B. DES MOYENS INSUFFISANTS ET DE NOMBREUSES INCERTITUDES

Le plan en faveur de la langue française doit être mis en oeuvre à moyens constants de la diplomatie culturelle et d'influence.

1. Le doublement des effectifs des établissements français à l'étranger : un objectif très ambitieux

Le plan en faveur de la langue française prévoit le développement du réseau des établissements français à l'étranger, notamment des établissements au statut de « partenaire », afin de doubler les effectifs du réseau d'ici à 2030. Le discours du Président de la République à l'Académie française, en date du 20 mars 2018, évoquait même l'échéance de 2025 : « Nous allons aussi développer les établissements partenaires avec l'objectif de doubler le nombre d'élèves accueillis au sein du réseau scolaire français d'ici à 2025 ».

Dans les documents budgétaires, cet objectif est devenu : « doubler le nombre d'élèves scolarisés en français à l'étranger d'ici 2030 » 9 ( * ) , ce qui est très différent, puisque cela signifie que le développement de l'enseignement francophone pourrait s'appuyer aussi sur les systèmes scolaires locaux . À moyens constants, en effet, la croissance du réseau ne saurait reposer uniquement sur le réseau des établissements de l'AEFE.

L'AEFE pilote aujourd'hui un réseau de 350 000 élèves dans 492 établissements homologués par le ministère de l'Éducation nationale, dont l'attractivité résulte pour beaucoup de cette homologation et de l'engagement des personnels détachés par ce ministère de l'éducation nationale, au nombre de 6 480 (1070 expatriés et 5410 résidents) .

La hausse des effectifs de ce réseau se poursuit mais son rythme ralentit, car la concurrence est forte et les habitudes des familles françaises à l'étranger changent .

Une offre complémentaire existe déjà : le « LabelFrancEducation », les associations Français langue maternelle (FLAM). La demande est forte pour une éducation en français, ou bilingue, ne suivant pas forcément les programmes de l'éducation nationale. De nouvelles formes de partenariat sont à l'étude. Les marges de progression de l'enseignement « labellisé » sont probablement importantes .

Les objectifs quantitatifs du gouvernement posent toutefois deux questions :

- d'une part, celle de la qualité de l'enseignement : doubler les effectifs signifie aussi doubler le nombre d'enseignants, soutenir et contrôler l'offre nouvelle. Un effort financier et humain sera, en tout état de cause, nécessaire ;

- d'autre part, l'accessibilité de cette offre nouvelle, notamment pour les familles françaises à revenus modestes . C'est l'une des fonctions majeures du réseau de l'AEFE. Un grand nombre de Français qui naissent à l'étranger ne parlent pas notre langue ou la parlent peu. Ces Français doivent être des bénéficiaires prioritaires de la politique de développement de l'enseignement en langue française.

Enfin, ces questions posent celles de la stratégie qui sera définie et notamment des priorités géographiques qui seront retenues pour ce déploiement nouveau de l'enseignement en français. Cette déclinaison géographique ne semble pour le moment pas définie.

En tout état de cause, l'annulation de crédits subie par l'AEFE en 2017 est en contradiction complète avec les annonces faites cette année. Elle a fragilisé l'enseignement français à l'étranger, au moment même où l'on prétendait lui donner une impulsion nouvelle. Les incertitudes sur l'avenir de l'ANEFE (l'Association Nationale des Écoles Françaises de l'Étranger) créent des incertitudes supplémentaires pour un certain nombre d'établissements. Dans une situation budgétaire contrainte, les prêts garantis par l'Etat aux établissements, par l'intermédiaire de l'ANEFE, constituent une aide indispensable. Vos rapporteurs appellent à trouver une solution rapidement pour que de tels emprunts soient à nouveau possibles.

2. Le difficile rapprochement de l'Institut français et de la Fondation alliance française

Sur les 33 mesures du plan en faveur de la langue française, 17 concernent l'Institut français. Une réorganisation des opérateurs est en cours, au travers du rapprochement Institut français-Fondation alliance française.

