II. L'IMPACT ÉCONOMIQUE INCERTAIN DU RECYCLAGE
DE PONCTIONS FISCALES ET DE LA « BASCULE » DU CICE
EN ALLÈGEMENTS DE COTISATIONS SOCIALES.

En dehors de la reconduction de l'enveloppe de deux milliards d'euros de crédits, le présent budget comporte deux mécanismes de « recyclage » dont l'impact économique risque de peser sur le dynamisme des outre-mer, comme ont permis de le confirmer les auditions conduites par votre rapporteur.

A. LE « RECYCLAGE » DE PONCTIONS FISCALES EN SUBVENTIONS :
UN PROCÉDÉ CENTRALISATEUR DONT L'EFFICACITÉ RESTE
À DÉMONTRER

1. 170 millions d'euros par an en moins pour les ménages
et les entreprises

La première partie de la loi de finances comporte deux mesures fiscales dont l'impact économique sur les outre-mer mérite d'être approfondi.

- Une ponction de 70 millions par an sur les ménages ultramarins est prévue par l'article 4 du PLF qui vise à réduire l'avantage d'impôt sur le revenu pour les résidents des DOM. A-t-on pris en compte le fait que la classe moyenne qui s'est endettée pour l'achat d'un logement va sans aucun doute restreindre ses dépenses courantes ? Cela représente un danger de baisse du chiffre d'affaires pour certaines entreprises locales alors que le taux de chômage est, dans les outre-mer, de 23 % en moyenne et de 50 % chez les jeunes.

Pour réduire ce risque, le Sénat, à l'initiative d'un amendement à titre personnel de votre rapporteur pour avis, a approuvé un étalement dans le temps de cette mesure.

La remise en cause de la réduction d'impôt sur le revenu en faveur des contribuables domiciliés dans les DOM

Lors de sa création, en 1960, la réduction d'impôt sur le revenu en faveur des contribuables domiciliés dans les DOM avait pour objectif de tenir compte du coût de la vie dans ces départements et de faciliter le recrutement des cadres et des techniciens nécessaires à leur développement.

Le Livre bleu, soulignant le caractère inégalitaire du dispositif propose ainsi de mobiliser une réduction de cet avantage pour abonder le fonds exceptionnel d'investissement (FEI).

L'article 4 du PLF prévoit de limiter la réduction d'impôt sur le revenu dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion de la Guyane et de Mayotte.

L'impact concret de cette mesure serait le suivant :

- 48 135 foyers fiscaux verront leur impôt augmenter en moyenne de 1 546 euros ;

- 764 foyers fiscaux aujourd'hui non imposés le deviendraient, avec une perte moyenne évaluée à 1 293 euros ;

- et 967 foyers fiscaux bénéficiant d'une restitution au titre de crédits d'impôts verraient cette dernière diminuer.

(Source : documentation budgétaire et travaux de la commission des finances du Sénat)

- Une seconde ponction de 100 millions par an sur les entreprises ultramarines résulterait de la suppression prévue par l'article 5 du PLF de la TVA non perçue récupérable. Comme l'a fait observer un représentant des entrepreneurs ultramarins, ce dispositif sonne comme le « choc des mots » pour un fiscaliste. Mais en comptabilité d'entreprise, il s'agit d'une subvention qui subit l'impôt sur les bénéfices. Son extinction entrainerait mécaniquement une hausse des coûts et des prix dans des territoires ou la « vie chère » est au centre des préoccupations.

Le Sénat a approuvé deux aménagements de ce dispositif pour ne pas pénaliser les opérations en cours.

La remise en cause de la TVA non perçue récupérable (TVANPR)

L'article 295-1-5° du Code général des impôts (CGI), prévoit en Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion, un dispositif spécifique de TVA désigné « TVA non perçue récupérable » (TVA NPR) permettant aux entreprises qui y sont établies de bénéficier d'une déduction de TVA fictive calculée sur le montant de certains biens neufs d'investissement qui sont importés dans les DOM en franchise de TVA.

Instauré en 1953 dans le cadre de la taxe à la production, ce dispositif est resté sans cadre légal jusqu'à la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (LODEOM).

La TVA NPR fonctionne comme une subvention ayant pour objectif de compenser le coût du transport occasionné par l'éloignement insulaire au moyen de l'exonération et de la récupération de la TVA.

Plusieurs critiques ont été adressées par l'État à ce dispositif :

- la répercussion sur les prix n'apparaîtrait pas évidente ;

- la liste des investissements éligibles est peu lisible et manque de cohérence ;

- Enfin, la TVA NPR serait difficilement traçable dans les comptes des entreprises.

Reprenant ces arguments, le Livre bleu des outre-mer du 28 juin dernier estime préférable de supprimer cette TVA NPR et de recycler intégralement la réduction de dépense de 100 millions d'euros induite sous forme de crédits d'intervention.

(Source : documentation budgétaire)

2. L'affichage de 170 millions de dotations supplémentaires

En seconde partie du PLF, le Gouvernement propose de compenser ces prélèvements par des subventions.

- D'une part, le PLF propose d'augmenter les dotations du fonds exceptionnel d'investissements (FEI). 70 millions d'euros supplémentaires doivent lui être alloués pendant chacune des quatre prochaines années pour accompagner les projets des collectivités territoriales ultramarines. Cela porterait le FEI à 110 millions d'euros par an, et près de 500 millions d'euros sur le quinquennat en faveur de l'investissement public. Je rappelle ici que le FEI aurait déjà dû bénéficier de 500 millions d'euros sous le précédent quinquennat mais qu'en 2017, moins de la moitié de cet objectif a été atteint avec 230 millions d'euros en AE et 214 millions d'euros en CP.

- D'autre part, 100 millions d'euros sont alloués au développement économique des territoires dans la nouvelle action 4 « Financement de l'économie » du programme 138 « Emploi outre-mer » ( cf . infra l'analyse détaillée de ces dotations).

La documentation budgétaire affiche donc une quasi-équivalence entre le montant des prélèvements et celui des nouveaux crédits - du moins en autorisations d'engagement mais pas en crédits de paiements, ce qui démontre la réalité du risque récessif lié au décalage dans le temps de la mise en oeuvre des processus de subvention.

L' impact économique réel de cette compensation soulève ainsi beaucoup d'interrogations .

- Tout d'abord, les ultramarins - entreprises et collectivités - devront remplir des dossiers de financement , ce qui nécessite une expertise et du temps dont certains ne disposent pas ou qu'ils pourraient mieux employer ailleurs.

- Il faudra ensuite instruire ces dossiers , ce qui comporte des incertitudes et des délais. Qui des administrations ou des organismes de financement va traiter ce nouveau flux ? Au terme des auditions, votre rapporteur n'est pas certain de la réponse. Pour l'essentiel, votre commission attend donc du Gouvernement des garanties de célérité car l'application du principe d'annualité budgétaire se traduit trop souvent par des crédits non consommés .

- Enfin, on peut observer que le Gouvernement cible principalement l'amélioration des infrastructures en diminuant les capacités financières d'un tissu assez fragile d'entreprises locales.

Les ultramarins critiquent donc ici un processus de compensation administré, centralisateur et économiquement discutable. À tout le moins, votre commission sera extrêmement vigilante sur l'engagement de l'État à pérenniser les crédits nouveaux car ils sont par nature plus volatiles que les suppressions d'avantages fiscaux.

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