naplouse ?

M. Olivier Cadic . - Vous avez évoqué les conséquences de la réduction du budget de l'AEFE l'an dernier. L'AEFE a augmenté unilatéralement son prélèvement sur les établissements et menace aujourd'hui certains d'entre eux, qui n'ont pas payé, d'opérer un prélèvement sur les crédits des bourses !

À l'étranger, un enfant français sur cinq fréquente les établissements de l'AEFE. 60% des élèves sont étrangers, généralement de classes sociales favorisées. Une transparence sur les dépenses de l'AEFE, en particulier sur les salaires, est nécessaire, car ces salaires freinent la rotation des effectifs d'enseignants.

Je suis satisfait de l'annonce du Président de la République, s'agissant du doublement du nombre d'enfants scolarisés en français à l'étranger, conforme à ce que j'appelais de mes voeux l'an dernier lors de la discussion budgétaire. Mais, à ma connaissance, cet objectif n'a pas encore été décliné localement. Rien ne bouge. Disposez-vous d'un plan étayé de mise en oeuvre de cette ambition ?

Un effort plus important doit être entrepris pour que les générations d'enfants français à l'étranger parlent notre langue. La moitié des enfants français qui naissent en Amérique du nord ne parle pas français, deux tiers en Amérique latine et 80% en Algérie. Il faut fixer un objectif chiffré et se donner les moyens de l'atteindre.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je partage l'analyse de Richard Yung. Cette question de la sécurité des établissements est centrale.

J'ai été cosignataire de la tribune évoquée par André Vallini, dont le ton était certes virulent, à l'image toutefois du traitement réservé à Mme Michaëlle Jean, ancienne secrétaire générale, non reconduite, mais qui n'a pas démérité.

La décision de retirer la garantie de l'État aux emprunts de l'ANEFE met aujourd'hui un certain nombre d'établissements en très grande difficulté. Un remplacement de ce système de garantie est-il aujourd'hui recherché ?

M. Pierre Laurent . - L'écart entre l'ambition du Président de la République et le budget présenté me paraît trop important. Le recul des effectifs est très préjudiciable à notre action extérieure, qui repose d'abord sur des femmes et des hommes. En matière diplomatique, l'aspect humain compte particulièrement.

M. Robert del Picchia, co-rapporteur du programme 185, rapporteur général . - Je partage aussi l'analyse de Richard Yung. La question de la sécurité doit être une priorité absolue. En 2019, les crédits de sécurisation passent de 14,7 millions d'euros à 18 millions d'euros. Cela ne répond pas à toutes les interrogations. Beaucoup d'écoles sont effet louées, ou prêtées par des États étrangers. Comment seront-elles sécurisées ?

M. André Vallini, co-rapporteur du programme 185 . - L'indépendance des alliances françaises doit être préservée. Ces alliances font un travail remarquable, porté par l'esprit particulier de la vie associative. Les doublons avec les instituts français sont très rares. Il n'est toutefois pas question, dans le plan du gouvernement, de revenir sur l'indépendance des alliances françaises.

M. Robert del Picchia, co-rapporteur du programme 185, rapporteur général . - On nous a en effet assuré qu'elles conserveraient leur indépendance.

M. André Vallini, co-rapporteur du programme 185 . - Je n'ai jamais prétendu engager la commission avec mes propos sur le choix de la nouvelle secrétaire générale de l'OIF. Je note simplement que le Président Kagame a annoncé sa candidature en anglais et que certaines positions de Mme Louise Mushikiwabo sur la démocratie et des droits de l'homme sont équivoques. Or, dans la charte de l'OIF, le rayonnement de la langue française, le respect des droits de l'homme, de l'État de droit et de la démocratie sont des valeurs centrales.

M. Robert del Picchia, co-rapporteur du programme 185, rapporteur général . - Le nombre d'instituts français est stable en 2018. Celui de Naplouse est confronté à des problèmes de sécurité, de taux de fréquentation... les problèmes sont plutôt matériels que politiques. Nous espérons la réouverture de cet établissement.

L'augmentation du prélèvement sur les établissements français à l'étranger est coûteuse pour les parents d'élèves. Certaines écoles ont des difficultés financières importantes. Nous serons attentifs à ce que le taux de la participation financière complémentaire sur les frais de scolarité soit en effet abaissé, comme on nous l'a indiqué.

J'approuve les propos d'Olivier Cadic. Il faut établir un plan pour parvenir à l'objectif de doublement des effectifs.

Quant à l'ANEFE, dont la situation est fragile, elle permettait d'accorder une garantie de l'État, tant que Bercy donnait son accord. Ce n'est plus le cas. Il faut consolider la situation financière des établissements en permettant à nouveau à l'État d'apporter sa garantie, selon un schéma à déterminer.

M. Richard Yung . - Bercy ne participe plus à l'ANEFE... On a l'impression que tous les moyens sont recherchés pour empêcher le système éducatif français à l'étranger de fonctionner. L'AEFE ne peut pas emprunter. Comment finance-t-on les établissements ? Comment doubler leurs effectifs, sans leur donner de moyens ?

M. Christian Cambon, président . - Je remercie les rapporteurs.

Page mise à jour le

Partager cette page