Le 14 mars 2018, votre commission a entendu à ce sujet l'ambassadeur Pierre Vimont , qui a émis un certain nombre de propositions, dans une note stratégique au Président de la République. M. Pierre Vimont a notamment préconisé de rationaliser les relations entre les ambassades et les alliances. Il s'agira, en particulier, de généraliser les conventions entre les postes et les alliances et de confier aux ambassadeurs le soin de répartir les subventions publiques entre les alliances locales.

M. Pierre Vimont a suggéré, par ailleurs, de recentrer la Fondation alliance française et de modifier sa gouvernance, afin de mieux faire participer les alliances locales.

C'est l'Institut français qui, dans ce schéma, doit devenir l'opérateur pivot de l'action culturelle extérieure française , au service des deux réseaux. Une localisation commune des deux structures doit permettre de plus grandes synergies.

Le 11 juillet 2018, le conseil d'administration de la Fondation alliance française a approuvé quatre orientations :

- le statut de fondation est maintenu mais avec un renouvellement des missions, de la gouvernance et de l'identité de la FAF. Ses missions seront recentrées sur la promotion de la marque , la labellisation des nouvelles alliances et le suivi institutionnel du mouvement associatif. La représentation des alliances sera, par ailleurs, renforcée au sein de la gouvernance de la Fondation ;

- il devra être mis fin au contentieux avec l'Alliance française de Paris-Ile-de-France (AFPIDF) ;

- le rôle d'appui aux deux réseaux (alliances et instituts) de l'Institut français sera accru , en cohérence avec sa mission renforcée en faveur de la langue française et en respectant toujours l'autonomie et les spécificités du réseau des alliances ;

- une localisation commune de la Fondation transformée, de l'Alliance française de Paris-Ile-de-France (AFPIDF) et de l'Institut français sera mise en oeuvre sur le site historique du 101 boulevard Raspail. Ce rapprochement physique doit permettre d'exploiter les complémentarités des trois opérateurs. Il favorisera, par ailleurs, les synergies dans les actions d'appui au réseau pour assurer une meilleure cohérence de l'action linguistique et culturelle extérieure.

Les missions de la Fondation alliance française seront donc réduites au minimum. Ce rapprochement ressemble en réalité beaucoup à une absorption de la Fondation par l'Institut .

Cela est sans conséquences, il faut le rappeler, sur l'existence et l'organisation des deux réseaux culturels à l'étranger.

Toutefois, si l'Institut français bénéficie de moyens budgétaires supplémentaires, il ne bénéficie pas d'emplois supplémentaires alors que la Fondation perd de son côté une quinzaine d'emplois en 2 ans.

A tout le moins, paraîtrait-il légitime que l'Institut récupère les moyens numériques coûteux développés par la Fondation , alors que le numérique sera l'un des vecteurs privilégiés du plan en faveur de la langue française.

Enfin, il sera nécessaire de préparer les alliances à ces évolutions . Elles seront en effet confrontées à des acteurs nouveaux : l'ambassadeur au plan local, et l'Institut français, au plan national. L'indépendance des alliances est l'un des moteurs du dynamisme de la francophonie ; cette indépendance devra être préservée ce qui nécessitera, de part et d'autre, une évolution des cultures.

3. Une refonte de la politique des bourses de mobilité

Le plan en faveur de la langue française prévoit un doublement du nombre d'étudiants étrangers en provenance des pays émergents et une rénovation de leurs conditions d'accueil .

Les étudiants en mobilité choisissent en effet leur pays d'accueil en fonction d'une expérience globale , qui dépasse la seule question de l'enseignement, mais inclut aussi le logement, la simplicité des démarches, l'offre sportive et culturelle, etc .

Ces questions jouent aussi beaucoup sur notre attractivité vis-à-vis des chercheurs, que nous souhaitons attirer en France, dans le contexte d'une concurrence internationale très rude .

