INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Cette année encore, votre commission des lois est appelée à examiner pour avis les crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » avec les crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre.

Pour l'exercice 2018, les juridictions administratives bénéficient d'une hausse de leur budget de 3 % par rapport à l'exercice précédent et d'un plafond d'emplois en augmentation de 54 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Les juridictions financières voient également leurs crédits augmenter de 1,8 % alors que leur plafond d'emplois reste stable à 1 840 ETPT.

Dans la continuité des observations formulées l'an dernier par notre ancien collègue Michel Delebarre, votre rapporteur vous invite à ne pas vous arrêter aux apparences, qui pourraient laisser penser que ces juridictions jouissent de situations budgétaires privilégiées en cette période de rigueur budgétaire.

Il ne faut pas s'y tromper. Les crédits supplémentaires alloués aux juridictions administratives sont en réalité destinés à la Cour nationale du droit d'asile, et ceux prévus pour les juridictions financières sont à peine suffisants pour leur permettre de consommer le plafond d'emplois fixé depuis 2010, mais en deçà duquel la Cour des comptes se maintenait pour faire face aux mouvements liés à la restructuration de la carte des juridictions financières.

Malgré tout le volontarisme et le professionnalisme dont font preuve les magistrats et les personnels des juridictions que votre rapporteur a eu l'occasion de rencontrer, au cours des déplacements qu'il a effectués 2 ( * ) et des auditions qu'il a organisées, prêts à assumer l'ensemble des missions confiées par le législateur, le constat est sans appel : les gisements de productivité, à effectifs constants, sont épuisés.

Aucune nouvelle compétence, ni aucune extension de compétence existante ne doit désormais être décidée sans une évaluation sérieuse de son impact sur l'activité de ces juridictions et sans l'allocation de moyens suffisants, sous peine de mettre le fonctionnement de ces juridictions en péril et de porter atteinte à la qualité de la justice rendue à nos concitoyens.

I. UNE AUGMENTATION DES MOYENS INSUFFISANTE FACE À LA PRESSION CONTENTIEUSE SUBIE PAR LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

A. UNE HAUSSE DU BUDGET QUI BÉNÉFICIE PRINCIPALEMENT À LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE

1. Des juridictions administratives en recherche permanente d'économies pour faire face à l'insuffisance des crédits alloués
a) Des crédits en légère hausse

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » regroupe les moyens affectés au Conseil d'État, aux huit cours administratives d'appel, aux quarante-deux tribunaux administratifs et, depuis 2009, à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Présence du juge administratif sur le territoire national

Source : services du Conseil d'État

Au terme de l'examen du projet de loi de finances (PLF) en première lecture à l'Assemblée nationale, les crédits alloués à ce programme pour 2018 représentent 406,7 millions d'euros . Ils sont en progression de 3 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2017. Cette augmentation est légèrement plus importante que celle observée lors des exercices précédents (+ 2,6 % en PLF 2017, + 1 % en PLF 2016 et + 2,2 % en PLF 2015).

Évolution des crédits par titre et catégorie

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Ouverts en
2017

Demandés pour

2018

Progression
(millions d'euros)

Progression
(%)

Ouverts en
2017

Demandés pour
2018

Progression
(millions d'euros)

Progression
(%)

165 - Conseil d'État et autres juridictions administratives

411,8

420,8

+ 9,0

+ 2,2 %

395,0

406,7

+ 11,7

+ 3,0 %

Titre 2 - Dépenses de personnel

330,5

338,1

+ 7,6

+ 2,3 %

330,5

338,1

+ 7,6

+ 2,3 %

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

69,4

74,0

+ 4,6

+ 6,6 %

57,1

60,6

+ 3,5

+ 6,1 %

Titre 5 - Dépenses d'investissement

11,9

8,8

- 3,1

- 26,1 %

7,3

8,0

+ 0,7

+ 9,6 %

Titre 6 - Dépenses d'intervention

0

0

-

-

0

0

-

-

Source : commission des lois à partir du projet annuel de performances pour 2018

Avec 338,1 millions d'euros (contre 330,5 millions d'euros pour 2017), les crédits destinés au personnel (titre 2) augmentent de 2,3 %. Lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, le projet de loi de finances ne prévoyait qu'une hausse de 1,8 % des crédits du titre 2. L'augmentation de ces crédits de 336,6 millions d'euros à 338,1 millions d'euros a été décidée au cours de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, au titre de la compensation pour les agents publics de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG).

