E. FRANCE MÉDIAS MONDE : UN DÉVELOPPEMENT PROMETTEUR CONTRARIÉ PAR UNE CONTRAINTE DE MOYENS

La fusion de l'AEF, de France 24 et de RFI et de sa filiale MCD est intervenue sur le plan juridique le 13 février 2012 dans des conditions difficiles après plusieurs années de débats sur la relance de l'audiovisuel extérieur. La nomination de sa présidente, Marie-Christine Saragosse, le 7 octobre 2012, - dont le mandat a été renouvelé par le CSA en juin dernier pour cinq années - est intervenue dans un contexte marqué par la décision du nouveau gouvernement d'arrêter le rapprochement des rédactions de France 24 et de RFI qui répond au choix fait de préserver l'identité de chaque entité.

L'audiovisuel extérieur de la France se caractérise donc aujourd'hui par :

- une structure unique concernant l'information - France Médias Monde - composée d'entités qui conservent une identité propre et visent à toucher des publics différents, dans une logique de complémentarité ;

- une notoriété inégale entre RFI qui maintient ses positions de leader, en Afrique notamment, et France 24 encore en phase de développement et qui s'emploie à trouver et consolider ses publics ;

- des moyens sensiblement inférieurs à ceux de ses concurrents (BBC, DW) même si les effectifs apparaissent comparables à ceux de BBC World Service.

Les chiffres clés de France Médias Monde démontrent la qualité de l'offre proposée par l'audiovisuel extérieur de la France. Ce sont en effet près de 100 millions d'auditeurs et de téléspectateurs qui sont touchés chaque semaine tandis que, chaque mois, 35 millions de personnes en moyenne visitent les supports numériques (sites, applications mobiles) et que 60 millions de personnes sont inscrites sur les comptes sur les réseaux sociaux des différentes entités. La direction de FMM estime donc à 135 millions le nombre de personnes qui chaque semaine sont au contact avec les différents supports de diffusion du groupe.

Chiffres clés France 24

France 24 a accru sa distribution 24h/24 de +60 % en quatre ans. Ce sont plus de 333 millions de foyers qui reçoivent au moins l'une de ses trois versions.

L'audience mondiale de France 24 est de +31 % en quatre ans. 55 millions de téléspectateurs la regardent chaque semaine (mesure faite sur 64 des 180 pays où la chaîne est distribuée).

France 24 est toujours l'une des chaînes les plus suivies au Maghreb par l'ensemble de la population (1ère chaîne d'information en Tunisie, en Algérie et au Maroc). Elle est la 1ère chaîne d'information internationale dans toutes les capitales d'Afrique francophone. La version arabe de France 24 s'affirme de plus en plus au Proche et Moyen-Orient (Jordanie en particulier).

Chiffres clés RFI

L'audience mondiale de RFI a connu une hausse de +19 % en quatre ans. 41,3 millions d'auditeurs hebdomadaires (mesure faite sur 37 des 62 pays où RFI est diffusée) et 1 000 radios partenaires qui reprennent certains de ses programmes. En Afrique, RFI est dans le « top 3 » des radios les plus écoutées dans la quasi-totalité des capitales et numéro 1 parmi les cadres et les dirigeants avec des scores entre 80 et 100 % d'audience sur cette cible.

Les programmes en langues étrangères connaissent un fort succès, à l'image du haussa au Nigéria avec 5 millions d'auditeurs hebdomadaires, du khmer au Cambodge et du roumain. Le mandingue a été lancé en octobre 2015 à destination de la bande sahélienne. Les résultats du mandarin et du vietnamien sont également encourageants sur Internet.

Chiffres clés MCD

L'audience de Monte Carlo Doualiya (MCD) a connu une augmentation de +9 % en quatre ans avec 7,3 millions d'auditeurs mesurés dans le monde arabe.

L'année 2015 a été marquée par une ouverture à Oman, une réouverture à Tripoli et un renforcement des émetteurs dans les Territoires palestiniens et aux Émirats Arabes Unis. MCD est aujourd'hui la première radio internationale au Liban auprès des leaders d'opinion, son audience progresse fortement en Jordanie et elle est la 3 e radio la plus écoutée en Mauritanie.

Source : France Médias Monde

1. Une mise à contribution qui limite le développement de l'entreprise
a) Une remise en cause du COM 2016-2020

L'encre du nouveau COM 2016-2020 de France Médias Monde n'a pas encore eu le temps de sécher que ce dernier est déjà remis en cause par le Gouvernement... Cette situation est évidemment difficile à comprendre pour une entreprise qui est soumise à une forte concurrence sur tous les continents et particulièrement en Afrique et en Asie de la part d'acteurs qui ont des moyens supérieurs.

