AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Déposée le 30 avril 2018 au Sénat par MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud, la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale comporte 24 articles.

Le maintien de la cohésion des territoires et la lutte contre les multiples fractures - numérique, sanitaire et sociale, économique, relative aux mobilités - qui les traversent constituent des priorités absolues, dans un contexte où la concentration des richesses, des emplois et du dynamisme dans les métropoles s'accentue, laissant de côté les campagnes, bourgs, petites villes et périphéries urbaines.

La polarisation croissante entre ces différents espaces de vie et d'activités appelle une politique volontariste d'aménagement et de rééquilibrage territorial, seule capable d'inverser cette tendance. Les aires urbaines de plus de 200 000 habitants regroupent aujourd'hui 38 % de la population et près de 40 % des emplois et ont concentré 44 % des gains de population et 53 % des créations d'emplois entre 1999 et 2014.

La présente proposition de loi comporte un titre I er , prévoyant la création d'une Agence nationale pour la cohésion des territoires, dont la commission des lois a délégué l'examen au fond à notre commission au titre de sa compétence en matière d'aménagement du territoire.

Les sept articles de ce titre ont pour objet de définir le statut, les missions, l'organisation et le fonctionnement de cette agence très attendue par nos territoires.

Alors que la concrétisation de ce projet d'agence tarde à venir, le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, est pleinement mobilisé pour répondre aux enjeux qu'il soulève et c'est le sens de l'initiative des auteurs du présent texte. Cette proposition rejoint ainsi les idées émises par le Président du Sénat il y a plus d'un an, ainsi que par le Président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et votre rapporteur, dans leur rapport Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité , fait au nom de la commission en mai 2017 1 ( * ) .

C'est à la lumière de ces impératifs que votre commission a examiné le texte de cette proposition de loi, lors de sa réunion du mardi 5 juin 2018.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LE CONTENU DU PROJET DE LOI

A. UNE AGENCE NATIONALE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES POUR APPORTER DES RÉPONSES CONCRÈTES AUX FRACTURES FRANÇAISES

Depuis plus de dix ans, les constats s'accumulent sur les « fractures françaises », qui traversent les territoires . Le sociologue et géographe Christophe Guilluy, bien connu pour ses travaux sur la France périphérique (2014), décrivait ce processus de fracturation du territoire national, qui met à mal la cohésion nationale : « désormais deux France s'ignorent et se font face : la France des métropoles, brillante vitrine de la mondialisation heureuse, où cohabitent cadres et immigrés, et la France périphérique des petites et moyennes villes, des zones rurales éloignées des bassins d'emplois les plus dynamiques. De cette dernière, qui concentre 60 % de la population française, personne ne parle jamais. Laissée pour compte, volontiers méprisée, cette France-là est désormais associée à la précarité sociale et au vote Front national » 2 ( * ) .

Les « fractures françaises 3 ( * ) » sont multiples : fracture numérique , avec un déploiement des réseaux de communications électroniques fixes à très haut débit et de téléphonie mobile qui ne permet pas aujourd'hui d'assurer une couverture complète et satisfaisante du territoire national 4 ( * ) ; fracture sanitaire et sociale , matérialisée par les « déserts médicaux » qui conduisent à des situations locales ubuesques, quand elles ne sont pas tragiques 5 ( * ) ; fracture dans l'accès aux services publics , lorsque les bureaux de postes, les hôpitaux, les écoles et les centres de vie ferment les uns après les autres ; fracture dans l'accès au logement , avec des inégalités importantes de qualité de vie ; enfin, fracture dans la mobilité , qui grève l'ascension sociale de nombreuses familles.

Source : Observatoire des territoires

Comme le relève l'Observatoire des territoires, dans son rapport Regards sur les territoires (2017), « une centaine de bassins de vie est aujourd'hui en déclin démographique », tandis que l'Île-de-France concentre plus de 20 % des emplois et 18 % de la population nationale, même si l'écart avec les autres régions a tendance à se réduire.

Les grandes agglomérations, c'est-à-dire les aires urbaines regroupant plus de 200 000 habitants (hors Paris), abritent 38 % de la population et 39 % des emplois. Elles ont concentré, par ailleurs, près de 44 % des gains de population et 53 % des créations d'emplois entre 1999 et 2014. Parmi ces grandes villes, les métropoles de l'Ouest et du Sud sont les plus dynamiques (Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Rennes et Lyon).

S'il convient de nuancer le constat univoque du dynamisme des grands espaces urbains, en tenant compte des inégalités importantes qu'ils connaissent, la réalité ne peut être niée : les territoires ruraux et périurbains peinent aujourd'hui à trouver leur juste place dans la République et à permettre aux Français qui y habitent de concilier leurs aspirations personnelles et professionnelles. Parmi les habitants des petits pôles urbains, près de 44 % travaillent dans une autre aire urbaine, souvent plus grande (en hausse de 16 points depuis 1990), contre 35 % des habitants des pôles de taille de moyenne (en hausse de 13 points).

