N° 112

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2017

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2018 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IV

Fascicule 3

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

Par Mme Françoise LABORDE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. Jean-Claude Carle, Mme Catherine Dumas, MM. Jacques Grosperrin, Antoine Karam, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Pierre Leleux, Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot, M. Pierre Ouzoulias, Mme Sylvie Robert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Claude Kern, Mme Claudine Lepage, M. Michel Savin, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, David Assouline, Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Céline Boulay-Espéronnier, M. Max Brisson, Mme Marie-Thérèse Bruguière, M. Joseph Castelli, Mmes Laure Darcos, Nicole Duranton, M. André Gattolin, Mme Samia Ghali, MM. Didier Guillaume, Abdallah Hassani, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Laurent Lafon, Michel Laugier, Pierre Laurent, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Claude Malhuret, Christian Manable, Mme Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Sonia de la Provôté, MM. Bruno Retailleau, Jean-Yves Roux, Alain Schmitz.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 235 , 264 rect. , 266 rect. , 273 à 278 , 345 et T.A. 33

Sénat : 107 , 108 à 111 , 113 et 114 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le programme 334 « livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » rassemble les crédits destinés, pour l'essentiel, au soutien public au livre et à la lecture mais également, pour 5,6 % seulement des montants inscrits, aux secteurs de la musique enregistrée et du jeu vidéo , ainsi qu'au fonctionnement la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).

Pour 2018, le présent projet de loi de finances dote le programme 334 de 262 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 271 millions d'euros en crédits de paiement (CP) , soit une diminution de respectivement 6 % et 2 % par rapport à 2017. Cependant, à périmètre constant, en considérant les dispositifs d'éducation artistique et culturelle désormais imputés sur le programme 224 « transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture » (9 millions d'euros au titre du livre et des industries culturelles) et les aides à la diffusion du cinéma en région désormais prises en charge par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), les moyens dédiés à la politique en faveur du livre, de la lecture et des industries culturelles enregistrent une augmentation de 6 millions d'euros en CP (+ 2 %) .

Dans la mesure où le document budgétaire attaché au programme 334 intègre le CNC, au même titre que la Bibliothèque nationale de France (BnF), la bibliothèque publique d'information (Bpi) et le Centre national du livre (CNL), dans sa partie relative à la présentation des opérateurs, le présent avis budgétaire traite, au-delà des crédits du programme 334, du soutien public au cinéma . Fort de 673,5 millions de taxes affectées pour un budget global de 724 millions d'euros en 2018, en augmentation de 2,4 % , l'établissement, qui fait à ce titre bien des envieux, dispose d'une assise financière qui lui permet de mener une politique ambitieuse en faveur du cinéma français .

I. LE LIVRE ET LA LECTURE, PRIORITÉS BUDGÉTAIRES RÉAFFIRMÉES

A. VERS LA LECTURE DE DEMAIN : UNE TRANSITION DOUCE

1. Imprimé et numérique : un équilibre subtil
a) Une production foisonnante

Après une légère érosion entre 2011 et 2014 et une stabilisation en 2015, le marché du livre semble retrouver le chemin de la croissance avec un chiffre d'affaires de 2,8 milliards d'euros en 2016 , édition scolaire comprise, presque équitablement réparti entre les différents circuits de vente. Sur ce total, 132 millions d'euros correspondent à des cessions de droits et 665 millions d'euros à des exportations.

Évolution du chiffre d'affaires (en millions d'euros)

Source : Rapport d'activité du Syndicat national de l'édition 2016-2017

Les différences sont en revanche importantes s'agissant des genres littéraires. Si la littérature génère encore plus de 20 % du chiffre d'affaires de l'édition, son rendement continue à diminuer (- 3,9 % en 2016). L'édition scolaire fait a contrario montre d'un fort dynamisme (+ 38,9 %) grâce à la récente réforme du collège qui a obligé les éditeurs à publier, dans un temps record, de nouveaux manuels pour les quatre années de scolarité. Les livres pratiques, l'édition jeunesse et les ouvrages de sciences humaines et sociales affichent également une croissance de leurs ventes. En revanche, les livres d'art et les ouvrages de documentation, avec une diminution de leur chiffre d'affaires de respectivement 9,7 % et 22,4 % en 2016, poursuivent leur dégringolade. Très largement concurrencés par le numérique, les livres de cartes géographiques et les atlas, qui ne représentent plus que 0,9 % du marché, voient à nouveau leur chiffre d'affaires diminuer de 4,5 %. Enfin, après une année 2015 hors norme, où l'album d'Astérix Le papyrus de César s'est écoulé à 1,7 million d'exemplaires, la bande dessinée voit ses ventes reculer malgré les beaux succès du Blake et Mortimer Le testament de William S et du tome III de L'Arabe du futur .

Évolution du chiffre d'affaires en 2016 par segment éditorial

Source : Rapport d'activité du Syndicat national de l'édition 2016-2017

Sans bénéficier des généreux crédits de l'industrie cinématographique, l'édition s'est vue soutenue par l'État au travers d' une législation favorable .

La loi n° 81-766 du 10 août 1981, dite loi « Lang » du nom du ministre de la culture de l'époque, a ainsi instauré un prix unique du livre imprimé à compter du 1 er janvier 1982 . Ce prix, qui s'impose à tous les détaillants, est fixé par l'éditeur ou par l'importateur. Il ne varie ni en fonction de la période de l'année, ni des territoires. Des remises peuvent toutefois être consenties par le détaillant, sans toutefois dépasser 5 % du prix fixé (9 % pour certaines commandes publiques). L'objectif, toujours actuel, est de soutenir les libraires, afin de maintenir un réseau commercial dense sur l'ensemble du territoire national, mais aussi de favoriser la diversité littéraire et la création par un dispositif qui ne dessert pas la vente d'ouvrages difficiles.

De nombreux rapports, et notamment celui réalisé par Hervé Gaymard en 2009 pour le ministère de la culture et de la communication intitulé « Pour le livre : rapport sur l'économie du livre et son avenir » , en établissent un bilan particulièrement positif. Plus de trente-cinq ans après sa création, il apparaît en effet que le dispositif a permis le maintien d'un réseau de librairies dense et diversifié, qui représente toujours le principal acteur de la vente au détail de livres physiques, mais également d'une création éditoriale riche et variée .

Surtout, le prix unique du livre n'a nullement eu l'effet inflationniste que craignaient ses détracteurs : l'évolution du prix du livre demeure inférieure ou égale à celui des prix à la consommation et le prix moyen du livre n'a pas progressé plus fortement en France que dans d'autres pays. Entre 2010 et 2016, le prix du livre a crû de 19 %, soit huit points de moins que l'indice général. En 2016, l'indice des prix du livre, incluant désormais les livres numériques, est en repli de 0,2 % alors que l'inflation s'établit à 0,2 %.

Afin de prévenir les litiges pouvant survenir sur l'application de la législation relative au prix du livre, une instance de médiation pour le secteur du livre a été créée par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Cette mission de conciliation est confiée à un médiateur du livre, dont les modalités de désignation ont été précisées par le décret n° 2014-936 du 19 août 2014, lequel définit également la procédure de conciliation. En 2015, une procédure de conciliation a été menée avec les principaux opérateurs pour rendre conformes les offres d'abonnement en ligne avec accès illimité à la loi du 26 mai 2011 . En 2016, le médiateur s'est saisi du dossier de la vente de livres d'occasion par plateformes de e-commerce, aboutissant à la signature, le 27 juin 2017, de la charte « Prix du livre ».

Ensuite, afin de renforcer les moyens de contrôle de l'application de la loi de 1981 , la même loi du 17 mars 2014 a prévu une procédure d'assermentation d'agents relevant du ministère chargé de la culture afin de leur accorder des pouvoirs d'enquête et de constatation des infractions aux lois relatives au prix du livre. Le décret n° 2015-519 du 11 mai 2015 relatif aux agents habilités en matière de contrôle du prix des livres a permis au ministre de la culture de nommer des agents des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et de l'administration centrale pour cette mission, formés ensuite dans le cadre d'un partenariat avec le ministère de l'économie et des finances.

Forts d' une politique publique favorable à la stabilité de l'industrie du livre , les éditeurs ont, depuis plus de quarante ans, considérablement augmenté le nombre de titres publiés : de 23 200 titres en 1970 à 77 986 titres en 2015, soit une augmentation de 236 % selon les chiffres du dépôt légal de la Bibliothèque nationale de France. La production commercialisée, mesurée de façon plus récente par la bibliographie Electre créée en 1985, a marqué un palier à partir de 2009 avant de repartir sur un rythme de hausse modérée. Après un recul en 2015 (- 1,7 %), la production commerciale a enregistrée en 2016 une croissance de 1,5 % avec 68 069 nouveautés et nouvelles éditions . On compte désormais 756 360 références disponibles de livres imprimés.

