INTRODUCTION

Madame, Monsieur,

Après une année 2015 riche en conférences (conférence d'Addis-Abeba sur le financement du développement en juillet 2015, Sommet des Nations unies sur les nouveaux objectifs du développement durable en septembre, conférence de Paris sur le climat -COP 21 - en décembre), à l'occasion desquelles la France s'est engagée à augmenter son aide publique au développement de 4 milliards d'euros à l'horizon 2020 , après deux années 2015-2016 marquées par la crise des migrants en Europe et la prise de conscience croissante de la nécessité de ne pas s'en tenir aux réponses d'urgence face à un tel phénomène, les années 2017-2018 doivent être celles d'une remontée en puissance de notre politique d'aide au développement.

Deux décisions ont marqué les premiers mois du nouvel exécutif. D'une part, a d'abord été annoncée le 11 juillet 2017 l'annulation de 136,2 millions d'euros de crédits de paiement et 158,0 millions d'euros d'autorisations d'engagement sur les crédits votés pour 2017. Cette annulation importante a notamment suscité l'inquiétude des ONG. Le 24 juillet cependant, le Président de la République a annoncé que la France allait porter à 0,55 % du RNB (contre 0,38 % environ en 2017) son aide publique au développement en 2022, ce qui représenterait une augmentation considérable.

Examiné à cette aune, le présent projet de loi de finance propose effectivement une hausse des crédits de paiement de la mission APD (programmes 209 et 110 2 ( * ) ) d'environ 100 millions d'euros, pour atteindre environ 2,7 milliards d'euros (+3,6 %), ce qui ne compense pas, toutefois, l'annulation de crédits intervenue en juillet. Cette augmentation globale des crédits de la mission est absorbée en totalité par une hausse de la contribution française au Fonds européen de développement (FED). Par ailleurs, les ressources issues de la taxe sur les transactions financières (TTF) sont stables à environ 800 millions d'euros, et celles issues de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) à 210 millions d'euros.

Au sein du programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », on observe une progression des autorisations d'engagement consacrées aux dons de l'AFD d'environ 67 millions d'euros, tandis que les crédits de bonification de prêts augmentent pour leur part de 55 millions d'euros. Ces augmentations, en ligne avec les objectifs de progression de l'agence, dont les engagements doivent atteindre environ 13 milliards d'euros par an en 2020 (+ 4 milliards par rapport à 2015), paraissent cependant encore insuffisants pour placer la France sur la trajectoire des 0,55 % pour 2022.

Certes, l'objectif en pourcentage du RNB a ses limites. D'une part, à budget constant, la croissance ou la décroissance du RNB modifiera la mesure de l'effort que représente le budget de l'aide au développement. D'autre part, il convient de rappeler que l'indicateur « dépenses d'APD » regroupe des dépenses très hétérogènes, dont le poids respectif varie entre les pays non seulement en fonction de la politique menée en matière de soutien aux pays en développement, mais aussi du fait des différences entre systèmes sociaux et administratifs. Ainsi, les frais d'écolage s'entendent nets des frais d'inscription : ceux-ci étant très faibles dans les universités françaises, contrairement aux universités anglo-saxonnes, il est logique de voir figurer la France (ou l'Allemagne) dans les pays consacrant le plus de ressources aux étudiants ressortissant de pays en développement. Cependant, avec un montant de 0,38 %, la France risque le « décrochage » par rapport à ses principaux partenaires européens , dont plusieurs atteignent désormais les 0,7 %.

En ce qui concerne le circuit suivi par les crédits en provenance des financements dits « innovants » (TTF et TSBA), le projet de loi déposé par le Gouvernement prévoit de les affecter en totalité au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), revenant ainsi sur la décision du Parlement lors de l'examen des PLF pour 2016 et 2017 d'affecter une part de 270 millions d'euros de la TTF directement à l'AFD, en vue d'augmenter les financements en dons (à destination des pays en développement les plus pauvres). Toutefois, en première lecture, à l'Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement rétablissant l'affectation de ces 270 millions d'euros issus de la TTF directement à l'AFD.

Compte-tenu de la nécessité, maintes fois soulignée, de rééquilibrer l'APD française en faveur des dons à destination des pays les plus pauvres, votre commission a approuvé cette modification.

Enfin, autant que le montant global de l'APD versée, c'est bien sa pertinence et son efficacité qui doivent être sans cesse évaluées et améliorées afin de contribuer à faire sortir de la pauvreté et à placer sur une trajectoire de développement durable les populations des pays en développement. Compte-tenu de la situation sécuritaire très difficile du Sahel et de l'engagement des armées françaises dans cette région du monde ; compte-tenu partout ailleurs de la dégradation du climat et de ses conséquences déjà sensibles pour les populations, l'erreur n'est pas permise : la politique française d'aide au développement doit constituer une priorité pour les prochaines années.

En ce qui concerne le Sahel, votre commission sera particulièrement attentive à la mise en place de l' « Alliance pour le Sahel » , qui devrait permettre d'affecter 200 millions d'euros supplémentaires de financement à cette région en cinq ans, dont 35 millions d'euros en 2017. Il s'agit là d'un volet essentiel qui, en accompagnant l'engagement des armées françaises et les efforts pour maîtriser les migrations, doit permettre de stabiliser cette région.

