II. DES POINTS D'ATTENTION DANS LE CADRE DE L'ÉLABORATION DE LA PROCHAINE LPM

La revue stratégique de défense et de sécurité nationale consacre une rubrique aux objectifs du programme 178. Ainsi, dans la partie consacrée à la stratégie de défense française, le 5e point, relatif aux armées adaptées aux défis stratégiques actuels et futurs, fait état des aptitudes militaires à renforcer. L'une des rubriques de ce 5 e point est intitulée « soutenir et durer  » :

« La capacité à durer dépend du volume des forces, des équipements et des stocks, de l'organisation logistique et de la capacité à régénérer le capital humain comme matériel.

« Le recomplètement et le maintien à niveau des stocks de munitions sont engagés pour toutes les plates-formes (artillerie, avions de combat, unités navales). (...)

« Les fonctions soutien commun, santé, énergie, flux logistiques (ravitaillement), le maintien en condition opérationnelle des équipements et des combattants, le recrutement et la formation concourent directement à la capacité des forces à conduire leur préparation opérationnelle et à opérer sur les théâtres extérieurs, ainsi que sur le territoire national, et ce dans la durée. Le maintien en condition opérationnelle des équipements, les capacités de transport stratégique et tactique dans les trois milieux et le soutien médical des forces en opérations (antenne chirurgicale déployée) doit faire l'objet d'un effort prioritaire. »

A. DES CRÉDITS PERMETTANT D'ATTEINDRE UNE DISPONIBILITÉ ET UNE PRÉPARATION OPÉRATIONNELLES SATISFAISANTES

Les indicateurs de performance du programme 178 relatifs à la disponibilité technique et à la préparation opérationnelles sont centraux pour apprécier l'état du capital opérationnel de l'armée française . Or, leur évolution n'est pas encore satisfaisante.

1. La préparation opérationnelle, témoin de l'état du capital humain des armées

La préparation opérationnelle de nos armées est gage de la réactivité et de l'efficacité de l'armée et de la sécurité des personnels.

Or, l'activité opérationnelle reste inférieure aux objectifs fixés , de près de 10 %. L'indisponibilité des équipements aéronautiques, la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT), l'opération Sentinelle et les renoncements qu'elle a impliqués, ainsi que le nombre élevé d'OPEX expliquent en grande partie les difficultés des armées à atteindre le niveau de réalisation des activités et d'entraînement prévu. Il est donc indispensable que l'effort soit maintenu .

Niveau de réalisation des activités et de l'entraînement

2014*

2015*

2016*

2017**

2018***

LPM***

JPO

84

64

72

81

Entre 70 et 80

90

Heures de vol par pilote d'hélicoptère Terre

156

156

154

164

180

180

Heures de vol par pilote de chasse Air

153

154

163

164

173

180

Heures de vol par pilote de transport Air

235

239

220

242

302

320

Heures de vol par pilote d'hélicoptère air

174

159

164

170

194

200

Jours de mer par bâtiment marine

dont bâtiments de premier rang

83

92

91

104

92
107

96

105

99

108

100

110

Heures de vol par pilote de chasse Marine

pilote qualifié nuit

136

194

193

236

230
263

180

220

180

220

180

220

Heures de vol par pilote d'hélicoptère Marine

218

218

224

218

220

220

Heures de vol par pilote de patrouille maritime Marine

360

336

348

345

340

340

*Réalisation, ** Prévision actualisée, *** Objectif

Pour pallier le niveau trop bas de réalisation des activités et de l'entraînement, a été mis en place le concept de préparation opérationnelle différenciée . Il repose sur la distinction entre la préparation à « la guerre » de manière générique et la préparation spécifique à « une guerre » correspondant à un théâtre d'opérations donné. L'armée de l'air et l'armée de terre ont défini des régimes d'entraînement différencié permettant d'assurer la qualification des pilotes de chasse. L'amélioration attendue tarde toutefois à se concrétiser. Le retard pris dans la mise en place de la formation modernisée et entraînement différencié des équipements de chasse - FOMEDEC, Sentinelle et la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT) ont empêché la pleine mise en oeuvre de l'entrainement différencié.

De plus, la préparation des forces nécessite de disposer d'équipements disponibles et fiables, ce qu'un trop faible taux de DTO peut empêcher.

2. La DTO encore insatisfaisante de trop nombreux équipements

Le tableau suivant présente la DTO des matériels par rapport aux exigences des contrats opérationnels, pour les années 2014, 2015, 2016 et les prévisions pour 2017.

