Avis n° 114 (2017-2018) de M. Patrick KANNER , fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 novembre 2017

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N° 114

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2017

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2018 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IV

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES
ET JURIDICTIONS FINANCIÈRES

Par M. Patrick KANNER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Sébastien Leroux, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 235 , 264 rect. , 266 rect. , 273 à 278 , 345 et T.A. 33

Sénat : 107 et 108 à 113 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 29 novembre 2017, sous la présidence de M. Philippe Bas, président, la commission des lois a examiné, sur le rapport pour avis de M. Patrick Kanner, les crédits des programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » rattachés à la mission « Conseil et contrôle de l'État » du projet de loi de finances pour 2018 1 ( * ) .

Le rapporteur a tout d'abord observé que les moyens alloués par le projet de loi de finances pour 2018 à ces deux programmes étaient en progression avec, d'une part, une hausse de crédits de 3 % et un plafond d'emplois en augmentation de 54 équivalents temps plein travaillé (ETPT) pour les juridictions administratives et, d'autre part, une hausse de 1,9 % et un plafond d'emplois stable à 1 840 ETPT pour les juridictions financières.

Il a ensuite relevé que cette situation, privilégiée en apparence, était trompeuse : les crédits supplémentaires alloués aux juridictions administratives sont en réalité destinés principalement à renforcer les effectifs de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui fait face à une hausse importante du nombre des affaires enregistrées, et ceux prévus pour les juridictions financières sont à peine suffisants pour atteindre le plafond d'emplois ouvert.

Pour faire face à la progression des contentieux de masse et à la dévolution de nouvelles compétences par le législateur, à moyens constants, le rapporteur a rappelé que les juridictions administratives avaient engagé de nombreuses réformes de procédure (développement des téléprocédures, multiplication des procédures à juge unique, encouragement de la médiation ou création d'une action collective destinée au traitement des contentieux sériels). Il a considéré qu'il serait difficile d'aller au-delà sans porter atteinte à la qualité des décisions de justice rendues. Il a donc proposé d'autres pistes d'amélioration comme l'engagement d'une réflexion portant sur le contrôle de l'attribution de l'aide juridictionnelle, au regard de la recevabilité et du bien-fondé du dossier, ou le renforcement du statut des assistants de justice, sur le modèle des juristes assistants qui interviennent auprès des magistrats judiciaires.

Quant aux juridictions financières, le rapporteur a souligné qu'elles assumaient des missions toujours plus nombreuses, parfois au détriment de leurs compétences traditionnelles, et avaient désormais un véritable rôle d'accompagnement des collectivités territoriales, rendant nécessaire l'adaptation de leurs outils de travail. Ainsi, il lui est apparu pertinent de leur permettre de contrôler des politiques locales thématiques qui font intervenir une pluralité d'entités différentes.

Enfin, il a considéré qu'aucune nouvelle compétence ne devrait désormais être décidée sans une évaluation sérieuse de son impact sur l'activité de ces juridictions et sans l'allocation de moyens suffisants, sous peine de mettre en péril leur fonctionnement.

Au bénéfice de ces observations et sur la proposition de son rapporteur, la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » rattachés à la mission « Conseil et contrôle de l'État » inscrits au projet de loi de finances pour 2018.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Cette année encore, votre commission des lois est appelée à examiner pour avis les crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » avec les crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre.

Pour l'exercice 2018, les juridictions administratives bénéficient d'une hausse de leur budget de 3 % par rapport à l'exercice précédent et d'un plafond d'emplois en augmentation de 54 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Les juridictions financières voient également leurs crédits augmenter de 1,8 % alors que leur plafond d'emplois reste stable à 1 840 ETPT.

Dans la continuité des observations formulées l'an dernier par notre ancien collègue Michel Delebarre, votre rapporteur vous invite à ne pas vous arrêter aux apparences, qui pourraient laisser penser que ces juridictions jouissent de situations budgétaires privilégiées en cette période de rigueur budgétaire.

Il ne faut pas s'y tromper. Les crédits supplémentaires alloués aux juridictions administratives sont en réalité destinés à la Cour nationale du droit d'asile, et ceux prévus pour les juridictions financières sont à peine suffisants pour leur permettre de consommer le plafond d'emplois fixé depuis 2010, mais en deçà duquel la Cour des comptes se maintenait pour faire face aux mouvements liés à la restructuration de la carte des juridictions financières.

Malgré tout le volontarisme et le professionnalisme dont font preuve les magistrats et les personnels des juridictions que votre rapporteur a eu l'occasion de rencontrer, au cours des déplacements qu'il a effectués 2 ( * ) et des auditions qu'il a organisées, prêts à assumer l'ensemble des missions confiées par le législateur, le constat est sans appel : les gisements de productivité, à effectifs constants, sont épuisés.

Aucune nouvelle compétence, ni aucune extension de compétence existante ne doit désormais être décidée sans une évaluation sérieuse de son impact sur l'activité de ces juridictions et sans l'allocation de moyens suffisants, sous peine de mettre le fonctionnement de ces juridictions en péril et de porter atteinte à la qualité de la justice rendue à nos concitoyens.

I. UNE AUGMENTATION DES MOYENS INSUFFISANTE FACE À LA PRESSION CONTENTIEUSE SUBIE PAR LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

A. UNE HAUSSE DU BUDGET QUI BÉNÉFICIE PRINCIPALEMENT À LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE

1. Des juridictions administratives en recherche permanente d'économies pour faire face à l'insuffisance des crédits alloués
a) Des crédits en légère hausse

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » regroupe les moyens affectés au Conseil d'État, aux huit cours administratives d'appel, aux quarante-deux tribunaux administratifs et, depuis 2009, à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Présence du juge administratif sur le territoire national

Source : services du Conseil d'État

Au terme de l'examen du projet de loi de finances (PLF) en première lecture à l'Assemblée nationale, les crédits alloués à ce programme pour 2018 représentent 406,7 millions d'euros . Ils sont en progression de 3 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2017. Cette augmentation est légèrement plus importante que celle observée lors des exercices précédents (+ 2,6 % en PLF 2017, + 1 % en PLF 2016 et + 2,2 % en PLF 2015).

Évolution des crédits par titre et catégorie

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Ouverts en
2017

Demandés pour

2018

Progression
(millions d'euros)

Progression
(%)

Ouverts en
2017

Demandés pour
2018

Progression
(millions d'euros)

Progression
(%)

165 - Conseil d'État et autres juridictions administratives

411,8

420,8

+ 9,0

+ 2,2 %

395,0

406,7

+ 11,7

+ 3,0 %

Titre 2 - Dépenses de personnel

330,5

338,1

+ 7,6

+ 2,3 %

330,5

338,1

+ 7,6

+ 2,3 %

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

69,4

74,0

+ 4,6

+ 6,6 %

57,1

60,6

+ 3,5

+ 6,1 %

Titre 5 - Dépenses d'investissement

11,9

8,8

- 3,1

- 26,1 %

7,3

8,0

+ 0,7

+ 9,6 %

Titre 6 - Dépenses d'intervention

0

0

-

-

0

0

-

-

Source : commission des lois à partir du projet annuel de performances pour 2018

Avec 338,1 millions d'euros (contre 330,5 millions d'euros pour 2017), les crédits destinés au personnel (titre 2) augmentent de 2,3 %. Lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, le projet de loi de finances ne prévoyait qu'une hausse de 1,8 % des crédits du titre 2. L'augmentation de ces crédits de 336,6 millions d'euros à 338,1 millions d'euros a été décidée au cours de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, au titre de la compensation pour les agents publics de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG).

Les crédits du titre 2 constituent le plus gros poste de dépenses de ce budget : 83 %. Le plafond d'emplois pour 2018 est fixé à 3 953 ETPT contre 3 899 ETPT en 2017 (+ 54 ETPT). Il intègre le transfert de 3 ETPT en provenance du programme 166 « Justice judiciaire » au titre du bon fonctionnement de la commission du contentieux du stationnement payant 3 ( * ) mais surtout la création de 51 emplois à destination de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) pour renforcer ses capacités de jugement 4 ( * ) .