Les aspirants écrivains sont légion et le nombre de manuscrits reçus pas les maisons d'édition ne cesse de croitre : selon une enquête menée par l'IFOP en 2013, 17 % des Français ont déjà écrit et 24 % aimeraient être publiés. On évalue à près de 1,5 million le nombre de Français ayant déjà rédigé intégralement un manuscrit. La tendance ne semble pas près de s'inverser d'autant que, depuis que Leïla Slimani, passée par les ateliers d'écriture Gallimard, a obtenu le prix Goncourt 2016 pour Une chanson douce , les pépinières d'écrivains ne cessent de se développer . Lancés en 2012, « les Ateliers de la NRF » (Gallimard) furent le premier lieu d'écriture créative adossé à une maison d'édition. En janvier dernier, « les Ateliers du Figaro littéraire » de Mohammed Aïssaoui ont suivi, avec le même succès, tout comme « Les Mots » atelier inspiré du modèle des incubateurs d'entreprises. Les cours de creative writing , par lesquels sont passés nombre d'écrivains américains, ne sont donc plus considérés par les éditeurs français comme un pis-aller, ni accusés de conduire inévitablement au formatage de la production littéraire.

Au cours des cinq dernières années, l'augmentation de 6 % du nombre de nouveautés commercialisées marque cependant des évolutions contrastées entre les catégories d'ouvrages : si la production de la littérature jeunesse a crû de 21 %, la littérature a vu son nombre de nouveautés n'augmenter que de 8 %, tandis que les livres de philosophie, d'histoire et de géographie et de sciences et techniques affichent un recul marqué.

Par ailleurs, et parallèlement à la croissance du nombre d'ouvrages publiés, le tirage moyen , qui avait fortement diminué jusqu'en 2000 avant de se stabiliser autour de 8 000 exemplaires en 2010, est, avec une baisse de 3,6 % en 2016, en diminution constante depuis. Il s'établit désormais à 5 340 exemplaires avec de grandes disparités en fonction des titres. On assiste en effet, du fait d'une production foisonnante qui rend complexe la promotion de l'ensemble des ouvrages, à une concentration des titres vendus : l'écart ne cesse de croître entre les dix titres les plus vendus et les cent suivants et il apparaît de plus en plus difficile de vendre les ouvrages que les éditeurs appellent communément les mix-sellers . Pour un éditeur, il n'est pas rare que 20 % de la production financent 80 % d'une collection.

Le palmarès des ventes 2016

En gras : les romanciers français. En maigre : les romanciers étrangers.

Source : Le Figaro du 19 janvier 2017

La rentrée littéraire de l'automne 2017 a accueilli la sortie de 581 nouveaux romans, dont 390 productions françaises. Aux côtés des mastodontes étrangers très attendus - Origine de Dan Brown, Millenium 5 - La fille qui rendait coup pour coup de David Lagercrantz et Une colonne de feu de Ken Follet, soit 1,2 million d'exemplaires sur le marché français - Astérix et la Transitalique a été publié à deux millions d'exemplaires, sans compter les sorties ambitieuses des derniers ouvrages d'Amélie Nothomb, Katherine Pancol et Marc Dugain.

Il apparaît fort délicat, dans ces conditions, d'offrir une visibilité à tous les ouvrages et, plus largement, d' attirer une demande suffisante pour répondre à une offre d'une abondance presque extravagante . L'enjeu est pourtant de taille : l'année 2017 ne s'annonce pas fameuse avec des ventes en repli de 4,4 % en valeur et de 4,8 % en volume au cours des sept premiers mois. Plusieurs raisons sont avancées par le président du CNL, dans un entretien donné aux Échos le 26 août dernier : les échéances électorales, qui représentent habituellement des périodes commerciales médiocres pour les maisons d'édition, le succès de la nouvelle console Switch de Nintendo, notamment auprès des jeunes lecteurs, et l'offre toujours plus attrayante de contenus audiovisuels par des plateformes comme Netflix.

a) Une pratique culturelle datée ?

Au regard des chiffres satisfaisants du marché de l'édition, la lecture demeure une pratique culturelle particulièrement appréciée des Français, même si sa fréquence dépend à la fois de la catégorie socio-professionnelle et de l'âge des lecteurs et que les enquêtes réalisées sur ce sujet tendent à faire état d'une légère érosion. Ainsi, la proportion de Français âgés de plus de quinze ans déclarant lire au moins un livre chaque année est passée de 70 % en 1995 à 74 % aujourd'hui, et de 37 % à 31 % s'agissant des personnes qui lisent plus de dix ouvrages au cours de l'année.

Deux tendances principales expliquent ce recul : l'éloignement progressif du lectorat masculin du roman - pour schématiser, un homme cultivé de plus de quarante ans a tendance à délaisser la fiction pour un autre type de lecture, et notamment les magazines - et le succès foudroyant des séries télévisées . La révolution qualitative de l'offre de séries incite des individus qui regardaient autrefois peu la télévision de fiction à consommer ces contenus, ce qui limite d'autant leur temps de lecture. Cette désaffection, réelle, a néanmoins un vertueux contrepoint en l'augmentation des ventes d'ouvrages en lien avec les séries à succès . À titre d'illustration, alors que Flammarion écoulaient difficilement 5 000 exemplaires par an de Game of Thrones, le trône de fer , la diffusion de la série par HBO et le succès mondial qui s'en suivit a porté ce résultat à 500 000 ventes par an.

La pratique de la lecture chez les jeunes de 15 à 24 ans , sollicités par d'autres loisirs culturels que sont le jeu vidéo, la télévision ou le visionnage de contenus sur Internet, est également en diminution , d'autant plus si l'activité de lecture est mesurée en excluant les bandes dessinées et les ouvrages à lire pendant la scolarité. Selon les chiffres transmis par le ministère de la culture, seuls 14 % de la classe d'âge indiquent lire des livres quotidiennement alors qu'ils sont 78,5 % à regarder la télévision tous les jours et 57,5 % à écouter de la musique.

Le succès de l'édition jeunesse doit cependant, de l'opinion de votre rapporteure pour avis, conduire à nuancer l'idée d'une désaffection générale des jeunes pour le livre et la lecture. Désormais, 20 % des livres publiés chaque année proviennent de l'édition jeunesse. Le secteur se caractérise par l'augmentation constante de la part des cessions de droits dans le chiffre d'affaires des éditeurs : un quart des livres vendus aux maisons d'éditions étrangères est destiné aux enfants et 65 % des contrats de coédition concernent la littérature jeunesse.

Après une rentrée littéraire prometteuse , avec par exemple L'ombre du Golem d'Eliette Abécassis ou La fourmi rouge d'Emilie Chazerand, l'édition jeunesse hexagonale a été au coeur du salon du livre de Francfort en octobre dernier. Pour Sylvie Vassalo, directrice du salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, « la mise en valeur de la littérature de jeunesse dans le programme Francfort en français vient marquer trois particularités de la création et de l'édition de jeunesse française. En premier lieu, l'excellence de ses créateurs, ses illustrateurs, ses écrivains dont les oeuvres sont reconnues internationalement, en second lieu le poids croissant de l'édition jeunesse dans l'édition française et en troisième lieu l'attention portée au jeune public, à l'évolution de ses pratiques de lecture » . Autre témoignage de ce succès, lors de la dernière édition de la foire internationale du livre de jeunesse de Bologne, les éditeurs français ont obtenu neuf des vingt et un prix attribués par le jury.

Si, le lecteur jeune n'est plus un lecteur quotidien, il serait bien pessimiste d'en conclure que les enfants et les adolescents ont absolument délaissé la lecture pour des pratiques culturelles moins contraignantes. Selon une étude publiée par le Centre national du livre (CNL) eu printemps 2016, ils parcourraient même six livres par trimestre, dont quatre dans le cadre de leurs loisirs.

Selon une étude de sociologie de la culture publiée en 2017 par le ministère de la culture intitulée « L'amateur cosmopolite - goûts et imaginaires culturels juvéniles à l'ère de la mondialisation », les jeunes de moins de trente ans vont essentiellement lire des oeuvres de science-fiction (38 %) et de romance (37 %). Mais leurs pratiques de lecture demeurent variées comme en témoignent la diversité des titres promus par les booktubeurs , qui publient sur YouTube des vidéos sur des ouvrages et des conseils de lecture et auxquels s'intéressent de plus en plus, compte tenu de leur influence, les maisons d'édition. À titre d'illustration, la booktubeuse Bulledop, suivie par plus de 40 000 abonnés, recommande des mangas japonais comme La Peste d'Albert Camus. Pour Vincent Monadé, président du CNL, « il y a un vrai fossé entre les livres que promeut la presse classique et ce que lisent les adolescents, comme Hunter Games . Seuls les booktubeurs parlent de science-fiction et de littérature fantastique aujourd'hui, d'où leur importance » .

