EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 21 novembre 2018, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits « Logement » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2019.

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - Je suis chargée de vous présenter les crédits relatifs au logement c'est-à-dire :

- le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ;

- le programme 109 « Aide à l'accès au logement » ;

- et le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ».

Le Gouvernement a présenté l'an dernier sa stratégie quinquennale en matière de logement qui s'est concrétisée sur le plan législatif par l'adoption de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) adoptée définitivement et qui va être promulguée, le Conseil constitutionnel ayant rendu sa décision jeudi 15 novembre par laquelle il a censuré uniquement des cavaliers et déclaré conformes les dispositions relatives aux normes d'accessibilité des logements et à la loi Littoral. Cette stratégie s'est également traduite sur le plan budgétaire par une baisse significative des crédits dès 2018 résultant de la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS) permettant une économie en matière d'aides personnelles au logement (APL) de 800 millions d'euros. Pour atteindre 1,5 milliard d'euros d'économie, une augmentation du taux de TVA a été décidée en complément. Ce n'était pas forcément la bonne solution mais c'était la plus acceptable par les bailleurs sociaux. Nous aurons de nouveau un débat l'an prochain lorsque la RLS s'appliquera seule pour un montant d'1,5 milliard d'euros.

Pour la deuxième année consécutive, les crédits des trois programmes « logement » diminuent de 7,7 %, pour atteindre 15,2 milliards d'euros.

Les députés ont adopté plusieurs amendements modifiant le montant des crédits (environ 23 millions d'euros) sans que cela ne modifie les grands équilibres. Dans le reste de mon intervention, je citerai les crédits issus du projet de loi initial.

Le programme 177 regroupe les crédits de la politique d'hébergement d'urgence. Après plusieurs années d'augmentation, ces crédits diminuent de 4,7 % en autorisations d'engagement et 3,8 % en crédits de paiement en raison d'une mesure de périmètre.

En effet, par souci de sincérité budgétaire et je le porte au crédit du Gouvernement, 118,7 millions d'euros destinés au financement du centre d'hébergement d'urgence des migrants d'Ile-de-France (CHUM) et du centre provisoire d'hébergement des réfugiés d'Ile-de-France sont transférés vers la mission « Asile et immigration ».

Les députés ont adopté un amendement du Gouvernement visant à augmenter les crédits du programme 177 de 20 millions d'euros. Il s'agit d'un transfert de crédits du programme 304 « inclusion sociale et protection des personnes » dédiés à l'adaptation des centres d'hébergement aux familles.

À périmètre constant, les crédits du programme 177 augmentent de 1,3 % en autorisations d'engagement et de 2,2 % en crédits de paiement.

Depuis plusieurs années, on constate une sous-budgétisation des crédits dédiés à l'hébergement d'urgence.

2018 n'échappe pas à la règle même si les crédits qui ont été ouverts dans le collectif budgétaire sont moindres en comparaison des sommes ouvertes les années précédentes et atteignent 60 millions d'euros auxquels il faut ajouter 96 millions d'euros en intervention de gestion. Ce sont ainsi 2,1 milliards d'euros qui devraient être consommés en 2018.

Comme il l'avait annoncé l'an dernier, le Gouvernement a engagé une rationalisation des coûts dans le secteur de l'hébergement d'urgence. Il a ainsi instauré des tarifs plafonds pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) afin de favoriser la convergence tarifaire des établissements.

Cette mesure doit permettre des économies de l'ordre de 2 %. 613,8 millions d'euros de crédits sont ainsi fléchés vers les CHRS.

En outre, plusieurs mesures permettant une restructuration du secteur de l'hébergement d'urgence ont été adoptées dans la loi ELAN : passage sous statut, obligation de conclure un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM).

Bien que des efforts de sincérité budgétaire soient réalisés et que des mesures de rationalisation des coûts aient été mises en place, je m'interroge sur une possible sous-évaluation des crédits du programme pour plusieurs raisons.

Premièrement, les crédits de paiement sont fixés à un niveau inférieur à ce qui devrait être consommé en 2018 et la pression sur le parc d'hébergement demeure tendanciellement à la hausse.

