B. DES CHARGES D'EXPLOITATION PEU ÉLASTIQUES SANS RENONCER À CERTAINES CAPACITÉS DE DIFFUSION

1. Un gisement d'économies de fonctionnement courant en voie d'épuisement

Comme il a été développé dans l'avis sur le PLF 2018 68 ( * ) et plus haut dans les commentaires sur l'exécution budgétaire 2018, le gisement d'économies de fonctionnement courant est quasiment épuisé ou repose essentiellement sur des départs de personnels en CDI non remplacés, ce qui a un coût qui impacte les comptes de l'entreprise comme en 2017 et entame son capital, et ne permet guère d'économies substantielles en cours d'exercice (économie en masse salariale mais coût en litiges et transactions).

Cet exercice est d'autant plus difficile à réaliser que, chaque année, des charges nouvelles inéluctables, conséque nce de dispositions sociales, légales ou réglementaires, ou de nécessités (comme les dépenses de sécurité ou de cybersécurité) viennent alourdir les charges d'exploitation sans générer une activité productrice de ressources.

La seule perspective intéressante, mais pour un effet limité (voir supra) serait l'aboutissement de la médiation entre le SPRE et FMM.

Par ailleurs, les réflexions liées à la transformation de l'audiovisuel public visent à renforcer l'articulation des missions et des actions de FMM et TV5 Monde avec celles des entreprises de l'audiovisuel public national, ainsi qu'à développer des synergies entre les différentes sociétés. Sauf à empiéter sur la spécificité éditoriale d'un média conçu et diffusé principalement à l'étranger dont on ne peut faire un retransmetteur d'informations produites pour le marché domestique (voir infra), on constatera très rapidement les limites d'un tel exercice joué de façon récurrente tous les dix ans à chaque réforme de l'audiovisuel, mais sans beaucoup de résultats positifs.

2. Le coeur de métier mis en danger

Les seules marges de manoeuvre significatives envisageables concernent la diffusion/distribution et les programmes, ce qui risque de conduire FMM à prendre des décisions remettant en cause certains acquis importants.

a) La production éditoriale

• la remise en cause de certains objectifs éditoriaux au niveau des rédactions décentralisées de RFI, (le maintien de certaines équipes à l'étranger (en Afrique de l'Est, pour la rédaction en kiswahili, notamment) avait été envisagé en 2018, mais s'était heurté à une grande réticence du ministère des affaires étrangères attaché à la présence des médias français dans cette région stratégique et instable, mais on peut imaginer la suppression ou la réduction de capacités d'autres rédactions en langues étrangères ;

• l'allègement des programmes en termes quantitatifs qui pourrait porter sur les antennes principales comme cela a commencé à être le cas en 2018 avec l'allègement des programmes pendant les vacances scolaires et la baisse des budgets alloués aux opérations spéciales.

Ces décisions auront des répercussions sur les personnels. Il est clair que, dans une entreprise de main-d'oeuvre comme FMM, toute baisse de la production éditoriale affecte nécessairement les emplois 69 ( * ) .

Ces restrictions éditoriales ont également pour effet de multiplier les rediffusions ce qui est paradoxal pour des médias d'informations qui doivent être en phase avec l'actualité et produire une ligne éditoriale originale en limitant la retransmission de sujets produits par d'autres. Elles auront à terme pour effet une désaffection du public qui risque dans un paysage de plus en plus concurrentiel d'en affecter l'audience et la notoriété.

b) la diffusion/distribution

• l'allégement du dispositif de distribution mondiale de France 24. Cela impose de renoncer à des zones stratégiques d'audience, affaiblissant par là même la présence des médias de FMM à l'international. Cet exercice suppose de prendre en compte les dates d'échéance des contrats, leur montant et les résultats d'audience associés Cette méthode a été utilisée en 2018 et pourrait être poursuivie en 2019 70 ( * ) . Vos Rapporteurs expriment leur désaccord avec de telles perspectives, et regrettent que FMM y soit contrainte, d'autant que la reconquête de telles positions chèrement acquises est quasiment impossible ou inaccessible financièrement ;

• le lancement de la nouvelle offre de France 24 en espagnol fin septembre 2017, pour un coût incompressible en année pleine sur 2018 de 7,3 M€, ne peut pas être une variable d'ajustement . Son budget, calculé au plus serré, a fait l'objet d'un engagement de l'Etat sur un financement intégral et spécifique afin que FMM ne soit pas amenée à réduire ses activités et missions existantes pour financer, même partiellement, ce nouvel objectif alors que sa diffusion et sa distribution progressent rapidement en Amérique latine.

