B. UNE STRATÉGIE EN COURS DE STRUCTURATION

1. Une coordination interministérielle bienvenue

Comme évoqué précédemment, le plan fait l'objet d'une coordination au niveau interministériel grâce à la nomination de Bertrand Pailhès en tant que coordinateur national , rattaché à la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (DINSIC). Son rôle est de lancer et de superviser la mise en oeuvre du plan d'action dans toutes ses composantes.

Même si sa nomination est intervenue tardivement, elle est bienvenue, car ce type de plan composé d'initiatives disparates, impliquant de nombreux ministères et s'effectuant à la fois dans un cadre budgétaire de droit commun et dans le cadre de dispositifs particuliers (PIA, FII...) tant au plan interne qu'international, ne saurait être correctement mis en oeuvre sans une coordination interministérielle robuste.

Le volet « recherche » du plan est piloté par la DGRI du ministère de la Recherche et le volet « économie », par la DGE du ministère de l'Économie. Le volet européen et international devrait être copiloté par le ministère de l'Économie et le ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères. Le SGPI interviendra également, tant en ce qui concerne le PIA que pour les dépenses du fonds pour l'innovation de rupture, dans la mesure où les deux directeurs en cours de nomination pour mener à bien les premiers « grands défis » lui seront rattachés.

2. De nombreuses actions ont déjà été lancées
a) Les actions du plan engagées dès cette année.

Il semble que l'année 2018 aura surtout été consacrée à la mise en marche de l'écosystème public en charge de la mise en oeuvre du plan .

S'agissant du volet relatif à la recherche , le ministère de la Recherche a notamment cité à votre rapporteur les éléments suivants :

- la coordination de la mise en oeuvre des actions de recherche de cette stratégie est assurée par INRIA ;

- la mise en place d'un réseau d'instituts interdisciplinaires en intelligence artificielle emblématiques intitulé « I3A » qui aura pour vocation de développer de la recherche sur le coeur de l'IA, son intégration (robotique, vision artificielle...) et ses applications (sécurité et défense, transport...) en vue d'attirer les meilleurs chercheurs : l'appel à manifestation d'intérêt a été publié par l'ANR en juillet 2018, les premiers lauréats ont été présélectionnés le 6 novembre dernier 111 ( * ) ;

- le « Cloud » à disposition des chercheurs : un marché multi-attributaire de prestataires de cloud est en cours de rédaction, s'appuyant sur le référentiel SecNumCloud existant et devant inclure les questions de souveraineté des données ;

- la mise à niveau des capacités de calcul destinées à la recherche : le marché public en cours pour le renouvellement du calculateur IDRIS par GENCI a bénéficié d'un complément budgétaire de 10 millions d'euros en 2018 , pour intégrer les problématiques liées au calcul pour l'IA, notamment la répartition du traitement du signal sur un ensemble de petits calculateurs graphiques. Cette action permet d'une part de sensibiliser la communauté du calcul scientifique et des simulations numériques (environ 3 000 utilisateurs actuels de GENCI) aux possibilités offertes par l'IA et par les techniques d'apprentissage, d'autre part, de faire bénéficier à la communauté des chercheurs en IA (environ 1 500 nouveaux utilisateurs attendus) de l'expérience du calcul scientifique de haute performance et de l'optimisation du code acquise par la communauté de GENCI ;

- l'abondement des moyens sur l'IA à l'ANR : une priorité IA a été mise en oeuvre par l'ANR en 2018 dans les axes existants, avec un budget supplémentaire de 10 millions d'euros ;

- l'accompagnement de la recherche sur les algorithmes : la stratégie nationale de recherche (SNR) avait pointé dès 2014 le besoin d'interdisciplinarité dans la recherche académique, en définissant les axes de travail à travers des défis sociétaux, et avait mis en avant un programme d'action transversal relatif à « l'explosion du volume des données numériques ». Consécutivement, un Institut de convergence a été retenu sur les données et leurs liens avec l'IA et avec la société, pour un financement par le PIA 2. Il s'agit maintenant d'étendre les travaux sur les algorithmes exploitant les grands volumes de données numériques vers des perspectives d'algorithmes sincères et éthiques.

