II. UNE FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE EXPLOSIVE QUE LES MESURES ANNONCÉES SERONT TRÈS LOIN DE COMPENSER ET DONT L'AUGMENTATION EN « PILOTAGE AUTOMATIQUE » ABONDE PRINCIPALEMENT LE BUDGET DE L'ÉTAT

A. UNE FISCALITÉ EXPLOSIVE ET DES MESURES DE COMPENSATION TRÈS INSUFFISANTES

1. 46 milliards de prélèvements supplémentaires d'ici à 2022

Sous l'effet de la double accélération décidée par le Gouvernement l'an dernier 43 ( * ) , qui portait à la fois sur la trajectoire de la « taxe carbone » 44 ( * ) et sur la convergence des fiscalités de l'essence et du diesel , l'évolution de la fiscalité énergétique se traduira, en cumulé sur la période 2018-2022 par rapport à 2017, par une augmentation massive de 46 milliards d'euros de la pression fiscale hors TVA, répartie à 60 % sur les ménages et à 40 % sur les entreprises.

Après la hausse de 14,1 euros appliquée en 2018, la valeur de la tonne de carbone progressera chaque année de 10,4 euros , pour atteindre 86,2 euros en 2022, à comparer à la trajectoire précédemment fixée, déjà forte, de hausse annuelle de 8,5 euros par an jusqu'en 2020.

En parallèle, les tarifs de l'essence et du gazole convergeront d'ici à 2021 , à raison d'une hausse annuelle de la part fixe des taxes sur le gazole de 2,6 euros par hectolitre (soit 2,6 centimes par litre) hors TVA, qui s'ajoutera à la hausse de la taxe carbone 45 ( * ) . Cette convergence s'opère donc uniquement à la hausse , contrairement aux étapes précédentes 46 ( * ) .

L'an dernier, le Gouvernement lui-même avait évalué l'impact sur le budget annuel moyen des ménages à 79 euros en 2018 et 313 euros en 2022 , et jusqu'à 136 euros en 2018 et 538 euros en 2022 pour un ménage chauffé au fioul et roulant beaucoup avec un véhicule diesel. Pour attester de cet impact massif sur le pouvoir d'achat, les exemples ne manquent pas : en 2018, 30 % des Français ont été contraints de restreindre leur consommation de chauffage pour limiter leurs dépenses d'énergie 47 ( * ) ; depuis le début de l'année, le tarif réglementé du gaz a progressé de 24 % pour les ménages chauffés au gaz ; le prix du fioul a augmenté dans les mêmes proportions puisque fin octobre, il fallait compter près de 250 euros supplémentaires pour remplir une cuve de 1 000 litres ; enfin, pour un ménage consommant 45 litres de carburant par semaine, la hausse intervenue en deux ans équivaut à environ un Smic à l'année.

Enfin, l'impact sur les entreprises sera encore aggravé , cette année, par la suppression du taux réduit applicable au gazole non routier (GNR). Cette mesure, décidée de façon brutale et sans concertation avec les professionnels concernés, alourdira de près d'1 milliard d'euros les charges annuelles de secteurs tels que l'industrie extractive ou le bâtiment et les travaux publics (BTP), déjà souvent en difficulté et qui n'ont à ce jour que peu ou pas d'alternatives à l'utilisation de machines ou d'engins de chantier fonctionnant au GNR ; à supposer qu'ils puissent répercuter cette charge dans leurs prix, ce sont leurs clients, dont les collectivités publiques, qui en souffriront, avec un risque de contraction globale de l'activité, en particulier dans le secteur de la construction.

2. Des mesures de compensation très insuffisantes

L'an dernier , le Gouvernement avait mis en avant deux mesures pour compenser les effets de la fiscalité énergétique pour les particuliers : le renforcement de la prime à la conversion - 1 000 euros attribués sans conditions de ressources, et 2 000 euros pour les ménages non imposables, pour aider au remplacement d'une vieille voiture par un modèle neuf ou d'occasion moins polluant - et la généralisation du chèque énergie à l'ensemble du territoire pour aider au paiement des factures, mesure qui était en réalité déjà prévue dans la foulée de l'expérimentation réalisée en 2016 et 2017 dans quatre départements. À l'époque, le surcoût pour l'État de ces deux mesures pouvait être estimé à environ 180 millions d'euros 48 ( * ) .

Cette année , face à la très forte mobilisation des Français contre la hausse des taxes sur l'énergie, le Gouvernement a été contraint d'élaborer, dans l'urgence, une série de mesures complémentaires dont le détail n'est pas toujours connu :

- l'extension du chèque énergie à 2 millions de bénéficiaires supplémentaires ( cf. infra ) ;

- la création d'une surprime à la conversion de 4 000 euros pour les 20 % de Français les plus modestes, avec un objectif de primes distribués relevé de 500 000 à 1 million sur le quinquennat (environ 300 000 primes auront été attribuées en 2018, d'où un coût réévalué à 510 millions d'euros) ;

- l'élargissement de l'indemnité kilométrique aux petites cylindrées pour les grands rouleurs (entre 60 et 70 kilomètres par jour) ;

- le renforcement de la prime à la conversion des chaudières au fioul , dans l'objectif annoncé de prendre en charge environ un tiers des dépenses et de mettre fin au chauffage au fioul domestique d'ici dix ans ;

- la défiscalisation d'aides que pourraient mettre en place les collectivités territoriales et des versements décidés par les employeurs dans le cadre du forfait mobilité dont l'entrée en vigueur serait avancée au 1 er janvier 2019,

le tout pour un coût estimé par le Gouvernement lui-même autour de 500 millions , auxquels il faut encore ajouter environ 85 millions au titre de nouvelles dépenses éligibles au crédit d'impôt transition énergétique (CITE) ( cf. infra ).

