B. LE JEU VIDÉO OU LA RÉUSSITE D'UNE ÉCONOMIE PEU DÉPENDANTE DES DENIERS PUBLICS

1. La France, pays de joueurs et de créateurs de jeux
a) Un dynamisme de marché qui ne se dément pas

En 2016, le marché français du jeu vidéo a enregistré une croissance de 4 % pour s'établir à 3,46 milliards d'euros .

Source : Syndicat
des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.)
estimation SELL, à partir des données panel GfK à fin 2016

Le marché du jeu se partage entre les ventes de PC et d'accessoires de gaming (29 %), le jeu mobile (8 %) et les consoles, qui génèrent 63 % du chiffre d'affaires du secteur. Ce troisième écosystème a définitivement basculé sur la génération 8 avec la Xbox One S de Microsoft et la PlayStation 4 Pro de Sony, permettant d'enrayer la légère diminution des ventes de consoles.

On estime ainsi que 52 % des foyers français sont équipés en consoles de jeux , contre 47,8 % il y a cinq ans, proportion qui devrait croître en 2017 avec le lancement en fanfare de la Nintendo Switch destinée à remplacer la Wii U. En 2016, 18 % des foyers français possèdent une console de salon de génération 8 ; cette proportion s'établit à 11 % pour les consoles portables.

Source : Syndicat
des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.)
estimation SELL, à partir des données panel GfK à fin 2016

Le hardware continue toutefois à régresser par rapport au software , au mobile et à la vente d'accessoires (casque audio, manette, casque de réalité virtuelle, carte prépayée, jouet vidéo, etc.). 71 % des revenus du software proviennent de la vente dématérialisée de jeux , tous supports confondus, et des pratiques payantes en ligne ( item selling , abonnements, commissions sur les opérations de change).

Le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) estime dans son Baromètre annuel du jeu vidéo en France pour 2016 que cette proportion devrait atteindre 89 % en 2020, soit une croissance annuelle de 12,8 %, portée notamment par les jeux sur mobiles, qui ne représentent encore que 14 % des ventes de jeux.

Source : Syndicat
des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.)
estimation SELL, à partir des données panel GfK à fin 2016

Le dynamisme du marché du jeu vidéo pâtit en revanche d' un recul régulier des ventes de jeux physiques , dont le prix moyen s'élève à 41 euros, à nouveau en diminution de 7 % en 2016 à 792,8 millions d'euros. À terme, devraient a contrario se développer considérablement les jeux multi écrans , qui pourraient représenter avec 3 milliards d'euros, environ 3,8 % du marché mondial à l'horizon 2020. Ces jeux associent le smartphone et la tablette à la télévision, via un Digital Media Adapter (Roku 3, Apple TV, Amazon Fire TV).

Si les ventes de jeux français, dont 90 % concernent les consoles de salon, augmentent de 16,6 %, alors que celles de jeux étrangers enregistrent une baisse de 8 %, cette évolution ne doit pas masquer que ces derniers représentent encore 95,2 % du marché. Toutefois, environ 40 % du chiffre d'affaires des studios français est aujourd'hui réalisé à l'étranger.

b) Chacun cherche son jeu

Apparue dans les années 70, la pratique du jeu vidéo représente aujourd'hui la seconde activité culturelle des Français après la lecture. On estime à 7,2 heures par semaine le temps moyen de jeu sur mobiles, tablettes, PC ou consoles dans la population, temps porté à 10,1 heures pour la catégorie des joueurs réguliers. En matière de dépenses en programmes audiovisuels, le jeu se place en deuxième position derrière la télévision.

Structure des dépenses en programmes audiovisuels des Français (%)

Source : Bilan du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) 2016

On compte 52 % de joueurs réguliers en 2016, contre seulement 29 % en 2005, ce grâce à la multiplication des supports et des types de jeux . À titre d'illustration, le développement des serious games a conduit à ce que se déclarent joueurs près de 40 % des plus de cinquante-cinq ans. Des maisons de retraite se sont même équipées de consoles à détection de mouvements, en vue de proposer de nouvelles formes d'activités sportives à leurs résidents.

Source : Syndicat
des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.)