Pour autant, il ne saurait y avoir de fatalité et votre rapporteur pour avis se félicite que de nombreuses initiatives, qu'elles émanent des territoires, des parlementaires ou du Gouvernement, aillent dans le sens d'une meilleure prise en compte des territoires ruraux et périurbains. Ces territoires, s'ils sont confrontés à des difficultés comparables, sont plus divers qu'ils n'y paraissent. Aussi, dans le rapport Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité , dont votre rapporteur pour avis a été le coauteur, notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable relevait qu'il est « préférable d'évoquer les territoires à faible densité plutôt que la ruralité, qui ne recouvre pas une réalité univoque. Elle inclut la campagne, les bourgs-centres ou encore les villes moyennes (40 000-50 000 habitants) qui structurent la campagne davantage qu'elles interagissent avec la métropole. Il existe même des territoires ruraux dans les métropoles : on retrouve ainsi une population rurale d'environ 700 000 habitants au coeur de l'Eurométropole de Lille » 6 ( * ) .

LA FRANCE : UNE RURALITÉ PLURIELLE 7 ( * )

La ruralité française ne saurait être perçue comme monolithique, contrairement aux affirmations de certains discours simplificateurs. Une typologie actualisée, avec toutes les limites qu'elle peut comporter, permet de distinguer différentes catégories de territoires ruraux. La carte suivante présente les résultats d'une analyse menée à la demande de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) en 2011 par un groupement de laboratoires de recherche, afin de prendre en compte les évolutions socioéconomiques de ces territoires. Elle met en évidence trois grandes catégories de territoires ruraux :

- les campagnes des villes, du littoral et des vallées urbanisées , regroupant près de 16 millions d'habitants et 10 500 communes sur 140 355 km², ces trois sous-ensembles ayant en commun une forte croissance résidentielle depuis une trentaine d'années, un développement économique variable mais relativement élevé et des conditions de vie directement liées au dynamisme des métropoles ou des grandes villes environnantes ;

- les campagnes agricoles et industrielles , rassemblant 5,5 millions d'habitants et 10 523 communes sur 140 000 km², qui présentent des trajectoires économiques et démographiques très contrastées mais restent unies par une influence persistante des aires urbaines, un solde démographique généralement positif, une prépondérance des activités agricoles et industrielles, un revenu par habitant légèrement inférieur à la moyenne nationale et un accès moyen aux services et aux commerces ;

- les campagnes vieillies à faible densité , regroupant 5,2 millions d'habitants et 12 884 communes sur 227 000 km², confrontées à un vieillissement de la population à quelques exceptions près, un niveau de revenus parmi les plus faibles et une accessibilité très inférieure à la moyenne nationale.

Cette typologie illustre ainsi les différences de trajectoires, d'atouts et de difficultés des territoires ruraux, qui n'appellent pas les mêmes réponses de la part des pouvoirs publics. Elle démontre qu'une approche unique de la ruralité est vouée à manquer nombre de spécificités, notamment concernant la relation à l'urbain.

Face à des fractures multiples et à une réalité hétérogène au plan infranational comme au plan infrarégional, l'Agence nationale pour la cohésion des territoires devra porter un projet qui soit à la fois englobant , pour répondre à l'ensemble des difficultés identifiées et spécifique , pour s'adapter à la réalité de chaque territoire.

Aussi, comme le relevaient en 2017 votre rapporteur et le Président Hervé Maurey dans leur rapport précité 8 ( * ) , l' État stratège est plus que jamais nécessaire pour porter une vision prospective de l'aménagement du territoire, intervenir en soutien des collectivités territoriales et assurer la cohésion territoriale : « Il est un rôle que personne ne conteste à l'État : il demeure le lieu de formation de la volonté collective, le garant de l'intérêt général à long terme et le gestionnaire des risques. Cette posture implique de sa part une capacité d'anticipation et l'énonciation d'orientations stratégiques. Il doit avoir une vision, opérer des choix lisibles et favoriser la convergence des actions des différents acteurs publics et privés. Une véritable stratégie suppose de définir clairement des objectifs, et de mobiliser durablement les moyens adaptés pour les atteindre. »


* 1 Rapport n° 565 (2016-2017), fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable par le groupe de travail sur l'aménagement du territoire, par MM. Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ, Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité , 31 mai 2017

* 2 La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires. ed . Flammarion, 2014.

* 3 Christophe Guilly, ed. François Bourin, 2010.

* 4 Voir le rapport n° 322 (2017-2018) fait par Mme Marta de Cidrac, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi tendant à sécuriser et encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit et le rapport d'information n° 712 (2016-2017) fait par MM. Hervé Maurey et Patrick Chaize, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable : Le très haut débit pour tous en 2022 : un cap à tenir.

* 5 Voir le rapport d'information n° 335 (2012-2013) Déserts médicaux : agir vraiment, de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

* 6 Rapport précité n° 565 (2016-2017).

* 7 Extrait du rapport n° 565 (2016-2017) précité.

* 8 Extrait du rapport n° 565 (2016-2017) précité.

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