Deuxièmement, l'augmentation des crédits de la veille sociale ne paraît pas suffisante. S'ils sont en augmentation de 6,2 % pour atteindre 134,3 millions, néanmoins, au regard des crédits consommés en 2017, l'augmentation doit être relativisée et s'approche d'1,8 %. Or, ces crédits sont censés couvrir de nouvelles dépenses : prise en compte de l'augmentation des flux, prise en charge et orientation de publics spécifiques ou encore développement de maraudes professionnalisées.

Troisièmement, les crédits dédiés à certains dispositifs de logement adapté, comme l'intermédiation locative, ne paraissent pas en adéquation avec les objectifs de création de place affichés par le Gouvernement.

On ne peut donc exclure une insuffisance de crédits pour 2019.

Dans le cadre du plan en faveur du logement d'abord, qui me paraît être un bon plan à condition d'y mettre les moyens, le Gouvernement poursuit ses efforts pour limiter le recours aux nuitées hôtelières et pour accroître le nombre de places de logement adapté.

325 millions d'euros sont fléchés vers le logement adapté, soit une augmentation de 3,6 %. L'accent est mis sur l'intermédiation locative et les pensions de famille. Les objectifs de création de places paraissent très ambitieux : 8 850 places en intermédiation locative contre 5 892 en 2018 ; 2 300 places en pensions de famille contre 1 300 en 2018.

Enfin, les conditions et les moyens de l'accompagnement à l'hôtel et dans les centres d'hébergement d'urgence demeurent plus que jamais un sujet prégnant. Une sortie plus rapide vers le logement abordable ne sera possible qu'à la condition que la personne soit accompagnée et qu'elle bénéficie de véritables mesures sociales. Si on peut adhérer au plan en faveur du logement d'abord, cela suppose néanmoins des moyens qui permettent d'accompagner la personne pour qu'elle sorte de l'hébergement d'urgence vers le logement abordable et qu'elle puisse rester dans ce dernier. Dès lors, je m'interroge sur l'impact des mesures de rationalisation des coûts mises en place par le Gouvernement dont les premiers effets ont semble-t-il conduit à une diminution de la masse salariale des établissements.

L'article 74 sexies introduit par les députés prévoit la remise au Parlement, avant le 1er septembre 2019, d'un rapport analysant « la pertinence du financement des CHRS via la seule mission budgétaire cohésion des territoires, compte tenu des enjeux relatifs à l'accompagnement social des personnes hébergées ». Je suis plutôt circonspecte sur les demandes de rapports. Néanmoins, ce rapport pourrait amener le Gouvernement à réfléchir aux moyens que l'État apporte en matière d'accompagnement des personnes hébergées et à l'opportunité de créer une ligne budgétaire spécifique. J'y suis favorable encore faut-il qu'il soit remis...

Pour l'ensemble de ces raisons je vous propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat sur les crédits du programme 177.

Le programme 109 « Aide à l'accès au logement », comprend essentiellement la contribution de l'État au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL).

En 2018, le Gouvernement a décidé l'application d'une réduction de loyer de solidarité (RLS) dans le parc social devant permettre une économie pour l'État de 800 millions d'euros en 2018 et 2019 et d'1,5 milliard d'euros en 2020. En complément pour atteindre 1,5 milliard d'euros d'économie en 2018 et 2019, le taux de TVA sur les constructions et réhabilitations de logements sociaux a été relevé à 10 %, cette mesure devant rapporter à l'État 700 millions d'euros.

Pour 2019, les crédits dédiés au financement des APL diminuent de 8 %, pour atteindre 13 milliards d'euros. Les députés ont relevé les crédits de 2,5 millions d'euros afin de couvrir le coût du rétablissement temporaire de l'aide à l'accession à la propriété et à la rénovation des logements situés en outre-mer. L'an dernier, nous nous étions fortement opposés à la suppression de l'APL-accession, dont le coût avoisinait les 50 millions d'euros, considérant qu'il s'agissait s'un très mauvais signal envoyé à l'accession à la propriété. Malgré les engagements du ministre en séance l'an dernier, le Gouvernement ne l'a pas maintenue. Le présent projet de loi de finances prévoit une APL-accession pour les outre-mer, nous aurions évidemment préféré que le dispositif soit rétabli pour la France entière.

