C. LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE : VERS L'IMPASSE ?

D'une manière générale, la politique immobilière du MEAE 33 ( * ) semble ne plus pouvoir longtemps éviter l'impasse financière vers laquelle elle est contrainte de se diriger depuis de nombreuses années, en dépit des alarmes de votre commission.

1. La rationalisation des sites parisiens tarde et assèche les produits de cession des ventes d'immobilier à l'étranger

Avec cinq sites franciliens : le Quai d'Orsay, Convention, la Courneuve, Les Invalides et Châtillon, la rationalisation sur trois sites d'implantation, décidée il y presque 10 ans, reste un voeu pieux . Le MEAE a renoncé dans un premier temps au projet de transfert de la valise à la Courneuve puis au projet de colocalisation des deux services (archives et valise) dans un même bâtiment, au profit d'un projet d 'installation du service de la valise sur le site de La Courneuve, dans un bâtiment indépendant qui serait construit sur le foncier disponible non bâti après 2021. Les rapporteurs pour avis suivront avec attention l'évolution de ce projet et de ses coûts .

Le projet de rénovation du Quai d'Orsay, dit Quai d'Orsay 21 34 ( * ) , estimé à 80 millions d'euros repose, presque pour moitié, sur des recettes issues du compte d'affectation spéciale, alimenté par les produits des cessions des biens immobiliers du ministère à l'étranger . Votre commission regrette le choix qui a été fait de financer de tels travaux par la cession des biens immobiliers du ministère situés à l'étranger, alors que le produit de ces cessions n'atteint plus que 30 millions d'euros par an.

2. Une politique immobilière à l'étranger à réinventer urgemment

La politique immobilière du ministère à l'étranger est lourdement grevée par :

- le choix de faire dépendre l'entretien normal des bâtiments des recettes exceptionnelles de cessions d'immeubles . Ce modèle, en termes économiques, n'est pas vertueux : il revient à faire financer des dépenses de fonctionnement par des recettes patrimoniales, ce qui tend à appauvrir le patrimoine de l'État . De plus, ce système a été en parti capté par le désendettement de l'État et est en voie d'essoufflement (cf. encadrés suivant). Ceci amène les rapporteurs pour avis à formuler de t rès sérieuses réserves sur la politique immobilière ici menée,

L'essoufflement du rythme et la baisse des produits des cessions

De 2006 à 2014, 194 ventes ont été signées pour un montant total de 503,12 millions d'euros, soit 12 % de la valeur actuelle du parc immobilier du ministère. Le rythme s'est ralenti puisque, entre 2012 et 2014, 35 % des biens vendus avaient une valeur inférieure à 1 million d'euros , 30 % des biens vendus avaient une valeur comprise entre 500 000 euros et 1 million d'euros et 35 % des biens vendus avaient une valeur inférieure à 500 000 euros . Certes, d'importants produits de cession ont encore été réalisés en 2015, année telle que la vente d'une partie du vaste campus diplomatique en Malaisie, à Kuala Lumpur, amenant le produit de cessions, pour 2015, à un peu plus de 230 millions d'euros . En 2016, les ventes les plus importantes portaient sur le palais Clam-Gallas à Vienne pour 22 millions d'euros et de la résidence consulaire à Munich pour 12 millions d'euros, pour un total de cessions réalisées de 66,3 millions d'euros . Les prévisions de recettes étaient de 29,77 millions d'euros en 2017 et 30 millions d'euros en 2018.

La surcontribution au désendettement de l'État

À la raréfaction de la manne financière s'ajoute le fait que le ministère n'est pas autonome dans l'utilisation des produits de cession des ventes de biens immobiliers à l'étranger. Le retour dérogatoire à 100 % sur le produit des cessions à l'étranger prévu jusqu'au 31 décembre 2017 a été aménagé, le ministère ayant accepté de « surcontribuer » forfaitairement au désendettement de l'État* , à hauteur de 25 millions d'euros par an en 2015, 2016 et 2017 . Cette contribution exceptionnelle était de 22 millions d'euros en 2014 et de 25 millions d'euros en 2015. En 2016, pour tenir compte des recettes exceptionnelles de Kuala Lumpur , la contribution a été portée à 100 millions d'euros** . Pour 2017, la contribution a été portée à 60 millions d'euros alors qu'aucune recette exceptionnelle « n'expliquait » une telle contribution au tonneau des Danaïdes de la dette de l'État. Ce sont ainsi 207 millions d'euros en 4 ans qui ont abondé le CAS au titre du désendettement , ce qui pourrait finalement représenter 50 % du montant des cessions réalisées à l'étranger sur cette période !