Les crédits du titre 2 constituent le plus gros poste de dépenses de ce budget : 83 %. Le plafond d'emplois pour 2018 est fixé à 3 953 ETPT contre 3 899 ETPT en 2017 (+ 54 ETPT). Il intègre le transfert de 3 ETPT en provenance du programme 166 « Justice judiciaire » au titre du bon fonctionnement de la commission du contentieux du stationnement payant 3 ( * ) mais surtout la création de 51 emplois à destination de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) pour renforcer ses capacités de jugement 4 ( * ) .

Plafond d'emplois

(en ETPT)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

PLF 2018

3 655

3 713

3 738

3 784

3 819

3 899

3 953

Source : projets annuels de performances

Les crédits hors titre 2 sont en augmentation de 4,2 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2017 en raison principalement des coûts supplémentaires induits par la location, le fonctionnement et l'aménagement des locaux supplémentaires de la CNDA et la hausse des dépenses locatives du programme.

Plus particulièrement, les fonds directement alloués à la CNDA pour 2018 s'élèveront à 28,19 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement, contre 25,92 millions d'euros en 2017 (+ 8,76 %). Comme chaque année, une conférence de gestion interne au Conseil d'État déterminera, en cours d'exercice, les crédits de fonctionnement complémentaires qui seront alloués à la CNDA (6,96 millions d'euros en autorisations d'engagement et 10,79 millions d'euros en crédits de paiement en 2017).

Comme lors des exercices précédents, le programme 165 devrait bénéficier en 2018 de conditions relativement favorables d'exécution, malgré un contexte budgétaire contraint. En effet, par lettre du 25 mai 2005, à l'issue d'un arbitrage interministériel, le Premier ministre avait indiqué au vice-président du Conseil d'État que le programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » bénéficierait de modalités budgétaires particulières et ne serait pas affecté par les mises en réserve de crédits en début d'exercice, fixées en application de la loi organique relative aux lois de finances. Ces conditions se sont maintenues à l'identique depuis cette date, ce qui n'exclut pas ensuite les annulations et les gels de crédits décidés en cours d'année 5 ( * ) .

b) Le recours à la dématérialisation pour maîtriser les frais de justice

Déployée depuis 2013 dans l'ensemble des juridictions administratives, l'application « télérecours » a permis de fluidifier le traitement des dossiers et de réduire les dépenses de frais de justice . L'utilisation de cette application, facultative dans un premier temps, a été rendue obligatoire à compter du 1 er janvier 2017 par le décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016, pour les avocats, les personnes publiques autres que les communes de moins de 3 500 habitants, les organismes privés chargés de la gestion permanente d'une mission de service public, en action et en défense, sous peine d'irrecevabilité des requêtes ou de mise à l'écart des écritures.

Cette application permet aux avocats et aux administrations de transmettre électroniquement leurs productions (requêtes, mémoires et pièces). Les juridictions administratives peuvent communiquer électroniquement à ces parties tous les actes de procédure (communications, mesures d'instruction, avis d'audience, notification des décisions pour les administrations et transmission de leurs ampliations pour les avocats).

La généralisation de « télérecour s » a permis de réaliser des économies substantielles, en matière de frais d'affranchissement notamment, évaluées à 3,1 millions d'euros pour l'année 2017.

L'ouverture d'un « télérecours citoyens », accessible à tous, est programmée dans le courant de l'année 2018. Les affaires actuellement non éligibles à « télérecours » (12 % des entrées des cours administratives d'appel et 38 % de celles des tribunaux administratifs) pourront faire l'objet de transmissions dématérialisées via ce nouveau portail. Toutefois, comme il n'est pas envisagé, à ce stade, de rendre obligatoire l'utilisation de cette application pour l'ensemble des justiciables, les économies attendues sont sans commune mesure avec celles qui ont été réalisées grâce à la mise en oeuvre de « télérecours ». Elles sont estimées, par les services du Conseil d'État, à près de 350 000 euros à l'horizon 2022.

Si, du point de vue des parties, le déploiement de cette application a apporté des améliorations incontestées, son utilisation au sein des juridictions a donné lieu à quelques difficultés d'ajustement.