Cette baisse des crédits procède pour partie d'économies résultant de mesures adoptées l'an dernier (70 millions d'euros pour la suppression de l'APL-accession, 126 millions d'euros pour le gel des barèmes et 26 millions d'euros pour le gel des loyers) et de mesures nouvelles. 910 millions d'euros résulte de la « contemporanéisation des ressources » c'est-à-dire le calcul des APL en fonction des ressources actuelles et non des ressources de l'année N-2. Le dispositif est certes plus juste mais il est complexe. Il pourrait n'être mis en place qu'en juillet 2019. Il faudra être attentif à l'accueil des usagers et à leur bonne compréhension de la mesure. Les économies seront-elles au rendez-vous ? Le ministre M. Julien Denormandie ne nous a pas répondu. Par ailleurs, 102 millions d'euros d'économie résulteront de la sous-indexation des paramètres de l'APL.

Les paramètres de la RLS ont été établis pour permettre une économie de 800 millions d'euros sur 11 mois. Ces paramètres n'étant pas modifiés, la RLS permettra 873 millions d'euros de baisse d'APL en 2019, soit une économie supplémentaire pour l'État de 73 millions d'euros. En outre, le rendement de TVA sur les constructions de logements sociaux devrait s'avérer plus favorable en 2019 et atteindre 850 millions d'euros.

Or, je rappelle que le coût de la RLS pour les bailleurs sociaux (830 millions d'euros en 2018 et 916 millions d'euros en 2019) est plus important que le montant des économies pour l'État.

En ne modifiant pas les paramètres de la RLS, je considère que le Gouvernement ne respecte pas ses engagements en termes de trajectoire financière (1,5 milliard d'euros de baisse d'APL dont 800 millions d'euros liés à la RLS).

C'est pourquoi je vous proposerai de rejeter les crédits du programme 109.

Quelques éléments des premiers effets de la RLS. Selon les premières informations et sans tenir compte des mesures de soutien, la RLS devrait conduire pour 2018, à une perte d'autofinancement net de 21 % et le nombre d'organismes en situation de fragilité passerait de 127 à 309 (+143 %) et celui en autofinancement négatif de 54 à 183 (+238 %).

La construction de logements sociaux devrait diminuer de 5 %. Les projections de la Caisse des dépôts et consignations ne sont guère optimistes puisque la Caisse conclut à une résistance du secteur moyennant « un repli substantiel » de la production de logements (-38 % d'ici 20 ans) et d'importants efforts en matière de charges d'exploitation.

La clause de revoyure annoncée par le Gouvernement lors du Congrès HLM de Marseille doit être l'occasion d'un bilan exhaustif des mesures d'économies prises l'an dernier et des mesures d'accompagnement, sur la situation des bailleurs sociaux mais aussi sur la construction et la réhabilitation des logements sociaux.

L'article 74 quinquies introduit par les députés prévoit la remise d'un rapport au Parlement avant le 1er septembre 2019 sur les conséquences de la RLS sur l'autofinancement et les capacités d'investissement des bailleurs sociaux. Je regrette que cette évaluation n'ait pas eu lieu l'an dernier avant l'adoption du dispositif. Bien que peu favorable aux demandes de rapport, j'estime que ce rapport permettra de présenter en toute transparence l'analyse du Gouvernement sur les conséquences de la RLS. Néanmoins, selon moi, l'analyse ne peut porter sur la seule RLS mais doit aussi porter sur l'impact de l'augmentation de la TVA. En outre, il doit s'agir d'une analyse des effets à court, moyen et long termes de ces mesures. Je vous proposerai un amendement en ce sens.

Pour les raisons précédemment indiquées, je vous propose de rejeter les crédits du programme 109.

J'en viens au programme 135 qui concerne notamment les aides à la pierre et l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). Ces crédits sont en baisse de 10 % en autorisations d'engagement et 7 % en crédits de paiement.

