B. LES CENTRES DE RETENTION ADMINISTRATIVE ET LES MESURES D'ASSIGNATION À RÉSIDENCE : DES DISPOSITIFS PERFECTIBLES, DONT LE FINANCEMENT POSE QUESTION

L'administration peut placer les étrangers en instance d'éloignement dans un centre de rétention administrative (CRA) 89 ( * ) ou les assigner à résidence 90 ( * ) .

Ces deux dispositifs ne visent pas les mêmes publics : l'assignation à résidence est privilégiée lorsque l'étranger en situation irrégulière présente des garanties de représentation effectives, propres à prévenir le risque de soustraction.

1. Les centres de rétention administrative (CRA) : des crédits inadaptés aux ambitions du Gouvernement
a) La volonté de lutter contre la sous-occupation chronique des CRA

En 2016, 44 086 personnes ont été placées en rétention, dont 22 911 dans les 23 CRA de métropole et 21 175 dans les 4 CRA d'outre-mer. Ce chiffre est stable depuis 2012 mais beaucoup plus faible qu'en 2010.

Nombre de placements en rétention depuis 2009

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Métropole

31 608

27 450

25 022

23 492

24 217

25 060

26 379

22 911

Outre-mer

23 930

30 817

26 562

20 585

17 801

21 359

18 206

21 175

Total

55 538

58 267

51 584

44 077

42 018

46 419

44 585

44 086

Source : commission des lois du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

D'après les informations recueillies par votre rapporteur, plus d'un étranger sur deux (43,87 %) placé en CRA n'est pas éloigné durant sa rétention administrative , soit parce que son OQTF est annulée par le juge administratif, soit parce que l'administration n'a pas été en mesure d'organiser son éloignement dans les délais impartis.

Le séquençage de la rétention administrative et les voies de recours

Depuis la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 précitée, la rétention administrative s'organise ainsi :

- après 48 heures de rétention (contre cinq jours auparavant), le juge des libertés et de la détention (JLD) est saisi aux fins de prolongation de la rétention ; il statue dans les 24 heures ;

- le JLD est à nouveau saisi au trentième jour de rétention (contre le vingt-deuxième jour auparavant). Il peut prolonger la rétention pour une nouvelle période de 15 jours.

Au total, la rétention peut donc durer jusqu'à 45 jours .

Les missions du JLD ont été renforcées par la loi n° 2016-274 précitée : il contrôle désormais la légalité de l'arrêté initial de placement en rétention, les conditions de l'interpellation de l'étranger et le déroulement de sa rétention. Les ordonnances du JLD peuvent être contestées en appel (non suspensif) puis en cassation 91 ( * ) .

Le juge administratif demeure toutefois compétent pour connaître de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français (OQTF), de l'interdiction de retour sur le territoire français (IRT) et des décisions de refus de visa ou de regroupement familial.

Votre rapporteur s'est interrogé, une nouvelle fois, sur la sous-occupation chronique des centres de rétention administration (CRA) .

Le taux d'occupation des CRA de métropole s'élève ainsi à 60,9 % en 2016 (pour 1 554 places) et celui des CRA d'outre-mer à 18,2 % (pour 227 places). En outre, de fortes disparités existent entre les CRA : le taux d'occupation des CRA de Paris approche les 90 %, contre 58,4 % pour celui de Marseille-Le-Canet et 43,7 % pour celui de Toulouse-Cornebarrieu.

À la suite de l'attentat de Marseille du 1 er octobre 2017, le ministre de l'intérieur a rappelé aux agents de l'État la nécessité de contacter « le centre de rétention administrative le plus proche afin de vérifier ses disponibilités » lorsqu'un étranger en situation irrégulière ne présente pas suffisamment de garanties de représentation. De même, « si le placement dans (ce centre) n'est pas possible, vous rechercherez les possibilités de placement dans d'autres CRA en sollicitant à cet effet le référent régulation rétention de la direction zonale de la police aux frontières » 92 ( * ) . Dans la même logique, les préfectures ont désormais accès au fichier « Logicra », géré par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et centralisant le niveau d'occupation des CRA.

b) Des crédits limités

Depuis la publication de cette instruction ministérielle, le taux d'occupation des CRA approche les 100 %. De même, le Gouvernement envisagerait d'accroître de 45 à 90 jours la durée maximale de rétention lors de son prochain projet de loi sur l'asile et l'immigration.

Le PLF pour 2018 ne prend absolument pas en compte ces deux éléments, ce qui pourrait sérieusement remettre en cause le bon fonctionnement des CRA mais aussi les droits des personnes retenues .