• une autre piste explorée : le report sur d'autres vecteurs, si le numérique et les nouveaux usages connectés (mobiles, OTT) offrent des possibilités, c'est encore à titre complémentaire à une offre linéaire sauf dans quelques rares pays comme la Grande-Bretagne où certaines technologies nouvelles, OTT en l'espèce sont en progression rapide, d'abord parce que les diffuseurs leaders, notamment la BBC, sont très proactifs. Dans le cas inverse, anticiper ce mouvement en renonçant à la diffusion classique (satellite, câble, TNT), c'est renoncer à de larges parts d'audience qui ne se reporteront pas immédiatement sur les nouveaux supports, trop complexes, moins utilisés et sur lesquels les offres sont aujourd'hui réduites et laisser le champ libre à des diffuseurs concurrents.

c) Une redéfinition stratégique en perspective ?

D'ailleurs, dans le cadre de la transformation de l'audiovisuel public, l'avenir de l'audiovisuel extérieur fait l'objet d'une réflexion associant le ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères, le ministère de l'Action et des Comptes Publics et le ministère de la Culture, afin d'identifier ses enjeux et priorités stratégiques. Au regard des objectifs de la politique d'influence française et du contexte d'effort de consolidation budgétaire, l'activité des opérateurs de l'audiovisuel extérieur doit ainsi faire l'objet d'une réflexion quant à ses priorités géographiques et thématiques.

Cette démarche est effectivement nécessaire mais vos Rapporteurs estiment que la réflexion menée il y a deux ans lors de la négociation du COM en avril 2017 conserve sa pertinence et que, si le contexte international a évolué d'une ampleur telle qu'il en bouleverse les conclusions, ce sera plutôt pour mettre en relief l'exacerbation de la concurrence d'autres puissances et le besoin d'un renforcement de notre présence.

Il ne s'agit pas à leurs yeux d'une question de stratégie, mais d'une question de volonté politique et de priorité qui engage l'intérêt national et notre politique étrangère au moment où la France fixe dans la LPM 2019-2025 comme priorité la prévention des conflits et où elle s'apprête à faire un effort considérable en matière d'aide publique au développement. L'action audiovisuelle extérieure de ce point de vue reste plus qu'un utile complément, un outil au service de ces politiques qu'il conviendrait, à l'instar des Britanniques et d'autres Etats, de reconnaître et de conforter.

3. Une concurrence exacerbée

C'est d'ailleurs ce qu'ont compris les concurrents internationaux de FMM qui ne cessent de se renforcer avec l'appui de leurs gouvernements qui investissent dans le « soft power » qu'ils considèrent comme un atout de puissance et d'influence, économique et pertinent.

Le tableau ci-dessous compare France Médias Monde et ses principaux concurrents, BBC World, la Deutsche Welle et le BBG, en matière de contacts hebdomadaires (audiences linéaires et numériques agrégées), dotations publiques et nombre d'ETP en 2017 selon les données disponibles.

FMM

Deutsche Welle

BBG

BBC world (radio & TV) 71 ( * )

Contacts hebdomadaires

150 M

157 M

278 M

376 M dont 279 M

Dotation publique annuelle

251 M€

326 M€

680 M€

380 M€

Langues

15

30

58

40

ETP

1766

1528

1693

N/A

L'engagement de la France en faveur de l'audiovisuel extérieur doit également tenir compte de la dotation allouée à TV5 Monde s'établissant à un montant de 78,4 M€ en 2017. Ainsi, au total, la France a consacré en 2017 329,9 M€ à son audiovisuel extérieur. Pareillement, Il faudrait ajouter 3Sat à DW pour l'Allemagne et Voice of America à BBG pour les États-Unis. Les informations concernant la Chine et la Russie sont incomplètes.

FMM est confrontée à une intensification importante de la concurrence en raison :

• du renforcement des médias publics internationaux, et en particulier la BBC ;

• de la montée en puissance d'acteurs médiatiques sur la scène mondiale ( Russia Today, Voice of China ) ;

• du développement d'audiovisuels locaux de plus en plus puissants, notamment en Afrique.

Chine

Selon l'hebdomadaire britannique « The Economist », la Chine a investi 6,6 Mds $ en moins de dix ans pour développer son audiovisuel extérieur. Aujourd'hui dénommé « Voice of China », le groupe audiovisuel piloté par un département dédié du parti communiste chinois a pour missions de « planifier des opérations de promotion des intérêts chinois », lutter contre les fausses nouvelles et combattre le fantasme de la menace chinoise, lutter contre l'hégémonie des médias occidentaux ». La Chine a ainsi engagé une importante politique audiovisuelle africaine, et son effort se poursuit à travers l'implantation d'un centre de production de 2800m² à Londres, accompagné du recrutement de 350 journalistes Cet effort est indissociable de celui que consent la Chine dans les espaces numériques.

Russie

La Russie mène une stratégie de confrontation qui s'apparente à une nouvelle guerre froide de l'information. Grâce à des moyens toujours en croissance, les médias édités en Russie développement une stratégie de présence et de distribution en Amérique Latine, en Europe, aux États-Unis. Le lancement récent de la chaîne de télévision RT en français a démontré l'ambition des Russes d'installer leur point de vue dans le débat en France mais également de construire une offre pour l'Afrique francophone.

