EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA PROGRESSION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 177 NE MET PAS FIN À L'INSINCÉRITÉ CHRONIQUE QUI LE CARACTÉRISE

A. LA PROGRESSION DES CRÉDITS NE PEUT CACHER LA PERSISTANCE D'UNE SOUS-BUDGÉTISATION

1. Un programme qui finance des dispositifs fortement sollicités

En 2018, le programme 177 est compris dans la mission « Cohésion des territoires ». Il représente environ 12 % des crédits de cette mission, qui finance par ailleurs notamment les aides à l'accès au logement (programme 109, crédité de 13,6 milliards d'euros). Si le périmètre de la mission à laquelle il est rattaché s'élargit en 2018 à la politique de la ville et à l'aménagement du territoire, celui du programme 177 demeure inchangé.

Ce programme doit financer la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées, dont un des objectifs est d'assurer l'effectivité du droit inconditionnel à l'hébergement inscrit à l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles (CASF).

Le principe du droit inconditionnel à l'hébergement prévu par le CASF

Art. L. 345-2-2 : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence.

« Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, (...) et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état (...). »

Art. L345-2-3 : « Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. »

Cette politique est souvent présentée comme la « voiture balai » 1 ( * ) des autres politiques sociales, supportant les échecs et les insuffisances du marché du travail, de la politique du logement, de la psychiatrie, de la prison, de l'insertion des étrangers ou encore de l'aide sociale à l'enfance.

Si la problématique du sans-abrisme demeure concentrée sur les grandes villes et singulièrement sur l'Ile-de-France, les territoires ruraux connaissent depuis quelques années une augmentation du nombre de personnes sans abri qui constitue pour eux une relative nouveauté

L'augmentation du sans-abrisme : l'exemple du département des Deux-Sèvres

Votre rapporteur a rencontré les acteurs institutionnels et associatifs du département des Deux-Sèvres (375 000 habitants). Ce département rural qui était, jusqu'à une période récente, relativement peu touché par la question du sans-abrisme connaît à son échelle les difficultés observées sur l'ensemble du territoire. Le bilan de la campagne hivernale 2016-2017 fait apparaître une augmentation annuelle de 35 % des demandes d'hébergement (4 305 demandes) et de 11,8 % du nombre de personnes accueillies (719 personnes distinctes). En parallèle, le nombre de personnes rencontrées par les maraudes, qui sollicitent rarement le 115, était en progression de 30 %.

Alors que devait s'ouvrir une nouvelle campagne hivernale, la sollicitation des dispositifs d'hébergement continue d'être forte puisque les différentes structures d'hébergement étaient saturées dès le 11 septembre 2017.

L'association « Un toit en Gatine », gestionnaire du SIAO « insertion » départemental note en outre une évolution du profil des personnes sans abri. Les structures d'hébergement sont ainsi de plus en plus sollicitées par des familles ou des femmes seules, mais également par des étrangers demandeurs d'asile ne trouvant pas de place dans les dispositifs spécifiques ou au contraire en situation irrégulière. Cette diversification des profils rend nécessaire la prise en compte de problématiques spécifiques, notamment les chocs post-traumatiques et autres fragilités psychiatriques ou des problèmes d'addiction et complique la tâche des travailleurs sociaux qui oeuvrent dans les structures d'insertion.

2. Une progression nominale des crédits du programme

Face à des besoins croissants, les crédits du programme 177 ont connu une progression constante sur la période récente. La loi de finances initiale (LFI) pour 2017 a ainsi marqué une progression de 15,1 % par rapport à la LFI 2016, qui constituait déjà une progression de 10,8 % par rapport à la LFI 2015.

Pour 2018, les crédits du programme 177 s'élèvent à 1,95 milliard d'euros, soit une progression de 212 millions d'euros en valeur et 12,2 % en volume par rapport à la LFI pour 2017. Cette progression s'inscrit dans la continuité des exercices précédents, même si elle marque un léger infléchissement.

Sur cinq ans, les crédits inscrits en LFI au titre du programme 177 auront donc progressé de 60 % (730 millions d'euros), ce qui est notable dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons.

Crédits du programme 177 et taux de progression annuel

(en millions d'euros)

Source : Annexes budgétaires et calculs du rapporteur

3. Une sous-budgétisation et une insincérité qui persistent
a) La sous-budgétisation chronique

L'augmentation constante du budget consacré au programme 177 ne peut dissimuler une sous-budgétisation chronique de ce programme. En effet, les crédits prévus par la loi de finances initiale sont systématiquement insuffisants et doivent chaque année être complétés en cours d'exercice. L'ampleur de cette sous-budgétisation a même tendance à s'accroître au fil des années.

Écart entre la programmation (LFI) et l'exécution

(en millions d'euros)

Source : Annexes budgétaires, prévision d'exécution 2017 communiquée par la DGCS et calculs du rapporteur

Surtout, il n'est pas tenu compte de cette sous-budgétisation dans la programmation pour l'année suivante et les crédits demandés dans le cadre du PLF d'une année n toujours inférieurs au niveau de l'exécution de l'année n-1 , voire de l'année n-2 .