Le niveau des ressources publiques de FMM reste en 2017 inférieur à celui de 2011 , ce qui a imposé une profonde transformation de l'entreprise et la réalisation d'économies et de gains de productivité importants sur la période écoulée pour financer les développements de FMM.

Sur la base du COM 2016-2020, à périmètre d'activités et de missions identiques (c'est-à-dire hors financement de France 24 en espagnol), FMM voit ses ressources publiques demeurer en retrait entre 2011 (252,7 millions d'euros) et 2017 (248,6 millions d'euros). Dans ces conditions, l'entreprise se trouve dans une situation à nouveau compliquée suite à l'arbitrage budgétaire pour 2018 faute de réelles marges de manoeuvre à périmètre constant.

Les économies demandées dans le PLF 2018 s'élèvent en effet à 1,9 million d'euros, les crédits inscrits au programme 844 s'établissant à 263,16 millions d'euros.

Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, Marie-Christine Saragosse a indiqué que la recherche d'économies « a été guidée par l'objectif de causer le moins d'impact possible à l'entreprise afin de préserver son coeur de métier, de ne pas remettre en cause la paix sociale acquise après une période de grands troubles, de ne pas nuire aux projets d'ores et déjà engagés et de préserver la transformation numérique » . La présidente de FMM a également précisé que l'entreprise ne disposait pas de marge sur ses recettes propres dont l'actuel COM prévoit déjà un accroissement de 15 %. Or les recettes publicitaires sont très difficiles à développer à l'international et la direction de FMM constate que malgré la hausse de l'audience de 31 %, les recettes générées par la régie de France Télévisions - en charge de la commercialisation - sont en baisse. Elle envisage dans ces conditions de régionaliser la gestion de ces espaces publicitaires à l'issue du contrat de régie qui lie FMM à France Télévisions jusqu'à fin 2018.

Dans ces conditions, les pistes d'économies apparaissent limitées sachant que plusieurs départs effectués en 2017 ont déjà permis de réduire la masse salariale de quelques salaires élevés. Des départs ciblés supplémentaires en 2018 sont envisageables mais ils pourraient se traduire par des coûts exceptionnels dès 2017, qui risquent de remettre en cause pour la première fois depuis cinq ans l'équilibre budgétaire de l'entreprise.

Une autre piste consiste à réduire la couverture de la distribution mondiale mais cela reviendrait à renoncer par là-même à la présence de certains médias de FMM à l'international. Pour éviter de lourds dédis et de généraliser l'impact des économies, cet exercice suppose de prendre en compte les dates d'échéance des contrats et leur montant, le premier arrivant à échéance et constituant le coût le plus élevé étant celui permettant la diffusion de France 24 à New York et Los Angeles.

La direction de FMM estime que « pour atteindre le montant d'économie demandé, ces deux pistes (départs ciblés et réduction de couverture) devront être cumulées ».

Votre rapporteur pour avis ne peut que se réjouir que les économies demandées à FMM n'aient pas remis en cause le projet de lancement de France 24 en espagnol qui s'avère d'ores et déjà être un succès mais il ne peut que souscrire aux craintes exprimées par Marie-Christine Saragosse pour qui « à l'international toute position abandonnée est très difficile et coûteuse à reconquérir et cela à un moment où les idées et les valeurs de la France ont plus que jamais besoin d'être portées partout dans le monde » .

Votre rapporteur pour avis exprime, à cet égard, le souhait que les arbitrages préservent les langues africaines et notamment le swahili qui constitue un point fort de FMM en Afrique par rapport à la BBC.

Avis favorable à l'unanimité à l'adoption du COM de France Médias Monde
avec trois réserves

Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a examiné le 23 novembre 2016 le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Médias Monde pour la période 2016-2020 .

Après que la commission, unanime, a souligné le réel effort d'économies structurelles réalisé depuis 2013, notre collègue Claudine Lepage, alors rapporteure pour avis s'était réjouie que France Médias Monde se voit accorder 23,1 millions d'euros sur la durée du COM, soit une hausse de 9,5 % qui constituait davantage qu'un doublement de la progression des moyens par rapport au précédent COM. Cette enveloppe devait permette le lancement de France 24 en espagnol, à partir de septembre 2017 . Notre collègue avait également salué la participation de France 24 à la chaîne Franceinfo qui illustre une mutualisation réussie des moyens de l'audiovisuel public . La priorité donnée au numérique dans le nouveau COM était partagée par notre collègue. Enfin, elle avait estimé que l' accord professionnel du 31 décembre 2015, qui permettait d'harmoniser les conditions de travail et de rémunération des différents personnels constituait une avancée pour construire une identité commune .