Plafond d'emplois

(en ETPT)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

PLF 2018

3 655

3 713

3 738

3 784

3 819

3 899

3 953

Source : projets annuels de performances

Les crédits hors titre 2 sont en augmentation de 4,2 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2017 en raison principalement des coûts supplémentaires induits par la location, le fonctionnement et l'aménagement des locaux supplémentaires de la CNDA et la hausse des dépenses locatives du programme.

Plus particulièrement, les fonds directement alloués à la CNDA pour 2018 s'élèveront à 28,19 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement, contre 25,92 millions d'euros en 2017 (+ 8,76 %). Comme chaque année, une conférence de gestion interne au Conseil d'État déterminera, en cours d'exercice, les crédits de fonctionnement complémentaires qui seront alloués à la CNDA (6,96 millions d'euros en autorisations d'engagement et 10,79 millions d'euros en crédits de paiement en 2017).

Comme lors des exercices précédents, le programme 165 devrait bénéficier en 2018 de conditions relativement favorables d'exécution, malgré un contexte budgétaire contraint. En effet, par lettre du 25 mai 2005, à l'issue d'un arbitrage interministériel, le Premier ministre avait indiqué au vice-président du Conseil d'État que le programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » bénéficierait de modalités budgétaires particulières et ne serait pas affecté par les mises en réserve de crédits en début d'exercice, fixées en application de la loi organique relative aux lois de finances. Ces conditions se sont maintenues à l'identique depuis cette date, ce qui n'exclut pas ensuite les annulations et les gels de crédits décidés en cours d'année 5 ( * ) .

b) Le recours à la dématérialisation pour maîtriser les frais de justice

Déployée depuis 2013 dans l'ensemble des juridictions administratives, l'application « télérecours » a permis de fluidifier le traitement des dossiers et de réduire les dépenses de frais de justice . L'utilisation de cette application, facultative dans un premier temps, a été rendue obligatoire à compter du 1 er janvier 2017 par le décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016, pour les avocats, les personnes publiques autres que les communes de moins de 3 500 habitants, les organismes privés chargés de la gestion permanente d'une mission de service public, en action et en défense, sous peine d'irrecevabilité des requêtes ou de mise à l'écart des écritures.

Cette application permet aux avocats et aux administrations de transmettre électroniquement leurs productions (requêtes, mémoires et pièces). Les juridictions administratives peuvent communiquer électroniquement à ces parties tous les actes de procédure (communications, mesures d'instruction, avis d'audience, notification des décisions pour les administrations et transmission de leurs ampliations pour les avocats).

La généralisation de « télérecour s » a permis de réaliser des économies substantielles, en matière de frais d'affranchissement notamment, évaluées à 3,1 millions d'euros pour l'année 2017.

L'ouverture d'un « télérecours citoyens », accessible à tous, est programmée dans le courant de l'année 2018. Les affaires actuellement non éligibles à « télérecours » (12 % des entrées des cours administratives d'appel et 38 % de celles des tribunaux administratifs) pourront faire l'objet de transmissions dématérialisées via ce nouveau portail. Toutefois, comme il n'est pas envisagé, à ce stade, de rendre obligatoire l'utilisation de cette application pour l'ensemble des justiciables, les économies attendues sont sans commune mesure avec celles qui ont été réalisées grâce à la mise en oeuvre de « télérecours ». Elles sont estimées, par les services du Conseil d'État, à près de 350 000 euros à l'horizon 2022.

Si, du point de vue des parties, le déploiement de cette application a apporté des améliorations incontestées, son utilisation au sein des juridictions a donné lieu à quelques difficultés d'ajustement.

Pour le greffe, cette application a généré dans un premier temps une charge de travail supplémentaire. En effet, pendant la période durant laquelle l'utilisation de l'application était facultative pour les parties éligibles, les greffes ont dû traiter des dossiers « mixtes », c'est-à-dire dématérialisés pour partie seulement. Il en est résulté un travail lourd de rematérialisation des pièces déposées dématérialisées à destination des parties n'utilisant pas l'application et de dématérialisation des pièces déposées au format papier à destination des parties utilisant l'application.

Quant aux magistrats, l'utilisation de « télérecours » n'a pas été sans conséquence sur leurs méthodes de travail, en particulier s'agissant de la nécessité de reconstituer les dossiers à partir des éléments enregistrés dans l'application.

Lors de son déplacement au tribunal administratif de Lille, votre rapporteur a pu constater que la situation était en voie d'amélioration car il a été acté que l'application « télérecours » n'est pas un outil de travail pour les magistrats . Dès lors, il appartient désormais au greffe de reconstituer les dossiers, au format papier ou au format dématérialisé selon les besoins des magistrats et de s'assurer que les dossiers sont complets et organisés.

Il n'en demeure pas moins, comme l'ont souligné les personnes entendues par votre rapporteur, que cette organisation opère le transfert de la charge de la constitution des dossiers des avocats vers le greffe de la juridiction.

c) Des améliorations à rechercher dans la maîtrise des dépenses d'aide juridictionnelle

Bien que formellement, l'attribution de l'aide juridictionnelle relève de la compétence des bureaux d'aide juridictionnelle des juridictions judiciaires, puisque les crédits consacrés à cette aide sont versés au titre de la mission « Justice », le traitement des demandes concernant le contentieux administratif est confié aux juridictions administratives.

Devant les juridictions administratives, comme devant les juridictions judiciaires, un constat s'impose : des améliorations importantes pourraient être apportées concernant l'appréciation de la recevabilité des demandes .

Comme le soulignaient récemment notre collègue Philippe Bas, président-rapporteur de la mission d'information de la commission des lois sur le redressement de la justice, et nos collègues Jacques Bigot et François-Noël Buffet, rapporteurs de la proposition de loi qui a traduit les propositions de nature législative formulées par cette mission d'information, le filtre actuellement prévu par l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique n'est jamais appliqué en pratique. Cet article prévoit que l'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement.

Cette proposition de loi, adoptée par le Sénat le 24 octobre 2017, a donc prévu une obligation de consulter un avocat avant le dépôt de toute demande d'aide juridictionnelle, sauf hypothèses particulières. Cette consultation serait rétribuée comme un acte d'aide juridictionnelle. Elle permettrait d'appliquer effectivement le filtre prévu à l'article 7 de la loi de 1991, mais également d'orienter les demandes qui le justifieraient vers des procédures de conciliation. Néanmoins il faudra être vigilant sur le caractère dissuasif de cette nouvelle obligation pour les publics socialement fragiles.

Pour le contentieux administratif, d'autres pistes de réflexion ont été présentées à votre rapporteur dans le cadre de la préparation du présent rapport. Ainsi, en appel, un mémoire sommaire pourrait être exigé au moment du dépôt de la requête et il pourrait également être demandé aux avocats concernés de produire le mandat de leur client au titre duquel ils interviennent.

En effet, selon plusieurs personnes entendues par votre rapporteur, des abus ont pu être relevés en matière de contentieux des étrangers en particulier. Les requêtes déposées par les avocats en appel ne sont souvent que la reprise, à l'identique, des requêtes déposées en première instance. Par ailleurs, la situation de la personne étrangère ayant pu évoluer rapidement, il n'est pas rare que les avocats interjettent appel alors même qu'ils n'ont plus de contact avec leurs clients.

La poursuite de ces réflexions , particulièrement intéressantes, pourrait s'inscrire dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation pour la justice , annoncé par Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, au premier semestre 2018.

2. Une augmentation du contentieux qui n'est pas sans incidence sur les performances des juridictions administratives
a) Une pression contentieuse qui pèse lourdement sur les juridictions

Depuis plusieurs années, les juridictions administratives font face à une augmentation constante de leur activité liée à la progression des contentieux de masse (contentieux des étrangers, contentieux sociaux, contentieux de la fonction publique...) et à la dévolution de nouvelles compétences par le législateur . Ainsi, la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à l'asile a introduit de nouvelles voies de recours pour les demandeurs d'asile 6 ( * ) . La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a réformé les procédures relatives aux obligations de quitter le territoire français. Quant au contentieux du stationnement payant 7 ( * ) , la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a prévu son transfert au juge administratif à compter du 1 er janvier 2018.