Les jeunes sont également davantage friands de livres numériques et les éditeurs multiplient les créations originales pour conserver cette catégorie de lecteurs en l'attirant vers un nouveau support. Le numérique permet notamment d'offrir une lecture interactive proche du jeu. Par exemple, la start-up lilloise Adrénalivre a développé sur tablette et smartphone des livres dont l'enfant est le héros et Albin Michel propose des livres imprimés qui s'animent grâce à l'outil numérique.

b) Une évolution raisonnée des usages

Le chiffre d'affaires des ventes de livres numériques s'établit à 234 millions d'euros en 2016 . En augmentation de 30 % par rapport à 2015, il représente désormais 8,65 % du chiffre d'affaires des éditeurs , qui disposent désormais d'un catalogue de 225 810 références de livres numériques.

Chiffre d'affaire de l'édition numérique en France en 2015 et 2016

* 2015 : chiffres retraités

Source : Rapport d'activité du Syndicat national de l'édition 2016-2017

Le marché du numérique est largement dominé par les ventes d'ouvrages à l'acte, les modèles d'abonnement et de prêt numérique en bibliothèque demeurant marginaux, même si, en 2016, le prêt numérique a été déployé dans près de 2 000 bibliothèques conduisant à ce que 9 % des lecteurs numériques l'aient été par la voie de l'emprunt.

Selon les chiffres rendus publics par le Syndicat national de l'édition (SNE) dans son rapport d'activité pour l'année 2016, 21 % de la population française a déjà lu un livre numérique , proportion qui ne cesse de croître à mesure que l'offre proposée s'étend et que la diversité des catalogues est valorisée par une pluralité de médiateurs, revendeurs, libraires et bibliothèques. Même si elle en demeure encore fort éloignée, la France se rapproche ainsi progressivement, en matière de lecture numérique, des grands pays développés. À titre d'illustration, la part de marché du livre numérique représente 24 % du chiffre d'affaires des éditeurs américains et 16 % au Royaume-Uni.

Tous les secteurs de l'édition ne voient pas croître la part du numérique dans leur chiffre d'affaires de façon identique. Le secteur universitaire, et notamment l'édition juridique, représente ainsi 80 % du chiffre d'affaires numérique, les secteurs « grand public » 17 % (dont 10 % pour la littérature, majoritairement policière) et le scolaire 3 %. Ce dernier domaine enregistre cependant une croissance exponentielle : au collège, près de 133 000 classes accèdent à un manuel numérique via une licence collective et 150 000 ouvrages numériques sont mis à la disposition des collégiens avec des accès personnels.

Top 3 des livres de littérature achetés en numérique en 2016

Source : Rapport d'activité du Syndicat national de l'édition 2016-2017

Autrefois objet de défiance, le livre numérique s'installe progressivement dans le paysage éditorial français. La segmentation des usages numériques , qui concernent essentiellement des lectures du savoir, ainsi que des ouvrages de littérature que le lecteur ne souhaite pas forcément conserver, contribuent pour beaucoup à la cohabitation apaisée entre numérique et imprimé .

Soucieux d'accompagner l'émergence du numérique dans l'édition, après avoir constaté lors de la crise du disque les dégâts d'une révolution technologique mal maîtrisée, l'État a rapidement adapté au livre numérique son arsenal législatif et les aides accordées au secteur afin de favoriser le développement d'une offre légale.

Le soutien de l'État à l'édition numérique

La France a adapté son dispositif de régulation économique du livre aux enjeux de l'économie numérique.

D'abord, dans la continuité de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite « loi Lang », la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique a instauré un cadre juridique garantissant aux éditeurs la maîtrise du prix de vente au public de leurs offres commerciales de livres numériques et donc la possibilité de maintenir une juste rémunération des créateurs. Cette mesure vise à favoriser le développement d'une offre numérique et de maintenir une grande diversité des circuits de diffusion, corollaire de la diversité éditoriale et culturelle.

Ensuite, le Législateur a prévu l'application, à compter du 1 er janvier 2012, d' un taux réduit de TVA sur les opérations de vente de livres numériques . Cette mesure d'harmonisation fiscale entre le livre imprimé (qui bénéficie d'un taux réduit depuis 1970) et le livre numérique, avait pour objectif de renforcer l'attractivité de l'offre numérique. La Commission européenne a validé cette orientation en présentant, le 1 er décembre 2016, une proposition de révision de la directive TVA permettant aux États membres d'appliquer au livre numérique le même taux que celui applicable au livre imprimé , texte approuvé par le Parlement européen le 1 er juin 2017. La révision a en revanche achoppé sur le veto tchèque lors du Conseil « Affaires économiques et financières » du 16 juin. Pour autant, le texte n'a pas été retiré du calendrier d'examen du Conseil européen à l'automne.

Enfin, avec la réforme du contrat d'édition ( cf. supra), les conditions de rémunération des auteurs ont été adaptées à l'ère numérique .

La France est en outre attentive à ce que les enjeux du livre numérique soient pris en compte au niveau européen, notamment en appelant à contenir les ambitions des grands acteurs de l'Internet, tels qu'Amazon, Google ou Apple, dans le domaine de l'édition en ligne. Dans ce cadre, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a lancé une mission sur l'interopérabilité des contenus numériques, en vue de nourrir les positions françaises sur la proposition de directive européenne concernant certains aspects des fournitures de contrat numérique. En effet, l'absence d'interopérabilité des livres numériques entrave le développement de ce secteur éditorial, en affaiblissant la confiance des acheteurs en la pérennité de leur acquisition. Le rapport remis le 22 mai 2017 a proposé d'introduire dans le texte de la directive une obligation d'interopérabilité pour les livres numériques , position depuis défendue par les autorités françaises dans les négociations européennes.

Parallèlement aux évolutions législatives, l'État apporte un soutien financier à la filière du livre numérique . Il s'agit essentiel d'aides aux acteurs économiques allouées par le Centre national du livre (CNL), notamment pour des opérations de numérisation , afin d'enrichir l'offre de livres : programme de numérisation des ouvrages libres de droits conservés à la BnF pour 4,1 millions d'euros en 2016 par exemple, mais également soutien, pour 1,3 million d'euros en 2016, aux éditeurs s'engageant dans l'édition numérique (numérisation rétrospective d'ouvrages sous droits de leurs catalogues, publication simultanée en numérique et en papier d'un catalogue de nouveautés, mise en place une chaîne de production numérique) et aux plateformes de diffusion et de valorisation de catalogues de livres numériques. Des moyens sont également attribués à l'association European Digital Reading Lab (EDRLab), qui intervient dans la conception et la standardisation des technologies de lecture numérique.

Au total, les subventions accordées par l'Etat et ses opérateurs dans le cadre de sa politique de soutien au développement du livre numérique s'élevaient 7,1 millions d'euros en 2016 .

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Comme l'État, les éditeurs ont saisi l'intérêt de s'inscrire pleinement dans cette révolution douce et d'y investir en innovation, en témoigne le succès des Assises du livre numérique organisées chaque année sous l'égide du SNE autour de thèmes aussi divers que le webmarketing ou l'avenir du format du livre numérique . Lors de l'édition qui s'est tenue en novembre 2016, les professionnels ont salué à cet égard la fusion de l'IDPF, consortium de l'industrie de l'édition à l'origine du format ePUB, et du W3C, organisme mondial de standardisation du web, qui témoigne de la volonté de l'industrie du livre d'encourager l'utilisation universelle du standard open source ePUB pour le livre numérique et de travailler à son évolution. Pour faciliter la lecture numérique, l'ePUB pourrait prendre la forme d'un contenu hybride utilisant les technologies du web. Le format Packaged Web Publication (PWP), au stade de l'expérimentation, permettrait, en lisant un ouvrage numérique, de cliquer sur d'autres contenus, d'annoter ou de partager, à l'instar des pratiques de l'Internet. L'édition française est particulièrement active au sein des groupes de travail internationaux dédiés au livre numérique, où se jouent les évolutions du format ePUB. L' Epub Summit , organisé par le laboratoire européen ERDLab, dont le SNE est membre fondateur, est ainsi devenu un événement incontournable. Sa deuxième édition s'est tenue en mars 2017.

2. Les acteurs traditionnels : accompagner pour moderniser
a) Protéger les auteurs

Les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition sont particulièrement structurantes pour le secteur du livre en ce qu'elles déterminent les règles impératives qui organisent les contrats de cession des droits par les auteurs aux éditeurs, ainsi que les obligations réciproques des parties .

En l'absence de modification significative depuis 1957, le contrat d'édition était devenu en partie obsolète : l'objet du contrat était défini comme « la fabrication en nombre des exemplaires de l'oeuvre » , ce qui ne permettait pas de prendre en compte la diffusion numérique. En outre, les règles édictées manquant de précision au point de permettre la perpétuation de mauvaises pratiques, il constituait un motif de mécontentement des auteurs comme de discorde avec les éditeurs.