Depuis plusieurs années, les crédits budgétaires dédiés au financement des aides à la pierre diminuaient. Pour 2019, l'État se désengage définitivement du financement du Fonds national des aides à la pierre (FNAP). Les bailleurs sociaux, déjà mis à contribution avec la RLS et le nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), financeront la quasi-totalité des ressources du FNAP, en apportant 375 millions d'euros, le reste étant apporté par Action Logement qui est régulièrement sollicité par le Gouvernement pour financer les politiques de l'habitat.

Face à ce désengagement, je m'interroge sur la composition du conseil d'administration du FNAP qui comprend des représentants de l'État et des bailleurs sociaux à parité. Ne devrait-elle pas évoluer ?

Enfin, le FNAP, Daniel Dubois l'avait souligné lors de l'audition du ministre, est un établissement sans véritable pilote depuis la démission de son président il y a plus d'un an. C'est le directeur de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) qui assure l'intérim. Cette situation est tout simplement inadmissible.

Sont également rattachés à ce programme un certain nombre de dépenses fiscales, comme le prêt à taux zéro et le dispositif d'investissement dit Pinel. Les dispositifs ont été reconduits jusqu'en 2021 avec des aménagements selon les territoires. Le Gouvernement n'a pas remis au Parlement les deux rapports relatifs au zonage du dispositif Pinel et du PTZ. C'est pour le moins regrettable.

Par ailleurs, l'article 74 bis introduit par les députés prévoit un nouveau dispositif d'investissement locatif dans le but d'encourager la rénovation des logements dans les centres-villes.

Le dispositif d'investissement locatif dit Pinel est ainsi étendu au logement acquis par le contribuable entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2021 et qui fait ou a fait l'objet de travaux d'amélioration. Ces travaux doivent représenter au moins 25 % du coût total de l'opération.

Le logement doit être situé « dans des communes dont le besoin de réhabilitation de l'habitat en centre-ville est particulièrement marqué, dont la liste est fixée par arrêté » et dans les communes signataires d'une convention d'opération de revitalisation de territoire (ORT). Le ministre M. Julien Denormandie a précisé que les 222 villes du plan « Action coeur de ville » seraient éligibles au dispositif.

Le gouvernement n'a pu nous indiquer le coût de la mesure en l'absence de prévisibilité du nombre de communes retenues. Je vous proposerai de donner un avis favorable à cette disposition.

En matière de copropriété, l'ANAH est appelée d'une part, à renforcer ses missions (maintien d'objectifs ambitieux du programme Habiter mieux ; doublement du nombre de logements adaptés dans le cadre de la perte d'autonomie pour atteindre 30 000 logements) et d'autre part, à jouer un rôle central dans la mise en oeuvre du plan « Initiative copropriétés ».

Ses ressources augmentent grâce à la remontée des cours du quota carbone qui constitue la principale ressource de l'agence.

Estimant que cette remontée des cours du quota carbone était durable, le Gouvernement a décidé d'ajuster le plafond de cette recette afin qu'il corresponde selon lui « au besoin effectif de l'agence » en le diminuant de 550 millions à 420 millions d'euros. Ce plafonnement obligera l'agence à puiser dans les recettes supplémentaires perçues en 2018. Il est regrettable de retirer une partie de ces ressources pour les rediriger vers le budget général. Il me semble qu'il aurait été plus judicieux de laisser à l'ANAH ces ressources supplémentaires et de mettre un coup d'accélérateur à la rénovation thermique des logements.

Par ailleurs, le Gouvernement relève de nouveau à 61 millions le plafond de la taxe sur les logements vacants. Le niveau du plafond fait le yoyo depuis plusieurs années. Un peu de stabilité et de cohérence seraient les bienvenues.

Le plan gouvernemental en matière de copropriété mobilisera 2,7 milliards sur 10 ans. 14 sites de priorité nationale ont été identifiés sans que l'on sache si la liste est ou non fermée. À la suite des effondrements d'immeubles et du drame qu'a connu Marseille, je crois nécessaire de créer un outil d'identification précis des copropriétés en difficulté. En effet, l'identification de ces copropriétés est faite à partir des remontées du terrain, des tiers, des locataires, des communes, du préfet. C'est un fléau dans nombre de nos régions. Il nous faut un outil d'identification plus opérationnel. Il me semble qu'une évaluation devrait être menée pour savoir si d'autres immeubles sont dans la même situation et si des mesures nouvelles doivent être prises en termes de lutte contre l'habitat indigne et de traitement des copropriétés dégradées.