Le profil du joueur, masculin et âgé en moyenne de vingt-et-un ans à l'aube des années 2000, s'est également démocratisé : la parité s'est imposée et la moyenne d'âge est désormais supérieure à trente ans . La pratique est en outre devenue largement collective , avec le succès des jeux dits massively multiplayer online (MMO), et familiale . Selon une étude réalisée par le SELL en 2016, 56 % des Français estiment que le jeu vidéo favorise le développement des enfants et les parents, qui représentent 35 % des joueurs, affirment à 65 % pratiquer cette activité avec leurs enfants.

Les jeux d'action et d'aventure, les jeux de rôle et les jeux de cours et de tirs concentrent l'essentiel des ventes. Selon les chiffres dévoilés en février dernier par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), les jeux les plus vendus en France en 2017, tous supports confondus sont Fifa 17 d'Electronic Arts (1,4 million d'exemplaires), Pokemon soleil et lune de Nintendo (805 000 exemplaires) et Battlefield 1 d'Electronic Arts (509 000 exemplaires). Le premier jeu produit par un studio français, The Division d'Ubisoft, arrive en huitième position à 310 000 exemplaires vendus.

Les ventes de jeux en 2016 en France

Source : Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.)
estimation SELL, données panel GfK 2016

Les usages et genres de jeux varient cependant considérablement en fonction de l'âge des joueurs , ce qui explique des ventes très différenciées en fonction des catégories : en 2016, 35 % des jeux vendus en France sont destinés aux enfants âgés de trois ans à sept ans (pictogramme PEGI 3), tandis que 30 % sont des productions réservées aux majeurs (pictogramme PEGI 18).

Source : Syndicat
des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.)

Le système PEGI

Créé en 2003 en substitution à plusieurs dispositifs nationaux, le système de classification par âge PEGI ( Pan european game information ) est présent dans trente-huit pays européens. Il regroupe 1 300 entreprises, dont les principaux fabricants de consoles, et a déjà ratifié 25 000 jeux. Rendu obligatoire en France , il est homologué depuis le 17 décembre 2015 par le ministère de l'intérieur.

Il permet de disposer, via des pictogrammes d'âge (3,7, 12, 16 et 18) d'une information éclairée lors de l'achat de jeux vidéo sur l'adaptation du contenu à l'âge du mineur , sans qu'il ne soit tenu compte du niveau de difficulté ou des aptitudes requises pour jouer.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Face à la massification de la pratique du jeu vidéo, d'aucuns font état des risques inhérents à une pratique trop intensive . Récemment, le National Bureau of Economic Research américain a ainsi publié une étude intitulée « Leisure luxuries and the labor of young men » dont les auteurs, chercheurs à Princeton et aux universités de Chicago et de Rochester partent du constat selon lequel au cours des quinze dernières années, le nombre d'heures travaillées par les hommes âgés de 21 à 30 ans a diminué plus fortement que chez leurs aînés et chez les femmes. Loin de résulter d'une diminution de la demande des employeurs pour cette main d'oeuvre, ce résultat s'expliquerait par une offre moindre. Sur la base de l'étude « American Time Survey » relative au temps de travail aux États-Unis, ils mettent ainsi en évidence que la réduction des heures de travail de cette population est corrélée à une augmentation de 99 heures du temps dévolu annuellement aux loisirs numériques. Il apparait en effet que le temps moyen occupé par le jeu vidéo a crû de 50 % sur la période chez les hommes de 21 à 30 ans, pour atteindre jusqu'à 520 heures par an chez les personnes sans emploi.

Sans remettre en cause les résultats publiés, votre rapporteure pour avis tient à relativiser cette approche : si des abus peuvent exister dans la pratique de certains joueurs, notamment sur des productions particulièrement addictives, il apparait que l'immense majorité des joueurs use avec raison de ce loisir , sans compter que de nombreux jeux, notamment à destination des plus jeunes, peuvent être qualifiés de pédagogiques.

c) Un foisonnement créatif et industriel reconnu
(1) Des formations de renommée internationale

Loin des acteurs historiques, géniaux autodidactes du jeu à la française, les évolutions technologiques et le développement galopant de la production ont rendu nécessaire le recrutement massif de jeunes diplômés dûment formés aux exigences techniques et artistiques de l'industrie .

La France compte une cinquantaine de formations en matière de jeu vidéo, toutes professions confondues, dont une vingtaine sont jugées d'excellente qualité par la filière , même si la tendance à former de nombreux graphistes et designers de jeux ne correspond pas toujours aux besoins des studios, qui recherchent des codeurs et programmateurs encore trop rares . Dans un souci d'identification pour les étudiants, futurs étudiants et employeurs, le SNJV en a rassemblé douze dans un réseau unique , dont le portail Internet a été mis en ligne en octobre 2016.