Le nouveau contrat d'édition,
aboutissement d'un dialogue interprofessionnel réussi

Après plusieurs années de réflexion et de négociations sous l'égide du professeur Pierre Sirinelli, auteurs et éditeurs sont parvenus à un consensus formalisé dans un accord-cadre signé le 21 mars 2013 entre le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le SNE, qui préconise, dans une démarche souple et originale, de déterminer les modalités d'application des grands principes dans un code des usages , discuté entre les organisations représentatives des auteurs et des éditeurs sous l'égide du ministère de la culture et de la communication, puis rendu obligatoire à tout le secteur du livre par un acte d'extension.

La loi n° 2014-779 du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition, a habilité le Gouvernement à tirer les conséquences de cet accord-cadre par voie d'ordonnance, ce qui fut fait le 12 novembre de la même année, pour une entrée en vigueur au 1 er décembre 2014.

Désormais, le contrat d'édition couvre à la fois l'édition en nombre des exemplaires d'une oeuvre et la réalisation de cette oeuvre sous une forme numérique. Lorsqu'il a pour objet l'édition d'un livre sous une forme imprimée et numérique, le contrat doit comporter une partie distincte dédiée aux conditions de cession des droits numériques. Les nouvelles dispositions définissent avec précision l'étendue de l'obligation qui pèse sur l'éditeur en matière d'exploitation permanente et suivie et de reddition des comptes tant pour l'édition imprimée que l'édition numérique. L'auteur pourra, lorsque l'éditeur n'aura pas rempli ses obligations contractuelles, obtenir la résiliation de son contrat selon des procédures simplifiées ne nécessitant pas le recours au juge.

Le nouveau contrat d'édition garantit également une juste rémunération de l'auteur en cas d'exploitation numérique de son oeuvre en prévoyant une participation à l'ensemble des recettes issues plus ou moins directement des différents modes d'exploitation de l'oeuvre, que ce soit dans le cadre des traditionnelles ventes à l'unité mais également dans le cadre de bouquets, d'abonnements ou lorsque le modèle économique de l'éditeur repose sur la publicité.

Les conditions économiques de la cession des droits numériques feront par ailleurs l'objet d'un réexamen régulier afin de tenir compte de l'évolution des modèles économiques de diffusion numérique. Si la mesure peut aujourd'hui sembler anecdotique au regard du faible niveau des recettes tirées de l'exploitation numérique, elle prendra tout son intérêt dans les années à venir, les revenus issus de l'édition numérique ayant vocation à croître avec le développement de l'édition en ligne , comme l'indiquent les projections de l'Association française des éditeurs de logiciels et de solutions Internet (AFDEL), qui estime qu'en 2019, 13 % des revenus des auteurs seront issus de l'édition numérique contre 6 % en 2014.

Les modalités d'application du nouveau contrat d'édition ont été précisées par un accord interprofessionnel entre les organisations représentatives des auteurs, signé le 1 er décembre 2014, puis étendu par un arrêté de la ministre de la culture et de la communication le 10 décembre de la même année.

Un projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2014-1348 du 12 novembre 2014 modifiant les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 29 avril 2015. Finalement et fort tardivement, l'article 107 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine fit office de ratification.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Parallèlement, dès 2015, auteurs et éditeurs ont entamé un nouveau cycle de négociations relatives à l'amélioration de la transparence . Sans attendre la fin des discussions interprofessionnelles, la loi du 7 juillet 2016 a introduit dans le code de la propriété intellectuelle, avec l'article 107 précité, de nouvelles dispositions visant à faciliter les relations contractuelles entre auteurs et éditeurs (sanction du défaut de paiement des droits d'auteur ou de reddition des comptes par une résiliation de plein droit du contrat d'édition).

Dans ce cadre, le Gouvernement a remis au Parlement en mars dernier, conformément aux dispositions de l'article 8 de la loi du 7 juillet 2016 susmentionnée, un rapport sur les résultats de la concertation entre auteurs et éditeurs, ainsi que sur la mise en oeuvre de la réforme du contrat d'édition.

S'agissant de l'application de la réforme du contrat d'édition, le rapport indique que si le SNE et le CPE ont communiqué efficacement auprès de leurs adhérents sur les nouvelles règles contractuelles, ils continuent de proposer leur propre contrat-type, n'ayant pas cherché à s'entendre sur un document unique. En outre, les contrats passés depuis la mise en oeuvre de la réforme sont très majoritairement conformes à la nouvelle réglementation, notamment en matière de droits numériques, mais un certain nombre de petites structures éditoriales n'ont toujours pas actualisé les contrats qu'elles proposent aux auteurs .

La poursuite des négociations professionnelles a conduit, le 29 juin dernier, à un accord entre le SNE et le CNE sur l'encadrement des pratiques de compensation intertitres et de provisions pour retours .

Votre rapporteure pour avis appelle de ses voeux l'extension des dispositions de l'accord à l'ensemble des auteurs et des éditeurs , en donnant une assise légale aux principes qu'il énonce puis en étendant ses modalités d'application par la voie d'un arrêté ministériel. Elle souhaite également la poursuite du dialogue entre auteurs et éditeurs , certains points n'ayant pas encore été tranchés (réalisation d'un document pédagogique sur la reddition des comptes et introduction d'une clause d'audit dans le contrat d'édition) ni même inscrits à l'agenda des discussions (information plus systématique des auteurs dans le cadre de l'exploitation de leurs ouvrages, outil d'information sur les ventes de livres et modalités de mise à disposition des auteurs des états de comptes, conditions de saisine du médiateur du livre).

S'agissant du dernier point, qui constitue une demande récurrente du CPE, le rapport gouvernemental apporte une fin de non-recevoir en estimant qu' « une extension du périmètre d'intervention du médiateur du livre aux relations entre auteurs et éditeurs modifierait substantiellement les missions du médiateur du livre qui n'a pas vocation à intervenir dans le champ de la propriété littéraire et artistique mais à améliorer des relations de nature commerciale . Un tel élargissement serait susceptible d'accroître très fortement le nombre de procédures de conciliation que le médiateur aurait à gérer, ce qui aurait un impact budgétaire non négligeable » .

Votre rapporteure pour avis estime pour sa part qu'avant toute modification des missions du médiateur du livre, il convient de juger, sur plusieurs années, des améliorations induites par la mise en oeuvre du nouveau contrat d'édition et des règles contractuelles revisitées par les accords interprofessionnels en matière d'équilibre du rapport de force entre auteurs et éditeurs. Elle se félicite à cet égard de la vitalité du dialogue entre les parties , comme en témoigne à nouveau le succès des dialogues auteurs-éditeurs, dont la sixième édition s'est tenue au Parlement européen de Strasbourg en novembre 2016.

Malgré des avancées significatives en faveur de la rémunération et de la protection sociale des auteurs de l'écrit, le phénomène de paupérisation s'accentue néanmoins.

Selon le 6 e baromètre des relations auteurs/éditeurs publié par la Société civile des auteurs multimédia (SCAM), 69 % des auteurs perçoivent, en 2015, pour l'édition imprimée moins de 10 % de droits d'auteur sur le prix public de vente des livres , contre 59 % en 2013. Ils ne sont plus que 7 % (10 % en 2013) à percevoir un taux supérieur à 10 %. Pire, près de 19 % des auteurs sont rémunérés à un taux inférieur à 5 % du prix public de vente , alors qu'ils n'étaient que 15 %, proportion déjà alarmante, en 2013. Ce dernier chiffre atteint 27 % pour l'exploitation numérique. Non que le pourcentage de rémunération versé aux auteurs sur le prix d'un livre imprimé (8 %, 10 %, 12 % ou, très rarement jusqu'à 18 % selon les contrats) n'ait été brutalement diminué, mais il demeure très insuffisant en littérature jeunesse (6 % partagés avec l'illustrateur).

Par ailleurs, seul un auteur sur deux (49 %) se voit proposer systématiquement un contrat avec un à-valoir , dont le montant moyen est à la baisse : il est inférieur à 1 500 euros pour 38 % des auteurs.

Au final, les rémunérations issues de l'activité d'écriture représentent moins de 25 % des revenus pour plus de 65 % des auteurs de l'écrit.

Il y a vingt ans, 20 000 auteurs se partageaient 450 millions d'euros de droits ; ils sont 60 000 aujourd'hui pour une somme identique . En réalité, les recettes de l'industrie du livre sont concentrées, chaque année, sur quarante titres et une quinzaine d'auteurs hors desquels il est difficile pour quiconque de vivre de sa plume. On estime à 150 seulement le nombre d'auteurs qui gagnent aisément leur vie et à 8 000 ceux qui perçoivent des revenus d'auteur équivalents au SMIC. Sans bénéficier de rémunérations élevées, les traducteurs ont les revenus les plus sécurisés car, outre leurs droits, ils touchent une rémunération fixe d'au minimum 21 euros par page.