En raison du désengagement de l'État du FNAP, je vous propose de donner un avis de sagesse sur les crédits du programme 135.

En conclusion, je vous propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat sur les programmes 177 et 135 et de rejeter le programme 109. Je vous propose de donner un avis favorable aux articles 74 bis et 74 sexies rattachés à la mission et un avis favorable sous réserve de l'adoption de mon amendement à l'article 74 quinquies rattaché à la mission.

Mme Sophie Primas , présidente . - Merci madame le rapporteur, je pense qu'il va y avoir quelques prises de paroles fortes.

Mme Valérie Létard . - Au regard de l'importance des sujets qui composent ces programmes budgétaires, je remercie notre rapporteur pour sa présentation exhaustive et claire, qui permet de comprendre les enjeux qui sont devant nous. Si l'on prend le sujet de la réduction de loyer de solidarité (RLS), dont le montant a été fixé à 800 millions d'euros, on comprend que l'État récupère 300 millions d'euros de plus que l'objectif initial, une fois qu'on additionne toutes les mesures d'économie. Aussi, sans remettre en question la dynamique et la logique engagées par le Gouvernement, on pourrait à juste titre déposer un amendement pour laisser à 800 millions d'euros le prélèvement fait auprès des bailleurs sociaux qui correspond à l'objectif fixé par l'État pour 2018 et 2019. Cela permettrait que ces 300 millions supplémentaires soient utilisés au financement de la production de logements et de la rénovation du parc existant. Cela donnerait un peu de marge de manoeuvre aux bailleurs sociaux.

Concernant le calcul de l'APL sur la base des revenus actuels, je suis très inquiète. Les caisses d'allocation familiale (CAF) ont été réformées afin d'en réduire le nombre dans des départements très denses, où les demandes d'APL sont très importantes. Dans un département que je connais bien, mais c'est vrai ailleurs y compris en Île-de-France, il y avait huit CAF. Il n'y en a plus qu'une. La CAF doit souvent être fermée une journée par semaine pour écluser les dossiers en cours. Il faudrait que le ministre nous informe de l'état d'avancement de la mise en oeuvre du dispositif et des discussions en amont avec la CNAF. Quels moyens sont donnés aux CAF dans le budget de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) ? Dans les territoires où l'on a recentré la gestion des prestations familiales, qui gère cette situation ? Il faut veiller à ce que les territoires soient en ordre de marche, afin de ne pas reproduire les erreurs commises lors de la réforme du paiement des retraites.

On voit que la RLS peut freiner la production et la rénovation de logements. J'ai interrogé les métropoles de ma région, pour voir l'effet sur les territoires « favorisés » de ce mécanisme. En 2018, sur un objectif de production de 2000 logements sociaux dans la métropole de Lille, on constate une réduction des constructions de 600 logements, alors même que le fait d'être dans une métropole devrait faciliter la construction de logements et devrait avoir un effet démultiplicateur. Je m'inquiète énormément car les bailleurs sociaux que l'on a mis en situation de ne plus avoir d'autofinancement sont les mêmes que l'on soit dans une métropole ou non. Quand bien même les bailleurs sociaux ont les moyens de trouver des financements, ils ont besoin d'avoir des fonds propres.

Enfin, on constate une diminution du nombre de logements financés par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) et par un prêt locatif à usage social (PLUS) et une augmentation des logements financés par un prêt locatif social (PLS) ou un prêt locatif intermédiaire (PLI). Cela signifie que, dans des territoires où les bénéficiaires de l'APL relèvent de logements financés par des PLUS ou des PLAI, on vend du patrimoine massivement afin de constituer des fonds propres et pour sécuriser la possibilité de revente pour les bailleurs, on construit des logements financés par un PLS plus aisés à revendre qu'un logement financé par un PLUS ou un PLAI.