Parmi ces écoles, Rubika représente aujourd'hui l'un des fleurons français en la matière, issu d'une première formation en jeu vidéo créée en 1987 à l'initiative de la chambre de commerce et d'industrie du Grand Hainaut, dans la région industriellement dévastée de Valenciennes. Désormais baptisée Rubika depuis la fusion de l'Institut supérieur de design de Valenciennes, de Supinfocom et de Supinfo Game, elle est l'une des rares écoles à former, grâce à des passerelles originales entre les différents cursus proposés, des techniciens intervenant à la fois dans l'univers du cinéma, des jeux vidéo et du design industriel . Si cette triple spécialisation pouvait surprendre il y a encore quelques années, la convergence des univers en a fait la formule du succès de l'école.

La participation des étudiants à de nombreux projets et concours, intégrés à la scolarité, a, avec une quarantaine de prix et récompenses gagnés depuis 1987, contribué à la notoriété de l'école dans l'univers très fermé du jeu vidéo. Cette reconnaissance profite avant tout aux élèves qui, à 80 %, décrochent, dans un délai inférieur à trois mois, un emploi à l'issue de leur formation.

Rubika ne cesse désormais de se développer et forme aujourd'hui, au terme d'un cursus de cinq ans, 1 500 jeunes chaque année dans le cadre de son nouveau campus valenciennois installé dans l'ancienne usine Vallourec. Elle exporte également son savoir-faire à l'étranger : après la création d'un établissement en Inde, à Pune, en 2008 - 650 étudiants y sont inscrits cette année, contre seulement 15 à ses débuts -, la rentrée 2017 a vu l'ouverture d'une structure à Montréal.

Comme sa concurrente parisienne et première à ouvrir une formation spécialisée, l'école d'arts graphiques des Gobelins, l'établissement est mondialement connu pour l'exigence de sa formation : 40 % de ses 3 200 diplômés des trente dernières années exercent dans une cinquantaine de pays étrangers, en particulier au sein des plus prestigieux studios de jeu nord-américains, japonais ou coréens.

Certes, les jeunes diplômés français continuent à partir en Asie, aux États-Unis et au Canada, mais dans des proportions bien moindres que dans les années 1990-2000, lorsque l'industrie française du jeu vidéo vivait une crise importante. Les Français continuent à être sélectionnés pour la qualité de leur formation, équilibre efficace entre créativité artistique et maîtrise technologique , tout en faisant état d'un niveau de culture générale rare dans ce milieu et fort apprécié en matière de narration.

(2) Une myriade de studios indépendants et une minorité de mastodontes

Le jeu vidéo est l'une des rares industries culturelles à forte valeur ajoutée technologique à être implantée sur l'ensemble du territoire national , y compris dans des villes petites et moyennes, même si la région Ile-de-France concentre encore plus de 50 % des acteurs économiques. Certaines agglomérations, à l'instar de Bordeaux, Montpellier ou Roubaix affichent d'ailleurs la volonté d'attirer plus particulièrement sur leur sol des studios de création et offrent, notamment en matière immobilière, des conditions favorables à leur développement. Les clusters régionaux se multiplient également pour favoriser les échanges entre créateurs et les actions collectives innovantes.

Illustration des succès de l'industrie française du jeu vidéo, la société Ankama , installée à Roubaix et autrefois modeste PME, emploie aujourd'hui 300 salariés en contrat à durée indéterminée et de 50 à 100 intermittents en fonction des projets et affiche un chiffre d'affaires supérieur à 38 millions d'euros. Fait rare : les créateurs en possèdent toujours la totalité des parts . L'entreprise, en se développant, à ouvert un studio à Paris puis s'est exportée à l'étranger - au Canada, au Brésil et à Singapour -, filiales désormais fermées au profit d'un studio de création et de développement technique employant 25 personnes au Japon. Après le succès des jeux mettant en scène son personnage fantastico-médiéval Dofus, Ankama a développé une activité d'animation : après le relatif échec commercial de son premier long métrage Dofus-Livre1 : Julith (le film n'a compatabilisé que 100 000 entrées mais fut l'un des plus piratés), le studio a présenté cette année Princesse Dragon au Salon Cartoon Movie et Mutafukaz à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes. Il produit également la série à succès Wakfu diffusée par Netflix, dont la troisième saison est en cours.