Nombre d'affaires enregistrées en données nettes
par les juridictions administratives 8 ( * )

2012

2013

2014

2015

2016

Progression 2015-2016

CE

9 035

9 235

9 456 9 ( * )

8 727

9 620

+ 10,23 %

CAA

28 494

28 885

29 857

30 597

31 308

+ 2,32 %

TA

178 491

175 780

195 625

192 007

193 532

+ 0,79 %

CNDA

36 369

34 752

37 356

38 674

39 986

+ 3,39 %

Source : commission des lois à partir des rapports publics d'activité du Conseil d'État

En 2016, une progression particulière, de 1,5 %, a été observée devant les tribunaux administratifs pour le contentieux des étrangers, qui représente 30 % du total des entrées. Au sein de ce contentieux, celui des réfugiés et apatrides, qui représente 10 % des entrées, a progressé de 478 % alors que les procédures d'éloignement dites « procédures 72 heures », qui représentent 20 % des entrées, restent stables.

Devant les cours administratives d'appel, ce contentieux représente 45 % des entrées et a augmenté de 1,5 %

De même, le contentieux du droit des personnes et des libertés publiques qui, jusqu'en 2015, concernait surtout le tribunal administratif de Nantes (compétent pour le contentieux des naturalisations), représente désormais 2,5 % des entrées globales et a progressé de 17 % en 2016, en particulier le contentieux de l'état d'urgence pour lequel 609 requêtes ont été enregistrées, contre 150 en 2015.

Devant le Conseil d'Etat, le contentieux de l'état d'urgence a donné lieu à 69 ordonnances concernant, pour la plupart, des mesures d'assignation à résidence.

L'activité de la CNDA 10 ( * )

Avec 39 986 nouvelles affaires enregistrées en 2016, le nombre d'entrées à la CNDA a progressé de 3,4 % en 2016 contre 3,5 % en 2015. Pour 2017, la Cour devrait enregistrer une hausse de 30 % de ses entrées.

Progression des affaires enregistrées par la CNDA

Source : services de la CNDA

Cette accélération a été le fait d'une hausse importante des décisions rendues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à la suite du recrutement d'une centaine de personne en 2016, permettant le traitement d'un grand nombre d'affaires en stock. Le taux de recours devant la CNDA contre les décisions de rejet de l'OFPRA était de 81,1 %.

Parallèlement, selon le rapport public 2017 du Conseil d'État 11 ( * ) , l'année 2016 a présenté une augmentation du nombre de décisions rendues : + 19,4 %, soit 42 968 décisions, contre 35 979 en 2015. Le nombre de décisions rendues par an était donc supérieur au nombre de recours enregistrés, ce qui a conduit à un taux de couverture de 107,5 % 12 ( * ) . Ces résultats se dégradent en 2017. Le taux de couverture devrait s'établir plutôt autour de 94,7 %.

Le taux d'invalidation par la CNDA des décisions de l'OFPRA dont elle a été saisie s'est établi à 17 % de ces décisions. Au final, le taux de protection accordé aux demandeurs d'asile, résultant de l'intervention cumulée de l'OFPRA et de la CNDA, représente 40 % de l'ensemble des demandes.

S'agissant du délai moyen de traitement constaté, il s'est établi en 2016 à 6 mois et 26 jours, contre 7 mois et 3 jours fin 2015. À la suite de la réforme de l'asile de 2015, il convient de faire une distinction selon la catégorie de recours. Fin 2016, le délai moyen constaté pour les affaires à juger en 5 mois était de 7 mois et 19 jours et le délai moyen constaté pour les affaires à juger en 5 semaines était de 2 mois et 27 jours.

Avec 51 emplois supplémentaires en 2018, la CNDA devrait être mieux armée pour faire face à l'augmentation des recours et pour améliorer encore ses délais de jugement, en vue d'atteindre les objectifs fixés par le législateur.

Cependant, l'augmentation des effectifs pourrait ne pas être suffisante au regard de la progression du nombre d'entrées à laquelle la Cour doit faire face. Selon les données fournies à votre rapporteur, lors de son déplacement à la CNDA, l'ouverture de 51 postes supplémentaires représente la création de deux nouvelles chambres, soit une augmentation des capacités de jugement de la Cour d'environ 7 000 dossiers supplémentaires par an. Or, pour 2017, la CNDA devrait enregistrer environ 11 000 dossiers de plus que l'année précédente. L'augmentation des effectifs ne devrait donc pas permettre de couvrir toutes les nouvelles saisines et de réduire le stock des affaires en instance.

Au-delà de la question de l'adéquation des moyens à la progression du contentieux, plusieurs chantiers sont en cours ou devraient être lancés pour améliorer le fonctionnement de la juridiction :

- le regroupement des personnels sur un seul site à l'horizon 2022 au lieu de cinq sites actuellement et de six sites en 2018 ;

- la mise en place par la présidente de la Cour, Mme Michèle de Segonzac, d'un groupe de travail chargé d'évaluer l'opportunité d'une spécialisation des personnels de la Cour en fonction des zones géographiques de provenance des demandeurs d'asile ;

- le développement des outils informatiques pour permettre la dématérialisation des échanges, sur le modèle de « télérecours », ainsi que des outils statistiques, pour améliorer les capacités d'anticipation et d'organisation de la Cour.

Sans remettre en cause la nécessité de renforcer les effectifs de la CNDA, les personnes entendues par votre rapporteur ont regretté l'absence d'augmentation des moyens affectés aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d'appel.

À effectifs constants, l'effort demandé aux juridictions administratives en raison de l'accroissement continu du contentieux repose sur une augmentation de la charge de travail des magistrats et des personnels administratifs.

Actuellement, les renforts sont recherchés auprès des autres juridictions administratives. Ainsi, le tribunal administratif de Lille, dans lequel votre rapporteur s'est rendu, a vu ses effectifs augmenter en raison de la très forte augmentation des entrées enregistrées (+ 18,33 % en 2017 contre + 1 à 2 % en moyenne pour les autres juridictions hexagonales). La juridiction a pu créer une 8 ème chambre en septembre 2017 et dédier une chambre spécifique au traitement du contentieux des étrangers encadré dans des délais contraints.

Selon les personnes entendues par votre rapporteur, ces redéploiements d'effectifs à moyens constants ont atteint leurs limites . Il n'existe plus de gisements dans lesquels puiser.

Les efforts demandés aux magistrats et aux personnels des juridictions ne sont pas sans conséquences sociales et humaines . Selon les données transmises à votre rapporteur par les services du Conseil d'État, en 2016, si le nombre d'arrêts de travail des magistrats est resté relativement stable (200 contre 210 l'année précédente), on observe une augmentation sensible de la durée moyenne de ces arrêts : 26 jours en 2016 contre 14 à 18 jours entre 2012 et 2015. Par ailleurs, 60 % des magistrats estiment que leur charge de travail n'est pas compatible avec le temps qui leur est alloué pour s'en acquitter. Le constat d'une dégradation des conditions de travail a également fait l'objet de signalements par les instances paritaires. Cette problématique sera inscrite à l'agenda social du Conseil d'État pour 2018.

b) Des indicateurs à interpréter avec prudence

L'objectif fixé par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice de ramener à un an en moyenne les délais de jugement est atteint, toutes juridictions confondues, depuis 2011.

Délai moyen constaté de jugement des affaires

2015

2016

2017

2018

2020

Réalisation

Réalisation

Prévision actualisée

Prévision

Cible

Conseil d'État

9 mois
et 2 jours

8 mois

8 mois

9 mois

9 mois

CAA

11 mois
et 10 jours

11 mois
et 3 jours

10 mois
et 25 jours

10 mois
et 15 jours

10 mois
et 8 jours

TA

10 mois
et 24 jours

10 mois
et 20 jours

10 mois
et 15 jours

10 mois
et 8 jours

10 mois

CNDA

7 mois
et 3 jours

7 mois
et 19 jours

7 mois
et 15 jours

6 mois

5 mois

CNDA procédures accélérées

Sans objet

13 semaines

15 semaines

9 semaines

5 semaines

Source : projet annuel de performances 2018

Cependant, les résultats de cet indicateur doivent être considérés avec beaucoup de recul car il ne distingue pas selon les types de décisions rendues . Sont donc comptabilisées de la même manière toutes les affaires, y compris les référés, les procédures d'urgence, les ordonnances et les procédures enfermées dans un délai déterminé. Seules les affaires dites « de séries » 13 ( * ) sont exclues de ce mode de calcul.