Enfin, le fait de repousser la clause de revoyure et l'évaluation pose de nombreux problèmes. Les chiffres concernant le nombre d'organismes à la limite de la banqueroute ou en autofinancement négatif sont alarmants. Cela veut dire que pendant ce délai supplémentaire, on risque de constater la disparition de bailleurs étranglés financièrement qui sont repris par des groupes. Le travail de redéfinition de la cartographie des bailleurs sociaux sera fait par la « sélection naturelle » des bailleurs et ce au mépris d'une véritable prise en compte des territoires et des bailleurs. Cette logique n'est pas favorable à l'aménagement du territoire mais bien au déménagement du territoire.

Mme Annie Guillemot . - Je voudrais aborder quatre points. En premier lieu, je déplore que le budget 2019 s'inscrive dans la continuité du budget de 2018, au détriment de l'objectif de cohésion des territoires qui reste secondaire. Alors même que la Commission européenne vient d'appeler les pays européens à investir massivement dans le logement social afin de faire face à la pénurie de logements abordables -on a le plan d'Angela Merkel et celui de Theresa May-, on assiste en France à un véritable retrait de l'investissement public. La contraction des ressources des organismes HLM, leur restructuration à marche forcée ainsi que la vente contrainte de leur patrimoine vont sérieusement déstabiliser le secteur. On est bien loin d'un élan de l'offre promis par le ministre. Le coût du foncier ne cesse d'augmenter et aucune mesure n'est prévue pour enrayer ce phénomène.

Le deuxième point concerne les chiffres de la construction qui sont en baisse, soulevant la question de la capacité du secteur du logement social à absorber l'ensemble des réformes qui le concernent et la question des difficultés toujours croissantes des Français à accéder à un logement abordable qui réponde à leurs besoins. Je partage le point de vue de Jean-Louis Borloo, exprimé dans son rapport, qui considère que la Nation devrait consentir à cet effort, constitutif de notre République, pour rétablir une équité d'accès au logement. On le voit aujourd'hui avec les gilets jaunes, la situation est très inquiétante pour notre pays. Si la production de logements neufs est en repli pour 2018, on va dans le mur en 2020. Il ne faut pas attendre. Nous soutiendrons l'amendement proposé par la rapporteure. J'ai par ailleurs entendu ce matin le ministre Julien Denormandie vouloir en finir avec les zones tendues, pourtant nous n'avons toujours pas vu le rapport sur l'analyse des zonages que le Gouvernement devait livrer pour le 1 er septembre. Nous désirerions en savoir davantage.

Concernant les aides personnelles au logement, qui représentent le principal poste budgétaire, le Gouvernement poursuit la baisse des APL en 2019, via leur sous-revalorisation et la mise en place du mécanisme de contemporanéisation des ressources. Je rappelle que la sous-valorisation concerne l'ensemble des prestations sociales et représente 3,5 milliards d'euros d'économie. 900 millions d'euros d'économie résulteront de la contemporanéisation des ressources. Je voudrais également attirer l'attention sur le risque de contraction de revenus lié à la combinaison de la réforme du calcul de l'APL et du prélèvement à la source. Quelqu'un n'ayant pas travaillé jusqu'au premier novembre, en janvier ne touchera plus l'APL qu'il pensait avoir car il aura trouvé un travail entretemps et se verra appliquer la retenue de l'impôt sur le revenu immédiatement effective. Nous allons assister à des cas très douloureux de familles et de ménages.

Je veux également pointer le désengagement total de l'État sur le financement des aides à la pierre, désengagement qui est complètement assumé et qui laisse aux collectivités territoriales, aux bailleurs sociaux et à Action Logement le soin de s'en charger.

Enfin, sur les enjeux de rénovation, bien que les ressources de l'ANAH soient conservées entre 2018 et 2019, et que l'objectif affiché est de 500 000 logements construits ou rénovés, le chantier de la rénovation thermique a pris beaucoup de retard et aucune mesure de prévention des copropriétés dégradées n'est prévue dans la loi ELAN, ce qui est problématique au moment où des ventes massives d'HLM sont prévues. Le relèvement du seuil de 20 à 50 salariés pris en considération pour le versement de la participation des employeurs à l'effort de construction conduit à une perte de ressources pour Action Logement. On donne une subvention à Action Logement qui est compensée par une taxe sur les assurances emprunteurs, alors que je pensais qu'on n'allait plus créer de nouvelle taxe.