Autre modèle de développement, Focus Home Interactive , troisième éditeur français de jeux vidéo avec 75,5 millions de chiffre d'affaires en 2016, ne possède pas de studio de développement mais accompagne une douzaine de studios indépendants dans le développement de leurs créations , généralement des jeux dits AA, dont le coût varie entre 300 000 euros et 6,5 millions d'euros. Son plus grand succès reste à ce jour Farming Simulator , jeu de simulation d'exploitation agricole développé par le studio suisse Giants et disponible sur console et PC.

Le mastodonte français du jeu demeure Ubisoft , entreprise longtemps familiale, même si le clan Guillemot a légèrement baissé au capital de l'éditeur, à 13,5 %, et est repassée sous le seuil de 20 % des droits de vote, selon un avis publié le 23 septembre dernier par l'Autorité des marchés financiers (AMF), conséquence mécanique d'une augmentation de capital liée à une opération d'actionnariat salarial. Vivendi demeure le principal actionnaire de la société avec 27 % du capital et 24,5 % des droits de vote selon le dernier comptage fourni par le groupe. Pour mémoire, Vivendi avait lancé, en octobre 2015, une double offensive sur les éditeurs de jeux fondés par les frères Guillemot, Ubisoft et Gameloft. Le groupe a pris le contrôle de ce dernier à l'issue d'une OPA et a indiqué vouloir renforcer son activité dans les jeux vidéo, y compris via de nouvelles acquisitions.

L'entreprise affiche, en 2016, un chiffre d'affaires de près d'1,5 milliard d'euros et, surtout, des marges opérationnelles supérieures à 16 % grâce à la digitalisation de ses jeux : le « back catalogue » des anciens jeux de l'éditeur représente désormais plus de la moitié des recettes, grâce à la mise à disposition régulière de contenus additionnels payants et peu coûteux à produire sur les licences phares comme Assassin's Creed , The Division , For Honor ou Rainbow Six , qui fidélisent les joueurs et attirent de nouveaux utilisateurs.

(3) Un territoire de création toujours plus vaste

En 2017, la campagne présidentielle fut l'occasion, pour plusieurs studios, de proposer de nouveaux produits de divertissement et d'information . Ainsi, Fiscal Kombat , développé à la demande des équipes de Jean-Luc Mélenchon, met en scène sur navigateur le candidat combattant, au sens propre du terme, pour imposer une politique de redistribution des richesses. Emmanuel Macron a, quant à lui, inspiré en décembre 2016 à la start up française Celestory un jeu pour mobile au titre explicite : En marche vers l'Elysée . Cette tendance dépasse largement le cadre national : aux Etats-Unis, le Washington Post s'est amusé à développer pendant la dernière campagne présidentielle une parodie de Flappy Bird mettant en scène les deux candidats à la Maison blanche.

De façon moins ponctuelle, les jeux de simulation politique se développent avec un beau succès. Le français Eversim produit ainsi à 400 000 exemplaires sa série Political simulator , qui permet au joueur d'entrer dans le personnage d'un chef d'État en exercice obligé de tenir compte des contraintes budgétaires, des réactions de ses alliés et de ses adversaires, de l'impact de ses décisions sur l'environnement, etc. Les médias ne sont pas en reste : le pure player Médiapart s'est récemment associé à La Belle Games pour lancer la première game jam consacrée à la politique, tandis que Radio Nova est associée au développement de Phone Stories , aventure textuelle inspirée de l'actualité politique.

Potentielle nouvelle discipline au Jeux Olympiques de 2024 à Paris, le e-sport constitue également un moteur considérable de croissance pour l'industrie du jeu vidéo. En 2016, la Paris Games week lui faisait une place de choix, tandis qu'en février dernier était organisé dans la capitale un festival en partenariat avec les plus grands éditeurs, loin encore toutefois du format des compétitions internationales de jeux de stratégie ou de combat sur PC, véritables spectacles organisés dans des stades ou des salles de prestige comme le Lanxess Arena de Cologne ou le Madison Square Garden de New York. Les gains offerts ne cessent de croître : en août dernier, le vainqueur du jeu Dota 2 à Seattle a reçu une prime de 20 millions de dollars.