Dans le domaine du changement climatique, par exemple, la Chine et l'Inde sont en train de devenir des leaders, alors que l'Europe avait un boulevard devant elle, étant donné le désengagement américain. Mais les moyens mis en oeuvre sont insuffisants.

Un rapport d'évaluation stratégique 10 ( * ) a récemment recommandé une recentralisation de la politique des bourses, qui est aujourd'hui essentiellement la résultante d'objectifs locaux.

Le ministère doit jouer un rôle de pilotage accru . Un chantier de simplification est en cours. Ce rapport d'évaluation souligne, par ailleurs, que l'impact de ces bourses est difficile à évaluer, faute d'indicateurs précis.

Une réforme des droits d'inscription a été récemment annoncée. Il s'agit d'augmenter les frais d'inscription pour une partie des étudiants extra-communautaires, afin de renforcer les aides accordées aux autres étudiants internationaux. Cette réforme sera accompagnée d'une multiplication des campus permettant de délivrer des diplômes français à l'étranger, notamment dans le cadre d'un doublement du nombre de partenariats avec l'Afrique . Vos rapporteurs seront vigilants quant aux modalités de mise en oeuvre de ces évolutions et à leurs conséquences sur le rayonnement de notre enseignement supérieur.

La politique des bourses de mobilité doit en effet être une priorité. La France demeure le premier pays d'accueil non anglophone d'étudiants étrangers. Elle accueilli 343 400 étudiants internationaux en 2017 (+5,6 %), ce qui la place au quatrième rang mondial après les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, juste devant l'Allemagne et la Russie. La concurrence internationale est forte.

En 2014, d'après les chiffres de l'UNESCO, six destinations ont attiré près de la moitié des étudiants en mobilité dans le monde : États-Unis (19,6%), Royaume-Uni (10%), Australie (6,2 %), France (5,5%), Russie (5%) et Allemagne (4,9%). La part relative de ces six États est toutefois passée de 55 % en 2002 à 51 % en 2014, évolution qui traduit la concurrence d'un nombre croissant de nouvelles destinations dans un contexte d'expansion de la demande mondiale.

Ainsi, entre 2010 et 2015, les effectifs d'étudiants en mobilité internationale ont augmenté de 75 % en Russie (6 ème rang), de 72 % en Chine (9 ème rang), de 208 % aux Pays-Bas (11 ème rang), de 172 % en Arabie saoudite (13 ème rang) et de 179 % en Turquie (14 ème rang).

Si les chiffres internationaux sont à considérer avec prudence, en raison de leur hétérogénéité, ils révèlent néanmoins que l'accueil d'étudiants étrangers est conçu comme une composante importante de toute politique d'influence de dimension régionale ou mondiale .

La diversification de la mobilité étudiante est rapide. Ainsi, s'agissant des étudiants africains , « si l'Europe reste la priorité (49 %), elle perd du terrain au profit de la mobilité intracontinentale (21 %) en particulier vers l'Afrique du sud, le Ghana, la Tunisie ou le Maroc. Le Moyen-Orient, particulièrement l'Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis, a récemment renforcé son attractivité en développant une offre spécifique de bourses d'études islamiques. La Turquie, l'Ukraine et l'Inde font également une forte percée sur les pays subsahariens. La Chine, qui ne publie pas ses chiffres, est probablement en nette progression. » 11 ( * ) . Avec 458 300 étudiants en mobilité internationale diplômante, l'Afrique représente environ un étudiant mobile sur dix dans le monde.


* 9 « Action extérieure de l'Etat », annexe au projet de loi de finances pour 2019.

* 10 « Évaluation stratégique des bourses du gouvernement français », rapport d'évaluation réalisé par COTA pour la Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international du MEAE (2017).

* 11 « La mobilité internationale des étudiants africains », Les notes de Campus France, Hors-série n° 16, septembre 2017.

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