En conséquence, près de 70 % des auteurs exercent un autre métier parallèlement à leur activité littéraire, notamment scénariste, journaliste, chercheur ou enseignant. Pour des raisons liées à l'exercice du métier comme à leur rémunération moyenne, les illustrateurs, dessinateurs et coloristes de bande dessinée ainsi que les traducteurs ont moins fréquemment une autre activité professionnelle.

Dans ce contexte, le soutien du CNL aux auteurs apparaît vital pour nombre d'entre eux. Il se décline principalement en bourses de création et de résidence visant à permettre à des auteurs et illustrateurs professionnels, ayant déjà été publiés à compte d'éditeur, de mener à bien un projet en langue française. Les traducteurs peuvent bénéficier de bourses de traduction (langues étrangères vers le français) et de séjour (français vers les langues étrangères), afin de favoriser le rayonnement et la diffusion internationale des oeuvres. Enfin, la bourse Cioran bénéficie chaque année à un auteur pour l'écriture d'un essai à caractère philosophique ou littéraire. D'un montant de 12 000 euros, elle a été attribuée en 2016 à Bruce Bégout pour son projet de Tentative de compréhension du nihilisme qui caractérise l'Occident depuis le début du XIX ème siècle . Par ailleurs, l'assistance culturelle du CNL vient en aide aux auteurs confrontés à des difficultés économiques.

En 2016, 275 aides ont été attribuées aux auteurs et aux traducteurs pour un montant total de 3 millions d'euros , soit 11,3 % du montant des aides versées par l'opérateur et plus de 700 000 euros de plus qu'en 2015, où le soutien du CNL aux auteurs et traducteurs avaient affiché un recul de 15 % en valeur.

b) Conforter les libraires

Avec plus de 3 200 librairies indépendantes , de toutes tailles et implantées sur l'ensemble du territoire, la France dispose du réseau le plus dense au monde . Malgré la concurrence de la grande distribution et l'essor de la vente sur Internet, les librairies indépendantes représentent le premier circuit de vente de livres . Près d'un livre sur deux y est acheté et davantage pour les ouvrages de littérature, sciences humaines, jeunesse, art, poésie et théâtre.

Elles constituent un atout majeur pour la culture, parce qu'elles rendent possible, grâce à leurs 700 000 titres disponibles , la diversité éditoriale, le développement de la lecture, l'emploi - elles emploient 13 000 salariés , soit deux fois plus que les grandes surfaces culturelles, trois fois plus que la grande distribution et quatorze fois plus que le commerce électronique - et la vitalité des territoires , et notamment des centres-villes.

Selon les différentes études disponibles (baromètre Livres Hebdo, panel détaillants GfK et, jusqu'en 2014, panel détaillants Ipsos), après une période économique délicate, les années 2014 et 2015 ont vu une légère amélioration (+ 1,7 %), moins favorable néanmoins que celle attachée aux grandes surfaces culturelles (+ 3,6 %). Après cette embellie, 2016 apparaît comme une année de repli : selon le panel détaillants GfK, les ventes ont reculé de 4 % en valeur, contre 0,7 % pour Livres Hebdo, qui intègre dans son panel les ventes aux collectivités, qui jouent un rôle d'amortisseur conjoncturel. En termes de parts de marché, le baromètre annuel TNS-Sofres indique, pour les années 2015 et 2016, une stabilité de la part de marché des librairies indépendantes à 22 % du total .

La très médiocre orientation du marché du livre sur les premiers mois de l'année 2017 et la diminution de 9 % des achats en librairie laissent craindre un nouveau recul du chiffre d'affaires de la librairie indépendante , perspective qui ne rend que plus indispensables les dispositifs d'aides en faveur de ce secteur d'activité. L'activité de libraire engendre en effet des coûts « qualitatifs » importants. Les libraires investissent la moitié de leur marge dans la rémunération de leurs salariés. Ils doivent également faire face à la flambée des loyers en centre-ville et des frais de transport des marchandises, ainsi qu'à des difficultés de trésorerie structurelles liées à l'étendue et à la nature de leur stock de livres. Avec une rentabilité nette moyenne divisée par trois en dix ans pour s'établir aujourd'hui à moins de 1 % du chiffre d'affaires, la librairie est le moins rentable des commerces de détail.

Pour maintenir à flot cet acteur culturel essentiel, les pouvoirs publics ont installé une réglementation favorable à la stabilité du marché du livre, avec les lois susmentionnées du 10 août 1981 et du 26 mai 2011 relatives au prix unique du livre (imprimé et numérique).

En outre, pour mieux encadrer les pratiques commerciales non prévues par le Législateur lors de l'adoption de la loi du 10 août 1981 et apparues chez certains opérateurs avec le développement du marché de la vente en ligne, la loi n° 2014-779 du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres prévoit l'interdiction de pratiquer la gratuité des frais de livraison des livres à domicile et la remise de 5 % dans le cadre de la vente à distance. Cette loi a pour objectif de restaurer les conditions d'une concurrence équilibrée entre les différents réseaux de la distribution de livres, notamment entre vendeurs de livres en ligne et librairies physiques. On assistait alors à une systématisation, par certaines plateformes, du double avantage de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison.

Le texte, originellement issu d'une proposition de loi du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale, a été profondément modifié par le Sénat à l'initiative de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication pour en renforcer l'efficacité . En effet, dans un premier temps, le dispositif prévoyait que la prestation de livraison à domicile ne pouvait être incluse dans le prix du livre ; le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeurait donc le rabais de 5 %. Puis, l'Assemblée nationale a préféré interdire le rabais de 5 % sur les livres commandés en ligne et livrés à domicile. Il est in fine revenu au Sénat de renforcer la proposition en interdisant la gratuité des frais de port. Une évaluation de cette mesure est attendue en février 2018 avec la publication d'un rapport d'information de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale.

Le dispositif a été complété par la signature, le 27 juin 2017, de la charte « Prix du livre » , sous l'égide du médiateur du livre.

La charte « Prix du livre »

Le 27 juin 2017, la charte « Prix du livre » a été signée par trois organisations professionnelles (le SNE, le Syndicat de la librairie française-SLF et le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels), cinq places de marché en ligne (Amazon, Cdiscount, Fnac, Leslibraires.fr et PriceMinister) et deux détaillants proposant des livres neufs et des livres d'occasion (Chapitre.com et Palidis du groupe Gibert).

Elle constitue l'aboutissement de la concertation organisée par le médiateur du livre , sur saisine des trois organisations professionnelles susmentionnées, afin de réaffirmer les principes de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre dans le contexte du développement, d'une part, des places de marché sur Internet et, d'autre part, de la vente de livres d'occasion dans les lieux de vente physiques ou dématérialisés, à l'heure où l'économie du numérique favorise l'émergence de nouvelles pratiques commerciales qui ne sont pas sans conséquence sur le secteur du livre imprimé et sur son cadre de régulation.

Les signataires de la charte ont pris cinq engagements :

- l'adoption d'un mécanisme de prévention ou de notification automatisée des infractions à la législation sur le prix du livre ;

- la mise en place d'une procédure de signalement des offres de vente qui ne seraient pas conformes à la législation sur le prix du livre ;

- la suspension par les places de marché des comptes vendeurs qui méconnaissent de façon répétée la législation sur le prix du livre ;

- la distinction des offres de livres neufs et des offres de livres d'occasion sur les sites des places de marché, dont les modalités de mise en oeuvre seront fixées par un comité de suivi qui devra arriver à un accord dans les six mois suivant la signature de la charte. Passé ce délai, le médiateur du livre entamera une procédure de conciliation ;

- enfin, l'interdiction de présenter un livre d'occasion comme un livre neuf.

Source : Ministère de la culture

Enfin, le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics a opéré un relèvement, de 25 000 euros à 90 000 euros hors taxes, du seuil de dispense de procédure de mise en concurrence et de publicité pour les achats publics de fourniture de livres non scolaires pour leurs propres besoins ou pour l'enrichissement des collections des bibliothèques. En effet, en dépit de la mesure de prix fixe prévu par la loi du 10 août 1981, complétée par un plafonnement à 9 % des rabais aux collectivités dans le cadre de commandes publiques, qui, en neutralisant le critère de prix et en déportant la concurrence entre les détaillants vers la qualité des services offerts, ont permis d'instaurer des conditions de concurrence plus équitables entre les libraires indépendants et les grossistes spécialisés, la part de marché de ces derniers n'a cessé de croître au détriment des libraires indépendants pour lesquels les marchés publics constituent le plus souvent une condition d'équilibre économique. La hausse du seuil de dispense de procédure vise donc à conférer aux collectivités publiques un nouvel outil leur permettant de mieux prendre en compte, dans le cadre de leurs commandes de livres non scolaires, le tissu local des librairies indépendantes.