Le marché mondial de l'e-sport est estimé à près de 750 millions de dollars en 2015, dont 575 millions de dollars issus des parrainages et de la publicité, et devrait atteindre 1,9 milliard de dollars en 2018. Le marché français de l'e-sport, qui s'établissait pour les fabricants d'ordinateurs et d'accessoires de gaming , à 50 millions d'euros, atteignait 515 millions d'euros en 2015. Cet essor contribue largement à freiner la contraction générale des ventes d'ordinateurs : les ordinateurs de gaming, dont le prix est 2,5 à 3 fois supérieur à celui d'un outil classique, représentent désormais 10 % du volume des ventes et 18 % en valeur.

Les recettes proviennent également de chaînes de télévision et de web en quête d'un nouveau public, estimé en 2016 à 214 millions d'amateurs au niveau mondial. En février dernier, la finale de Rainbow Six à Montréal a attiré plus de quatre millions de spectateurs, toutefois loin derrière du record de 30 millions de spectateurs (télévision et web) atteint lors de la dernière finale de League of Legends en 2015 .

La France, longtemps peu présente dans ce secteur d'activité, voit se multiplier les équipes d'e-sport dans plusieurs grands clubs à l'instar du Paris-Saint-Germain, sur le modèle de Manchester City et de West Ham en Angleterre. Canal + propose, depuis 2016, des émissions dédiées à la discipline et BeIN Sports diffuse les épreuves de la nouvelle e-Ligue 1 lancée par la Ligue de football professionnel. La concurrence est toutefois acharnée entre chaînes traditionnelles et acteurs du numérique depuis que Twitch, le service de streaming le plus important en e-sport, a été racheté par Amazon en 2014.

Conscient de l'importance du développement de l'e-sport, le Législateur a oeuvré pour une meilleure reconnaissance . Les députés Rudy Salles et Jérôme Derain se sont vus confier une mission visant à favoriser le développement des compétitions de jeux vidéo, dont le rapport d'étape fut remis en mars 2016 à Axelle Lemaire, alors secrétaire d'État chargée du numérique. Mais c'est au Sénat qu'est revenu d'adopter un amendement intégrant la reconnaissance de l'e-sport et des joueurs professionnels dans le cadre de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique . Le 27 avril de la même année, Axelle Lemaire lançait officiellement « France e-sports », association des principaux acteurs historiques de l'e-sport, en vue de favoriser son développement, sa professionnalisation et sa promotion.

2. Des aides sélectives et limitées

Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) propose des aides spécifiquement dédiées aux projets artistiques multimédia inscrits dans un environnement numérique et à haute valeur ajoutée technologique. Ces aides concernent les jeux vidéo, mais également les oeuvres multimédias et numériques expérimentales.

a) L'essor du crédit d'impôt, les fonds de tiroir du fonds d'aide

Le jeu vidéo bénéficie de mécanismes de soutien dédiés, sous la forme d'une aide sélective et d'un crédit d'impôt gérés par le CNC en partenariat avec le ministère en charge de l'économie.

(1) Un crédit d'impôt utilement renforcé

Le crédit d'impôt jeu vidéo (CIJV) permet à des studios installés en France de déduire de leur impôt une partie des dépenses de création d'un jeu . Depuis sa mise en place en 2008, ce dispositif a bénéficié à près de soixante-dix entreprises , notamment après son renforcement en application de la loi n° 2013-1279 du 30 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 et du décret n° 2015-722 du 23 juin 2015 relatif au crédit d'impôt pour dépenses de création de jeux vidéo.

Pour mémoire, l'élargissement du champ d'application du CIJV a consisté alors en une triple modification : l'abaissement du seuil d'éligibilité du coût de développement des productions de 150 000 euros à 100 000 euros afin d'en faire bénéficier les productions à budget plus modeste comme les jeux mobiles, la prise en compte des dépenses salariales des personnels techniques et administratifs dans les dépenses éligibles et, surtout, l'ouverture de certains jeux destinés à un public adulte classés « 18 + » par le système de classification PEGI, dès lors qu'ils sont jugés innovants et ambitieux sur le plan narratif et à l'exception des productions à caractère pornographique.

Des quarante-cinq projets agréés en 2015 et 2016, sept projets sont des jeux PEGI 18 +, soit 16 %, et représentent 42 % du total des dépenses éligibles (57 millions d'euros). Par voie de conséquence, la dépense fiscale globale a doublé entre 2014 et 2015 pour se stabiliser ensuite. En 2016, vingt-huit projets ont reçu un agrément provisoire pour un montant total de dépenses éligibles s'élevant à 63,4 millions d'euros, soit une dépense fiscale de 11 millions d'euros selon les chiffres fournis par le CNC dans son document stratégique de performance 2016-2018.

