B. UNE CONSOLIDATION ET UNE RÉORGANISATION RAPIDE DES DISPOSITIFS DE SÉCURITÉ QUI MÉRITENT D'ÊTRE POURSUIVIES

1. Une adaptation des dispositifs législatifs et réglementaires

L'importance de la pression migratoire, associée à une menace terroriste croissante, a conduit les autorités françaises à adapter leurs dispositifs législatifs et réglementaires de manière à renforcer la lutte contre les filières d'immigration irrégulière.

Initialement activé en novembre 2015 à des fins de sécurisation de la COP 21, le rétablissement des contrôles aux frontières terrestres et aériennes internes à l'espace Schengen, autorisé en application de l'article 25 du code frontières Schengen « en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure », a été prolongé par la France à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre 2015 en raison du niveau de la menace terroriste sur le territoire national.

Cette dérogation, dont la prolongation jusqu'au mois de mai 2018 a été récemment validée par la Commission européenne, a facilité le renforcement des dispositifs de lutte contre les filières d'immigration irrégulière, en permettant le rétablissement des postes frontières dans les zones de passage les plus sensibles de même que, s'agissant des frontières aériennes, les contrôles sur les vols intra-UE.

Compte tenu du caractère nécessairement temporaire du rétablissement des contrôles, la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a procédé, à des fins de prévention du terrorisme et de la criminalité transfrontalière, à une extension conséquente des possibilités de contrôles frontaliers, conformément à une recommandation de la Commission européenne du 12 mai 2017 13 ( * ) , qui incitait les États membres de l'Union européenne à favoriser le retour à des dispositifs de droit commun tout en renforçant localement les contrôles, notamment dans les zones frontalières.

L'article 19 de la loi du 30 octobre 2017précitée étend les contrôles aux frontières intérieures, à trois niveaux :

- un élargissement des contrôles aux abords des gares ferroviaires ;

- une extension de la durée maximale au cours de laquelle des contrôles peuvent être effectués de manière consécutive, portée de six à douze heures ;

- une extension des contrôles d'identité autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers et présentant un certain degré de sensibilité en raison de l'importance de leur fréquentation et de leur vulnérabilité.

2. Un renforcement significatif des moyens humains

Annoncé en septembre 2015, le plan de lutte contre l'immigration clandestine (PLIC) a permis de renforcer les effectifs des forces de sécurité intérieure concourant à la lutte contre l'immigration irrégulière et devait se traduire par la création de 900 emplois supplémentaires au cours de l'année 2016, dont 530 pour la police nationale 14 ( * ) et 370 pour la gendarmerie nationale.

Depuis 2015, pour les seuls services de la police aux frontières, les effectifs sont passés de 10 203 à 10 825, soit une hausse de 6,1 %.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur, une partie non négligeable des créations d'emplois annoncées par le Président de la République devrait concerner la mission de lutte contre l'immigration clandestine, placée au rang des priorités pour l'année 2018, à hauteur de 757 emplois sur l'ensemble du quinquennat , répartis entre la police nationale et la gendarmerie nationale.

Si le renforcement des effectifs opérationnels a permis de déployer des dispositifs de contrôle efficaces et adaptés, le manque de personnels de soutien pèse, dans certains points de contrôles sensibles, sur leur effectivité. Cette difficulté est notamment rencontrée à Menton, où le service de la police aux frontières est engorgé par le suivi des procédures administratives et judiciaires, alors même que le besoin opérationnel sur le terrain est considérable.

Par ailleurs, s'agissant des contrôles aux frontières aériennes, la direction aéroportuaire de la police aux frontières de Roissy et d'Orly a indiqué qu'elle éprouvait, malgré une hausse de son plafond d'emploi, des difficultés importantes à recruter et à fidéliser ses personnels, notamment en raison du manque d'attractivité du service. Une telle situation est regrettable et entraîne, dans un contexte d'augmentation conséquente de la charge de travail de la police aux frontières aériennes, une tension importante sur les effectifs.

La révision du code frontières Schengen :
des conséquences opérationnelles importantes

Le règlement 2017/458 du 15 mars 2017 modifiant le code frontières Schengen a prévu un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'espace Schengen .

Jusqu'alors, l'article 8 du code frontières Schengen prévoyait un contrôle minimal des documents d'identité et de voyage des ressortissants de la zone Schengen ou de pays tiers ayant conclu un accord avec l'Union européenne et disposant de droits en matière de libre circulation équivalents aux ressortissants européens. Ce contrôle consistait en un examen simple et rapide de la validité du document autorisant le franchissement de la frontière. Seuls les ressortissants extra-communautaires pouvaient faire l'objet d'une vérification approfondie, pouvant inclure le contrôle systématique des bases de données nationales, européennes et internationales.