Or, ces procédures rapides constituent une part substantielle du contentieux traité par les juridictions administratives. Elles concernent par exemple le contentieux de l'éloignement des étrangers, le contentieux du droit au logement opposable ou le contentieux des plans de sauvegarde de l'emploi.

Les délais moyens constatés pour les affaires dites « ordinaires » 14 ( * ) , c'est-à-dire hors ordonnances et contentieux dont le jugement est enserré dans des délais particuliers, est plutôt de 1 an 8 mois et 22 jours dans les tribunaux administratifs et de 1 an 1 mois et 26 jours dans les cours administratives d'appel.

Dès lors, si la multiplication des procédures urgentes permet d'afficher un délai de traitement moyen des affaires très satisfaisant, elle a pour effet pervers d'allonger les délais de traitement des affaires ordinaires et, corrélativement, de faire obstacle à la résorption du stock des affaires les plus anciennes, qui ont parfois un impact humain tout aussi important que les contentieux qui bénéficient de procédures d'urgence, comme en matière de responsabilité hospitalière par exemple.

De fait, la proportion d'affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans peine à diminuer devant les tribunaux administratifs en particulier.

Proportion d'affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans

2015

2016

2017

(prévisions actualisées)

2018

(prévision)

2020

(cible)

CE

3 %

1,6 %

1,8 %

2 %

< 3 %

CAA

1,8 %

1,9 %

3 %

3 %

3 %

TA

9,1 %

8,6 %

8,5 %

8 %

7,5 %

CNDA

9 %

7 %

7 %

6 %

5 %

Source : projet annuel de performances 2018

Cet effet d'éviction des affaires urgentes sur les affaires ordinaires est particulièrement visible au tribunal administratif de Lille, dans lequel votre rapporteur s'est rendu, en raison de la forte proportion que représentent, pour cette juridiction, les contentieux enserrés dans des délais contraints tels que le contentieux des étrangers. Ainsi, alors que le délai moyen constaté pour le traitement des affaires ordinaires est de 1 an 8 mois et 22 jours pour l'ensemble des tribunaux administratifs, il est de 2 ans et 5 mois au tribunal administratif de Lille. Quant aux affaires en stock depuis plus de deux ans, elles représentent 15 % des dossiers enregistrés, contre 8 % en moyenne nationale.

L'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur a donc souhaité mettre en garde le législateur contre la tentation de fixer systématiquement des délais contraints pour les nouvelles procédures créées ou lors de la réforme de procédures existantes. Elles estiment opportun de rendre aux juridictions, parfaitement capables de hiérarchiser l'urgence des affaires, la maîtrise de leur rôle .

B. LE RECOURS À DIFFÉRENTS LEVIERS POUR RENFORCER L'EFFICACITÉ DES JURIDICTIONS

1. Un levier procédural à manier avec précaution

Au cours des dernières années, des solutions ont été recherchées dans la rationalisation des procédures applicables devant les juridictions administratives, pour permettre un traitement plus rapide des affaires les plus simples.

Le recours à ce levier procédural est délicat car il suppose de ménager la qualité des décisions rendues, tout en rendant la procédure plus efficace, pour permettre une amélioration des délais de traitement et un allégement de la charge de travail des juridictions.

À cet égard, le recours au juge unique a contribué notablement à l'amélioration des délais de traitement des affaires par les juridictions.

Devant les tribunaux administratifs, les affaires jugées par un juge unique et non par une formation collégiale relèvent actuellement de quatre catégories différentes :

- les affaires au fond instruites et jugées selon la procédure de droit commun, la seule dérogation apportée tenant à la composition de la formation de jugement ;

- les affaires au fond instruites et jugées selon une procédure dérogatoire du droit commun, essentiellement en raison de l'urgence (contentieux des obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure de surveillance, contentieux du refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile, contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage, contentieux du droit au logement opposable) ;

- les procédures de référé qui incluent le contentieux de l'exploitation des saisies informatiques effectuées lors des perquisitions administratives ordonnées dans le cadre de l'état d'urgence ;

- les ordonnances.

Devant les cours administratives d'appel, les affaires jugées par un juge unique sont beaucoup plus limitées.

Si l'on fait masse de l'ensemble de ces compétences, l'évolution de la part respective des affaires jugées par une formation collégiale et par un juge unique s'établit comme suit :

TA

(données brutes)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires jugées

en formation collégiale

70 045

71 378

78 115

79254

83570

79966

81 513

36,10%

37,15%

39,68%

42,75%

44,28%

41,4%

41,05%

Affaires jugées

par un juge unique
(affaires au fond
et référés)

62 933

62 800

58 847

55063

57402

59986

62 846

32,44%

32,69%

29,89%

29,70%

30,42%

31,1%

31,65%

Ordonnances

61 029

57 951

59 913

51073

47738

53014

54 205

31,46%

30,16%

30,43%

27,55%

25,30%

27,5%

27,30%

Source : services du Conseil d'État

Dans le but de raccourcir encore les délais de procédure, la compétence du magistrat statuant seul a connu récemment de nouvelles avancées avec la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile et la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Par ailleurs, le Conseil d'État a engagé une réflexion d'ensemble sur l'évolution du rôle et des pouvoirs du juge administratif qui s'est traduite par le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, appelé aussi décret « justice administrative pour demain » (JADE). Ce décret a ainsi prévu la possibilité :

- pour les présidents de juridiction de déléguer à des magistrats administratifs ayant atteint le grade de premier conseiller et ayant au moins deux ans d'ancienneté le pouvoir de rejeter des requêtes par ordonnance dans certaines hypothèses ;

- pour les présidents de tribunal administratif de statuer par ordonnance sur les requêtes relevant d'une série qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit des questions identiques à celles tranchées par un arrêt devenu définitif de la cour administrative d'appel dont ils relèvent ;

- pour les présidents de cour administrative d'appel et pour les présidents de formation de jugement des cours de rejeter par ordonnance les requêtes d'appel manifestement mal fondées ;

- pour les présidents adjoints de la section du contentieux et pour les conseillers d'État désignés par le président de la section du contentieux la possibilité de statuer par ordonnance.

Les personnes rencontrées par votre rapporteur se sont accordées pour dire que le recours au juge unique avait atteint ses limites et qu'il ne pouvait être envisagé d'aller plus loin sous peine d'industrialiser le traitement des affaires et de dégrader la qualité des décisions de justice rendues .

Ainsi, lors de son déplacement au tribunal administratif de Lille, les représentants des syndicats de magistrats administratifs ont signalé à votre rapporteur certaines hypothèses de procédure à juge unique pour lesquelles les magistrats revenaient, en pratique, à la collégialité. C'est par exemple le cas en matière de contentieux indemnitaire, qui relève du juge unique lorsque les montants en cause sont inférieurs à 10 000 euros, alors même que les questions de droit posées peuvent être particulièrement complexes.

D'autres outils procéduraux ont pu être utilisés tels que la suppression de l'appel pour certains contentieux . En pratique cette dispense d'appel ne produit pas toujours les effets recherchés.

À titre d'exemple, afin de réduire le délai de traitement des recours qui peuvent retarder la réalisation d'opérations de construction de logements en zones tendues 15 ( * ) , le décret n° 2013-879 du 1 er octobre 2013 relatif au contentieux de l'urbanisme a donné compétence aux tribunaux administratifs pour connaître en premier et dernier ressort des recours contre les permis de construire, de démolir ou d'aménager (article R. 811-1-1 du code de justice administrative).

Or, en pratique, selon les personnes entendues par votre rapporteur, cette procédure a eu un effet inverse à celui recherché car les décisions qui arrivent directement devant le Conseil d'État font plus souvent l'objet de cassation et de renvoi devant le tribunal administratif, allongeant d'autant les délais de traitement.

Pour améliorer cette situation, M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, a demandé à Mme Christine Maugüé, présidente de la 7 ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État, de constituer un groupe de travail chargé de réfléchir aux moyens de lutter contre les recours abusifs en matière d'urbanisme.

D'autres réformes de procédures sont encore trop récentes pour qu'on puisse réellement apprécier leur efficacité.