L'ouverture du CIJV aux jeux pour adultes a permis la localisation sur le territoire français de productions aux budgets très élevés , dites AAA, à l'instar de Tom Clancy's Ghost Recon Wildlands édité par Ubisoft (55 millions de dépenses en France). Ubisoft a ainsi pu renforcer ses capacités de production en France jusqu'à atteindre 1 200 emplois dédiés à la création. Le dispositif a, dans sa nouvelle mouture, également bénéficié à Dont Nod pour ses jeux Vampyres et Life is strange 2 comme à Arkane Studio au titre de Dishonored 2 .

La dépense fiscale au titre du CIJV devrait s'accroitre à nouveau en 2017 pour s'établir, selon le CNC, à 12,9 millions d'euros. En effet, la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 a permis de renforcer à nouveau le dispositif du crédit d'impôt en relevant le taux de 20 à 30 % et en doublant le plafond de crédit d'impôt par entreprise et par an (de 3 à 6 millions d'euros). Ces modifications sont entrées en vigueur seulement en août dernier à la suite de la publication du décret d'application et de l'autorisation de la Commission européenne. La première moitié de l'année 2017 confirme l'accroissement de l'attractivité du dispositif avec un doublement du nombre de projets agréés par rapport à l'année précédente (vingt nouveaux jeux agréés à fin juin 2017 contre douze à fin juin 2016). En année pleine, c'est-à-dire dès 2018, la dépense fiscale devrait atteindre 19 à 20 millions d'euros , ce qui constitue un effort louable de l'État en faveur de l'industrie du jeu vidéo.

Ces évolutions renforcent en outre considérablement la compétitivité du territoire français, notamment face à la Grande-Bretagne dont le Video Games Tax Relief opéré par le British Film Institute depuis 2014 propose un taux de 25 % appliqué à 80 % des dépenses de création, et encouragent utilement la prise de risque créative et technologique, dans un contexte international particulièrement concurrentiel .

Une concurrence internationale féroce

Sur le continent nord-américain, le Canada fait figure de pionnier en matière de soutien au jeu vidéo. Dès 1998, des dispositifs d'incitation fiscale ont été mis en place au niveau fédéral et provincial afin de soutenir la création d'emploi dans des secteurs d'avenir. Depuis près de 20 ans, l'industrie canadienne du jeu vidéo bénéficie ainsi d' un accompagnement très volontariste qui permet souvent de cumuler le crédit d'impôt R&D fédéral (jusqu'à 35 % des dépenses de R&D) et un crédit d'impôt provincial ciblant les productions multimédia (Québec, Ontario, Nouvelle-Ecosse, Manitoba, Colombie-Britannique). La concurrence est particulièrement forte au Québec où le taux du « crédit d'impôt pour des titres multimédias » atteint 37,5 % pour une production disponible en version française . Le Québec compte ainsi plus de la moitié des 20 000 emplois du secteur, positionnant le Canada comme le troisième employeur mondial derrière les États-Unis et le Japon.

Avec un chiffre d'affaires qui s'élève à 30 milliards d'euros en 2016, les États-Unis représentent le premier marché mondial du jeu vidéo . C'est également l'industrie la plus puissante au monde, employant plus de 65 000 salariés dans 2 850 entreprises de développement et d'édition. A l'instar du Canada, le gouvernement fédéral propose aux sociétés des incitations fiscales sous forme de crédits d'impôt ou de remboursement des dépenses liées à la recherche et au développement . Ce dispositif peut se cumuler avec différents programmes mis en place par les différents Etats américains et ciblant plus spécifiquement la production multimédia. Cependant, ces politiques menées au niveau étatique ne semblent pas avoir un impact déterminant dans la mesure où certains bassins d'emplois bénéficient déjà d'un dynamisme très fort (Californie, Texas, Washington, New York, Massachussets).

L'efficacité avérée des dispositifs français et anglais incite fortement d'autres pays européens à mettre en place leur propre crédit d'impôt . Ainsi, l'Italie est sur le point de légiférer pour introduire, pour la première fois, une mesure d'incitation fiscale ciblant le secteur du jeu vidéo. Enfin, d'autres pays font le choix de développer des aides directes à la création sous forme de subventions, au niveau national ou régional. C'est notamment le cas du Danemark dont l'ensemble du dispositif d'aide au jeu vidéo vient d'être autorisé par Bruxelles. La Finlande, l'Autriche, la Belgique, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, l'Espagne ou la Suisse proposent aussi différents types de soutiens aux entreprises innovantes dans ce domaine ou aux projets de jeux vidéo et oeuvres interactives.