Depuis la modification des règles de fonctionnement du CAS immobilier, par la loi de finances pour 2017, les produits de cessions de vente ne font plus l'objet d'aucune ponction au bénéfice du désendettement de l'État. Vos rapporteurs veilleront à ce qu'il en soit ainsi à l'avenir, même si une nouvelle vente exceptionnelle devait générer une recette importante. Cette perspective est toutefois peu probable, le rythme des cessions s'essoufflant.

* Sur le programme 721 « Contributions des cessions immobilières à l'étranger au désendettement de l'État » du compte d'affectation spéciale (CAS) immobilier, adossé au programme 723.

** Alors même que la perte de plus de 20 millions d'euros résultant de l'effondrement de la monnaie malaisienne au moment de la vente, non couverte par un mécanisme limitant le risque de change a déjà été supportée par le Quai d'Orsay et non Bercy.

- l'absence de lisibilité et de prévisibilité que votre commission regrette vivement. Vos rapporteurs pour avis ne disposent pas de la prévision des cessions pour 2019 ni d'une programmation pluriannuelle des opérations de cession envisagées par le ministère ainsi que d'une présentation claire des critères de sélection des emprises dont la vente est envisagée,

- l'insuffisance chronique des crédits dédiés à l'entretien lourd des bâtiments . La dotation réservée au gros entretien des immeubles à l'étranger est de 12 millions d'euros en 2018 35 ( * ) . Faute de ressources en 2018, de nombreuses rénovations n'ont pas pu être financées 36 ( * ) . Les demandes des postes en matière d'entretien lourd remontées pour 2019 représentent 27 à 28 millions d'euros pour 2018 .

Votre commission estime le montant des crédits inscrits au P105 insuffisant pour financer les opérations d'entretien lourd pluriannuelles telles que les grosses réhabilitations, les mises aux normes générales et les réaménagements d'ensemble, les études en 2019 pour permettre de lancer des travaux liés à de gros projets d'entretien lourd pluriannuels, et les travaux de désamiantage découlant des diagnostics réglementaires amiante réalisés en 2018 sur le réseau à l'étranger. Ainsi, l'ordre de grandeur des besoins annuels du MEAE devrait être compris entre 40 et 80 millions d'euros par an 37 ( * ) .

La vente des biens immobiliers détenus par le ministère à l'étranger ne semble devoir être soutenue , selon vos rapporteurs pour avis, qu'aux conditions suivantes :

1/ interdire les nouvelles ponctions pour désendettement , aussi alléchant que soit le prix de la cession ;

2/ se baser sur un schéma pluriannuel à jour . Cette programmation pluriannuelle a été demandée par la Cour des Comptes et par tous les rapporteurs du budget. Alors qu'elle se met en place, en raison des modalités d'exercice du droit de tirage sur le CAS, on arrive à cette situation contre-productive où le ministère peut engager plus de 300 000 euros pour un projet en phase « études » sans savoir s'il pourra ensuite financer les travaux prévus l'année suivante, faute de visibilité sur son droit de tirage ;

3/ ne pas se séparer des emplacements symboliques , dont la vente nuit indubitablement à l'image de notre pays. Il ne faut continuer de vendre que pour améliorer le rayonnement de la France . Lorsqu'une vente permet de regrouper sur un même plateau tous les services français, les services consulaires, les services culturels, le poste économique, etc. et de garder une résidence bien placée, et bien calibrée , le rayonnement de la France y gagne ;

4/ acheter et interdire une opération si elle se conclut par la location 38 ( * ) qui nous fait jeter l'argent par les fenêtres à long terme. À titre d'exemple, la résidence à Bruxelles du représentant permanent auprès du comité politique et de sécurité de l'Union Européenne a été vendue en avril 2007 pour 1,63  million d'euros. Le bail souscrit après cette vente atteint un montant annuel de 77 820 euros par an. À ce rythme-là, dans une dizaine d'années, on constatera non plus une économie mais une charge nette du loyer. Or, une dizaine d'années à l'échelle d'un réseau diplomatique représente une durée extrêmement courte, pour une représentation qui n'a aucune vocation à disparaître ;

5/ développer les mutualisations et les colocalisations 39 ( * ) , en veillant à ce qu'elles ne se traduisent pas par une dépense supérieure, comme c'est le cas à Khartoum où l'ambassade construite sous maîtrise d'ouvrage allemande reviendra beaucoup plus cher qu'une localisation française 40 ( * ) selon les informations transmises à vos rapporteurs pour avis lors de leurs auditions.

