II. DES PERSPECTIVES INCERTAINES POUR LES FINANCES LOCALES

Malgré l'importance, pour l'investissement local notamment, des dotations et autres crédits retracés par la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ils ne représentent, comme on l'a dit, qu'une faible part des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, et une part plus faible encore de leurs ressources totales. Aussi a-t-il paru nécessaire à votre rapporteur de prendre une vue d'ensemble des mesures relatives aux finances locales dans le projet de loi de finances pour 2018, mais également dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018-2022 .

Les perspectives dessinées par ces deux textes sont incertaines. Si l'on peut se féliciter qu'il soit mis fin à la baisse brutale et uniforme des concours financiers de l'État, les économies attendues des collectivités territoriales ne laissent guère présager une reprise de leurs dépenses d'investissement, et les nouvelles règles qui leur sont imposées en matière d'emprunt portent une atteinte grave à leur libre administration. Par ailleurs, le nouvel élargissement des « variables d'ajustement » de « l'enveloppe normée » des concours financiers de l'État, ainsi que les modalités retenues pour l'instauration d'une « TVA régionale » et la suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des foyers portent en germe une nouvelle réduction des ressources des collectivités territoriales et de leur autonomie financière .

A. LES OBJECTIFS D'ÉCONOMIES ASSIGNÉS AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Les collectivités territoriales et leurs groupements ont été fortement mis à contribution, au cours des dernières années, pour redresser les finances publiques et faire en sorte que la France respecte ses engagements européens. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 fixait, pour la première fois, un objectif d'évolution de la dépense publique locale (Odedel), et cet objectif a été plus qu'atteint : en 2016, les dépenses des collectivités territoriales ont été inférieures de quelque 12 milliards d'euros aux prévisions de la loi de programmation, en raison de la baisse brutale des dotations de l'État.

Évolution des dépenses des collectivités territoriales par rapport à l'objectif fixé par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Comme le notait notre collègue Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, dans son rapport sur l'exécution du budget de 2016, la réduction du déficit public observée cette année-là s'explique par l'effort consenti par les administrations publiques locales et, dans une moindre mesure, par les administrations de sécurité sociale, tandis que le solde de l'État se dégradait de 2,5 milliards d'euros. Entre 2013 et 2016, les administrations publiques locales ont contribué pour deux tiers à l'amélioration du solde public 25 ( * ) .

Il n'est certes pas contestable en principe que les collectivités territoriales soient associées à l'effort national de redressement des finances publiques, compte tenu de leur part dans la dépense publique totale (environ 20 %). Encore faut-il que l'effort soit équitablement réparti et qu'il ne pèse pas excessivement sur l'investissement public, réalisé à près de 70 % par les collectivités territoriales.

Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, en cours d'examen par le Parlement, témoigne d'un changement de méthode qui mérite, à certains égards, d'être salué, mais il présente également des motifs de grave préoccupation.

En premier lieu, plutôt que d'englober les dépenses de fonctionnement et d'investissement dans un même objectif, le Gouvernement actuel a choisi de faire porter l'effort sur les dépenses de fonctionnement, qui ne pourraient augmenter chaque année que dans la limite de 1,2 % en valeur . Contrairement à ce que laisse entendre la communication gouvernementale, et compte tenu des prévisions d'inflation, cet objectif correspond à une baisse des dépenses de fonctionnement en volume à partir de 2020. Par rapport à la hausse tendancielle de ces dépenses, évaluée par le Gouvernement à 2,5 % par an, cela représente 13 milliards d'économies annuelles à la fin du quinquennat.