Ainsi, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle a donné un cadre légal commun aux actions de groupe en matière judiciaire et administrative et a créé une action collective devant le juge administratif, destinée au traitement des contentieux sériels .

Pour l'instant, selon les personnes entendues par votre rapporteur, seules deux actions collectives seraient en cours, devant le tribunal administratif de Nice. Ces personnes estiment néanmoins que cette procédure pourrait gagner en efficacité dans certains contentieux de « séries » comme par exemple en matière de contentieux relatifs aux plans de sauvegarde de l'emploi, pour lesquels il peut y avoir de nombreux requérants.

2. La recherche de nouveaux leviers permettant aux magistrats de se recentrer sur leur coeur de métier
a) Le renforcement du dispositif d'aide à la décision

De nouveaux modes de collaboration , qualifiés d'aide à la décision, se sont peu à peu développés afin de permettre aux membres des juridictions administratives d'augmenter le nombre de décisions rendues et de diminuer la durée de traitement des dossiers.

Ils consistent à confier à des assistants le soin de préparer, sous le contrôle des magistrats, soit des projets de décisions simples, soit des éléments d'analyse d'un dossier.

Les assistants qui apportent ainsi leur concours aux magistrats relèvent de deux catégories :

- les assistants du contentieux : fonctionnaires titulaires de catégorie A, pour l'essentiel des attachés, affectés sur ces fonctions comme le sont les autres agents de greffe. Leurs fonctions se situent à la charnière du greffe et des magistrats. Ils sont notamment chargés de préparer les dossiers contentieux sous le contrôle d'un magistrat, d'assister les présidents de chambre par la préparation d'ordonnances, ou encore de constituer des dossiers de documentation juridique. Leur nombre est passé de 94 en 2009 à 116 ETPT en 2015 puis à 104,65 ETPT en 2016. Deux tiers de ces emplois sont exercés dans les tribunaux administratifs ;

- les assistants de justice : agents contractuels exerçant à temps partiel, recrutés pour une durée maximale de deux ans renouvelable deux fois. Ils apportent leur concours aux travaux préparatoires juridictionnels. Ce dispositif permet aux magistrats de disposer de collaborateurs auxquels ils délèguent soit la préparation de dossiers simples, soit un certain nombre de recherches sur des dossiers plus complexes. Ils ne peuvent exercer plus de 90 vacations horaires par mois ce qui correspond approximativement à un service de trois jours par semaine. Ils perçoivent une rémunération brute mensuelle comprise entre 574,80 euros pour 60 heures de vacations et 862,20 euros pour 90 heures de vacations 16 ( * ) .

En 2016, les juridictions administratives comptaient 143 assistants de justice pour 151 ETPT, soit un effectif en diminution par rapport à l'année 2015 (155 assistants). La répartition de ces assistants était de 32 (35 en 2015) pour les cours administratives d'appel et de 111 (120 en 2015) pour les tribunaux administratifs. Le nombre de postes d'assistants de justice au Conseil d'État représentait 12 ETPT.

Pour 2016, le coût total des assistants de justice s'est élevé à 2 178 515,76 euros.

Source : services du Conseil d'État

Les personnes rencontrées par votre rapporteur dans le cadre de la préparation du présent rapport se sont unanimement prononcées en faveur d'un recours accru aux assistants de justice pour alléger la charge de travail des magistrats, à condition de renforcer leur statut sur le modèle de celui des juristes assistants placés auprès des magistrats judiciaires .

Ces juristes assistants ont été créés par l'article 24 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle afin de permettre aux magistrats de se recentrer sur leur métier et de constituer des équipes autour d'eux. Ce nouveau statut permet de recruter à plein temps des personnes qualifiées, des profils spécialisés, appelés à intervenir auprès des magistrats qui traitent certains contentieux bien spécifiques ; il permet également de recruter des juristes de terrain. Ce renfort est très apprécié par les magistrats de l'ordre judiciaire.

Votre rapporteur estime qu'un dispositif similaire pourrait bénéficier aux magistrats administratifs. Une proposition en ce sens pourrait être formulée à l'occasion de l'examen du projet de loi de programmation pour la justice, annoncé au premier semestre 2018.

b) L'encouragement du recours à la médiation

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle précitée a étendu les possibilités de recours à la médiation administrative, jusqu'alors réservée aux différends transfrontaliers, à tous les litiges relevant de la compétence du juge administratif. La seule limite prévue à ce dispositif tient au fait que l'accord trouvé par les parties en médiation ne peut porter atteinte à des droits dont elles n'ont pas la libre disposition.

Le décret n° 2017-566 du 18 avril 2017 relatif à la médiation dans les litiges relevant de la compétence du juge administratif est venu préciser les modalités d'application de ce dispositif. Il prévoit que la médiation peut être mise en oeuvre à tout moment de la procédure pré-contentieuse ou contentieuse, qu'elle peut intervenir soit à l'initiative des parties, soit à l'initiative du juge. La saisine du médiateur interrompt les délais de recours et suspend les prescriptions jusqu'à ce qu'il soit mis fin à la médiation, soit par l'une des parties, soit par le médiateur.

Compte tenu de l'entrée en vigueur très récente de ces dispositions, votre rapporteur estime prématuré de dresser un bilan de leur impact sur l'activité des juridictions administratives. L'utilisation de ce nouvel outil fera donc l'objet d'une attention particulière, de la part de votre rapporteur, dans les années à venir.

II. UN BUDGET INSUFFISANT AU REGARD DE LA MONTÉE EN PUISSANCE DES NOUVELLES MISSIONS DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES

Le programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » concerne la Cour des comptes et les dix-huit chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) 17 ( * ) . L'essentiel de l'activité de ces juridictions est constitué par le jugement des comptes publics, le contrôle des finances publiques, le contrôle de la gestion des administrations et organismes publics ainsi que l'évaluation des politiques publiques. À ces missions s'ajoutent l'assistance au Parlement et au Gouvernement, ainsi que l'information des citoyens et le suivi des recommandations formulées à l'occasion des contrôles.

Carte des chambres régionales et territoriales des comptes

Source : Cour des comptes

A. UN BUDGET EN LÉGÈRE AUGMENTATION QUI TRADUIT UNE VISION DE TRÈS COURT TERME DES BESOINS DES JURIDICTIONS

1. Une progression limitée des crédits...

Le montant des crédits alloués à la Cour des comptes et aux autres juridictions financières par le projet de loi de finances pour 2018 est en hausse de 1,9 % par rapport à l'année précédente (+ 0,5 % entre 2016 et 2017). Il s'élève à 218,1 millions d'euros en crédits de paiement.

Évolution des crédits du programme 164

« Cour des comptes et autres juridictions financières »

Titre et catégorie

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

LFI 2017

PLF 2018

Progression

Progression

LFI 2017

PLF 2018

Progression

Progression

(en millions d'euros)

(en %)

(en millions d'euros)

(en %)

TOTAL

219,3

219,5

+ 0,2

+ 0,1 %

214,1

218,1

+ 4,0

+ 1,9 %

Titre 2 - Dépenses de personnel

188,5

192,8

+ 4,3

+ 2,3 %

188,5

192,8

+ 4,3

+ 2,3 %

Autres titres

30,8

26,8

- 4,0

- 13,0 %

25,6

25,3

- 0,3

- 1,2 %

Dont titre 3 - Dépenses de fonctionnement

29,7

25,7

- 3,9

- 13,5 %

24,5

24,3

- 0,2

- 0,8 %

Dont titre 5 - Dépenses d'investissement

1,1

1,0

- 0,1

- 9,1 %

1,1

1,0

- 0,1

- 9,1 %

Dont titre 6 -Dépenses d'intervention

0,1

0,1

0,0

0,0 %

0,1

0,1

0,0

0,0 %

Source : commission des lois à partir des données
du projet annuel de performances 2018

Cette augmentation concerne principalement le titre 2 (dépenses de personnel), alors même que le plafond d'emplois reste stable à 1 840 ETPT (voir infra ). Elle s'explique notamment par :

- la poursuite de la politique de revalorisation des emplois et d'adaptation des compétences à l'évolution des juridictions financières ;

Évolution des catégories d'emplois du programme 164
(en ETPT)

Catégorie d'emplois

Plafond autorisé 2014

Plafond autorisé 2015

Plafond autorisé
pour 2016

Plafond autorisé
pour 2017

Plafond demandé
pour 2018

Variation

2017/2018

Catégories
A + et A

1 200

1 263

1 275

1 285

1 295

+ 10

Catégorie B

350

317

311

305

303

- 2

Catégorie C

290

260

254

250

242

- 8

TOTAL

1 840

1 840

1 840

1 840

1 840

0

Source : services de la Cour des comptes

- la réforme du régime indemnitaire des magistrats financiers qui vise à renforcer la modulation des primes afin de mieux prendre en compte, dans la rémunération, l'investissement professionnel et la qualité des travaux rendus ;

- la poursuite de la mise en oeuvre du protocole interministériel relatif aux « parcours professionnels, carrières et rémunérations » ;

- la revalorisation de l'indemnité mensuelle de technicité 18 ( * ) .