En revanche, la rapporteure pour avis avait regretté que la valorisation des antennes de FMM sur le territoire ne constitue pas une priorité tout comme le développement en Afrique de RFI du fait de la priorité donnée à la chaîne France 24 en espagnol.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption du COM, accompagné de trois réserves :

- elle avait regretté que le « Brexit » intervenu en juin dernier ne donne pas lieu à un plan de développement de FMM en Europe afin de permettre au français d'y réaffirmer son rôle ;

- elle avait souhaité que le signal en français puisse également être présent, au moins partiellement, sur la chaîne France 24 en espagnol , en dehors des six heures de programmes quotidiens en espagnol, en remplacement ou en complément du signal en anglais le reste du temps ;

- elle avait estimé que le rapprochement des rédactions de RFI et France 24, interrompu en 2012, devrait être réexaminé au cours de l'application du nouveau COM .

b) Une entreprise qui a déjà fait des efforts de restructuration

Il aura fallu trois années pour que le rapprochement des entreprises donne lieu à un rapprochement des conditions de travail des personnels. L'accord professionnel du 31 décembre 2015 a permis, après deux années de négociations, d'avancer sur la voie du rapprochement des conditions de travail des personnels. L'effort de convergence a visé deux objectifs distincts : augmenter la durée du temps de travail et les salaires à RFI et MCD et baisser le temps de travail à France 24. Au final, la direction de FMM indique que « l'accord a permis d'augmenter le temps de travail à 204 jours pour l'ensemble des personnels ce qui est inédit dans l'histoire de l'audiovisuel public » .

FMM a également conduit d'importantes réformes structurelles des métiers de l'audiovisuel qui s'inspirent des pratiques des nouvelles chaînes d'information. Les journalistes montent ainsi leurs sujets (il n'y a plus de monteurs) et les techniciens radios réalisent (il n'y a plus de réalisateurs).

La mise en oeuvre de deux plans de départs volontaires a conduit à la réduction de près de 20 % des effectifs radio (gains de productivité sur les processus de production radio et fermeture de six rédactions de langues de RFI). La direction de FMM indique que l'entreprise a entièrement remboursé à l'Etat le financement de ces plans de départs.

Enfin, la fusion des fonctions supports des trois médias à travers des directions communes a permis des économies drastiques et la réalisation d'économies qui concernent plus généralement tous les frais de l'entreprise .

Grâce à ces réformes, FMM a pu financer sur ses propres ressources l'essentiel des projets de développements structurants pour son avenir tout en consolidant ses acquis et en développant ses audiences, ceci en présentant chaque année un résultat net à l'équilibre.

Les personnels de FMM 32 ( * ) sont bien conscients des efforts accomplis et attendent maintenant que ces mêmes efforts soient réalisés par les autres sociétés de l'audiovisuel public. FO indique par exemple que « FMM a fait énormément d'économies et s'est restructuré. La concurrence a plus de moyens et nous remplace » . Le SNJ rappelle de la même manière que « FMM a le plus petit des budgets comparé à la BBC, RT, CCTV et que ces acteurs prennent tous le tournant du numérique » . Le SNJ observe que FMM est d'abord une entreprise de main d'oeuvre et que chaque réduction de moyens se traduit sur les contenus. La CFTC considère qu'on serait arrivé « à la limite de la polyvalence, qu'on est au bout de la logique » et pointe le fait que « l'Etat cherche de l'argent mais qu'il devrait préciser ce qu'il attend de l'entreprise » . Le syndicat n'a pas tort de pointer « l'absence de directives réelles » qui laisse la société décider seule.

Dans ces conditions, il sera difficile de demander à FMM des efforts supplémentaires sauf à accepter de remettre en cause soit l'organisation de la production de l'information soit certains choix de langues de diffusion ce qui relève d'une décision politique assumée par l'actionnaire.