Source : commission des lois du Sénat

Or, comme l'a relevé notre collègue Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances 26 ( * ) , l'estimation par le Gouvernement de l'évolution tendancielle des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs groupements à fiscalité propre paraît exagérément basse : leur taux de croissance, entre 2004 et 2016, s'est en réalité élevé à 3,5 %. Au cours de la période de référence choisie par le Gouvernement, à savoir les années 2009 à 2014 27 ( * ) , les dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales ont effectivement augmenté de 2,5 % par an en moyenne, mais celles des collectivités territoriales et de leurs groupements à fiscalité propre de 2,8 % par an. Surtout, il conviendrait de tenir compte des efforts structurels consentis au cours de cette période de référence, en particulier de la non-indexation sur l'inflation des dépenses de personnel et de la diminution d'1,5 milliard d'euros des concours financiers de l'État en 2014. Sans les économies ainsi réalisées, les dépenses de fonctionnement des collectivités et de leurs groupements à fiscalité propre se seraient accrues de 3,11 % par an entre 2009 et 2014.

Si l'on retient ce taux d'évolution tendancielle, l'économie que devraient réaliser les collectivités et leurs groupements en plafonnant à 1,2 % par an en valeur la hausse de leurs dépenses de fonctionnement serait, à la fin du quinquennat, non pas de 13 milliards, mais de 21 milliards d'euros . C'est ce qui a conduit le Sénat à rehausser à 1,9 % par an l'objectif d'évolution en valeur fixé par le projet de loi de programmation, pour aboutir à une économie réelle de 13 milliards d'euros en 2022, conformément au souhait affiché par le Gouvernement.

En deuxième lieu, les collectivités territoriales et les EPCI à fiscalité propre se voient assigner, pour la première fois, un objectif de diminution de leur besoin de financement , défini comme les « emprunts minorés des remboursements de dette ». Selon le projet de loi de programmation, leur besoin de financement devrait ainsi être réduit de 2,6 milliards d'euros par an, soit 13 milliards d'euros sur la durée du quinquennat. L'intégralité des économies réalisées sur les dépenses de fonctionnement serait donc consacrée à la diminution du déficit et, partant, de l'endettement des collectivités et de leurs groupements à fiscalité propre. On pourrait au contraire juger souhaitable qu'une partie de ces économies soit mise à profit pour relancer l'investissement local, qui a connu trois années de forte baisse entre 2014 et 2016.

En troisième lieu, le Gouvernement entend faire confiance aux élus locaux pour atteindre ces objectifs de diminution des dépenses de fonctionnement et du besoin de financement , plutôt que de les y contraindre en abaissant unilatéralement les concours financiers de l'État. C'est heureux. Cependant, le mécanisme de contractualisation avec les plus grandes collectivités prévu par le projet de loi de programmation reste très flou 28 ( * ) , de même que les sanctions encourues en cas de non-respect des objectifs quinquennaux .

L'article 10 du projet de loi de programmation des finances publiques prévoit en effet un mécanisme de correction, défini par la loi après concertation avec les collectivités territoriales, en cas d'écart avec les normes d'évolution des dépenses de fonctionnement et du besoin de financement fixées au même article. Il est précisé que « les mesures de correction prévues pourront porter sur les concours financiers [de l'État] ou sur les ressources fiscales affectées aux collectivités territoriales ». La tentation d'un retour à la baisse des dotations n'est pas loin... On ignore d'ailleurs si, dans l'hypothèse où une collectivité subirait une baisse des concours financiers de l'État à titre de « mesure de correction », cela conduirait à réduire l'enveloppe globale des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, ou si les sommes concernées seraient redéployées entre ces dernières 29 ( * ) .

En quatrième lieu, l'article 24 du projet de loi de programmation prévoit d' encadrer le recours à l'emprunt des collectivités territoriales par une « règle d'or renforcée » . Pour mémoire, la « règle d'or » actuelle, énoncée à l'article L. 1612-4 du code général des collectivités territoriales, comprend deux exigences :

- chacune des deux sections (de fonctionnement et d'investissement) du budget d'une collectivité territoriale doit être votée en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère ;

- la capacité d'autofinancement dégagée par la section de fonctionnement, et les recettes propres de la section d'investissement, à l'exclusion du produit des emprunts, doivent suffire à couvrir le remboursement annuel de la dette.