Pour le greffe, cette application a généré dans un premier temps une charge de travail supplémentaire. En effet, pendant la période durant laquelle l'utilisation de l'application était facultative pour les parties éligibles, les greffes ont dû traiter des dossiers « mixtes », c'est-à-dire dématérialisés pour partie seulement. Il en est résulté un travail lourd de rematérialisation des pièces déposées dématérialisées à destination des parties n'utilisant pas l'application et de dématérialisation des pièces déposées au format papier à destination des parties utilisant l'application.

Quant aux magistrats, l'utilisation de « télérecours » n'a pas été sans conséquence sur leurs méthodes de travail, en particulier s'agissant de la nécessité de reconstituer les dossiers à partir des éléments enregistrés dans l'application.

Lors de son déplacement au tribunal administratif de Lille, votre rapporteur a pu constater que la situation était en voie d'amélioration car il a été acté que l'application « télérecours » n'est pas un outil de travail pour les magistrats . Dès lors, il appartient désormais au greffe de reconstituer les dossiers, au format papier ou au format dématérialisé selon les besoins des magistrats et de s'assurer que les dossiers sont complets et organisés.

Il n'en demeure pas moins, comme l'ont souligné les personnes entendues par votre rapporteur, que cette organisation opère le transfert de la charge de la constitution des dossiers des avocats vers le greffe de la juridiction.

c) Des améliorations à rechercher dans la maîtrise des dépenses d'aide juridictionnelle

Bien que formellement, l'attribution de l'aide juridictionnelle relève de la compétence des bureaux d'aide juridictionnelle des juridictions judiciaires, puisque les crédits consacrés à cette aide sont versés au titre de la mission « Justice », le traitement des demandes concernant le contentieux administratif est confié aux juridictions administratives.

Devant les juridictions administratives, comme devant les juridictions judiciaires, un constat s'impose : des améliorations importantes pourraient être apportées concernant l'appréciation de la recevabilité des demandes .

Comme le soulignaient récemment notre collègue Philippe Bas, président-rapporteur de la mission d'information de la commission des lois sur le redressement de la justice, et nos collègues Jacques Bigot et François-Noël Buffet, rapporteurs de la proposition de loi qui a traduit les propositions de nature législative formulées par cette mission d'information, le filtre actuellement prévu par l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique n'est jamais appliqué en pratique. Cet article prévoit que l'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement.

Cette proposition de loi, adoptée par le Sénat le 24 octobre 2017, a donc prévu une obligation de consulter un avocat avant le dépôt de toute demande d'aide juridictionnelle, sauf hypothèses particulières. Cette consultation serait rétribuée comme un acte d'aide juridictionnelle. Elle permettrait d'appliquer effectivement le filtre prévu à l'article 7 de la loi de 1991, mais également d'orienter les demandes qui le justifieraient vers des procédures de conciliation. Néanmoins il faudra être vigilant sur le caractère dissuasif de cette nouvelle obligation pour les publics socialement fragiles.

Pour le contentieux administratif, d'autres pistes de réflexion ont été présentées à votre rapporteur dans le cadre de la préparation du présent rapport. Ainsi, en appel, un mémoire sommaire pourrait être exigé au moment du dépôt de la requête et il pourrait également être demandé aux avocats concernés de produire le mandat de leur client au titre duquel ils interviennent.

En effet, selon plusieurs personnes entendues par votre rapporteur, des abus ont pu être relevés en matière de contentieux des étrangers en particulier. Les requêtes déposées par les avocats en appel ne sont souvent que la reprise, à l'identique, des requêtes déposées en première instance. Par ailleurs, la situation de la personne étrangère ayant pu évoluer rapidement, il n'est pas rare que les avocats interjettent appel alors même qu'ils n'ont plus de contact avec leurs clients.

La poursuite de ces réflexions , particulièrement intéressantes, pourrait s'inscrire dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation pour la justice , annoncé par Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, au premier semestre 2018.

2. Une augmentation du contentieux qui n'est pas sans incidence sur les performances des juridictions administratives
a) Une pression contentieuse qui pèse lourdement sur les juridictions

Depuis plusieurs années, les juridictions administratives font face à une augmentation constante de leur activité liée à la progression des contentieux de masse (contentieux des étrangers, contentieux sociaux, contentieux de la fonction publique...) et à la dévolution de nouvelles compétences par le législateur . Ainsi, la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à l'asile a introduit de nouvelles voies de recours pour les demandeurs d'asile 6 ( * ) . La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a réformé les procédures relatives aux obligations de quitter le territoire français. Quant au contentieux du stationnement payant 7 ( * ) , la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a prévu son transfert au juge administratif à compter du 1 er janvier 2018.

