III. UN SIGNAL EN FAVEUR DE L'INNOVATION ET DE L'INVESTISSEMENT, BROUILLÉ PAR UNE FORTE PRESSION FISCALE SUR LES ENTREPRISES INDUSTRIELLES

Lors de son audition par la commission des Affaires économiques du Sénat le 30 octobre dernier, le ministre de l'Économie et des finances Bruno Le Maire a exposé les « trois piliers » de la stratégie industrielle de son Gouvernement : l'amélioration de la compétitivité-coût par un allègement de la fiscalité du capital et de la production et par une baisse du coût du travail ; l'encouragement de l'innovation et de l'investissement dans l'Industrie du futur ; et l'effort sur l'offre de formation et de compétences.

Aux yeux de votre rapporteur, ces objectifs ne sont que partiellement accomplis dans le projet de loi de finances pour 2019.

L'effort en faveur de l'innovation et de la recherche est notable. La mise en place d'un « suramortissement » pour l'investissement des PME dans l'Industrie du futur est une grande avancée, que votre rapporteur avait appelée de ses voeux dans son rapport « Faire gagner la France dans la compétition industrielle mondiale » , présenté au Sénat le 6 juin 2018 et que le Sénat avait votée à l'unanimité lors de l'examen de la LFI pour 2018. Cependant, la charge de la fiscalité , alourdie cette année hors mesure exceptionnelle relative au CICE, brouille ce signal à destination des entreprises.

A. LE « SURAMORTISSEMENT » DE L'INVESTISSEMENT DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES DANS L'INDUSTRIE DU FUTUR : UNE RECOMMANDATION DU SÉNAT QUI VIENT COMPLÉTER LES DISPOSITIFS EXISTANTS EN FAVEUR DE L'INNOVATION

1. Un environnement fiscal et budgétaire très favorable à l'innovation

Les PIA successifs, le projet Nouvelle France industrielle, puis le projet Industrie du futur lancé en 2015 ont marqué un effort budgétaire et stratégique notable en faveur de l'innovation et du progrès technologique industriel. Dans la lignée du rapport Gallois de 2012, la transformation de l'appareil productif français par l'intégration de solutions numériques, robotisées ou digitales dans un objectif de compétitivité accrue a bénéficié de la mise en oeuvre de nombreux dispositifs, parmi lesquels :

• Un financement des projets industriels d'avenirs (PIAVE) « Industrie du futur » par l'intermédiaire du PIA et de Bpifrance ;

• L'accompagnement des entreprises par l'association Alliance pour l'Industrie du Futur et l'identification de « briques technologiques » à mettre en oeuvre ;

• Le soutien à l'innovation de rupture et aux start-ups et une fiscalité favorable aux dépenses de recherche et développement ;

• Des dispositifs spécifiques en faveur de l'impression 3D ou de la robotisation, notamment par l'intermédiaire de prêts ou de déductions fiscales.

Votre rapporteur avait identifié et évalué les différents outils de cette politique dans son avis budgétaire sur le PLF 2018. Les conclusions du rapport budgétaire démontraient ainsi que les deux dispositifs de « suramortissement » mis en place entre 2013 et 2017 sur les investissements productifs d'une part et sur la robotisation de l'autre avaient eu des effets très positifs sur l'outil industriel français, en particulier dans le PME et ETI ciblés.

Ainsi, votre rapporteur avait suggéré de reconduire un dispositif de « suramortissement », clairement ciblé sur les investissements dans l'Industrie du futur, proposition rappelée dans le rapport d'information présenté avec votre collègue Alain CHATILLON « Faire gagner la France dans la compétition industrielle mondiale » , présenté au Sénat le 6 juin 2018.Il est en effet nécessaire d'inciter rapidement les entreprises du tissu industriel français à prendre le virage technologique, sous peine de prendre un retard conséquent sur leurs compétiteurs et de voir leur compétitivité décliner.

2. L'introduction au projet de loi de finances pour 2019 d'un nouveau dispositif de « suramortissement » pour les PME, ciblé sur l'Industrie du futur

En conséquence, votre rapporteur se félicite de l'intégration à l'article 18 quater par voie d'amendement lors de l'examen du présent projet de loi de finances à l'Assemblée nationale d'un dispositif de « suramortissement » ciblé sur les investissements robotiques, informatiques et digitaux.

Cette mesure était attendue de longue date par les entreprises industrielles qui rencontrent des difficultés particulières à mobiliser les fonds nécessaires à investir dans l'Industrie du futur. Des amendements venus de plusieurs bancs, et notamment du groupe socialiste, avaient conduit le Sénat à adopter à l'unanimité cette mesure dans le projet de loi de finances pour 2018. Elle avait ensuite été supprimée par l'Assemblée nationale. Elle a finalement trouvé une oreille attentive du Gouvernement, le Premier Ministre ayant annoncé le 20 septembre 2018 vouloir rétablir un mécanisme de suramortissement.