Source : Ministère de la culture

(2) Un fonds d'aide fort modeste à développer

Le fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) , dispositif cofinancé par le ministère de l'économie et le CNC et géré par le CNC, est une aide sélective destinée à soutenir, depuis 2003, des projets de création au stade de la pré-production (dépenses de fabrication d'un prototype) ou, depuis 2010, en phase de production (aide à la création de propriété intellectuelle). Le fonds est complété par une troisième aide destinée à soutenir des manifestations professionnelles.

En 2016, 39 projets ont été soutenus par le fonds pour un montant total de 3 millions d'euros . Ces investissements sont en baisse de 20 % par rapport à l'année précédente, en raison d'une réduction sensible du nombre de dossiers déposés.

L'année 2018 doit permettre d'achever la mise en oeuvre des annonces faites par la précédente ministre de la culture, Audrey Azoulay, en novembre 2016 et qui visent à renforcer les aides sélectives au jeu vidéo dans sa dimension pleinement culturelle. Ces évolutions portent sur deux points :

- la création d'une aide à l'écriture destinée aux créateurs de jeux vidéo ;

- et la notification des aides sélectives au jeu vidéo permettant de sortir du régime de minimis , et de renforcer significativement les aides à la production 5 ( * ) .

Votre rapporteure pour avis approuve cette réforme et appelle de ses voeux une mise en oeuvre rapide. En particulier, la sortie du régime de minimis lui apparaît indispensable pour offrir aux studios français des aides à la production en cohérence avec les véritables coûts des projets menés, dont le niveau au regard des aides existantes oblige les créateurs hexagonaux à investir massivement dans la création malgré des liquidités disponibles souvent bien insuffisantes . Ce déséquilibre porte dès lors un risque considérable tant pour le développement de l'activité de ces entreprises que pour le maintien de leur indépendance économique.

b) L'indispensable rôle de l'IFCIC en soutien à l'investissement

L'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) met à disposition des entreprises du jeu vidéo des outils de prêts et de garantie destinés à remédier à la faiblesse des fonds propres de nombreux studios au regard de leurs besoins d'investissement . Ainsi :

- l'IFCIC peut, depuis 2011, garantir à 50 % des prêts bancaires dont le montant peut aller jusqu'à 9 millions d'euros par emprunteur ou groupe d'emprunteurs. Une intervention supérieure est possible, mais le taux de garantie offert à la banque est alors réduit de sorte que la part en risque de l'IFCIC n'excède pas 4,5 millions d'euros (plafond mis en oeuvre au cours du 1 er semestre 2016). Nulle en 2015, cette activité s'est élevée à 400 000 euros en 2016 ;

- l'IFCIC peut également octroyer aux entreprises du secteur des prêts dont le montant peut atteindre 2 millions d'euros , remboursables sur une durée comprise entre un et sept ans. En 2016, l'IFCIC a octroyé au titre du fonds de prêts, 4,1 millions d'euros de prêts en direct au bénéfice de sept entreprises en appui de près de 35 millions d'euros d'investissements.

Le fonds de prêts au jeu vidéo a été créé en novembre 2015, initialement financé par le CNC à hauteur de 5 millions d'euros puis rejoint par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en application de la convention de crédit du 30 novembre 2016, grâce à un financement issu du fonds national pour la société numérique (FSN), portant sa dotation du fonds à 20 millions d'euros . Les prêts octroyés sont destinés à financer les investissements de développement, notamment marketing, et de production de projets. Les sociétés éligibles sont les entreprises répondant au critère de la petite et moyenne entreprise européenne dont le chiffre d'affaires est significativement constitué de la production et/ou de l'édition de jeux vidéo, dont le contenu respecte les critères d'éligibilité aux aides du CNC. Le rôle de l'IFCIC en soutien aux entreprises de jeux vidéo en matière de prêts bancaires est donc absolument essentiel, d'autant que cette industrie est, en volume, la première à bénéficier de ce dispositif.