Il s'ensuit que les collectivités ne peuvent emprunter que pour investir, et non pas pour financer leurs dépenses de fonctionnement ou le service de leur dette - ce qui prévient tout surendettement. Par la vertu de ces règles, les collectivités ne sont que faiblement endettées : l'encours total de leur dette s'élevait à 146 milliards d'euros en 2016 ; elles ont dégagé, au cours de la même année, une capacité d'autofinancement d'1,76 milliard d'euros. De ce fait, leur taux d'endettement est presque stable, sauf pour les régions. Il en résulte que la dette des administrations publiques locales (APUL) n'occupe qu'une faible part de la dette publique totale, soit 9 % au premier trimestre 2017 30 ( * ) .

On comprend mal, dans ces conditions, pourquoi le Gouvernement veut imposer aux collectivités territoriales une « règle d'or renforcée », à savoir un ratio d'endettement défini comme le rapport entre l'encours de la dette et la capacité d'autofinancement brute de l'année écoulée, et compris - selon la catégorie de collectivités - entre huit et treize années. Ce dispositif est certes cohérent avec les objectifs assignés aux collectivités de réduction de leur besoin de financement. Mais, outre qu'il est gravement attentatoire à la libre administration des collectivités territoriales , il pourrait avoir des effets très pernicieux sur l'investissement local : pour financer des investissements structurants, les collectivités doivent emprunter des sommes importantes qu'elles ne peuvent rembourser que sur de nombreuses années. Il est de bonne gestion que la durée de remboursement soit alignée sur la durée d'amortissement d'une immobilisation, qui peut atteindre soixante ans pour un réseau d'eau, comme cela a été souligné au cours des auditions menées par votre rapporteur.

Pendant ce temps, le déficit de l'État continuerait de s'accroître, au moins jusqu'en 2020 31 ( * ) .

Sous couleur de contractualisation, le Gouvernement entend-il mettre sous tutelle les collectivités territoriales, pour les contraindre à porter une part démesurée de l'effort de désendettement du pays ?


* 25 Rapport n° 645 (2016-2017) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2016, p. 25. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l16-645-1/l16-645-1.html .

* 26 Rapport n° 56 (2017-2018) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l17-056/l17-0561.pdf .

* 27 Le choix de cette période de référence se justifie, selon le Gouvernement, par le fait qu'elle permet d'exclure la crise financière ainsi que les baisses importantes de la dotation globale de fonctionnement intervenues à compter de 2015.

* 28 Selon le IV de l'article 10 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, des contrats devront être conclus entre l'État et les 319 collectivités territoriales et EPCI les plus peuplés afin de déterminer les objectifs assignés à chacun. Ce mécanisme permettra opportunément de prendre en compte la situation particulière de chaque territoire. Mais il a peu de choses à voir avec le principe contractuel, puisque l'État conservera, en cas de refus de contracter de la part d'une collectivité ou d'un EPCI, la faculté d'imposer unilatéralement sa volonté par le biais du mécanisme de correction décrit ci-dessous.

* 29 Par ailleurs, toute incertitude n'a pas disparu sur l'application des objectifs d'évolution des dépenses de fonctionnement et du besoin de financement aux collectivités qui ne seraient pas tenues de conclure un contrat avec l'État. En droit, ces objectifs s'imposent également à elles, et elles ne sont pas exclues du champ du mécanisme de correction prévu au V de l'article 10.

* 30 Voir le rapport n° 56 (2017-2018) précité de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, p. 228-230. Voir également le rapport de l'Observatoire des finances locales, « Les finances des collectivités locales en 2017 », p. 30-31, consultable à l'adresse suivante : https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/statistiques/brochures/ofgl2017_00.pdf .

* 31 Voir l'article 3 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, qui détermine l'évolution du solde public effectif des différentes catégories d'administrations publiques.

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