Cet amendement instaure une déduction sur les bénéfices imposables des PME à hauteur de 40% des montants des investissements en biens réalisés en matière :

• D'équipements robotiques et cobotiques ;

• D'équipements de fabrication additive (ou « imprimantes 3D ») ;

• De certains logiciels intervenant dans la conception, la fabrication ou la transformation ;

• De machines intégrées destinées au calcul intensif ;

• De capteurs physiques collectant des données sur l'appareil de production ;

• De machines de production à commande programmable ou numérique ;

• D'équipements de réalité augmentée et virtuelle intervenant dans la conception, la fabrication ou la transformation.

Cette déduction n'est mise en place que pour les biens neufs acquis ou biens fabriqués entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2020 affectés à une activité industrielle. La mesure prévoit également que les biens commandés à partir du 20 septembre 2018 soient éligibles, afin d'y inclure tout investissement ayant été décidé à la suite des annonces du Premier ministre. Elle s'applique également aux biens éligibles pris en location, en crédit-bail ou en location avec option d'achat. Enfin, cette déduction sera répartie linéairement sur la durée normale d'utilisation des biens, afin d'opérer un certain lissage dans le temps.

Votre rapporteur se félicite de l'écoute du Gouvernement et de l'adoption de cette mesure, regrettant toutefois qu'elle n'ait pu être mise en place dès 2018, comme l'avait proposé le Sénat. Il est d'avis que cette mesure vient compléter très utilement les nombreuses mesures de soutien à l'innovation et à la recherche. En effet, la France se caractérise par un environnement fiscal très propice aux dépenses de recherche et développement, notamment grâce au dispositif de crédit d'impôt recherche (CIR).

Cet effort en faveur de la recherche et du progrès technologique ne bénéficiera réellement à l'industrie qu'à la condition que celle-ci dispose des fonds suffisants pour intégrer ces technologies au sein même du processus productif, afin de tirer meilleure partie du gain de compétitivité engendré par l'innovation. La condition du maintien d'emplois industriels sur le territoire français est la modernisation de l'activité de production elle-même. C'est précisément à cet enjeu que viendra répondre cette mesure, tout particulièrement auprès des PME qui ne disposent pas de réserves suffisantes pour engager d'importants investissements : on sait bien que les équipements industriels atteignent des montants très élevés qui ne peuvent être amortis que sur plusieurs années.

Votre rapporteur note cependant qu'une étude récente de France Stratégie et de la Fabrique de l'Industrie 25 ( * ) indique que, si le taux d'investissement des entreprises industrielles françaises est désormais le deuxième de l'Union européenne (25,7 % de la valeur ajoutée contre 19 % en Allemagne), cet investissement est réalisé majoritairement dans les actifs immatériels et pour la recherche et développement. Les dépenses dédiées à l'équipement et aux machines restent bien plus faibles en France que dans la moyenne de l'Union Européenne. Selon les auteurs de l'étude, ce constat est cohérent avec une forte concentration des dispositifs de soutien public sur la conception et l'innovation, possiblement au détriment de la fonction de production elle-même. L'investissement dans l'Industrie du futur, tout particulièrement au niveau de l'appareil de production, est donc essentiel.

Plus globalement, l'effort de l'État en faveur de l'industrie doit pouvoir bénéficier aux différents secteurs et activités, et ne pas uniquement porter sur les entreprises les plus dynamiques et les plus innovantes. Le savoir-faire français dans les industries dites « traditionnelles », par exemple, est toujours source de compétitivité, et mérite aussi l'appui des politiques publiques.

3. Les avantages fiscaux sur les revenus tirés des brevets sont recentrés sur le territoire national

Le projet de loi de finances pour 2019 modifie également à l'article 14 le droit de la fiscalité des cessions de brevets et actifs incorporels.

L'industrie est l'un des principaux producteurs de brevets. L'approche dite du « nexus », adoptée par le droit de l'Union européenne, conditionne le bénéfice d'avantages fiscaux sur les cessions de brevets ou actifs incorporels assimilés à ce que les dépenses de recherche et développement afférentes aient été réalisées sur le territoire national. Un « ration nexus » est donc appliqué pour déterminer les revenus pouvant bénéficier de taux réduits d'imposition. Le projet de loi initial prévoyait d'introduire cette proportionnalité dans le droit français, en unifiant au passage les taux réduits selon les modes d'imposition.

Un amendement du rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale a remplacé ce taux unifié de 15 % (plus élevé que celui qui s'applique actuellement sur les entreprises soumises à l'impôt sur le revenu), par un taux unifié de 10 %, la mesure proposée par le Gouvernement ayant pour effet de réduire les dépenses éligibles au taux réduit.

Votre rapporteur se félicite de cette mesure, qui corrige un des déséquilibres de la politique française de soutien à la recherche et l'innovation : alors que la France offre un environnement fiscal très incitatif en matière de R&D, le poids de la fiscalité des entreprises dans son ensemble tend en revanche à décourager l'implantation des sites de production en France. La traduction de l'approche du « nexus » en droit français permet de conditionner le bénéfice des avantages fiscaux à un véritable lien économique avec le territoire français.


* 25 Étude « L'investissement des entreprises françaises est-il efficace ? », la Fabrique de l'Industrie, octobre 2018.

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