***

À l'issue de sa réunion du 14 novembre, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».


* 33 Au 31 décembre 2016, le patrimoine du ministère représentait 4,328 milliards d'euros (en diminution car au 31 décembre 2014, il était évalué à 4,9 milliards d'euros et 5,349 en 2012). Au total, on compte un peu moins de 2 millions de mètres carrés de surface utile brute , pour environ 1 700 bâtiments répartis dans 170 pays, dont la France.

* 34 Il doit permettre de rénover l'aile des Archives (vacante depuis le transfert des Archives diplomatiques à La Courneuve en 2009), et de créer 300 postes de travail supplémentaires sur le site (dans les ailes en retour prolongées ou rehaussées et dans un bâtiment neuf à construire dans la cour des Archives). Il s'accompagnera également d'une mise aux normes des autres bâtiments du site.

* 35 Elle est passée de 2 millions d'euros en 2015 à 7 millions d'euros en 2016 puis 12 millions d'euros en 2017 et en 2018.

* 36 Exemples de rénovations envisagées mais non financées en 2018 sur le programme 105 :

- Rénovation technique du campus diplomatique d'Helsinki (2 M€) ;

- Rénovation technique de l'immeuble de France à Moscou (3,6 M€ à réaliser sur 6-7 ans) ;

- Rénovation de la cité Lamy à N'Djamena (0,8 M€)

- Rénovation de l'Institut à N'Djamena (0,5 à 1 M€) ;

- Rénovation de la résidence à Québec (0,8 M€) ;

- Poursuite de la rénovation du Palais Dos Santos à Lisbonne (ambassade) ;

- Rénovation de la résidence d'Édimbourg (0,5 M€) ;

- Rénovation de la résidence de Dublin (0,6 M€) ;

- Rénovation de la résidence à Tunis (6,6 M€) ;

- Rénovation des menuiseries des logements Delacroix à Rabat (1,7 M€).

* 37 Les ratios permettant d'évaluer ce besoin annuel peuvent être calculés de deux façons :

-soit en se référant au « niveau correct » des financements d'entretien lourd à consacrer aux bâtiments, à savoir entre 1% et 2% de la valeur du bien. La valeur du patrimoine à l'étranger étant estimée à 4 milliards d'euros, le besoin serait compris entre 40 et 80 millions d'euros.

-soit en retenant un coût moyen par an et par m 2 de bâtiment à consacrer à son entretien lourd d'environ 50€/m 2 , ce qui, pour les surfaces du MEAE à l'étranger, établies à 1.4 M m 2 , conduirait à réserver un montant d'environ 70 millions d'euros.

* 38 La location ne doit être qu'une exception temporaire.

* 39 Avec le Service européen d'action extérieure , les projets sont aboutis :

-  Depuis 2008, le Bureau de coopération technique est situé au sein de la Casa Europa à Dili

- Le MEAE loue à l'Union Européenne la chancellerie à Kigali

- Cinq colocalisations sont effectives à Djouba, Tegucigalpa, Port-Moresby (PPD), Assomption (PPD) et Gaziantep

- La future ambassade de France à Abuja sera construite sur un terrain acquis avec le Service européen d'action extérieure et des partenaires européens.

Huit implantations diplomatiques ou consulaires franco-allemandes sont effectives :

- L'ambassade de France accueille à Pékin un centre médical de santé franco-allemand depuis 2011

-  La France héberge depuis novembre 2012 la représentation allemande à Brazzaville au sein de son ambassade

- Le Bureau de coopération français de Pyongyang est installé depuis septembre 2013 avec la représentation suédoise au sein de la chancellerie allemande

- L'Allemagne a ouvert le 13 décembre 2013 son Consulat général à Rio de Janeiro au sein de la Maison de France

- Les chancelleries diplomatiques à Asmara et Bandar Seri Begawan (PPD) sont accueillies au sein des ambassades d'Allemagne, respectivement depuis décembre 2014 et mars 2015

- Depuis juillet 2016 les ambassades française et allemande sont colocalisées au sein d'un plateau de bureaux à Koweït-City

- À Dacca l'ambassade conjointe franco-allemande, dont la France est pilote de l'opération, a été livrée en mai 2017.

* 40 Les exigences sécuritaires et le recours systématique à des prestataires allemands surenchérissent largement le coût de la construction.

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