Les crédits dédiés au fonctionnement hôtelier des CRA s'élèvent en effet à 26,3 millions d'euros en AE. Si cette somme est plus importante que celle inscrite dans la LFI pour 2017 (19 millions d'euros), elle est légèrement plus faible que la dépense constatée lors de l'exercice 2016 (27,09 millions d'euros). De même pour l'accompagnement social des personnes retenues, dont les crédits n'augmentent que de 20 000 euros en PLF pour 2018.

En matière d'investissement, le Gouvernement n'a pas prévu de créer de nouveaux CRA et a seulement budgété l'extension de 86 à 100 places du centre de Lille-Lesquin (projet de 3 millions d'euros dont la réception est prévue en 2020).

Le budget des centres de rétention administrative (CRA)

(en millions d'euros et en AE)

Exécution 2016

LFI pour 2017

PLF pour 2018

Fonctionnement hôtelier des CRA

(restauration, blanchisserie, maintenance, etc .)

27,09

19

26,30

Investissement immobilier

1,84

3,10

5,10

Accompagnement social des personnes retenues

6,59

6,3

6,32

Total hors prise en charge sanitaire

35,49

28,40

37,72

Prise en charge sanitaire des personnes retenues

25,85

8

8,10

Total

61,34

36,4

45,82

Source : commission des lois du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

En matière de prise en charge sanitaire, l'exercice 2016 est caractérisé par un événement exceptionnel rendant difficile les comparaisons avec la LFI pour 2017 et le PLF pour 2018 (création provisoire de centres d'accueil à Grande-Synthe et à Calais)

2. L'assignation à résidence : un dispositif à consolider

Une assignation à résidence peut être prononcée à l'encontre d'un étranger en situation irrégulière pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois pour la même durée . Elle peut s'effectuer au domicile de l'étranger ou dans un lieu que l'autorité administrative détermine.

Depuis 2015, six dispositifs de préparation au retour (DPAR) 93 ( * ) ont été ouverts, prioritairement pour les familles déboutées du droit d'asile. Dotés de 471 places , ils offrent aux étrangers accueillis un accompagnement spécifique pour préparer leur retour dans leur pays d'origine 94 ( * ) . Le coût journalier de cet accueil est estimé à 27 euros par place.

Dans son plan « Garantir le droit d'asile, mieux maîtriser les flux migratoires » présenté le 12 juillet 2017, le Gouvernement a annoncé la construction d'au moins un DPAR dans chacune des treize régions métropolitaines, ce que votre rapporteur estime opportun.

Le renforcement du cadre juridique de l'assignation à résidence

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 précitée a renforcé l'assignation à résidence, notamment en permettant au préfet de :

- demander aux services de police ou de gendarmerie de conduire un étranger assigné à résidence devant les autorités consulaires , lorsque celui-ci n'a pas déféré, sans motif légitime, à une première convocation 95 ( * ) ;

- réaliser, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD), une visite domiciliaire dans le lieu d'habitation de l'étranger « afin de s'assurer de sa présence et de le reconduire à la frontière ou, si le départ n'est pas possible immédiatement, de lui notifier une décision de placement en rétention » 96 ( * ) .

Ces mesures sont entrées en vigueur au 1 er novembre 2016.

Depuis le début des années 2010, le nombre d'assignations à résidence prononcées a nettement progressé : il est passé de 373 en 2011 à 2 998 en 2014 puis à 4 687 en 2016 . Le premier semestre 2017 confirme cette tendance : les préfets ont mis en oeuvre 4 487 assignations à résidence, soit 74 % de plus qu'à la même période en 2016.

Le placement en rétention administrative reste toutefois beaucoup plus fréquent que l'assignation à résidence : en 2016, une seule assignation à résidence a été prononcée pour plus de dix placements en rétention.

*

* *

La commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits au projet de loi de finances pour 2018.


* 89 Articles L. 551-1 à L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 90 Articles L. 561-1 à L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 91 L'appel et la cassation n'étant pas suspensifs en cette matière.

* 92 Instruction n° NORINTK17018905 du 16 octobre 2017 relative à l'éloignement des personnes représentant une menace pour l'ordre public et des sortants de prison.

* 93 Ces dispositifs sont situés dans le Rhône, à Paris, dans les Bouches-du-Rhône, dans le Bas-Rhin et en Seine-Saint-Denis.

* 94 Pour plus de précisions sur l'exemple du dispositif de Vitry-sur-Orne (Bas-Rhin), voir l'avis de votre rapporteur n° 146 (2016-2017) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2017 (immigration, intégration et nationalité), p. 12.

Cet avis est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a16-146-2/a16-146-21.pdf .

* 95 Article L. 513-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 96 Article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Page mise à jour le

Partager cette page