INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2018, la mission « Immigration, asile et intégration » représente 1,35 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1,38 milliard d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 10,44 % en AE et de 26 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2017.

Plus qu'une véritable stratégie pluriannuelle, cette augmentation des crédits s'explique par des mesures d'ajustement de la politique d'asile et d'immigration, actées au fil de l'eau en fonction de l'évolution de la crise migratoire. Entre 2010 et 2016, le nombre de demandes d'asile enregistrées en France a en effet augmenté de + 62 %, les principales difficultés se concentrant en Ile-de-France, dans le Calaisis et dans les outre-mer.

Certes, le ministre de l'intérieur a précisé devant votre commission l'objectif du Gouvernement : « nous voulons accueillir sans doute moins mais accueillir mieux » 2 ( * ) . Le conseil des ministres a également adopté, le 12 juillet dernier, un plan ambitieux intitulé « Garantir le droit d'asile et mieux maîtriser les flux migratoires », dont le contenu reprend nombre de préconisations du Sénat (éloignement des personnes déboutées du droit d'asile, construction de centres provisoires d'hébergement pour les réfugiés, etc .).

Au-delà des discours, le Gouvernement n'a pas encore réuni les moyens et le cadre juridique nécessaires à la mise en oeuvre d'une politique migratoire crédible. Le projet de loi de programmation des finances publiques, en cours d'examen devant le Parlement, prévoit même une baisse des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » d'ici 2020 3 ( * ) .

Cet écart entre les annonces du Gouvernement et ses actes se vérifie pour chacune des trois composantes de la mission précitée : l'immigration régulière et l'intégration, l'exercice du droit d'asile et la lutte contre l'immigration irrégulière.

Difficile, tout d'abord, de cerner la stratégie du Gouvernement en matière d'immigration régulière et d'intégration des étrangers à la société française. Derrière la fermeté de son discours, il n'envisage pas d'abroger la « circulaire Valls » du 28 novembre 2012, qui a pourtant contribué à l'augmentation des régularisations d'étrangers en situation irrégulière de plus de 30 % en cinq ans.

Débordé par ses nouvelles missions en matière d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) n'est pas en mesure de renforcer des dispositifs d'intégration pourtant exsangues. La création du contrat d'intégration républicaine (CIR) sous la précédente législature 4 ( * ) n'a pas eu l'effet escompté : seuls 61,4 % des étrangers qui participent aux formations linguistiques prévues par le contrat acquièrent le niveau de langue requis. Parallèlement, les visites médicales assurées par l'OFII se réduisent comme peau de chagrin, ce qui représente un risque de santé publique majeur, notamment pour les étudiants étrangers.

S'agissant de l'exercice du droit d'asile, le Gouvernement hérite d'une situation complexe : la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 5 ( * ) a échoué dans sa volonté de réduire le délai global de traitement des demandes d'asile, qui s'établit aujourd'hui à plus de 14 mois.

Si l'exécutif a annoncé des ajustements ponctuels pour réduire ce délai (faciliter les traductions linguistiques, accélérer les délais de notification des décisions, etc .), toute la procédure est à revoir, de l'enregistrement de la demande d'asile aux voies de recours.

De même, le Gouvernement ne semble réaliser aucun suivi précis des déboutés du droit d'asile (environ 53 600 personnes pour la seule année 2016), ce qui rend la lutte contre l'immigration irrégulière beaucoup plus difficile.

Pour le Gouvernement, cette lutte constitue pourtant « une politique publique qui doit être mise en oeuvre avec la plus grande fermeté en utilisant l'ensemble des outils et des dispositifs autorisés par les textes » 6 ( * ) .

Là encore, ses annonces contrastent avec le contenu du PLF pour 2018 : la lutte contre l'immigration irrégulière demeure le parent pauvre de la politique migratoire. Ses crédits ne représentent que 6 % de la mission « Immigration, asile et intégration » et sont en baisse de plus de 7 % par rapport à l'exercice 2017.

Au regard de ces constats, votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2018.

I. L'IMMIGRATION RÉGULIÈRE : DES FLUX HÉTÉROGÈNES ET DES DISPOSITIFS D'INTÉGRATION INSUFFISANTS

La gestion de l'immigration régulière représente 17 % des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (239,99 millions d'euros en AE et 239,95 millions d'euros en CP).

Elle s'appuie sur l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) , qui voit ses moyens augmenter et ses missions être réorientées vers la prise en charge des demandeurs d'asile.