Quant au volet relatif à l'économie et à l'industrie , le ministère de l'Économie a cité les exemples suivants :

- le lancement d'un appel à manifestation d'intérêt sur la mutualisation des données , qui a pris fin le 16 novembre 2018. Cette initiative vise à soutenir des initiatives sectorielles ou intersectorielles de mutualisation de données pour le développement de solutions d'IA, partant du constat selon lequel c'est généralement à partir du croisement de jeux de données initialement « en silo » que découle la capacité de réaliser des solutions algorithmiques d'une richesse inédite. Un appel à projet s'inscrira dans le prolongement de cet AMI début 2019 ;

- le Fonds pour l'innovation et l'Industrie , dont 150 millions d'euros doivent être affectés tous les ans au financement de « grands défis » : deux grands défis dans le domaine de l'IA ont déjà été retenus lors de la mise en place du Conseil de l'innovation de juillet dernier . Le premier concerne l'amélioration des diagnostics médicaux grâce à l'IA et le second la sécurisation, la certification et la fiabilisation des systèmes qui ont recours à l'IA. Deux directeurs de programme sont en cours de recrutement par l'État pour conduire ces défis. Ils devraient être financés à hauteur de 30 millions d'euros chacun.

S'agissant des actions en matière de transformation de l'action de l'administration de l'État, on peut relever :

- la sélection, en juin dernier, de cinq projets portant sur l'intelligence artificielle dans le cadre du premier appel à projets du fonds pour la transformation de l'action publique ;

- l'appel à manifestation d'intérêt pour expérimenter l'intelligence artificielle dans les services publics lancé en juin dernier et clôturé en septembre, sous l'égide de la DINSIC et de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et financé par le PIA ;

- la constitution d'un « lab IA » annoncé dans le cadre du 2 ème comité interministériel de la transformation publique réuni le 29 octobre dernier. Installé au sein de la DINSIC et financé par le PIA, il a vocation, selon le communiqué de presse de ce 2 ème comité, à faire « bénéficier (les administrations) de l'état de l'art des technologies en matière d'IA, grâce à un réseau de chercheurs publics affiliés ».

Piloté par le ministère de la Santé, le « Health Data Hub », guichet unique assurant un accès simplifié aux données de santé pour les producteurs et utilisateurs publics comme privés, est en cours de constitution. La mission de préfiguration lancée en juin dernier a publié son rapport le 12 octobre dernier. Ce rapport propose une feuille de route pour la mise en oeuvre opérationnelle de ce projet et estime le besoin de financement à 40 millions d'euros par an à terme. À ce jour, cette initiative a reçu 9,6 millions d'euros dans le cadre du FTAP.

À ce jour, il semble que le volet concernant le ministère des Armées est encore peu développé et que les actions à mettre en place seront définies au cours de l'année 2019.

Enfin, les initiatives législatives s'agissant du régime applicable aux chercheurs entrepreneurs 112 ( * ) et de la définition d'un cadre pérenne de régulation de la voiture autonome 113 ( * ) sont en cours.

b) Le plan dans le projet de loi de finances pour 2019

En 2019, les 17 millions d'euros mobilisés sur l'action n° 1 du programme 172 de la MIRES permettront de financer les actions suivantes :

- la mise en place de chaires d'attractivité internationale , à hauteur de 3 millions d'euros - ce dispositif est actuellement en cours de préparation, sur le modèle de ce qui a été réalisé dans le secteur de l'environnement avec le programme « Make Our Planet Great Again », l'objectif étant d'attirer les chercheurs en leur garantissant un volume d'activité et des moyens ;

- soutenir la création du réseau « Instituts I3A » à hauteur de 8 millions d'euros ;

- améliorer l'accès à la puissance de calcul au travers des infrastructures de calculs et de données à hauteur de 3 millions d'euros en 2019 ;

- la création de chaires industrielles , à hauteur de 3 millions d'euros , en vue de favoriser la recherche partenariale.

A ces montants s'ajouteront 10 millions d'euros en provenance de l' ANR , un axe prioritaire sur l'IA ayant été à nouveau défini dans le plan d'actions 2019. Ce financement a vocation à être maintenu jusqu'en 2022.

Le projet annuel de performance du PIA 3 nous apprend également que l'action « programme prioritaire de recherche », dotée de 35 millions d'euros en 2019, contribuera au financement du plan, sans préciser l'ampleur du financement.

Le 6 novembre dernier, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation Frédérique Vidal s'exprimant devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, estimait que 29 millions d'euros sont mobilisés par la MIRES et le PIA pour la recherche en IA dans le PLF pour 2019.

Par ailleurs, selon le ministère de l'Économie, des challenges en IA dotés de 5 millions d'euros de subventions  verront le jour début 2019. L'objectif sera de favoriser une démarche d'innovation ouverte entre, d'une part, des organisations confrontées à des enjeux numériques liés à l'IA et, d'autre part, des entreprises fournisseurs de technologies innovantes.