Nombre d'affaires enregistrées en données nettes
par les juridictions administratives 8 ( * )

2012

2013

2014

2015

2016

Progression 2015-2016

CE

9 035

9 235

9 456 9 ( * )

8 727

9 620

+ 10,23 %

CAA

28 494

28 885

29 857

30 597

31 308

+ 2,32 %

TA

178 491

175 780

195 625

192 007

193 532

+ 0,79 %

CNDA

36 369

34 752

37 356

38 674

39 986

+ 3,39 %

Source : commission des lois à partir des rapports publics d'activité du Conseil d'État

En 2016, une progression particulière, de 1,5 %, a été observée devant les tribunaux administratifs pour le contentieux des étrangers, qui représente 30 % du total des entrées. Au sein de ce contentieux, celui des réfugiés et apatrides, qui représente 10 % des entrées, a progressé de 478 % alors que les procédures d'éloignement dites « procédures 72 heures », qui représentent 20 % des entrées, restent stables.

Devant les cours administratives d'appel, ce contentieux représente 45 % des entrées et a augmenté de 1,5 %

De même, le contentieux du droit des personnes et des libertés publiques qui, jusqu'en 2015, concernait surtout le tribunal administratif de Nantes (compétent pour le contentieux des naturalisations), représente désormais 2,5 % des entrées globales et a progressé de 17 % en 2016, en particulier le contentieux de l'état d'urgence pour lequel 609 requêtes ont été enregistrées, contre 150 en 2015.

Devant le Conseil d'Etat, le contentieux de l'état d'urgence a donné lieu à 69 ordonnances concernant, pour la plupart, des mesures d'assignation à résidence.

L'activité de la CNDA 10 ( * )

Avec 39 986 nouvelles affaires enregistrées en 2016, le nombre d'entrées à la CNDA a progressé de 3,4 % en 2016 contre 3,5 % en 2015. Pour 2017, la Cour devrait enregistrer une hausse de 30 % de ses entrées.

Progression des affaires enregistrées par la CNDA

Source : services de la CNDA

Cette accélération a été le fait d'une hausse importante des décisions rendues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à la suite du recrutement d'une centaine de personne en 2016, permettant le traitement d'un grand nombre d'affaires en stock. Le taux de recours devant la CNDA contre les décisions de rejet de l'OFPRA était de 81,1 %.

Parallèlement, selon le rapport public 2017 du Conseil d'État 11 ( * ) , l'année 2016 a présenté une augmentation du nombre de décisions rendues : + 19,4 %, soit 42 968 décisions, contre 35 979 en 2015. Le nombre de décisions rendues par an était donc supérieur au nombre de recours enregistrés, ce qui a conduit à un taux de couverture de 107,5 % 12 ( * ) . Ces résultats se dégradent en 2017. Le taux de couverture devrait s'établir plutôt autour de 94,7 %.

Le taux d'invalidation par la CNDA des décisions de l'OFPRA dont elle a été saisie s'est établi à 17 % de ces décisions. Au final, le taux de protection accordé aux demandeurs d'asile, résultant de l'intervention cumulée de l'OFPRA et de la CNDA, représente 40 % de l'ensemble des demandes.

S'agissant du délai moyen de traitement constaté, il s'est établi en 2016 à 6 mois et 26 jours, contre 7 mois et 3 jours fin 2015. À la suite de la réforme de l'asile de 2015, il convient de faire une distinction selon la catégorie de recours. Fin 2016, le délai moyen constaté pour les affaires à juger en 5 mois était de 7 mois et 19 jours et le délai moyen constaté pour les affaires à juger en 5 semaines était de 2 mois et 27 jours.

Avec 51 emplois supplémentaires en 2018, la CNDA devrait être mieux armée pour faire face à l'augmentation des recours et pour améliorer encore ses délais de jugement, en vue d'atteindre les objectifs fixés par le législateur.

Cependant, l'augmentation des effectifs pourrait ne pas être suffisante au regard de la progression du nombre d'entrées à laquelle la Cour doit faire face. Selon les données fournies à votre rapporteur, lors de son déplacement à la CNDA, l'ouverture de 51 postes supplémentaires représente la création de deux nouvelles chambres, soit une augmentation des capacités de jugement de la Cour d'environ 7 000 dossiers supplémentaires par an. Or, pour 2017, la CNDA devrait enregistrer environ 11 000 dossiers de plus que l'année précédente. L'augmentation des effectifs ne devrait donc pas permettre de couvrir toutes les nouvelles saisines et de réduire le stock des affaires en instance.