Au-delà du cadre législatif et réglementaire, différents dispositifs d'intervention économique ont été créés en faveur des librairies indépendantes et renforcés à compter de 2014 par le Plan librairie , inspiré par les conclusions de la mission confiée à Serge Kancel sur le soutien aux entreprises de librairies rendues publiques en janvier 2013. Ils sont portés par le Centre national du livre (CNL), par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et par plusieurs opérateurs spécialisés intervenant pour le compte du ministère.

Le CNL intervient en faveur des librairies indépendantes selon deux modalités distinctes : des prêts sans intérêt (1,6 millions d'euros en 2016) d'une part, principalement dans le cadre d'opérations de reprise ou de création de librairies, et des subventions (1,8 millions d'euros en 2016) d'autre part. Le CNL gère dans ce dernier cadre un dispositif de soutien à la mise en valeur des fonds en librairie d'un montant de 930 000 euros en 2016 et un dispositif d'aide aux libraires francophones à l'étranger pour la constitution d'un fonds ou l'élargissement des stocks de livres en langue française pour 265 000 euros en 2016. Le CNL instruit également les demandes de label de Librairie indépendante de Référence (LIR) . Institué en 2009, ce label valable pour une durée de trois ans a pour objectifs de valoriser la qualité du travail de sélection, de conseil et d'animation de librairies indépendantes et de permettre aux collectivités qui le souhaitent de les exonérer de Contribution économique territoriale (CET). En 2016, le label LIR a été attribué à quatre-vingt-trois librairies, dont quatorze pour la première fois, établissant à 509 le nombre de librairies bénéficiant du label.

Les DRAC apportent quant à elles un soutien aux librairies indépendantes, sur la base de crédits déconcentrés du ministère de la culture (600 000 millions d'euros en 2016), pour accompagner des travaux d'aménagement ou de modernisation, des projets d'équipement mobilier ou d'informatisation , ou encore la mise en place de programmes d'animations culturelles en régions. Leur action s'inscrit dans le cadre des contrats territoire-lecture désormais financés sur la mission « Culture ».

Par ailleurs, l'Institut pour le financement des industries culturelles (IFCIC), dont la mission consiste à faciliter l'accès des entreprises culturelles au financement par crédit bancaire, gère un fonds à partir duquel il octroie des contre-garanties (jusqu'à 70 % du montant du crédit contracté) aux établissements bancaires qui consentent des prêts à des librairies. En 2016, ce sont 2,3 millions d'euros de crédits qui ont pu bénéficier d'une garantie dans le cadre de ce dispositif. Dans le cadre du Plan librairie, un fonds d'intervention en trésorerie réservé aux librairies indépendantes (FALIB) a été créé à compter du 1 er janvier 2014 et placé auprès de l'IFCIC. Doté de 5 millions d'euros et destiné à consentir des avances de trésorerie de court terme, il doit permettre de pallier le désengagement du secteur bancaire en matière de financement pour ces commerces. Depuis le début de l'année 2016, les conditions d'intervention du FALIB ont été élargies afin de faciliter également le financement de moyen terme, ce qui a permis d'accorder vingt-six prêts pour un montant total d'un million d'euros , soit une augmentation de 5 % par rapport à 2015 et de 14 % par rapport à 2014.

Enfin, le fonds de soutien à la transmission des librairies créé en 2008 et géré par l'Association pour le développement de la librairie de création (ADELC), a bénéficié en 2014 d'une dotation de 4 millions d'euros supplémentaires au titre du Plan librairie, pour répondre à l'augmentation attendue du nombre de transmissions de librairies. La librairie française de Rome, rebaptisée Libreria Stendhal, à vendre depuis deux ans, a pu être reprise par l'une de ses salariées dans le cadre de l'aide à la transmission des librairies françaises à l'étranger instaurée en novembre 2016.

Le bilan satisfaisant du Plan librairie

Le Plan librairie a notamment été mobilisé en faveur des librairies du réseau Chapitre , placé en liquidation judiciaire à la fin de l'année 2013. Une partie de la dotation complémentaire effectuée au profit de l'ADELC et les crédits supplémentaires affectés par le CNL à ses dispositifs de soutien aux librairies ont permis d'accompagner en 2014 des reprises de magasins par des libraires. Au total, 41 librairies sur les 57 que comptait le groupe ont été rachetées et près de 700 emplois (sur un effectif de 1 000 salariés) sauvegardés. L'IFCIC, les DRAC et les collectivités territoriales concernées ont également apporté leur concours à ces reprises, portant à près de 4 millions d'euros le montant de l'opération de sauvetage des librairies Chapitre.

Outre ces interventions dues à un contexte très spécifique, les crédits complémentaires apportés par le CNL à l' ADELC ont permis à cette dernière de participer au rachat de 40 librairies en 2014, 2015 et 2016.

Par ailleurs, 89 librairies ont bénéficié d' une avance de trésorerie de court ou moyen terme octroyée par le FALIB leur permettant de maintenir ou d'obtenir un crédit bancaire complémentaire, bénéficiant le cas échéant d'une contre-garantie de l'IFCIC. Un effet de levier en matière de facilitation d'accès au crédit a ainsi pu être mis en place.

Sur la période de 2015 à 2016, on dénombre plus de soixante-dix créations de librairies et plus de cinquante reprises , ce qui témoigne de la reprise du dynamisme de l'entrepreneuriat culturel dans ce secteur.

Le Plan Librairie a enfin été l'occasion d'ouvrir une réflexion visant à améliorer la formation initiale et continue des libraires en l'adaptant aux nouveaux enjeux auxquels est confrontée la profession. Le niveau de qualification des libraires et la qualité du service et du conseil proposés aux clients des librairies constituent en effet un élément de différenciation important pour ces commerces par rapport à d'autres canaux de vente. Cette démarche pourrait conduire à terme à réformer le parcours de la formation initiale au métier de libraire en proposant la création d'un nouveau diplôme spécialisé de niveau Bac+2 (BTS ou assimilé).

Source : Ministère de la culture

Les libraires ont également réagi à l'érosion de leurs résultats et à la concurrence massive des plateformes de ventes de livres en ligne. Outre la mise en place d'une communication commune à travers l'identité collective « librairies indépendantes » destinée à renforcer la visibilité du réseau auprès du grand public et plusieurs campagnes nationales en librairie et dans les médias, les libraires ont investi pour renforcer leur présence sur Internet . Plus d'un millier de librairies proposent désormais leurs catalogues sur deux plateformes, place des libraires-ePagine et leslibraires.fr, des portails régionaux, comme chez-mon-libraire.fr en région lyonnaise, et le site national librairiesindependantes.com, qui, en fédérant plus de 700 libraires, est devenue la vitrine commune de la librairie sur Internet. Les libraires y proposent une gamme étendue de services, de la réservation à l'achat de livres numériques en passant par la livraison à domicile. Après l'échec cuisant du portail de vente en ligne 1001 libraires en 2010, dans lequel avaient été engloutis 2,2 millions d'euros, et l'annonce par Orange, en février 2016, de l'abandon de son projet de bibliothèque numérique MO3T qui pourtant avait reçu 3 millions d'euros au titre du grand emprunt pour les investissements d'avenir, ces initiatives sont d'excellent augure.

Dans la contribution écrite qu'il a fait parvenir à votre rapporteur pour avis, le SLF propose de nouvelles pistes pour soutenir l'économie toujours fragiles des librairies et améliorer leur rentabilité :

- l'inscription, dans la loi de 1981 relative au prix du livre, du principe d'une remise commerciale minimale dont le niveau serait négocié et réévalué périodiquement sous l'égide des pouvoirs publics. Parmi les principaux diffuseurs, certains appliquent d'ores et déjà ce principe mais sur des périmètres et dans des conditions qui en limitent la portée. Le SLF estime qu'une remise minimale de 36 % est nécessaire pour exercer correctement et dignement le métier de libraire, seuil que n'atteignent pas de très nombreuses librairies de petite taille du fait d'un rapport de force commercial très déséquilibré avec les grands groupes d'édition-diffusion ;

- la suppression de la faculté d'accorder aux particuliers un rabais de 5 % , qui correspond à deux à quatre points de marge en moyenne selon les librairies. Il perturbe par ailleurs la perception du prix unique par les clients et rend plus difficile la communication en la matière ;

- l'encadrement des loyers en librairie . Les librairies bénéficient le plus souvent de longue date d'emplacements privilégiés en centre-ville. Or, leur économie peut se trouver déséquilibrée par une augmentation de loyer aboutissant à un déménagement forcé ou à une fermeture. Cette mesure pourrait s'accompagner d'un assouplissement du cadre d'intervention des collectivités territoriales en matière de préemption et de location de locaux commerciaux ;

- la création d'un fonds d'aide à l'exploitation des librairies investissant dans une offre variée et des services de qualité . S'inspirant des dispositifs existants en faveur des salles de cinéma d'art et d'essai, ces aides seraient attribuées en tenant compte de critères qualitatifs (assortiment, services, animations, formation, présence sur Internet, contexte concurrentiel, spécificité du territoire, etc.).