Niveau de la disponibilité technique opérationnelle

Matériels

2014*

2015*

2016*

2017**

Évolution
2014/2017

Cible 2018

Évolution
2017/2018

Armée de terre
char Leclerc

82

93

83

100

22,0%

96

-4,0%

Armée de terre
AMX 10 RCR

46

70

66

74

60,9%

72

-2,7%

Armée de terre VAB

57

74

77

75

31,6%

73

-2,7%

Armée de terre VBCI

74

86

83

75

1,4%

75

0,0%

Armée de terre
pièces de 155 mm

53

78

82

85

60,4%

75

-11,8%

Armée de terre
Hélicoptères
de manoeuvre

45

42

42

50

11,1%

58

16,0%

Armée de terre
Hélicoptères d'attaque
ou de reconnaissance

59

59

59

62

5,1%

66

6,5%

Marine nationale
Porte-avions

92

90

95

21

-77,2%

31

47,6%

Marine nationale
SNA

69

73

89

70

1,4%

88

25,7%

Synthèse
autres bâtiments
de la marine

79

72

76

79

0,0%

80

1,3%

Marine nationale
Composante frégates

61

58

51

53

-13,1%

53

0

Marine nationale
Chasse

60

77

73

67

11,7%

67

0

Marine nationale
Hélicoptères

53

55

59

54

1,9%

55

1,9%

Marine nationale
Guet aérien,
Patrouille et
surveillance maritime

50

54

57

55

10,0%

56

1,8%

Armée de l'air Avions de combat

88,5

86

92

93

5,1%

96

3,2%

Armée de l'air
Avions de transport
tactique

69

68

61

74

7,2%

80

8,1%

Armée de l'air
Avions d'appui
opérationnel

86

93

86

90

4,7%

93

3,3%

Armée de l'air
Avions à usage
gouvernemental

100

100

104

100

ns

95

-5,0%

Armée de l'air
Hélicoptères
de manoeuvre
et de combat

81

76

74

80

-1,2%

85

6,3%

*Réalisation,**prévision actualisée, ***prévision.

La progression enregistrée entre 2014 et 2017, alors que le niveau des engagements de la France n'a pas diminué et que les achats d'équipement ne se traduisent que peu à peu en livraison d'équipements nouveaux, montre que les efforts budgétaires et les réformes structurelles engagées commencent à porter leurs fruits et permettent de fixer des objectifs de DTO en augmentation par rapport au début de la période de programmation. Cette progression n'est toutefois pas générale , plusieurs exceptions voient la valeur cible de leur DTO en 2018 baisser : il s'agit essentiellement des équipements de l'armée de terre et des équipements aéronautiques .

La disponibilité des chars LECLERC souffre de l'engagement du personnel en charge de sa maintenance sur l'opération « Sentinelle », celle des chars AMX 10 RCR du vieillissement du parc, malgré les efforts de prolongation de sa durée de vie. Le parc des VAB souffre d'un déficit de régénération, celui des VBCI des actions de « rétrofit » qui augmenteront l'encours chez l'industriel. La DTO des équipements de l'armée de terre est à la peine.

Alors que la valeur cible ne diminue pas en 2018, le niveau d'accomplissement du contrat opérationnel reste très insuffisant. La DTO des hélicoptères de l'armée de terre augmente de 10 % par rapport à 2017, mais elle ne permet encore de remplir que 58 à 66 % du contrat opérationnel selon la flotte concernée. Pour les hélicoptères de la marine, une progression de 1,9 % en 2018 ne permettra de remplir que 55 % du contrat opérationnel . La DTO des hélicoptères de l'armée de l'air semble en revanche sur la voie du rétablissement, après avoir connu de réelles difficultés qui ont amené la DTO à diminuer de 2004 à 2017, elle devrait progresser en 2018 de 6,3 % et permettre d'atteindre la satisfaction de 85 % du contrat opérationnel .

La DTO des avions de transport tactique, qui était encore faible à 61 % du contrat opérationnel en 2016, devrait remonter à 74 % en 2017 et 80 % en 2018. A l'inverse, la DTO de la flotte des avions à usage gouvernemental devrait diminuer, passant de 104 % en 2016 à 95 % du contrat opérationnel en 2018.

3. L'augmentation constante du coût de la fonction de maintien en condition opérationnelle

Dans le même temps, le coût de la fonction de maintien en condition opérationnelle, mesuré par milieu par un indicateur du projet annuel de performance, augmente.

Les coûts sont passés de 61 à 64 euros entre 2014 et 2018 pour le coût moyen de la fonction maintien en condition opérationnelle - MCO - terrestre par matériel et jour de préparation opérationnelle. La cible est fixée entre 65 et 80 euros pour 2019 .