Au-delà de la question de l'adéquation des moyens à la progression du contentieux, plusieurs chantiers sont en cours ou devraient être lancés pour améliorer le fonctionnement de la juridiction :

- le regroupement des personnels sur un seul site à l'horizon 2022 au lieu de cinq sites actuellement et de six sites en 2018 ;

- la mise en place par la présidente de la Cour, Mme Michèle de Segonzac, d'un groupe de travail chargé d'évaluer l'opportunité d'une spécialisation des personnels de la Cour en fonction des zones géographiques de provenance des demandeurs d'asile ;

- le développement des outils informatiques pour permettre la dématérialisation des échanges, sur le modèle de « télérecours », ainsi que des outils statistiques, pour améliorer les capacités d'anticipation et d'organisation de la Cour.

Sans remettre en cause la nécessité de renforcer les effectifs de la CNDA, les personnes entendues par votre rapporteur ont regretté l'absence d'augmentation des moyens affectés aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d'appel.

À effectifs constants, l'effort demandé aux juridictions administratives en raison de l'accroissement continu du contentieux repose sur une augmentation de la charge de travail des magistrats et des personnels administratifs.

Actuellement, les renforts sont recherchés auprès des autres juridictions administratives. Ainsi, le tribunal administratif de Lille, dans lequel votre rapporteur s'est rendu, a vu ses effectifs augmenter en raison de la très forte augmentation des entrées enregistrées (+ 18,33 % en 2017 contre + 1 à 2 % en moyenne pour les autres juridictions hexagonales). La juridiction a pu créer une 8 ème chambre en septembre 2017 et dédier une chambre spécifique au traitement du contentieux des étrangers encadré dans des délais contraints.

Selon les personnes entendues par votre rapporteur, ces redéploiements d'effectifs à moyens constants ont atteint leurs limites . Il n'existe plus de gisements dans lesquels puiser.

Les efforts demandés aux magistrats et aux personnels des juridictions ne sont pas sans conséquences sociales et humaines . Selon les données transmises à votre rapporteur par les services du Conseil d'État, en 2016, si le nombre d'arrêts de travail des magistrats est resté relativement stable (200 contre 210 l'année précédente), on observe une augmentation sensible de la durée moyenne de ces arrêts : 26 jours en 2016 contre 14 à 18 jours entre 2012 et 2015. Par ailleurs, 60 % des magistrats estiment que leur charge de travail n'est pas compatible avec le temps qui leur est alloué pour s'en acquitter. Le constat d'une dégradation des conditions de travail a également fait l'objet de signalements par les instances paritaires. Cette problématique sera inscrite à l'agenda social du Conseil d'État pour 2018.

b) Des indicateurs à interpréter avec prudence

L'objectif fixé par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice de ramener à un an en moyenne les délais de jugement est atteint, toutes juridictions confondues, depuis 2011.

Délai moyen constaté de jugement des affaires

2015

2016

2017

2018

2020

Réalisation

Réalisation

Prévision actualisée

Prévision

Cible

Conseil d'État

9 mois
et 2 jours

8 mois

8 mois

9 mois

9 mois

CAA

11 mois
et 10 jours

11 mois
et 3 jours

10 mois
et 25 jours

10 mois
et 15 jours

10 mois
et 8 jours

TA

10 mois
et 24 jours

10 mois
et 20 jours

10 mois
et 15 jours

10 mois
et 8 jours

10 mois

CNDA

7 mois
et 3 jours

7 mois
et 19 jours

7 mois
et 15 jours

6 mois

5 mois

CNDA procédures accélérées

Sans objet

13 semaines

15 semaines

9 semaines

5 semaines

Source : projet annuel de performances 2018

Cependant, les résultats de cet indicateur doivent être considérés avec beaucoup de recul car il ne distingue pas selon les types de décisions rendues . Sont donc comptabilisées de la même manière toutes les affaires, y compris les référés, les procédures d'urgence, les ordonnances et les procédures enfermées dans un délai déterminé. Seules les affaires dites « de séries » 13 ( * ) sont exclues de ce mode de calcul.