Depuis le 7 avril 2017, date d'entrée en vigueur du règlement précité, l'ensemble des personnes franchissant une frontière extérieure de l'espace Schengen, y compris les ressortissants européens, doivent être soumis à un contrôle systématique, en entrée et en sortie, avec consultation des bases de données nationales, européennes et internationales , afin de s'assurer que la personne ne fait pas l'objet d'une fiche de signalement.

Une telle révision de la réglementation européenne a eu des conséquences importantes au niveau opérationnel. Au cours de l'été, les deux aéroports parisiens ont connu des difficultés majeures de fluidité des contrôles aux frontières, les délais d'attente à la frontière ayant atteint plusieurs heures.

Cette nouvelle charge opérationnelle, cumulée à une pression migratoire forte aux frontières extérieures, a nécessité une mobilisation sans précédent des effectifs de la police aux frontières qui fonctionne aujourd'hui, malgré les créations de postes, à flux tendus.

3. Une implication coordonnée de l'ensemble des forces de sécurité intérieure

La lutte contre l'immigration irrégulière a mobilisé, outre les services de la police aux frontières, dont elle constitue le coeur de métier, l'ensemble des forces de sécurité intérieure au cours des deux dernières années.

Ainsi, alors que la police aux frontières était, avant la crise, à l'origine de 80 % des interpellations d'étrangers en situation irrégulière, elle ne procède plus aujourd'hui qu'à 60 % des interpellations.

Les forces de sécurité publique, de même que les compagnies républicaines de sécurité intérieure, assument désormais un rôle central dans ce domaine. Au plus fort de la crise migratoire, ce sont 10,5 compagnies républicaines de sécurité, sur un total de 60 au niveau national, qui ont été engagées sur cette mission spécifique. Actuellement, 7 à 8 unités sont encore déployées entre Calais, Dunkerque, la gare du Nord à Paris et le département des Alpes-Maritimes, avec des conséquences non négligeables sur le degré de mobilisation opérationnelle de ces forces traditionnellement affectées aux missions de maintien de l'ordre public.

L'explosion de la pression migratoire a également entraîné une montée en puissance de la gendarmerie nationale en matière de lutte contre les filières d'immigration clandestine . A l'heure actuelle, 5 escadrons de gendarmerie mobile sont déployés à temps complet sur des missions de contrôle aux frontières, dont 2,5 à Calais et 2,5 à Menton. En parallèle, 1,5 escadron est mobilisé pour le contrôle et la protection du tunnel sous la Manche.

Cette mobilisation conséquente des forces de sécurité intérieure s'est accompagnée de la mise en oeuvre de dispositifs de coopération novateurs , dont les résultats se révèlent très probants. Aux niveaux zonal et départemental, des cellules de coordination associant la gendarmerie nationale sont mises sur pied en fonction des besoins.

La police nationale et la gendarmerie nationale veillent par ailleurs à une coordination étroite de leurs moyens au niveau local. Des accords ont ainsi été signés afin de permettre aux forces de gendarmerie de remettre des étrangers en situation irrégulière interpellés aux services de la police aux frontières pour le traitement des procédures judiciaires, et inversement.

Le dispositif intégré de lutte contre l'immigration irrégulière de Menton

Le département des Alpes-Maritimes constitue aujourd'hui le premier point d'entrée irrégulière sur le territoire national, notamment en raison de la présence d'un nombre important de migrants sur le territoire italien.

Le département a ainsi concentré, au cours des derniers mois, environ 70 % des entrées illégales sur le territoire national.

À Menton, où votre rapporteur s'est rendu le lundi 30 octobre 2017, le dispositif de contrôle déployé à la frontière franco-italienne mobilise aussi bien les forces de police
- police aux frontières, CRS -, les forces de gendarmerie ainsi qu'une soixantaine de militaires de la force Sentinelle.

Coordonné par un commissaire divisionnaire de la police aux frontières, ce dispositif permet de couvrir l'ensemble des points sensibles du territoire, qu'il s'agisse de la frontière terrestre ou de la gare de Menton-Garavan, premier point d'interpellation de personnes en situation irrégulière.

Depuis le début de l'année 2017, ce dispositif, dont votre rapporteur a pu constater la bonne organisation et le bon fonctionnement, a permis d'interpeller 40 090 personnes en situation irrégulière et 293 passeurs.