Votre rapporteure pour avis est sensible à l'intérêt de ces propositions, qui pourraient utilement être expertisées par le ministère de la culture.

c) Rassurer les éditeurs

Le Salon du livre de Paris, rebaptisé Livre Paris depuis l'édition 2016, connaît depuis quelques années un succès mitigé : avec 180 000 entrées, le salon enregistrait déjà une diminution de 20 % du nombre de ses visiteurs en 2015, repli qui atteint 15 % en 2016. Outre la désaffection du public, l'événement souffre des critiques récurrentes des éditeurs en raison notamment de son coût trop élevé pour les exposants (de 800 euros pour un stand de 3 m 2 à 20 000 euros pour les plus grands, sans compter les frais de décoration, de réception et de personnel), pour un retour sur investissement discutable . En 2010, Hachette, premier groupe français d'édition, en conflit avec Reed Expositions, organisateur du salon depuis sa première édition en 1981, a le premier boycotté l'événement et, avec lui, ses éditeurs de littérature générale. En 2015, cinq nouvelles maisons d'édition estampillées Hachette ont renoncé à exposer, en leur nom propre cette fois : Grasset, Calmann-Lévy, JC Lattès, Fayard et Stock, les trois premières étant à nouveau présentes cependant lors de l'édition 2017. Bien remise en question dans son fonctionnement actuel, celle-ci a rassemblé 1 200 éditeurs, 3 000 auteurs et un millier de journalistes accrédités.

À cette grand-messe un peu surannée, les éditeurs préfèrent désormais les rencontres en librairies, en bibliothèques et dans les salons de province , comme la Foire du livre de Brive, la Comédie du livre à Montpellier, la Fête du livre à Saint-Etienne ou Quai du polar à Lyon, manifestions populaires et gratuites pour le public.

Il faut dire que, dans un marché français de l'édition très morcelé , tous les acteurs ne disposent pas, loin s'en faut, de l'assise financière leur permettant d'engager des frais élevés pour des dépenses de promotion, pourtant essentielles à l'heure où, face à une offre foisonnante, les lecteurs ne peuvent plus guère compter sur les prescripteurs traditionnels que sont les émissions littéraires de référence, aujourd'hui en voie de disparition à la télévision.

Pendant près de vingt-cinq ans, le paysage éditorial français était dominé par un duopole formé par les groupes Hachette et Editis (ex-Vivendi Universal Publishing, ex-Groupe de la Cité), qui devançait nettement une demi-douzaine de groupes de taille moyenne. En 2012, avec le rachat de Flammarion par Gallimard à l'italien RCS Rizzoli, cette configuration a évolué, le nouveau groupe Madrigall ainsi formé rejoignant le trio de tête, qui représente aujourd'hui plus de la moitié des ventes de livres . Plus largement, les dix premiers groupes de l'édition française, avec des éditeurs comme Lefebvre-Sarrut (édition juridique), Media Participations, La Martinière, Albin Michel, France Loisirs, Panini et Actes Sud, réalisent près de 90 % du chiffre d'affaires de l'édition.

Au-delà de ces grands acteurs, l'édition française compte une multitude de petites maisons indépendantes . On dénombre sur le territoire national plus de 8 000 structures éditoriales , dont 4 000 pour lesquelles l'édition représente l'activité principale et un millier dont l'activité peut être estimée économiquement significative. Peuvent être citées parmi elles le groupe Michel Lafon, Les éditions de Minuit, Liana Levi, Le Dilettante, Au Diable Vauvert ou, dans le secteur scolaire et universitaire, les éditions Belin et les Presses universitaires de France. Parmi les très petites structures, se détachent l'Arbre vengeur, Finitude, Séguier, Prairial, Le Bruit du temps ou Le Sonneur. Si certaines disparaissent, faute de pouvoir économiquement survivre, chaque année se créent de nouvelles maisons , comme l'avait souhaité Jack Lang en instaurant le prix unique du livre en 1981.

Le défi des petits indépendants consiste à survivre au milieu d'une offre éditoriale pléthorique . Certains choisissent de publier hors des rentrées littéraires , d'autres de se spécialiser dans un registre particulier : l'humour noir et le fantastique pour l'Arbre vengeur, l'insolite pour Quidam, les écrivains dissidents politiques pour Les éditions de l'Aube, les oeuvres du domaine public, les essais et les récits de voyages pour Les Équateurs, qui a récemment réédité les dix-sept volumes de l' Histoire de France de Michelet ou les auteurs étrangers, plus coûteux en raison du prix de la traduction, pour Le Bruit du temps. Pour ces acteurs de taille très modeste, les librairies indépendantes représentent 90 % de leurs ventes.

Même si, pour une très petite maison, il ne faut compter que 400 exemplaires vendus pour un livre puisé dans le domaine public et 3 000 pour un titre traduit, ces objectifs, compte tenu d'une concurrence considérable sur le marché du livre, ne sont pas facilement accessibles. Régulièrement toutefois, un petit éditeur décroche un prix littéraire , comme Gao Xingjian, prix Nobel de littérature en 2000 et publié en France par les Éditions de l'Aube, ou La Piste Pasolini de Pierre Adrian, lauréat du prix des Deux Magots en 2016 et auteur des Équateurs. D'autres connaissent avec un titre un joli succès : En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut chez Finitude (300 000 exemplaires) ou Un été avec Montaigne d'Antoine Compagnon chez Les Équateurs (200 000 exemplaires) pour mentionner les plus récents.

« S'il y a trop d'éditeurs, il y a aussi trop de livres, et surtout trop de livres insignifiants et sans valeur, qui se tuent les uns les autres » , énonçait Henri Baillière en 1903 dans La crise du livre . Sans méconnaître les travers de la « bestsellerisation » du marché de l'édition, qui rend la tâche ardue pour les plus modestes éditeurs, votre rapporteure pour avis ne partage nullement cette affirmation, convaincue que l'existence d'une multitude d'acteurs (libraires, auteurs, éditeurs) enrichit la variété de la production éditoriale française et, partant, contribue à la diversité culturelle à laquelle elle est farouchement attachée.

Reste que ce tissu économique ne peut survivre dans un contexte extrêmement concurrentiel, et hors rare miracle éditorial sur tel ou tel titre, qu'en étant accompagné et soutenu. Votre rapporteure pour avis s'inquiète en particulier du sort réservé aux éditeurs scientifiques par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui autorise les auteurs, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, à mettre en ligne gratuitement dans un format ouvert leurs manuscrits acceptés pour une publication, dès lors de la recherche était financée au moins pour moitié sur fonds publics. Un délai d'attente de six mois est désormais prévu dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine, portée à douze mois pour les sciences humaines et sociales.

Il est certes exact qu'en ce domaine, les géants mondiaux (Elsevier-Masson, Wiley, Wolters Kluwer, Thomson Reuters, Taylor & Francis ou Springer Nature) ont considérablement augmenté le prix de leurs articles et vu croître leurs profits en proportion ces dernières années, s'attirant en conséquence les foudres des chercheurs. Toutefois, subsistent en France des éditeurs modestes, qui souffrent déjà du recul des dotations des bibliothèques. Or, ces dernières risquent désormais de supprimer la majorité de leurs abonnements, jugeant le nouveau délai de mise à disposition gratuite suffisamment court pour que le public puisse patienter.

Compte tenu du risque économique qui pèse sur ce secteur d'activité, il convient que l'État prenne ses responsabilités, lui qui a préféré faire peser sur les éditeurs scientifiques les conséquences de son refus d'augmenter les dotations des bibliothèques universitaires. Votre rapporteure pour avis sera à cet égard particulièrement attentive aux travaux du comité de suivi de l'édition scientifique , qui regroupe, pour la mise en oeuvre de cette réforme, des représentants des chercheurs, des éditeurs privés et des bibliothèques, et à la mise en place effective des aides promises , qui devraient concerner 900 revues pour 700 000 euros par an pendant cinq ans selon les annonces gouvernementales.

d) Éviter le lent étiolement du Centre national du livre

La loi n° 46-2196 du 11 octobre 1946 créant un centre national du livre et le décret n° 2014-1435 du 1 er décembre 2014 définissent les missions et l'organisation du CNL, établissement public administratif sous tutelle du ministère de la culture et de la communication.