Ces annonces appellent trois observations de votre rapporteur.

Si la surprime à la conversion et l'élargissement du chèque énergie vont dans le bon sens et permettront d'aider les Français les plus modestes, les classes moyennes seront les grandes oubliées car elles ne pourront en bénéficier - pas plus que de la prime au remplacement des chaudières fioul ou de l'extension du CITE, eux aussi soumis à conditions de ressources.

Certaines des mesures annoncées consistent en réalité à faire payer par d'autres l'effet des décisions prises par l'État : ce sera le cas pour les aides des collectivités ou des employeurs , où la participation de l'État se limitera à défiscaliser les montants versés, mais aussi de la prime au remplacement des chaudières fioul , qui est financée par les vendeurs d'énergie dans le cadre des certificats d'économie d'énergie (CEE) et dont ils répercutent le coût, d'une façon ou d'une autre, sur les consommateurs.

Enfin, et surtout, l'addition de ces différentes mesures sera très loin de compenser l'explosion de la fiscalité énergétique : selon les calculs de votre rapporteur présentés dans le tableau ci-après, il restera à la charge des Français environ 3,5 milliards d'euros de pression fiscale supplémentaire en 2018 et à nouveau près de 3 milliards supplémentaires en 2019 au titre de leurs dépenses d'énergie.

Effets de la fiscalité énergétique et des mesures de compensation 49 ( * )

Évolution par rapport à l'année N-1
(en millions d'euros)

2018

2019

I. Fiscalité énergétique

1. TICPE hors TVA 50 ( * )

+3 700

+2 900

2. Suppression du taux réduit sur le GNR 51 ( * )

-

+ 980

3. TVA sur la fiscalité énergétique 52 ( * )

+377

+329

Fiscalité énergétique totale (1+2+3)

+4 077

+4 209

II. Mesures de compensation

1. Chèque énergie avant extension 53 ( * )

-60

-290

2. Prime à la conversion avant surprime 54 ( * )

-480

-346

3. Mesures nouvelles annoncées par le Gouvernement 55 ( * )

-

-585

Total (I + II)

+3 537

+2 958

Commission des affaires économiques, d'après les documents budgétaires et les réponses du Gouvernement aux questions du rapporteur


* 43 Pour une présentation plus complète, se reporter au rapport pour avis n° 109 (2017-2018), tome II.

* 44 Depuis 2014, les taxes intérieures de consommation (TIC) sur les énergies fossiles comportent une part fixe et une part variable, dite « contribution climat-énergie » (CCE) et plus communément désignée sous le nom de « taxe carbone », qui est proportionnelle au contenu en carbone émis lors de l'utilisation des produits taxés et fonction de la valeur donnée à la tonne de carbone.

* 45 Bien qu'une voiture diesel émette moins de CO 2 qu'une voiture essence du fait d'une moindre consommation, la taxe carbone impacte davantage le gazole que l'essence compte tenu de la plus forte densité énergétique de ce carburant.

* 46 +1 centime par litre sur le gazole et -2 centimes sur l'essence en 2015, +2 centimes sur le gazole et -2 centimes sur l'essence en 2016. Seule la hausse spécifique décidée en 2015 pour compenser la suppression de l'« écotaxe poids lourds » avait fait exception (+2 centimes sur le gazole).

* 47 Source : étude commandée par le Médiateur national de l'énergie, citée dans un communiqué de presse du 30 octobre 2018.

* 48 Environ 100 millions supplémentaires pour la prime à la conversion avec une cible de 100 000 primes distribuées, selon l'évaluation du Gouvernement, et 80 millions de surcoût par rapport aux anciens tarifs sociaux pour le chèque énergie, selon les calculs de votre commission.

* 49 Les « + » correspondent à des rentrées fiscales supplémentaires pour l'État et donc à des prélèvements supplémentaires sur les ménages et sur les entreprises ; les « - » correspondent à des dépenses supplémentaires pour l'État (ou à de moindres rentrées fiscales) et donc à des mesures de transfert au bénéfice des ménages (hors effets indirects sur les entreprises du secteur automobile ou des travaux, en particulier).

* 50 Évaluations préalables des articles du projet de loi de finances pour 2018, article 9, p. 70 et rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2019 (p. 95).

* 51 Évaluations préalables des articles du projet de loi de finances pour 2019, article 19, p. 193.

* 52 Évaluations des voies et moyens annexés aux projets de loi de finances pour 2018 (p. 44) et 2019 (p. 42).

* 53 D'après les réponses du Gouvernement à votre rapporteur (pour le détail, se reporter à la partie du présent rapport consacrée au chèque énergie).

* 54 D'après les réponses du Gouvernement à votre rapporteur, sur la base d'un coût de la prime à la conversion de 30 millions en 2017, 510 millions en 2018 et 346 millions en 2019 hors surprime.

* 55 Sur la base des estimations du Gouvernement.

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