4. Une modernisation nécessaire des équipements de contrôle

Lors de ses déplacements, votre rapporteur a pu constater que l'efficacité des forces déployées, pourtant en nombre conséquent, aux fins de lutter contre l'immigration irrégulière, était handicapée par d'importantes difficultés matérielles : manque de véhicules, locaux insuffisants, voire délabrés, etc.

Ainsi, à Menton, où votre rapporteur a pu se rendre et échanger avec les représentants des forces de police et de gendarmerie engagées dans le dispositif de lutte contre l'immigration irrégulière, la police aux frontières a été contrainte de s'adapter, faute de moyens de fonctionnement suffisants.

Afin de procéder aux transports des étrangers interpellés en situation irrégulière, la direction départementale de la police aux frontières a dû procéder à la location de véhicules touristiques, ne présentant pas les conditions minimales de sécurité requises pour un véhicule de police.

De même, aucun projet d'agrandissement immobilier n'a accompagné l'augmentation des effectifs et de la pression migratoire. Des locaux préfabriqués ont dû être installés dans l'urgence, avec des conditions de sécurité initialement peu optimales, afin d'accueillir les personnes interpellées et retenues pour un contrôle d'identité, dont le nombre peut atteindre 300 par jour.

Comme rappelé dans les développements précédents, il apparaît donc urgent de placer la mise à niveau des équipements et matériels élémentaires, nécessaires à l'exercice des missions de sécurité, au rang des priorités pour les prochains exercices budgétaires.

La modernisation des moyens et équipements de contrôle et d'investigation à disposition des forces de sécurité intérieure revêt par ailleurs, s'agissant de la lutte contre l'immigration irrégulière, une importance particulière compte tenu de la sophistication toujours plus importante des moyens de fraude.

Des avancées ont été conduites en ce sens. Le déploiement des laboratoires mobiles d'analyse documentaire 15 ( * ) , dont le nombre devrait être porté à 14 au début de l'année 2018, et des mallettes de contrôle documentaire 16 ( * ) , permet de renforcer la fluidité et l'efficacité des contrôles. Le développement des moyens mobiles des forces de sécurité intérieure, dans le cadre du projet « NEOGEND » pour la gendarmerie et du projet « NEO » pour la police, qui devrait se poursuivre en 2018, offre également la possibilité à chaque agent qui en est équipé de vérifier un document d'identité à l'occasion d'un contrôle et de consulter les fichiers de police.

La France présente toutefois un retard conséquent dans le déploiement de technologies de dernière génération , qui constituent pourtant la condition sine qua non pour renforcer l'efficience des contrôles aux frontières dans un contexte où les effectifs ne sont pas indéfiniment extensibles.

Plusieurs exemples l'illustrent. À Menton, les agents de sécurité intérieure ont regretté ne pas être dotés de caméras thermiques ou infrarouge, qui permettraient d'améliorer l'efficacité des contrôles aux frontières, notamment de nuit.

De même, il est regrettable que la France n'ait, à ce jour, pas encore mis en place de dispositifs de reconnaissance faciale, pourtant d'ores et déjà implémentés dans de nombreux pays. Un dispositif de reconnaissance faciale est actuellement en cours d'expérimentation à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle et à la gare de Saint-Pancras à Londres (côté français), et pourrait être déployé à compter de 2018. Votre rapporteur s'interroge toutefois sur le réalisme de ce calendrier, la DCPAF ayant indiqué au cours de son audition que des difficultés techniques devaient encore être résolues. Il s'étonne par ailleurs qu'aucun crédit n'ait été budgété à cet effet dans le projet de loi de finances pour 2018.

*

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Au vu d'une sous-dotation manifeste des crédits de fonctionnement et d'investissement des programmes 176 « Police nationale » et 152 « Gendarmerie nationale », votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme 161 « Sécurité civile », inscrits au projet de loi de finances pour 2018.


* 13 Commission européenne, recommandation (UE) 2017/820 du 12 mai 2017 relative aux contrôles de police proportionnés et à la coopération policière dans l'espace Schengen.

* 14 Ce renforcement des effectifs a concerné les services de la police aux frontières, les compagnies républicaines de sécurité de même que la préfecture de police de Paris.

* 15 Les laboratoires mobiles d'analyse documentaire sont des véhicules permettant de procéder à des examens techniques en vue de vérifier l'authenticité des documents d'identité grâce à des équipements spécifiquement embarqués.

* 16 Les mallettes de contrôle documentaires sont des équipements facilement transportables destinés au contrôle des titres d'identité.

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