Nous voterons donc contre le budget logement.

Mme Viviane Artigalas . - Sur la question des copropriétés dégradées, si le Gouvernement a voté une stratégie d'intervention d'un plan de trois milliards sur 10 ans, notre groupe regrette l'absence de mesure dans la loi ELAN pour éviter la dégradation des copropriétés, notamment suite aux ventes de HLM. Nous pensons qu'un travail de prévention est nécessaire et pas seulement de rénovation. Mon deuxième point porte sur le rendement budgétaire des mesures d'économies votées l'an dernier. Il est estimé à 1,7 milliard d'euros qui se décompose ainsi : la RLS va permettre à l'État de réduire sa dépense budgétaire de 870 millions d'euros en 2019, et le rendement du relèvement de 5 % à 10 % du taux de TVA est estimé à 850 millions d'euros. Cela dépasse le montant attendu qui était fixé à 1,5 milliard d'euros. Un amendement avait été déposé lors de l'examen du PLFSS pour réajuster ce montant, mais il n'était pas recevable. J'ai interrogé le ministre sur ce réajustement qui ne m'a pas répondu, ce que je regrette.

M. Daniel Dubois . - Je voulais faire une observation sur le FNAP : c'est l'argent qui vient des pauvres qui sert à financer le logement des pauvres, ce qui pose un vrai problème d'éthique dans notre société.

Le plafonnement des ressources de l'ANAH est inadmissible d'autant plus que l'abaissement du plafond des aides à 50 % des travaux est problématique pour de nombreux ménages qui vivent dans des territoires ruraux et qui ont besoin de ces aides car leur logement est une véritable passoire énergétique. Pour réhabiliter énergétiquement leur logement, une prise en charge de 50 % ne suffira pas. On l'a vu par le passé : les aides atteignaient 70 % ou 80 %, avec le soutien des collectivités locales. Or, les ressources de ces dernières diminuent et elles ne pourront continuer à contribuer ainsi à la rénovation thermique.

Enfin, de nombreux dispositifs de soutien à la construction de logement sont supprimés ou affaiblis : le prêt à taux zéro (PTZ), qui devait être supprimé en 2021, est maintenu mais avec une quotité divisée par deux pour les territoires détendus ; l'APL-accession est supprimée, la taxe d'habitation est supprimée également. Aujourd'hui, construire du logement locatif sur des territoires ruraux présente un intérêt économique moindre. L'intervention des organismes HLM n'avait bien souvent lieu qu'à la condition d'obtenir une aide par les collectivités territoriales. L'article 74 bis prévoit une aide fiscale pour le logement ancien dans les centres-bourgs. Or la liste de ces derniers est fixée par décret ou par arrêté, et l'on a bien compris que les territoires ruraux n'en feront pas partie. Aussi je vous fais part de mon extrême inquiétude concernant la production de logement au niveau national, et plus particulièrement sur les territoires ruraux. L'État veut continuer à piloter le logement sans mettre les moyens de son intervention et les politiques du logement, et celles concernant l'insertion et les familles en difficultés, vont de fait être transférées aux régions, aux territoires et aux organismes HLM eux-mêmes.

M. Daniel Gremillet . - Je partage les propos de Daniel Dubois. L'ANAH est un vrai sujet. Je soutiens l'ajout de l'évaluation de l'impact de la TVA sur les bailleurs sociaux proposé par l'amendement de la rapporteure.

M. Marc Daunis . - La question du logement renvoie directement à celle du pouvoir d'achat, dont on sait ô combien elle préoccupe nos concitoyens. Je ferai donc deux remarques : le patron de NEXITY a alerté sur les impacts de la politique du logement, témoignant d'une crainte de l'inversion de la courbe de production - crainte qui commence à être confirmée. Sans développer et en reprenant les propos de mes collègues, je souhaiterais néanmoins que sur la question de l'accession, de la production et de la rénovation du logement, nous disposions d'une étude spécifique. Je voterai l'amendement sur le rapport, mais il faudrait s'emparer de cette question et faire nous-même ce travail, en exigeant des administrations les informations demandées.