Les dispositions visant à fluidifier le déroulement des carrières
au sein de la Cour des comptes

Pour la Cour des comptes, la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a créé deux nouveaux emplois de conseiller référendaire chaque année : tout d'abord, un rapporteur extérieur en fonction à la Cour depuis plus de trois ans est désormais nommé chaque année conseiller référendaire, après examen des candidatures par une commission ; en outre, le nombre de magistrats de CRTC pouvant être nommés dans le grade de conseiller référendaire à la Cour a été porté de 1 à 2 par an.

Ces modifications, appliquées depuis 2017, ont pour objet de rééquilibrer le corps des magistrats de la Cour et de renforcer ses effectifs du milieu de carrière.

Cependant, plusieurs personnes rencontrées par votre rapporteur ont estimé que ces mesures étaient insuffisantes pour répondre à la problématique de « pyramide des âges inversée » qui touche les effectifs de la Cour des comptes.

Ce phénomène serait lié à la répartition actuelle des recrutements au tour extérieur qui représentent plus de postes de conseillers maîtres que de postes de conseillers référendaires, entraînant par là même un blocage de l'avancement des conseillers référendaires et un vieillissement du corps.

Pour résoudre ce problème, votre rapporteur estime qu'une réflexion devrait être engagée pour inverser la proportion des recrutements au tour extérieur de conseillers maîtres et de conseillers référendaires .

Hors titre 2, les crédits de paiement diminuent de 1,2 % en raison d'économies sur les loyers des chambres régionales des comptes, à la suite de la réforme territoriale et de la révision des conventions d'utilisation en 2015.

Selon le Premier président de la Cour des comptes, entendu par votre rapporteur, le niveau des crédits de fonctionnement des juridictions financières est critique, dans un contexte où toutes les économies possibles de fonctionnement ont d'ores et déjà été réalisées par les juridictions.

Il a par ailleurs rappelé que le budget alloué au programme 164 ne prenait pas en compte le programme immobilier de la Cour, car celle-ci finance ses travaux avec les recettes des missions de commissariat aux comptes qu'elle réalise à l'international, auprès de l'UNESCO ou du programme alimentaire mondial par exemple, qui représentent un flux annuel d'environ 600 000 euros.

Enfin, de même que les années précédentes, les conditions d'exécution du présent programme sont relativement favorables. En effet, pour garantir l'indépendance de la Cour des comptes, aucune mise en réserve de précaution en début de gestion n'affecte les crédits ouverts au titre du programme 164.

De même, les mesures d'annulation des crédits ouverts en loi de finances initiale doivent recueillir l'accord préalable de la Cour. Ainsi, en 2016, le budget du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » a connu des annulations de crédits à hauteur de 6,85 millions d'euros en autorisations d'engagement (contre 2,75 millions d'euros l'année précédente) et 7,35 millions d'euros en crédits de paiement (contre 3,35 millions d'euros en 2015), dont 4,33 millions d'euros sur le titre 2. Au cours de l'année 2017, le programme a fait l'objet d'une annulation de crédits d'un montant de 5 millions d'euros en autorisations d'engagement et d'un million d'euros en crédits de paiement (uniquement hors titre 2).

2. ...qui permet seulement d'atteindre le plafond d'emplois stabilisé depuis 2010

En 2016, alors que le plafond était fixé à 1 840 ETPT, seuls 1 727 ETPT ont été employés. Cette situation résulte du gel des recrutements intervenu en 2015 , dans la perspective de la réforme de la carte des juridictions financières, afin de favoriser le reclassement des agents concernés.

Prévision et exécution des dépenses du titre 2 pour 2016

LFI 2016

Exécution 2016

Taux de réalisation

Titre 2 en millions d'euros

185,6

180,4

97 %

Plafond d'emplois en ETPT

1 840

1 727

94 %

Source : services de la Cour des comptes

Pour l'exercice 2017, le taux d'exécution prévisionnel des crédits du titre 2 devrait dépasser 99 % en raison du rattrapage durant l'exercice 2017 des recrutements non réalisés en 2015 et 2016.

Comme l'a indiqué le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, lors de son audition par votre rapporteur, l'augmentation des crédits du titre 2 dans le projet de loi de finances pour 2018 vise seulement à permettre de payer les personnes recrutées au cours de l'exercice 2017 , dans la limite du plafond d'emplois. Aucun recrutement supplémentaire ne sera possible dans l'enveloppe allouée, alors même que les juridictions financières font face à une augmentation continue de leur charge d'activité.

Si le budget 2018, dans la continuité des exercices précédents, permet encore aux juridictions, certes avec difficultés, de remplir leurs fonctions, à terme, avec la montée en puissance potentielle des nouvelles missions confiées, elles pourraient se trouver dans l'impossibilité de fonctionner correctement. Or, ce regard extérieur de l'institution suprême de contrôle est important pour le fonctionnement démocratique de nos institutions.

B. DES COMPÉTENCES TOUJOURS PLUS NOMBREUSES QUI MODIFIENT EN PROFONDEUR LA CONCEPTION DU RÔLE DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES

1. Une multiplication des missions qui remet en cause l'équilibre fonctionnel des chambres régionales des comptes
a) Une diversification toujours plus grande des missions confiées aux juridictions financières

Au cours des années récentes, les juridictions financières se sont vu confier un nombre toujours plus important de nouvelles missions.

Ainsi, pour n'évoquer que les réformes les plus récentes, la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a prévu un dispositif d'expérimentation de certification des comptes de collectivités territoriales , conduite par la Cour des comptes, en liaison avec les chambres régionales des comptes. Ce dispositif, prévu pour durer jusqu'en 2023, est destiné à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes des collectivités territoriales volontaires 19 ( * ) .

Pour mener à bien cette expérimentation à budget constant, les juridictions financières ont dû puiser dans leurs moyens, au détriment d'autres missions. À la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France, dans laquelle votre rapporteur s'est rendu, trois magistrats et trois vérificateurs travaillent à plein temps sur cette expérimentation et ne peuvent faire de contrôle « classique » pendant ce temps.

Outre les difficultés techniques importantes que cela entraînerait, envisager la généralisation ou même l'extension de ce dispositif ne pourrait se faire sans une augmentation substantielle des moyens des juridictions.

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a étendu les compétences de contrôle des juridictions financières à l'ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS), y compris de droit privé . Ces contrôles vont commencer en 2018.

L'intervention des juridictions financières dans le secteur médico-social était jusqu'ici limitée au seul secteur public ou associatif financé par le biais de subventions publiques, ce qui ne permettait pas d'avoir une vision d'ensemble des activités du secteur. Il s'agit donc d'une avancée significative, portant sur un ensemble d'organismes hétérogènes, difficilement comparables entre eux et s'adressant à des publics très divers.

Cette réforme concerne potentiellement plusieurs dizaines de milliers d'établissements supplémentaires (38 000 dont 36 000 ESMS et 2 000 établissements privés) et 14 milliards d'euros d'argent public à contrôler, tant pour la Cour des comptes que pour les chambres régionales et territoriales de comptes. La stratégie et les méthodes de contrôle à mettre en place pour réaliser cette mission à moyens constants sont en cours de réflexion.

En tout état de cause, les personnes rencontrées par votre rapporteur ont estimé que, compte tenu du champ de ce dispositif, il sera impossible pour les juridictions financières de contrôler plus de quelques structures par an. Si ce contrôle était amené à se développer, il faudrait envisager une hausse substantielle du plafond d'emplois et des crédits du titre 2 du présent programme.