Activité de prêts de l'IFCIC

Source : Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC),
rapport d'activité 2016

Selon le rapport d'activité de l'IFCIC pour 2016, « l'activité de garantie sur le secteur du jeu vidéo devrait continuer à se développer en complémentarité avec les prêts participatifs octroyés en faveur de ce secteur » , ce dont votre rapporteure pour avis se réjouit.

Elle souhaite également que les studios de jeu vidéo puissent bénéficier des dispositifs prévus par la convention de partenariat entre Bpifrance et l'IFCIC , signée le 16 octobre 2015, en vue de :

- favoriser la coopération entre Bpifrance et l'IFCIC quant aux informations et aux outils de financement mis à disposition des entreprises du secteur culturel ;

- organiser une co-intervention entre Bpifrance et l'IFCIC pour ces sociétés, pouvant intervenir au cas par cas ou dans le cadre d'une délégation de décision de garantie offerte par Bpifrance à l'IFCIC. Cette co-intervention vise à renforcer, le cas échéant, les capacités d'intervention cumulées des deux opérateurs ;

- généraliser l'intervention privilégiée de l'IFCIC, au regard de son expertise pour tous les dossiers de financement des entreprises du secteur culturel et des banques qui les accompagnent.

Cette convention de partenariat a été étendue en avril 2017 aux activités de prêts des deux établissements sur ces mêmes principes. En pratique, le réseau de Bpifrance communique à l'IFCIC, dès réception, les demandes de garantie et/ou de prêt émanant d'une entreprise culturelle. S'agissant d'une demande de garantie, l'IFCIC peut intervenir seul, notamment lorsque les montants de prêts sont faibles, ou en co-garantie avec Bpifrance afin d'accroître les plafonds d'intervention. Les demandes de prêts sont analysées au regard de l'expertise de l'IFCIC et peuvent aboutir à un cofinancement avec Bpifrance.

c) L'avenir appartient à la réalité virtuelle et à l'interdisciplinarité

Depuis 2015, la réalité virtuelle s'impose comme un nouvel horizon technologique et créatif porté par la promesse d'un nouveau marché. Bien que les incertitudes soient encore nombreuses, les technologies immersives semblent s'installer durablement. Elles ouvrent un champ de recherche ambitieux et interdisciplinaire pour l'ensemble des industries de l'image animée (cinéma, audiovisuel et jeu vidéo). Cette hybridation va bien au-delà de la convergence entre le film et le jeu vidéo et des connexions s'établissent également avec le spectacle vivant, capable de spatialiser et de chorégraphier la mise en scène, l'architecture ou encore la musique.

Pour accompagner cet essor, le CNC a investi 3 millions d'euros en 2015 et en 2016 dans une soixantaine de projets artistiques . L'effort s'est poursuivi en 2017 et se prolongera en 2018, pour partie au bénéfice des studios de jeu vidéo.

Par ailleurs, les entreprises développant des solutions technologiques innovantes pour les productions en réalité virtuelle peuvent être soutenues au titre de leur activité de recherche et développement à travers le dispositif « recherche et innovation en audiovisuel et multimédia » (RIAM) opéré en partenariat avec Bpifrance. Une dizaine de projets liés aux technologies immersives et interactives ont ainsi d'ores et déjà été accompagnés.

La réalité virtuelle représente une technologie particulièrement prometteuse pour l'industrie du jeu vidéo , comme en témoigne le succès du jeu Pokémon Go qui a compté jusqu'à 4,8 millions d'utilisateurs en août 2016, et il convient de faire en sorte que les studios français soient en capacité financière d'investir dans ce domaine, alors qu'en 2016 moins d'un quart d'entre eux ont développé un jeu intégrant une technologie de réalité virtuelle augmentée ou mixte. Dans son Baromètre annuel du jeu vidéo en France pour 2016, le SNJV estime que « les attentes suscitées par l'Oculus Rift et ses concurrents sont particulièrement importantes et conduisent à des estimations de marché prometteuses. L'IDATE Digiworld estime qu'à l'horizon 2020, la réalité virtuelle pourrait générer un chiffre d'affaires de 19,2 milliards d'euros (équipements et logiciels) et représenter près de 20 % des revenus totaux du secteur en seulement quatre années d'exploitation commerciale. »


* 5 En vertu du règlement UE n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l'application des articles 107 et 108 du Traité aux aides de minimis , les aides dont le montant total versé sur trois années ne dépasse pas 200 000 euros peuvent être mises en oeuvre sans avoir été notifiées à la Commission européenne.

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