Dans le cadre d'orientations définies par un conseil d'administration où siègent, aux côtés des pouvoirs publics, des représentants de la filière du livre et des personnalités qualifiées, le CNL a pour mission de :

- soutenir et encourager l'activité littéraire des écrivains, des illustrateurs et des traducteurs , par l'attribution de bourses de création et de résidence ;

- soutenir l'édition d'oeuvres littéraires jugées primordiales en raison de leur exigence littéraire ou scientifique par le biais de subventions à destination des éditeurs français ;

- encourager tous les modes d'expression littéraire et concourir à la diffusion , sous toutes ses formes, d'oeuvres littéraires en langue française ;

- contribuer, par l'aide aux entreprises d'édition et de librairie, au développement économique du secteur du livre ainsi qu'au maintien et à la qualité des réseaux de diffusion du livre et de la lecture ;

- participer à la défense et à l'illustration de la langue et de la culture françaises ;

- favoriser la traduction d'oeuvres étrangères en français et d'oeuvres françaises en langues étrangères ;

- accompagner les manifestations littéraires ;

- intensifier les échanges littéraires en France et à l'étranger et concourir à des actions de promotion du livre et de la lecture susceptibles de contribuer à la diffusion et au rayonnement du livre français ;

- soutenir les bibliothèques, les établissements culturels et les librairies , en France et à l'étranger, qui commandent des ouvrages de langue française présentant un intérêt culturel, scientifique, technique ou touchant à la francophonie.

À cet effet, le CNL attribue des subventions et des prêts après avis de l'un des vingt commissions ou comités , organisés par disciplines ou par type d'intervention, qui rassemblent plus de 300 spécialistes (écrivains, universitaires, journalistes, chercheurs, traducteurs, critiques, éditeurs, libraires, conservateurs, animateurs de la vie littéraire, français et étrangers), nommés par le ministre de la culture sur proposition du président du CNL. Ces structures s'appuient également sur un réseau de lecteurs et d'experts.

En mai 2015, dans le cadre d'une ambitieuse réforme, pleinement déployée en 2016, le CNL a installé de nouveaux dispositifs, parmi lesquels la rémunération obligatoire des auteurs intervenant dans les manifestations soutenues par l'établissement et l'accompagnement de projets menés par les bibliothèques à destination de publics éloignés géographiquement, culturellement ou socialement de la lecture. La réforme poursuit un triple objectif de simplification des dispositifs, d'évolution de certains d'entre eux et de refonte de la politique de soutien aux bibliothèques . Ainsi, les interventions de l'opérateur sont passées de 38 à 26 dispositifs grâce à la fusion de certaines aides et à la suppression d'autres. D'autres encore ont évolué afin d'y intégrer la dimension numérique et d'éviter les cumuls de subventions.

Pour mener à bien sa politique de soutien, le CNL bénéficie du produit de deux taxes , qui représentent la très grande majorité de ses recettes : la taxe versée par les éditeurs sur le produit des ventes d'ouvrages en librairie (4,3 millions d'euros prévus en 2017) et, surtout, la taxe sur les ventes des appareils de reprographie, de reproduction et d'impression (24 millions d'euros en 2017). Dans la mesure où il ne reçoit aucune subvention du ministère de la culture, hormis la prise en charge des seize ETPT qui lui ont affectées, ces taxes ont représenté, en 2016, 96 % de ses recettes.

Répartition des recettes

Source : Rapport d'activité 2016 du Centre national du livre

De nature redistributrice, la première taxe est perçue au taux de 0,2 % et concerne les ventes d'ouvrages en librairie. Elle est due par les éditeurs dont le chiffre d'affaires annuel attaché aux ventes de livres et supérieur à 76 500 euros. De nature compensatrice, au regard du préjudice subi par les auteurs et les éditeurs, la seconde est perçue au taux de 3,25 % sur les ventes d'appareils de reprographie, d'impression et de reproduction.

Le rendement de ces deux taxes affectées connait un lent déclin , ce qui ne permet plus à l'opérateur de disposer d'un budget conforme au plafond fixé en loi de finances, soit 34,7 millions d'euros (5,3 millions d'euros pour la taxe édition et 29,4 millions d'euros pour la taxe reproduction et impression.

Sur la base de ce constat, l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) s'est vue confier une mission destinée à analyser les causes de l'érosion du rendement des taxes affectées au CNL , en identifiant la part des causes structurelles et celle liée à la conjoncture du secteur. Ses conclusions ont été rendues en novembre 2015. La mission a jugé inexorable l'attrition progressive de la taxe dite « reprographie », dans la mesure où les ventes de photocopieurs diminuent au bénéfice de contrats de service. Elle formule plusieurs préconisations , dont deux ont d'ores et déjà été mises en oeuvre.

L'article 96 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 a élargi le champ de la taxe sur l'édition aux ventes de livres numériques . Cette mesure dégage une ressource dynamique, bien que limitée, compte tenu du développement de l'édition numérique. En outre, une démarche de sensibilisation a été menée envers les éditeurs publics assujettis à cette taxe afin de s'assurer d'un rendement optimal.

Par ailleurs, l'IGAC et le Conseil d'État ont été chargés de définir un niveau de ressources pertinent à partir d'une revue des missions du CNL. Cette réflexion doit aboutir à la définition d'un nouveau modèle de financement .

Répartition des taxes

Source : Rapport d'activité 2016 du Centre national du livre

Malgré une légère embellie en 2016 (+ 380 000 euros par rapport à 2015 grâce à l'élargissement de la taxe éditeur au chiffre d'affaires numérique), saluée par Françoise Nyssen lors de son audition devant votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, l'atrophie des recettes du CNL fragilise son assise financière, rend incertaines ses prévisions budgétaires et entraîne, pour l'opérateur, des difficultés à remplir ses missions et l'oblige à adapter en fonction les aides qu'il accorde aux professionnels du livre.

Panorama général des aides en volume et en valeur
(montant total attribué au titre des aides. Nombre d'aides en M€)

Source : Rapport d'activité 2016 du Centre national du livre

Comparativement à 2015, les aides allouées par le CNL en 2016 sont en retrait de 7,5 % en volume à 2 232 aides pour 3 386 demandes, mais progressent de 1,1 % en valeur à 26,6 millions d'euros , témoignant de la volonté de l'établissement, dans un contexte de forte contrainte budgétaire, de renforcer la sélectivité de ses interventions.

L'édition se détache très significativement des autres domaines d'intervention en concentrant près de 54 % du soutien en volume, même si la diffusion demeure majoritaire en valeur.

Panorama des aides par type de bénéficiaire

Source : Rapport d'activité 2016 du Centre national du livre

Source : Rapport d'activité 2016 du Centre national du livre

Le soutien du CNL aux éditeurs se décline en subventions et en prêts visant à accompagner la prise de risque d'un éditeur en faveur d'une production éditoriale diversifiée et de qualité, sous format imprimé et numérique et accessible au plus grand nombre. En 2016, 1 031 aides ont été attribuées dans ce cadre pour un montant de 8,6 millions d'euros. Elles profitent, en proportion des difficultés rencontrées par ces catégories d'ouvrages, majoritairement au théâtre, à la philosophe, à la littérature scientifique ou encore à la poésie.

Compte tenu des frais engagés et du nombre plus élevé de tirages, les sommes allouées sont cependant plus élevées pour les ouvrages de littérature, d'histoire et de jeunesse. Les montants les plus importants versés par titre en 2016 pour leur publication (prise en charge d'une partie des coûts de l'édition papier et/ou numérique) ont ainsi concerné Le monde du catholicisme (ouvrage collectif) chez Robert Laffont (21 000 euros), Mudra, 103 rue Bara de Dominique Genevois aux éditions Contredanse (21 000 euros), Correspondance complète de Rosa Luxembourg chez Agone (20 160 euros) et Mon imagier en chansons d'Édouard Manceau chez Benjamin média (20 000 euros).

Panorama des aides par domaine éditorial

Nombre d'aides (montants en millions d'euros)

Source : Rapport d'activité 2016 du Centre national du livre

Source : Rapport d'activité 2016 du Centre national du livre

Outre les aides aux éditeurs, libraires, auteurs et bibliothèques, le CNL accompagne également la présence du livre français à l'étranger , au travers notamment de sa subvention au Bureau international de l'édition française (Bief), qui s'élève en 2017 à 2,56 millions d'euros. Depuis 2014, il verse 740 000 euros par an pour la mise en oeuvre des contrats territoire-lecture . Il apporte enfin sa contribution au financement de plusieurs manifestions littéraires , en particulier « Partir en livre », qui a rassemblé 500 000 jeunes autour de 4 000 opérations lors de l'édition de l'été 2017, et « Livre Paris ».

Au-delà des contraintes budgétaires pesant sur ses dépenses d'intervention, le CNL a dû revoir à la baisse ses dépenses de fonctionnement (2,27 millions d'euros en 2016), en faisant porter un effort particulier sur les frais de déplacement et de réception (- 24 % par rapport à 2015). Il s'est également vu dans l'obligation, fort malheureusement, de reporter deux investissements : les travaux d'accessibilité de l'établissement aux personnes handicapées et l'acquisition et la maintenance d'une solution progicielle de gestion et de suivi des aides.

Page mise à jour le

Partager cette page