Royaume-Uni

Dès 2016, le Royaume-Uni a consenti un effort sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale au bénéfice de son audiovisuel extérieur. En plus du financement déjà accordé au travers de la redevance, un cumul de 289 M£ est ajouté au budget du World service de la BBC entre 2016 et 2020 par le Foreign Office . Les Britanniques ont installé le World service de la BBC à la croisée des politiques d'influence et de rayonnement du Royaume-Uni, de sécurité nationale et d'aide publique au développement (cf Livre Blanc sur la sécurité nationale et la défense de 2016).

Allemagne

La Deutsche Welle (DW) occupe une place centrale dans la politique d'influence du pays, dans la défense de l'idéal européen et dans la lutte contre la stratégie d'ingérence des médias étrangers en Allemagne et en Europe (en particuliers russes, chinois et turcs). L'Allemagne renforce avec constance et régularité les ressources publiques de DW, sans compter l'investissement dans l'équivalent allemand de TV5 Monde, 3Sat. Le budget global de DW s'établit ainsi à 327 M€. Pour 2019, le gouvernement allemand prévoit un budget global de 350 M€ pour la seule DW (hors 3Sat). D'après son document stratégique 2018-2021, le groupe priorise son développement dans cinq régions principales : le monde arabe, la zone Iran-Pakistan-Afghanistan, la Russie et l'Europe de l'est, l'Afrique subsaharienne et la Turquie. A cette fin, le groupe souhaite développer de nouvelles langues en Afrique (yoruba, ugbo, pidgin et somali), en Inde (tamoul) ainsi que le kurde. La Deutsche Welle identifie également d'autres régions de développement relevant d'un niveau de priorité moindre (la Chine, les Etats-Unis, l'Amérique du sud et les Balkans).

Etats-Unis

Le BBG voit l'ensemble de ses missions confirmées, avec trois projets majeurs à venir : le renforcement de la chaîne en russe « Current Affairs » 24/7 (à laquelle DW contribue par la mise à disposition de programmes) ; le lancement d'une chaîne de télévision en anglais sous le label Voice of America pour l'Afrique, et le lancement d'une offre en ligne équivalente à celle initiée par FMM, DW et ANSA « I nfoMigran ts »

L'Afrique est également le théâtre d'un effort de déploiement de fréquences FM pour VOA en français avec de nouveaux émetteurs au Congo Brazzaville, en RDC et au Togo qui complètent le parc existant au Burkina-Faso, au Burundi, RCA, au Tchad, en Côte d'Ivoire, à Djibouti, au Mali, au Rwanda et au Sénégal.

4. Le retour aux engagements du COM s'impose

Enfin, il ne paraît pas envisageable de laisser la société présenter un compte de résultat prévisionnel déficitaire en début d'exercice comptable, d'autant que l'année 2019 risque de se solder par un résultat négatif d'exploitation. L'accumulation de pertes pourrait peser sur la stabilité du groupe.

Pour vos rapporteurs, la seule solution raisonnable est de maintenir les engagements de l'Etat souscrits dans le COM 2016-2020 . Pour ce faire, ils proposent à la commission un amendement tendant à modifier la répartition du produit des ressources publiques affectées aux sociétés nationales de programme .

Ils considèrent que le pluralisme de l'information n'est pas menacé sur le territoire national, que, en revanche, au moment où s'engage dans le monde, sur les ondes et dans l'espace numérique, une lutte d'influence très active en mesure de conduire à des actions de désinformation et de déstabilisation, il est essentiel que la France puisse être présente avec des médias porteurs de ses valeurs démocratiques et d'une éthique de l'information honnête, respectueuse de la vérité des faits et de la liberté d'expression des opinions. Et que, en conséquence, une priorité doit être affirmée pour soutenir notre politique audiovisuelle extérieure.


* 68 Avis n° 110 (2017-2018) de Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. Raymond Vall sur le projet de loi de Finances pour 2018, Avances à l'audiovisuel Public p. 40 et suiv : http://www.senat.fr/rap/a17-110-10/a17-110-101.pdf

* 69 En effet, tous les contenus sont fabriqués par des salariés et le recours à la production externe est quasiment inexistant : les coûts de main-d'oeuvre représentent 70% des coûts des rédactions.

* 70 D'ores et déjà, à titre conservatoire et compte tenu de son montant (0,9 M€), le contrat avec Time Warner (desserte de France 24 sur le câble à New York et Los Angeles) qui arrivait à échéance de renouvellement, a été dénoncé alors que la bascule de la distribution par câble vers internet n'est pas encore complètement effective et ne permettra pas de sauvegarder les audiences. D'autres contrats de distribution n'ont pas été reconduits, à l'instar de celui assurant la couverture de la Scandinavie (Telenor pour 0,3 M€).

* 71 376 millions de contacts correspondent à la mesure de Global Reach du groupe BBC dont le périmètre excède le BBC World Service ( BBC News et BBC Studios y sont inclus). Les contacts linéaires et numériques directement attachés au BBC World Service s'établissent à 279 millions en 2017 (cf. Annual Report and Accounts 2017/18).

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