C. PERSPECTIVES

La situation actuelle n'est satisfaisante pour personne : ni pour les collectivités territoriales, dont l'autonomie financière est de plus en plus mise à mal ; ni pour l'État, contraint de recourir à des artifices pour poursuivre le mouvement de la décentralisation - projet qui, il est vrai, ne semble plus être à l'ordre du jour... - ou corriger les travers de la fiscalité locale traditionnelle - les « quatre vieilles » se révélant, soit inéquitables en raison de bases vieillies et de disparités de taux excessives (taxe d'habitation, taxes foncières), soit anti-économiques (taxe professionnelle).

Alors que le Gouvernement annonce une réforme d'envergure de la fiscalité locale, il est temps de s'interroger sur la manière de préserver plus efficacement l'autonomie financière des collectivités territoriales, et, plus largement, de poser quelques principes en vue d'une réforme réussie.

1. Pour une définition plus rigoureuse des « ressources propres »

Alors que le constituant, en 2003, avait entendu donner une assise juridique solide à l'autonomie financière des collectivités territoriales, en inscrivant dans notre loi fondamentale que leurs « ressources propres » devaient occuper, dans l'ensemble de leurs ressources, une « part déterminante », la définition extensive donnée à cette notion a fini par la vider de toute substance. Sont comptabilisées, parmi les « ressources propres » des collectivités, des ressources dont elles ne maîtrisent aucunement le montant, et qui ne dépendent en rien de paramètres locaux.

Il eût été préférable, aux yeux de votre rapporteur, de retenir une définition plus stricte des « ressources propres », tout en fixant à un niveau raisonnable - et identique pour toutes les catégories de collectivités - leur part minimale dans l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. L'idée n'est pas nouvelle, puisque c'est exactement ce que proposaient les commissions des lois et des finances du Sénat lors de l'examen du projet de loi organique de 2004. Nos deux commissions proposaient alors de n'inclure parmi les « ressources propres » des collectivités territoriales que le « produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif 56 ( * ) » tout en fixant leur part minimale à 33 % pour chacune des trois catégories de collectivités. Comme l'écrivait notre ancien collègue Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois du Sénat, « exiger que les ressources propres de chaque catégorie de collectivités territoriales représentent au moins 33 % de l'ensemble de leurs ressources permettrait tout à la fois de donner des marges de manoeuvre aux collectivités territoriales pour financer des dépenses imprévues, de préserver le lien indispensable entre les élus locaux et leurs électeurs, de ne pas paralyser la réforme des finances locales et, surtout, de laisser place à la péréquation 57 ( * ) ».

2. Quelques principes pour une réforme de la fiscalité locale

Que l'on s'achemine ou non vers une modification de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004, la prochaine réforme de la fiscalité locale doit être l'occasion de réaffirmer et de consolider le pouvoir fiscal des collectivités territoriales, autrement dit leur capacité à maîtriser le montant de leurs ressources en augmentant ou en réduisant l'assiette, le taux ou le tarif des impôts dont elles perçoivent tout ou partie du produit. Un tel pouvoir fiscal est consubstantiel à l'autonomie financière des collectivités territoriales et, partant, à leur libre administration. Les élus locaux doivent pouvoir disposer des moyens de mettre en oeuvre des politiques librement décidées, sous le contrôle de leurs électeurs. À moins que l'on ne souhaite réduire les collectivités territoriales à de simples guichets, des prestataires de services sur lesquels l'État - tout en encadrant étroitement leur action - se délesterait de tâches dont il ne voudrait plus se charger lui-même...

L'autonomie financière des collectivités territoriales devra également être conciliée avec d'autres principes d'égale importance et, pour certains, d'égale valeur constitutionnelle :

- l' adéquation des ressources des collectivités aux charges qu'elles supportent ;

- la prévisibilité de ces ressources, indispensable notamment pour investir ;

- l' équité entre territoires, garantie par des mécanismes de péréquation.

De tels principes, comme cela a été souvent souligné, peuvent entrer en contradiction. Une autonomie financière pleine et entière, sans mécanisme de redistribution, laisserait coexister des territoires riches et des territoires pauvres. Elle exposerait aussi les collectivités, plus encore qu'aujourd'hui, aux aléas de la conjoncture économique - ce qui serait d'autant plus préjudiciable que, contrairement à l'État, elles ne peuvent pas emprunter pour financer leurs dépenses de fonctionnement. Ces contradictions peuvent cependant être levées, à condition :

- que la consolidation du pouvoir fiscal local s'assortisse de règles d'encadrement des taux et de dispositifs de péréquation verticale et horizontale suffisants ;

- que l'État garantisse la compensation intégrale et pérenne des dépenses contraintes qu'il met à la charge des collectivités, et notamment des dépenses de guichet ;

- que les collectivités soient dotées d'un panier de ressources suffisamment diversifié pour résister aux aléas conjoncturels affectant tel ou tel secteur de l'économie.

Enfin, d'autres objectifs méritent d'être poursuivis à l'occasion de la prochaine réforme de la fiscalité locale :

- le resserrement du lien entre l'impôt local et le contribuable local par la réduction du volume des compensations d'exonérations et dégrèvements pris en charge par le contribuable national : c'est une condition de bonne gestion et de responsabilité, pour les élus comme pour les usagers des services publics ;

- la lisibilité de la fiscalité locale : autant que possible, il conviendrait d'affecter chaque impôt à une seule catégorie de collectivités, afin que le contribuable sache ce pour quoi il paie ;

- une meilleure corrélation entre les ressources affectées aux collectivités et les compétences qu'elles exercent : d'une part, le bon usage de leurs compétences par les collectivités devrait plutôt avoir pour conséquence d'accroître que de réduire leurs recettes fiscales ( a contrario , les régions ont longtemps été affectataires d'une fraction de TIPP ou de TICPE alors qu'elles n'exerçaient aucune compétence routière mais investissaient massivement dans les trains express régionaux...) ; d'autre part, les ressources affectées à une catégorie de collectivités pour financer telle compétence ne devraient pas décroître au même rythme que les dépenses liées à cette compétence augmentent (comme c'est le cas des DMTO, qui ont tendance à baisser considérablement en période de crise économique, au moment même où les dépenses sociales qu'ils sont destinés à compenser s'envolent).

*

* *

La commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances pour 2018 et a adopté quatre amendements.


* 56 Outre les redevances pour services rendus, produits du domaine, participations d'urbanisme, produits financiers et dons et legs.

* 57 Rapport n° 324 (2003-2004) de M. Daniel Hoeffel précité, p. 28.

Page mise à jour le

Partager cette page