Or, ces procédures rapides constituent une part substantielle du contentieux traité par les juridictions administratives. Elles concernent par exemple le contentieux de l'éloignement des étrangers, le contentieux du droit au logement opposable ou le contentieux des plans de sauvegarde de l'emploi.

Les délais moyens constatés pour les affaires dites « ordinaires » 14 ( * ) , c'est-à-dire hors ordonnances et contentieux dont le jugement est enserré dans des délais particuliers, est plutôt de 1 an 8 mois et 22 jours dans les tribunaux administratifs et de 1 an 1 mois et 26 jours dans les cours administratives d'appel.

Dès lors, si la multiplication des procédures urgentes permet d'afficher un délai de traitement moyen des affaires très satisfaisant, elle a pour effet pervers d'allonger les délais de traitement des affaires ordinaires et, corrélativement, de faire obstacle à la résorption du stock des affaires les plus anciennes, qui ont parfois un impact humain tout aussi important que les contentieux qui bénéficient de procédures d'urgence, comme en matière de responsabilité hospitalière par exemple.

De fait, la proportion d'affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans peine à diminuer devant les tribunaux administratifs en particulier.

Proportion d'affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans

2015

2016

2017

(prévisions actualisées)

2018

(prévision)

2020

(cible)

CE

3 %

1,6 %

1,8 %

2 %

< 3 %

CAA

1,8 %

1,9 %

3 %

3 %

3 %

TA

9,1 %

8,6 %

8,5 %

8 %

7,5 %

CNDA

9 %

7 %

7 %

6 %

5 %

Source : projet annuel de performances 2018

Cet effet d'éviction des affaires urgentes sur les affaires ordinaires est particulièrement visible au tribunal administratif de Lille, dans lequel votre rapporteur s'est rendu, en raison de la forte proportion que représentent, pour cette juridiction, les contentieux enserrés dans des délais contraints tels que le contentieux des étrangers. Ainsi, alors que le délai moyen constaté pour le traitement des affaires ordinaires est de 1 an 8 mois et 22 jours pour l'ensemble des tribunaux administratifs, il est de 2 ans et 5 mois au tribunal administratif de Lille. Quant aux affaires en stock depuis plus de deux ans, elles représentent 15 % des dossiers enregistrés, contre 8 % en moyenne nationale.

L'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur a donc souhaité mettre en garde le législateur contre la tentation de fixer systématiquement des délais contraints pour les nouvelles procédures créées ou lors de la réforme de procédures existantes. Elles estiment opportun de rendre aux juridictions, parfaitement capables de hiérarchiser l'urgence des affaires, la maîtrise de leur rôle .


* 2 Déplacements au tribunal administratif de Lille, à la Cour nationale du droit d'asile et à la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France.

* 3 L'article 63 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a transféré ce contentieux aux juridictions administratives à compter du 1 er janvier 2018.

* 4 Actuellement, la CNDA compte 420 emplois pourvus.

* 5 Le Conseil d'État a subi un gel en début d'exercice 2017 d'un montant de 3,8 millions d'euros en crédits de paiement. Un second gel a eu lieu en mai 2017 d'un montant de 2,5 millions d'euros. Les crédits de paiement ont été en partie dégelés en mai à hauteur d'un million d'euros. Le programme a contribué aux annulations de crédits prévues par le décret d'avance du 20 juillet 2017 pour un montant de 2 millions d'euros en crédits de paiement.

* 6 Le recours contre les décisions de maintien en rétention a représenté 600 affaires en 2016 et les recours contre les décisions de transfert 3 800 affaires pour 2016.

* 7 Selon le ministère de l'intérieur, ce contentieux représentait 559 654 contestations en 2013.

* 8 Les données nettes excluent les affaires dites de « séries », c'est-à-dire celles qui présentent à juger en droit, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification des faits, une question qui a déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle.

* 9 Hors affaires liées au découpage cantonal.

* 10 Le rapport annuel d'activité de la CNDA est consultable à l'adresse suivante :

http://www.cnda.fr/content/download/84065/793919/version/2/file/CNDA%202016%20VF4-16.01.2017.pdf

* 11 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/174000512.pdf

* 12 Le taux de couverture est le ratio des affaires traitées sur les affaires enregistrées.

* 13 Les affaires de séries sont les affaires qui présentent à juger en droit, sans appeler de nouvelles appréciations ou qualification des faits, une question qui a déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle.

* 14 Contentieux fiscal, contentieux de l'urbanisme, contentieux des dommages de travaux publics...

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