Source : Annexes budgétaires, prévision d'exécution 2017 communiquée par la DGCS et calculs du rapporteur

Cette situation n'est pas satisfaisante. D'une part, l'insincérité budgétaire ne permet pas au Parlement de disposer d'une information de nature à lui permettre de débattre des moyens dédiés à cette politique publique. D'autre part, la nécessité d'abonder en cours d'année les crédits du programme 177 crée des difficultés de trésorerie pour les gestionnaires et entraine un manque de visibilité pour les opérateurs qui ne leur permet pas de s'inscrire dans une gestion sereine.

Dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire 2016 2 ( * ) , la Cour des comptes a relevé ce qu'elle qualifie d'insincérité de la programmation du programme 177 et a recommandé d'y mettre un terme.

b) Le rebasage relatif en 2017

En 2017, l'augmentation de 15,1 % des crédits du programme 177 était présentée comme un rebasage devant permettre d'en finir avec la sous-budgétisation récurrente. Les crédits de la LFI 2017 étaient ainsi quasiment au niveau de l'exécution finale au titre de l'exercice 2016, quoique légèrement inférieurs (- 0,5 %).

Ils se sont toutefois avérés une nouvelle fois nettement insuffisants et ont dû être complétés en cours d'année par un décret d'avance du 20 juillet 2017 3 ( * ) à hauteur de 122 millions d'euros en autorisations d'engagement et 120 millions d'euros en crédits de paiement. Le projet de loi de finances rectificative déposé le 15 novembre 2017 prévoit l'ouverture de 89,6 millions d'euros supplémentaires.

Ces deux compléments ne devraient pas s'avérer suffisants et, selon les informations fournies à votre rapporteur par la DGCS, un nouveau décret d'avance devrait prévoir l'ouverture de 65 millions d'euros supplémentaires en fin d'exercice.

Compte tenu des reports de crédits de l'exercice 2016 sur l'exercice 2017 et des prévisions de reports sur 2018, l'exécution 2017 devrait s'établir à 2,072 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 1,989 milliard d'euros en crédits de paiement, ainsi que le détaille le tableau ci-dessous.

Majorations des crédits du programme 177 intervenues en cours d'exercice 2017

AE (M€)

CP (M€)

Crédits ouverts en LFI

1741,7

1741,7

Reports de crédits non consommés en fin d'exercice 2016

123,8

42,3

Décret d'avance du 20 juillet 2017

122,0

120,0

LFR

89,6

89,6

Décret d'avance fin d'année

65,0

65,0

Crédits non consommés reportés sur 2018

- 70,2

- 70,2

Prévision d'exécution 2017

2 072

1 989

Source : DGCS

c) L'insuffisance manifeste des crédits pour 2018

Avec un niveau de crédits ouverts en début d'année légèrement inférieur à la consommation de l'année précédente, le PLF pour 2018 s'inscrit dans une certaine continuité avec les LFI des années précédentes. L'écart entre les crédits demandés et les crédits consommés en n-1 serait même légèrement plus important que l'année dernière.

Comparaison entre les prévisions d'exécution 2017 et la programmation 2018

AE

CP

Prévision d'exécution 2017 en millions d'euros

2 072

1 989

Programmation PLF 2018 en millions d'euros

1953,5

1953,5

Écart en millions d'euros

- 119

- 36

Taux d'évolution

- 5,7 %

- 1,8 %

Source : Annexes budgétaires, prévision d'exécution 2017 communiquée par la DGCS et calculs du rapporteur

On pourrait donc s'attendre à ce que, comme chaque année, des crédits supplémentaires soient nécessaires en cours d'exercice pour faire face aux situations d'urgence. Or, ainsi qu'il a été indiqué à votre rapporteur, la DGCS a fait passer à ses services déconcentrés la consigne de ne pas attendre de tels compléments et de considérer l'enveloppe qui leur sera déléguée en début d'exercice comme définitive. En d'autres termes, le Gouvernement compte donc sur une baisse effective des dépenses entre 2017 et 2018.

Il ressort des auditions et des déplacements effectués par votre rapporteur, tant auprès de services déconcentrés que d'opérateurs associatifs, qu'il ne sera pas possible de faire face à une sollicitation qui ne faiblit pas avec des moyens de facto inférieurs à ceux de l'année écoulée, sauf à accepter une augmentation drastique du nombre de personnes et de familles laissées sans solution.

Si l'on peut espérer que des crédits supplémentaires seront dans les faits débloqués, cette injonction de l'administration centrale est de nature à renforcer l'incertitude qui pèse sur les acteurs de l'hébergement et du logement adapté.


* 1 Un responsable de budget opérationnel de programme (BOP), rencontré par votre rapporteur, a utilisé l'expression de « BOP l'éponge » pour décrire de manière imagée le fait que les dispositifs d'hébergement financés par le programme 177 sont sollicités par des publics très divers.

* 2 Cours des comptes, Le budget de l'État en 2016 (résultats et gestion), mai 2017.

* 3 Décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

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