Plus globalement, il semble que l'année 2019 sera consacrée au déploiement de la stratégie au-delà de la sphère publique française . Le ministère de l'Économie a ainsi indiqué à votre rapporteur avoir sollicité les filières afin qu'elles définissent et communiquent leur stratégie en matière d'IA 114 ( * ) , ces stratégies sectorielles ayant vocation à constituer les briques d'une future stratégie économique de l'IA, qui doit voir le jour dans le courant de l'année 2019.

3. Une nécessaire accélération, notamment aux niveaux international et européen
a) La France ne peut pas se permettre de perdre plus de temps

Dans le cadre de la course à la compétitivité, après la transformation numérique des entreprises, les efforts se tournent désormais vers la transformation des métiers par les données, et notamment par l'intelligence artificielle.

Or, notre pays connaît un retard certain en matière de transformation numérique de nos entreprises : nous sommes au 17 e rang de l'Union européenne de l'indice européen d'intégration des technologies numériques 115 ( * ) .

Il convient donc de ne pas reproduire cette erreur et de mettre en oeuvre rapidement et efficacement cette stratégie nationale.

Il convient également de ne pas sous-estimer le potentiel des coopérations au niveau international et européen en vue de renforcer notre force de frappe.

b) Renforcer la coopération au niveau international

La coopération internationale doit s'effectuer aux niveaux multilatéral et bilatéral.

Au niveau bilatéral, pour contrebalancer les investissements massifs publics et privés américains et chinois, la France doit accroître sa collaboration en matière de recherche avec d'autres États, au-delà de l'Europe, tels que le Japon, le Canada ou encore Israël. En Europe également, les centres de recherche européens en IA se structurent et il convient de saisir cette opportunité pour développer des coopérations renforcées entre laboratoires de recherche.

La stratégie française nourrit l'ambition - bienvenue - d'une coopération stratégique accrue avec l'Allemagne . Selon une réponse au questionnaire budgétaire, les ministères et les communautés de chercheurs collaborent déjà sur le thème de l'IA, notamment en santé. Surtout, les ministres français et allemand en charge de la recherche ont signé une déclaration d'intention commune à Berlin le 19 juin 2018. La coopération franco-allemande sera axée sur la recherche fondamentale, le transfert des résultats de la recherche vers le monde économique, l'innovation et le développement d'approches règlementaires communes et de normes éthiques. Un groupe de travail associant les quatre ministères concernés (Recherche et Industrie, en France et en Allemagne) est mis en place et produira une feuille de route commune. La piste du développement d'un réseau de recherche franco-allemand rassemblant les structures et les compétences existantes dans les deux pays doit être poursuivie.

Au niveau multilatéral, la France doit poursuivre son action sur les enjeux éthiques et politiques de l'IA. En partenariat avec le Canada, qui préside le G7, notre pays réfléchit actuellement à la structuration d'un « GIEC de l'IA ». La présidence française du G7 l'année prochaine permettra sans nul doute d'avancer sur ce sujet .

c) Tirer parti des opportunités au niveau européen

Au niveau européen, la France doit influencer la stratégie européenne en cours de définition en vue d'assurer une articulation efficace entre les stratégies nationale et européenne. La France est d'ailleurs représentée au sein du groupe d'experts de haut niveau mis en place par la Commission européenne : sur les 52 experts, 8 sont Français.

Dès maintenant, la recherche française doit également tirer parti des investissements annoncés par la Commission européenne . On peut à ce titre se réjouir de la réussite d'un projet français (piloté par Thales, le CEA et INRIA) dans le cadre de l'appel à projets concernant la constitution de plateformes d'IA dans le cadre du programme Horizon 2020. Il conviendra de poursuivre sur cette voie dans le cadre du programme « Horizon Europe ».


* 111 Il s'agit des projets suivants : « MIAI@Grenoble-Alpes » à Grenoble, « 3IA Côte d'Azur » à Nice, « Prairie » à Paris et « Aniti » à Toulouse. Ils doivent désormais déposer un projet détaillé avant le 15 janvier 2019, afin d'obtenir leur labellisation 3IA définitive après examen par le jury international.

* 112 Article 41 du projet de loi « pacte ».

* 113 L'article 43 du projet de loi « pacte » modifie le régime expérimental en vigueur. Une disposition de l'avant-projet de loi d'orientation des mobilités actuellement en cours d'examen au Conseil d'État entend permettre au Gouvernement de déterminer un cadre pérenne par voie d'ordonnance.

* 114 Chaque comité stratégique de filière a d'ailleurs été invité par le Premier ministre à inclure dans son contrat de filière le thème de l'IA.

* 115 Source : rapport DESI, Commission européenne, integration of digital technologies.

Page mise à jour le

Partager cette page