Mme Sophie Primas , présidente . - Cela demanderait des pouvoirs de commission d'enquête.

M. Marc Daunis . - Soit on accepte ce boisseau mis par les administrations centrales sur le pouvoir législatif, soit nous considérons que le Parlement a un vrai rôle à jouer. Il nous appartient de faire plier ces administrations centrales, qui ont pris l'habitude de s'affranchir du politique à travers leur ministre et plus généralement de la terre entière et du Parlement, y compris en allant jusqu'à la commission d'enquête.

M. Martial Bourquin . - Concernant les crédits de l'ANAH, certes il y a une augmentation, mais l'ANAH va être mise à contribution avec les opérations de revalorisation des centres-villes. Où sont les 5 milliards prévus pour les opérations dans les centres-villes et centres-bourgs ? Je n'arrive pas à les trouver. Il faut démêler dans ce budget ce qui relève de l'effet d'annonce et de la réalité des chiffres.

Il y a une immense inquiétude dans le secteur du bâtiment : les constructions de logements baissent très sensiblement, alors que le secteur reprenait tout juste du souffle. On risque de mettre en difficulté cette filière française. On voit que la part mise à la vente avant le début des travaux explose : si elle était en moyenne de 20 % auparavant, aujourd'hui elle monte jusqu'à 50 %, voire 70 % avant de commencer les travaux. Par exemple, où en est l'idée de la baisse de la TVA sur les logements de centre-ville ? De tels outils sont nécessaires pour revitaliser nos centres-villes et centres-bourgs.

Enfin, la taxation de l'assurance emprunteur est scandaleuse. Les familles pouvaient faire jusqu'à 13 000 euros d'économies sur les commissions prises par les banques sur l'assurance. Il ne faut pas les fiscaliser.

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'amendement concernant l'ajustement des mesures d'économies est contraire à l'article 40 de la Constitution, ce qui le rend irrecevable.

Concernant la contemporanéité des aides, les défis techniques et humains de leur mise en oeuvre laissent planer le doute sur le fait d'atteindre 910 millions d'euros d'économies.

À propos des logements financés par des PLAI et des PLUS, le choix de se tourner davantage vers les logements financés par des PLS concerne les communes ayant déjà atteint les objectifs de la loi SRU. Pour les autres, on voit bien que les objectifs sont tenus, voire dépassés, en PLAI et en PLUS, qui sont les logements dont on a le plus besoin.

Concernant la clause de revoyure, le ministre s'est engagé à un retour fin février. La Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et l'Union sociale pour l'habitat (USH) nous ont assuré que des groupes de travail ont été constitués dans la perspective de cette clause.

Les 5 milliards prévus pour les opérations de centre-ville n'étaient pas issus exclusivement de l'ANAH. Il s'agit d'un budget global qui comprend des contributions d'Action Logement, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ainsi que des recyclages de crédits de l'ANAH.

Concernant les remarques de M. Marc Daunis, je laisserai la présidente répondre, mais il y a effectivement un réel sujet. Le fait que les rapports ne soient pas donnés à la date voulue - c'est le cas pour le zonage du PTZ et du dispositif Pinel - est extrêmement préjudiciable.

Enfin, il faut s'interroger sur les conséquences de ces mesures d'économies sur la situation des collectivités territoriales qui garantissent les emprunts des bailleurs sociaux. Nous devons nous doter d'un outil permettant de mesurer les conséquences de ces économies, notamment sur les bailleurs sociaux. Jusqu'à présent, les garanties d'emprunt étaient demandées mais elles ne jouaient jamais. Alors avec les difficultés que peuvent rencontrer les bailleurs sociaux aujourd'hui, de telles garanties pourront être mises en jeu. Je souscris à vos nombreuses remarques.

L'amendement AFFECO.1 est adopté.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'adoption des crédits des programmes 177 et 135. Elle émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 109. Elle émet un avis favorable à l'adoption des articles 74 bis et 74 sexies . Elle émet un avis favorable à l'adoption de l'article 74 quinquies sous réserve de l'adoption de l'amendement de la rapporteure.

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