Par ailleurs, elles ont fait valoir que la mise en oeuvre de ce dispositif se heurterait à d'importantes difficultés pratiques, s'agissant des établissements privés, en raison de leur organisation sous forme de holdings et de l'absence de droit de suite qui empêche les magistrats de suivre les crédits à travers l'enchevêtrement des différentes structures juridiques.

Enfin, l' article 24 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 , actuellement en discussion au Parlement, vise à instaurer une nouvelle règle prudentielle applicable aux collectivités territoriales, en plafonnant leur ratio d'endettement par rapport à leur capacité d'autofinancement brute et prévoit la possibilité pour le préfet de saisir la chambre régionale des comptes s'il estime que l'objectif d'endettement n'est pas respecté .

Les personnes entendues par votre rapporteur ont relevé qu'il était difficile d'évaluer si les préfets seraient enclins à saisir les juridictions financières sur ce fondement mais, qu'en tout état de cause, le coût de cette réforme ne serait pas nul, contrairement à ce qu'affirme l'étude d'impact annexée à ce projet de loi 20 ( * ) .

b) Un effet d'éviction sur les missions traditionnelles des juridictions financières

Pour l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur, la multiplication des nouvelles missions confiées aux juridictions financière, à moyens constants, a pour conséquence de retirer des moyens aux activités traditionnelles de ces juridictions pour les affecter à ces nouvelles missions.

La mission qui fait les frais de ce surcroît d'activité obligatoire est le contrôle juridictionnel, qui sert de variable d'ajustement aux juridictions financières surchargées. Il en résulte un recul du contrôle des comptes des plus petites collectivités territoriales et une concentration des contrôles sur les structures qui présentent le plus de risques . De fait, selon les personnes entendues par votre rapporteur, dans les ressorts qui comprennent les collectivités territoriales les plus denses, le choix est fait de ne plus contrôler les collectivités les plus modestes, en dessous du seuil de 20 000 habitants par exemple, alors même que ces entités représentent des budgets de 25 à 30 millions d'euros.

Dans une chambre régionale des comptes de la taille de celle des Hauts-de-France, dans laquelle votre rapporteur s'est rendu, 70 contrôles annuels sont effectués et permettent d'avoir une bonne vision d'ensemble de ce qui se fait sur le territoire en contrôlant des structures de types différents et relevant de tous les champs. Cette organisation est équilibrée mais fragile. Elle risque d'être remise en cause par l'arrivée des nouvelles missions, sans moyens supplémentaires et alors même qu'il n'est plus possible de demander aux magistrats et personnels administratifs de nouveaux efforts de productivité.

Enfin, votre rapporteur tient à signaler la situation particulière des juridictions ultramarines qui, faute d'effectifs suffisants, sont forcées de limiter leur action au contrôle budgétaire des territoires de leurs ressorts. Il estime qu'une étude particulière de la situation de ces juridictions devra être menée dans les années à venir.

2. Une évolution des méthodes de travail des juridictions financières
a) Des réformes internes qui produisent de bons résultats

Lors de son audition par votre rapporteur, le Premier président de la Cour des comptes a tenu à rappeler qu'avant de demander un renfort de moyens, les juridictions financières ont commencé par réformer leur organisation interne.

À cet égard, la carte des juridictions financières a subi d'importantes restructurations ces dernières années. Dans un premier temps, la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles a fixé à quinze le nombre de chambres régionales des comptes pour la métropole (contre vingt-deux par le passé), auxquelles s'ajoutaient cinq chambres territoriales des comptes dans les collectivités situées outre-mer. Dans un second temps, la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral et le décret n° 2015-1199 du 30 septembre 2015 modifiant les dispositions relatives au siège et au ressort des chambres régionales des comptes, a réduit ce nombre de quinze à treize.

Bien que les ressorts des chambres régionales des comptes aient été substantiellement élargis, cette réforme a permis de renforcer les capacités d'action des juridictions financières, désormais mieux dotées en personnels de contrôle, de moderniser leurs conditions de travail et de faire des économies d'échelle sur les fonctions support.

En 2018, une nouvelle répartition de compétences entre les chambres de la Cour des comptes devrait intervenir, avec notamment la suppression d'une chambre, portant leur nombre à 6 au lieu de 7.

Par ailleurs, les personnes entendues par votre rapporteur lui ont présenté un certain nombre de démarches novatrices pilotées par la Cour des comptes en matière de transition digitale . Ces initiatives permettent le développement d'un environnement de contrôle plus performant face à des structures contrôlées parfois à la pointe de la dématérialisation. Les personnes rencontrées ont cependant souligné la nécessité de préserver les crédits hors titre 2 pour permettre à ces initiatives de continuer à se développer.

À cet égard, votre rapporteur s'inquiète du fait que les moyens budgétaires destinés au fonctionnement et à l'investissement (hors titre 2), qui représentent 25,30 millions d'euros soient en baisse de 0,3 million d'euros par rapport à l'exercice précédent.

Cependant, selon les éléments transmis par les services de la Cour des comptes, bien qu'en baisse, ces crédits seront principalement consacrés aux projets informatiques et aux travaux d'entretien immobilier.

Au titre des projets informatiques, il est prévu, d'une part, de poursuivre le schéma stratégique des systèmes d'information (refonte de la plateforme d'échange et de contrôle et de l'outil de télé-procédure du greffe, mise en place de l'outil de gestion du courrier et des parapheurs électroniques, refonte du système de détection et de prévention des fuites de données) et, d'autre part, de réaliser l'acquisition de matériel telles que des baies de stockage.

b) Le rôle de « repère » des juridictions financières

Au fil des modifications de son périmètre de compétences, le magistrat financier a vu son rôle évoluer, passant de contrôleur à repère pour la bonne gestion des finances publiques et la diffusion de bonnes pratiques.

Ainsi, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article 47-2 de la Constitution prévoit que la Cour des comptes, par ses rapports publics, « contribue à l'information des citoyens » . La Cour peut désormais rendre publics tous ses travaux. De même, la plupart des travaux des chambres régionales et territoriales des comptes sont également publiés , notamment les rapports d'observations définitives.

Au-delà de cette information, sans aller jusqu'à parler de fonction de conseil, qui supposerait l'utilisation de rescrits pour figer la position des juridictions financières, les magistrats ont de plus en plus un rôle d'accompagnement des collectivités territoriales contrôlées .

Ce rôle d'accompagnement se traduit par exemple par la formulation de recommandations par les chambres régionales des comptes en application de l'article L. 243-4 du code des juridictions financières 21 ( * ) . Ces recommandations font l'objet d'un suivi, conformément à l'article L. 243-9 du même code 22 ( * ) .

Selon le projet annuel de performances, dans 75 % des cas, des suites sont données aux recommandations de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes. Pour la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France, en 2015-2016, sur 186 recommandations formulées, 91 % ont été suivies ou sont en cours de mise en oeuvre (95,7 % au titre de la régularité 23 ( * ) et 82 au titre de la performance 24 ( * ) ).

De manière plus ponctuelle, la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) et la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ont confié aux présidents de chambres régionales des comptes la présidence des commissions locales chargées de l'évaluation des ressources et des charges transférées (CLERCT) d'une collectivité territoriale à une métropole (articles 38 et 43 de la loi MAPTAM) ou d'un département à une autre collectivités territoriale ou à un groupement de collectivités territoriales (article 133 de la loi NOTRe).

Il s'agissait, pour les présidents de chambres régionales des comptes, de jouer un rôle de « facilitateur » ou d'arbitre, en dégageant des solutions acceptées par des collectivités parfois hostiles à ces transferts.

Selon le rapport d'activité de la Cour des comptes pour 2016, les présidents de chambres (ou leurs délégués territorialement compétents) ont présidé 15 commissions locales d'évaluation des ressources et des charges transférées qui ont toutes abouti à un accord entre les parties prenantes et à un avis rendu au préfet du département 25 ( * ) .

Le renforcement du rôle des juridictions financières a également conduit à l'émergence de nouveaux besoins en termes de compétences pour accomplir au mieux leurs missions.