A. L'IMMIGRATION RÉGULIÈRE : UNE IMMIGRATION PRINCIPALEMENT TOURISTIQUE, FAMILIALE ET ÉTUDIANTE

L'immigration régulière comprend deux composantes distinctes : l'immigration temporaire, d'une part, et l'immigration de longue durée, d'autre part. La première donne lieu à la délivrance de visas par les autorités diplomatiques et consulaires, la seconde à la délivrance de titres de séjour par les services préfectoraux.

1. L'immigration temporaire : une réduction conjoncturelle des flux

Le nombre de visas accordés par la France a baissé de 4 % entre 2015 et 2016, passant de 3,08 millions à 2,95 millions 7 ( * ) . Cette tendance est avant tout conjoncturelle : elle s'explique par les difficultés rencontrées par le secteur touristique après les attentats du 13 novembre 2015.

Nombre de visas accordés par la France

(en millions)

Source : commission des lois du Sénat, à partir des données du ministère de l'intérieur

La quasi-totalité des visas délivrés par les autorités diplomatiques et consulaires (97,3 %) ont une durée inférieure à trois mois, le reliquat (2,7 %) étant valable entre trois et douze mois.

La modernisation des procédures de délivrance des visas demeure une priorité pour renforcer l'attractivité du territoire , notamment avec l'objectif de délivrer des visas en 48 heures dans dix nouveaux pays 8 ( * ) et de mettre en oeuvre le projet France VISAS.

France VISAS

Lancé en 2014, le projet France VISAS vise à dématérialiser la procédure de demande et de délivrance des visas.

Il comporte deux volets distincts : l'ouverture, d'ici la fin de l'année 2017, d'un portail en ligne destiné aux usagers et la création, d'ici 2019, d'un nouveau logiciel d'instruction des demandes de visas . Grâce à ces nouveaux outils, les services diplomatiques et consulaires pourraient traiter jusqu'à 800 000 dossiers supplémentaires chaque année.

Le coût total de France VISAS est désormais estimé à 33,2 millions d'euros , soit une augmentation de 4,7 % par rapport aux estimations initiales.

2. L'immigration de longue durée : une légère augmentation des flux et un nombre croissant de régularisations

En 2016, 227 923 titres de séjour ont été accordés à des étrangers souhaitant résider durablement en France, soit une augmentation de 4,78 % par rapport à 2015 .

L'immigration régulière de longue durée est principalement familiale (38,83 % du flux en 2016) et étudiante (32,17 %). L'immigration de travail reste marginale (10 %), comme l'avait constaté votre rapporteur dès 2015 9 ( * ) .

Motifs de l'immigration régulière de longue durée (2016)

Travail

Famille

Étude

Humanitaire

Divers

Total

Nombre de titres de séjour délivrés

22 792

88 510

73 324

28 751

14 546

227 923

Part dans le total

10 %

38,83 %

32,17 %

12,61 %

6,38 %

Source : commission des lois du Sénat, à partir des données du ministère de l'intérieur

Ces chiffres incluent une hausse substantielle des régularisations d'étrangers en situation irrégulière 10 ( * ) : elles sont passées de 23 294 en 2012 à 30 632 en 2016 (+ 31,5 %), notamment sous l'effet de la « circulaire Valls » du 28 novembre 2012 11 ( * ) .

Au total, 2,83 millions d'étrangers disposent d'un titre de séjour français, 70 % d'entre eux bénéficiant d'une carte de résident valable dix ans et renouvelable de plein droit sauf menace pour l'ordre public.


* 2 Audition devant votre commission du 14 novembre 2017.

* 3 En prenant en compte l'inflation, les crédits de paiement de la mission passeraient de 1,37 milliard d'euros en 2018 à 1,31 milliard en 2020. Source : commission des finances du Sénat.

* 4 Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

* 5 Loi relative à la réforme du droit d'asile.

* 6 Instruction n° NORINTK17018905 du 16 octobre 2017 relative à l'éloignement des personnes représentant une menace pour l'ordre public et des sortants de prison.

* 7 Hors visas de long séjour valant titres de séjour (VLS-TS), comptabilisés comme des titres de séjour. Ces chiffres excluent également l'immigration temporaire des ressortissants de pays bénéficiant d'une dispense de visa (ressortissants de l'Espace économique européen, des États-Unis, du Japon, etc .).

* 8 À ce stade, ce dispositif de délivrance de visas en 48 heures fonctionne dans neuf pays : Chine, Inde, Afrique du Sud, Koweït, Émirats Arabes Unis, Qatar, Oman, Bahreïn et Indonésie.

* 9 Rapport n° 716 (2014-2015) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi relatif aux droits des étrangers en France et consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l14-716/l14-7161.pdf .

* 10 Régularisations qui correspondent, d'un point de vue juridique, aux « admissions au séjour pour motif exceptionnel ou humanitaire ».

* 11 Circulaire INTK1229185C, relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

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