Le coût transitoire de la fonction MCO navale par jour de disponibilité de la flotte est passé de 57 000 à 64 000 euros entre 2014 et 2018. Ce coût semblait se stabiliser depuis 2016 à 57 000 euros, mais la cible pour 2017, fixée à 59 000 euros, a été dépassée. Elle est fixée en augmentation à 65 000 € pour 2019.

Enfin, le coût moyen de la fonction MCO aéronautique à l'heure de vol est passé de 11 149 euros en 2014 à 12 016 euros. La cible pour 2019 est de 12 331 euros.

Les coûts de MCO se situeraient à hauteur de 35 % à 50 % du coût global de possession d'un matériel, et seraient en augmentation, comme le montre l'évolution de l'indicateur ci-dessus exposée. Plusieurs facteurs essentiels expliquent cette évolution :

- la maintenance de matériels très âgés est très coûteuse,

- la maintenance des nouveaux matériels s'avère plus importante que prévue. Chaque génération de matériel se caractérise par des progrès technologiques 16 ( * ) qui accroissent les coûts de maintenance. Les équipements modernes nécessitent ainsi une main-d'oeuvre et des infrastructures spécifiques plus coûteuses que les équipements, plus rustiques, précédents. Le coût d'EPM à l'heure de vol du Rafale est estimé 3 fois supérieur à celui d'un avion de combat d'une génération antérieure, tel que le Super-étendard modernisé ou le Mirage 2000. Le même écart existe entre le coût d'entretien annuel d'un hélicoptère ancien et un hélicoptère moderne. L'efficacité des équipements modernes a un prix : l'augmentation structurelle du coût du MCO .

4. La juste évaluation des besoins de MCO dans la prochaine LPM

Il est impératif de soutenir les efforts d'amélioration de la DTO et de la préparation opérationnelle, d'augmenter pour ce faire les crédits dédiés au MCO et de les fixer à un niveau compatible avec la réalité du contrat opérationnel réalisé et les conditions réelles d'utilisation des équipements en OPEX. De réels efforts ont été menés pour réorganiser la chaîne complète de soutien, ce qui prend du temps, l'amélioration est progressive. Plusieurs tentations existent qui sont, pour vos rapporteurs pour avis, de fausses bonnes solutions : faire table rase du système de soutien existant ou mettre en place une externalisation totale ne semble ni efficient ni réaliste.

Cinq facteurs sont à prendre en compte dans le cadre de l'évaluation correcte des besoins en MCO dans la prochaine LPM :

- à moyen terme, il apparaît peu probable de voir diminuer le fort niveau d'engagement de la France en OPEX. Ces OPEX se caractérisent par l'élongation des champs d'action dans des environnements toujours hostiles qui, couplée à la surutilisation des équipements, conduisent à leur usure accélérée ,

- la mise à disposition d'équipements modernes , on l'a vu, conduit à l'augmentation structurelle du coût du MCO ,

- le financement du nouveau modèle de maintenance des équipements terrestres, « MCO-T 2025 » reposant sur une externalisation de marché au profit des industriels et, parallèlement, sur une diminution des crédits du titre 2 n'est pas assuré après 2018. C'est un enjeu important car le délestage d'activités de MCO vers le privé a été chiffré à près de 500 millions d'euros sur la période 2017-2022, montant qui ne tient d'ailleurs pas compte de la surusure des équipements liée à la suractivité et la surintensité de leur exploitation en OPEX. L e financement de ce nouveau modèle de maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres constitue un lourd tribut qui pèse sur la prochaine LPM ,

- enfin, l'enveloppe nécessaire pour le total des besoins de maintien en condition opérationnelle à couvrir sur la période de programmation en cours serait plus proche des 800 millions d'euros que des 500 millions d'euros attribués au titre de l'actualisation en 2015 de la LPM. Ce sont ainsi 300 millions d'euros qui seraient manquants. L'effort fourni dans le cadre du PLF 2018 réduirait le passif. Toutefois, il pourrait ne pas être suffisant. Selon les informations communiquées à vos rapporteurs pour avis, il existe un risque de découvrir que l'évolution favorable des indices économiques utilisée pour construire les budgets pendant cette période de programmation, les « coûts de facteurs » , auraient été trop largement évalués.

- Pour faire face aux quatre précédents facteurs inflationnistes, ci-dessus énumérés, vos rapporteurs pour avis recommandent d'évaluer la possibilité d'avancer les livraisons de matériels neufs lorsque cela revient moins cher que d'entretenir des parcs vieillissants. On peut penser notamment au remplacement des VAB par les Scorpions, même si la capacité de l'industriel ne rend cette solution viable qu'à partir de 2020.


* 16 La part croissante de l'électronique, de l'informatique, ou encore de matériaux composites, explique l'envol du coût de possession de ces équipements.

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