Ainsi, lors de son déplacement auprès de la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France, les magistrats de la juridiction rencontrés par votre rapporteur ont formulé le souhait de disposer d'outils pertinents leur permettant de contrôler une politique locale thématique dans son ensemble , lorsque cette politique relève d'une compétence non affectée à une collectivité territoriale en particulier. Sont ici particulièrement visées les politiques intervenant dans le domaine de la culture, du sport et de la jeunesse, dont le pilotage relève d'une pluralité d'entités (collectivité territoriale, association, établissement public de coopération culturelle...).

Actuellement, pour contrôler ce type de politiques, les juridictions financières sont contraintes d'ouvrir un contrôle par entité concernée, car elles sont tenues par le contrôle par compte. Elles doivent donc produire un rapport différent par organisme et aucune publicité commune de ces travaux n'est possible en raison du décalage dans le temps des observations et des suites données à ces contrôles par les différentes entités contrôlées.

À titre d'exemple, la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France a entrepris de contrôler les scènes nationales de son ressort. À cet effet, elle est contrainte d'ouvrir huit contrôles différents et ne pourra pas établir de synthèse unique, si ce n'est dans son rapport d'activité dont la portée est très limitée.

Le système actuel ne permet donc pas d'avoir une vision globale de ces politiques publiques locales, ce qui nuit à la qualité du contrôle mais également à la prise de décision des décideurs publics et à l'information du public.

Votre rapporteur estime nécessaire d'ouvrir une réflexion spécifique sur ce sujet pour permettre aux juridictions financières de réaliser ce type de contrôles, sur le modèle des travaux réalisés par la Cour des comptes relatifs à certaines politiques publiques nationales ciblées.

*

* *

Au bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », inscrits au projet de loi de finances pour 2018.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Programme Conseil d'État et autres juridictions administratives

Conseil d'État

M. Jean-Marc Sauvé , vice-président

Mme Catherine Bergeal , secrétaire générale

M. Jean-Noël Bruschini , directeur de la prospective et des finances

M. Philippe Caillol , secrétaire général de la Cour nationale du droit d'asile

Syndicat de la juridiction administrative

M. Thomas Breton , secrétaire général

Mme Suzie Jaouën , secrétaire générale adjointe

Union syndicale des magistrats administratifs

Mme Sophie Tissot , présidente

Programme Cour des comptes et autres juridictions financières

Cour des comptes

M. Didier Migaud , premier président

Mme Marie-Laure Berbach , secrétaire générale adjointe

Syndicat des juridictions financières unifié

M. Yves Roquelet , président

M. Fabrice Nicol , vice-président

Association des magistrats de la Cour des comptes

M. Vincent Feller , vice-président, conseiller maitre

M. Jean-François Guillot , conseiller maitre

Mme Esther Mac Namara , conseillère référendaire

M. Xavier Bonnet , rapporteur extérieur

Association des présidents et vice-présidents des chambres régionales des comptes

M. Gérard Terrien , président

M. Frédéric Advielle , vice-président

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Tribunal administratif de Lille (lundi 20 novembre 2017)

Entretien avec M. Olivier Couvert-Castéra , président, M. Thierry Trottier , premier vice-président, M. David Moreau , secrétaire général adjoint du Conseil d'État chargé des juridictions administratives et M. Éric Dime , greffier en chef

Entretien avec M. Paul Groutsch , délégué du syndicat de la juridiction administrative, et M. Guillaume Caustier , délégué de l'union syndicale des magistrats administratifs

Entretien avec M. Étienne Quencez , président de la Cour administrative d'appel de Douai

Visite des locaux de la juridiction et rencontre avec les personnels et les magistrats présents

Chambre régionale des comptes des Hauts-de-France à Arras (lundi 20 novembre 2017)

Entretien avec M. Frédéric Advielle , président de la Chambre régionale des comptes et M. Patrice Ros , doyen des présidents de section

Entretien avec MM. Frédéric Mahieu et Raphaël Cardet , représentants locaux du syndicat des juridictions financières unifié

Visite des locaux de la juridiction et rencontre avec les personnels et les magistrats présents

Cour nationale du droit d'asile (lundi 27 novembre 2017)

Entretien avec Mme Michèle de Segonzac , présidente et M. Philippe Caillol , secrétaire général

Visite des locaux de la juridiction et rencontre avec les personnels et les magistrats présents


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

* 2 Déplacements au tribunal administratif de Lille, à la Cour nationale du droit d'asile et à la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France.

* 3 L'article 63 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a transféré ce contentieux aux juridictions administratives à compter du 1 er janvier 2018.

* 4 Actuellement, la CNDA compte 420 emplois pourvus.

* 5 Le Conseil d'État a subi un gel en début d'exercice 2017 d'un montant de 3,8 millions d'euros en crédits de paiement. Un second gel a eu lieu en mai 2017 d'un montant de 2,5 millions d'euros. Les crédits de paiement ont été en partie dégelés en mai à hauteur d'un million d'euros. Le programme a contribué aux annulations de crédits prévues par le décret d'avance du 20 juillet 2017 pour un montant de 2 millions d'euros en crédits de paiement.

* 6 Le recours contre les décisions de maintien en rétention a représenté 600 affaires en 2016 et les recours contre les décisions de transfert 3 800 affaires pour 2016.

* 7 Selon le ministère de l'intérieur, ce contentieux représentait 559 654 contestations en 2013.

* 8 Les données nettes excluent les affaires dites de « séries », c'est-à-dire celles qui présentent à juger en droit, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification des faits, une question qui a déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle.

* 9 Hors affaires liées au découpage cantonal.

* 10 Le rapport annuel d'activité de la CNDA est consultable à l'adresse suivante :

http://www.cnda.fr/content/download/84065/793919/version/2/file/CNDA%202016%20VF4-16.01.2017.pdf

* 11 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/174000512.pdf

* 12 Le taux de couverture est le ratio des affaires traitées sur les affaires enregistrées.

* 13 Les affaires de séries sont les affaires qui présentent à juger en droit, sans appeler de nouvelles appréciations ou qualification des faits, une question qui a déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle.

* 14 Contentieux fiscal, contentieux de l'urbanisme, contentieux des dommages de travaux publics...

* 15 Communes marquées par un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements.

* 16 Dans la mesure où le montant horaire qui leur est alloué (9,58 €) est inférieur depuis le 1 er janvier 2015 au taux de rémunération horaire du salaire minimum légal (9,61 €), une indemnité différentielle leur est versée, dans l'attente de la modification de l'arrêté interministériel du 27 février 2003 fixant le montant de l'indemnité de vacation horaire allouée aux assistants de justice.

* 17 13 chambres régionales des comptes et 5 chambres territoriales des comptes situées outre-mer.

* 18 En application de l'arrêté du 10 mai 2017 fixant le montant de l'indemnité mensuelle de technicité des magistrats et fonctionnaires des juridictions financières.

* 19 50 collectivités se sont portées candidates et 48 candidatures ont été déclarées recevables. Après avis du Premier président de la Cour des comptes, les ministres chargés des comptes publics et des collectivités territoriales ont fixé la liste des collectivités expérimentatrices par arrêté du 16 novembre 2016. Cette liste compte 25 collectivités et groupements. Toutes les régions métropolitaines et deux régions ultramarines (la Guadeloupe et La Réunion) comptent au moins une collectivité expérimentatrice. De plus, à la seule exception des communautés urbaines, chaque catégorie de collectivités territoriales et de groupements est concernée (région, département, commune, communauté d'agglomération, communauté de communes, métropole, syndicat).

* 20 Étude d'impact p. 24. Cette étude est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl0234-ei.pdf.

* 21 Cet article dispose que « les chambres régionales des comptes arrêtent leurs observations définitives et leurs recommandations sous la forme d'un rapport d'observations ».

* 22 Cet article prévoit que l'ordonnateur de la collectivité territoriale ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dispose d'un an pour présenter à l'assemblée délibérante un rapport reprenant « les actions qu'il a entreprises à la suite des observations de la chambre régionale des comptes ».

* 23 Recommandation ayant pour objet de rappeler les règles applicables.

* 24 Recommandation visant la régularité de la gestion.

* 25 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-07/Rapport_activit%C3%A9_2016_2.pdf.

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