À cet égard, votre commission considère depuis plusieurs années de manière positive un rapprochement des rédactions des différentes entités de FMM lorsque cela peut faire sens comme en français, en arabe, en anglais et en espagnol. Ce rapprochement était au coeur du projet même de la création de FMM et n'a été abandonné en 2012 que pour des raisons politiques . Le maintien de rédactions séparées non seulement constitue un inaboutissement du projet initial mais représente aussi un facteur de fragilité qui pourrait remettre en cause l'existence même du groupe, un souci de mutualisations pouvant amener à reconsidérer l'intérêt de rapprocher les radios de FMM de Radio France et France 24 de France Télévisions. Votre rapporteur pour avis soutient pour sa part le projet même de pôle de l'audiovisuel extérieur et remarque que le partenariat noué entre France 24 en espagnol et RFI espagnol a été très fructueux ce qui illustre les potentialités d'un rapprochement de plus grande envergure.

Concernant les langues de diffusion, votre rapporteur pour avis estime qu'à l'avenir il conviendra sans doute de s'interroger sur la pertinence pour un média de service public français financé par la redevance de proposer des services de langue anglaise . La BBC a plus de légitimité à s'exprimer dans la langue de Shakespeare que les antennes de FMM et les valeurs de la démocratie et de la liberté de la presse sont parfaitement défendues par la « Beeb ». Ne serait-il pas préférable de réallouer les crédits utilisés pour les services en langue anglaise de France 24 et RFI à d'autres projets notamment en Afrique et en Asie où la défense de la francophonie et la valorisation des langues locales constituent des combats prioritaires ?

2. Un rôle de France Médias Monde à conforter dans le cadre d'une évolution de l'audiovisuel public

Les attentes vis-à-vis de l'audiovisuel extérieur restent fortes alors même que les défis géopolitiques n'ont jamais été aussi nombreux et surtout potentiellement aussi dangereux.

L'abondance des contenus qui marque le paysage audiovisuel français avec, notamment, l'émergence de nouveaux acteurs à son pendant en matière d'information à l'international avec le renforcement des acteurs historiques et l'arrivée de nouveaux entrants. Alors que les moyens de FMM ne dépassent pas 260 millions d'euros, BBC World est doté d'un budget de 437 millions d'euros et bénéficie d'une dotation supplémentaire de 339 millions d'euros sur la période 2015-2019 pour développer ses plateformes numériques ainsi que 11 nouvelles langues en plus des 28 déjà diffusées par le service britannique. Deutsche Welle (DW) dispose pour sa part d'un budget supérieur de 50 millions d'euros à celui de FMM.

Une autre concurrence va s'affirmer prochainement avec le lancement du service en français de Russia Today (RT), qui s'ajoutera à son service en espagnol.

Dans ces conditions, il apparaît à la fois indispensable de renforcer les moyens de France Médias Monde, de développer les mutualisations avec les autres sociétés de l'audiovisuel public et de préserver sa spécificité.

La volonté aujourd'hui largement partagée de rapprocher les différents médias de service public ouvre la porte à des regroupements de moyens. C'est ainsi que FMM et Radio France examinent la possibilité de partager leurs envoyés spéciaux permanents (ESP) dans cinq villes (Bruxelles, Beyrouth, Washington, Pékin, Moscou). Votre rapporteur pour avis s'interroge sur la possibilité qu'un mouvement similaire soit opéré entre France 24 et France Télévisions pour mettre en commun les ESP afin de partager les coûts.

A contrario , alors que l'on prête l'intention à Radio France de développer de nouvelles activités à l'international, en particulier en Afrique, votre rapporteur pour avis insiste sur la nécessité d' éviter une dispersion des moyens de l'audiovisuel public et de privilégier des partenariats avec FMM.

Dans l'immédiat, le rapprochement engagé entre FMM et CFI, organisme chargé de la coopération dans le domaine de l'audiovisuel, qui devrait être effectif en 2018, constitue un nouvel enjeu pour l'entreprise, compte tenu en particulier de la nécessité de maintenir séparées les deux entités tout en permettant un enrichissement mutuel.

Votre rapporteur pour avis souhaite également saluer le dynamisme des équipes de FMM, qui réussissent à multiplier les partenariats dans le monde afin de favoriser la reprise de leurs contenus (1 300 radios partenaires). Le tournant numérique pris par l'entreprise constitue également une opportunité importante pour son développement comme en témoigne la diffusion multicanal de France 24 en espagnol, les émissions communes à plusieurs antennes et la promotion croisée de contenus.

Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, Marie-Christine Saragosse a notamment exprimé son souhait d'africaniser le signal de France 24 en Afrique en lien avec RFI ainsi que les projets de rédactions délocalisées. La priorité donnée à l'Afrique apparaît une nécessité autant pour promouvoir la francophonie que pour préserver les langues locales et lutter contre l'islamisme radical.


* 32 Votre rapporteur a auditionné les syndicats de France Médias Monde le 26 octobre 2017.

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