Votre commission a émis un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

I. AU SEIN D'UNE AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONALE EN AUGMENTATION, UNE APD FRANÇAISE EN PROGRESSION MODÉRÉE

L'aide publique au développement internationale a connu une progression importante en 2017, en grande partie du fait d'une augmentation de l'aide aux réfugiés, mais pas seulement. L'aide française a légèrement augmenté par rapport au RNB en 2016, passant de 0,37 % à 0,38 %.

A. UNE APD INTERNATIONALE EN HAUSSE SIGNIFICATIVE

1. Une augmentation globale tirée par l'aide aux réfugiés

Selon les données préliminaires dont dispose l'OCDE pour 2016 ; l'aide au développement a atteint un nouveau maximum pour cette année, avec un montant de 142,6 milliards USD, en augmentation de 8,9 % par rapport à 2015 (après prise en compte des taux de change et de l'inflation). Cette hausse de l'aide totale résulte pour une part non négligeable de l'accroissement de l'aide consacrée aux réfugiés dans les pays donateurs. Beaucoup parmi ceux-ci ont en effet accueilli un nombre élevé de réfugiés au cours des deux dernières années. Toutefois, en excluant les dépenses liées aux réfugiés, on constate que l'aide s'est tout de même accrue de 7,1 % .

En revanche, en contraste avec cette progression, l'aide bilatérale (de gouvernement à gouvernement) aux pays les moins avancés a diminué de 3,9 % en termes réels par rapport à 2015, et l'aide à l'Afrique, de 0,5 %, certains membres du CAD étant revenus sur leur engagement d'agir pour inverser la tendance passée à la baisse des apports aux pays les plus pauvres.

Au total, en 2016, l'aide publique au développement (APD) provenant des 29 pays membres du comité d'aide au développement de l'OCDE (CAD) a représenté en moyenne 0,32 % du revenu national brut (RNB), contre 0,30 % en 2015, le volume de l'aide ayant progressé dans la majorité des pays donneurs. L'APD a ainsi doublé depuis 2000 en termes réels (après prise en compte de l'inflation et des fluctuations de la monnaie).

Les dix principaux pays contributeurs en valeur à l'aide publique au développement (APD) ont été, par ordre décroissant : les États-Unis (33,6 Md USD), l'Allemagne (24,7 Md USD), le Royaume-Uni (18 Md USD), le Japon (10,4 Md USD), la France (9,5 Md USD), les Pays-Bas (5 Md USD), la Suède (4,9 Md USD), l'Italie (4,9 Md USD), la Norvège (4,4 Md USD) et l'Espagne (4,1 Md USD).

L'APD nette totale s'est accrue dans 22 pays (les hausses les plus fortes ont été enregistrées en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Pologne, en République slovaque, en République tchèque et en Slovénie) et a diminué dans sept pays (les baisses les plus importantes ont été observées en Australie, en Finlande, aux Pays-Bas et en Suède).

En 2016, l'Allemagne a rejoint les pays qui respectent l'objectif fixé par les Nations Unies de maintenir l'APD à un niveau supérieur ou égal à 0,7 % du RNB (Danemark, Luxembourg, Norvège, Royaume-Uni et Suède) . En revanche, les Pays-Bas sont repassés au-dessous de 0,7 %.

En ce qui concerne l'APD affectée à l'accueil des réfugiés dans les pays donneurs, la progression a été de 27,5 % en termes réels par rapport à 2015, pour un total de 15,4 milliards USD, représentant 10,8 % de l'APD nette totale, contre 9,2 % en 2015 et 4,8 % en 2014.

Rappelons que, depuis 1988, les pays donneurs sont autorisés à comptabiliser dans l'APD certaines dépenses consacrées aux réfugiés pendant la première année qui suit leur arrivée. Ainsi, 11 pays ont affecté à ce poste de dépenses plus de 10 % de leur APD, parmi lesquels l'Allemagne, l'Autriche, la Grèce et l'Italie ont même affecté plus de 20 % de leur APD à cette dépense. En revanche, l'Australie, la Corée, le Japon et le Luxembourg n'ont comptabilisé dans leur APD pour 2016 aucune dépense concernant les réfugiés. Le CAD mène actuellement une réflexion sur les règles de notification de l'APD afin que les dépenses consacrées aux réfugiés n'aient pas tendance à se substituer au financement destiné au développement. Quant à l'aide humanitaire, elle a augmenté de 8 % en termes réels en 2016, atteignant 14,4 milliards USD.

La comptabilisation des dépenses en faveur des réfugiés dans l'APD

Le terme générique de « réfugiés » au sens du comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE, désigne « toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de son ethnie, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors de son pays de résidence . » Le CAD prévoit également que soit comptabilisée dans cette rubrique « l'aide apportée à des personnes qui ont fui leur domicile pour cause de guerre civile ou de troubles graves ». Toujours selon les règles en vigueur au CAD, la comptabilisation doit être limitée aux douze premiers mois de séjour dans le pays hôte et « recouvre les dépenses destinées à assurer le transfert de réfugiés dans le pays hôte considéré, puis leur entretien temporaire (nourriture, hébergement et formation) ». Le terme de « réfugiés » au sens du CAD recouvre ainsi la notion de demandeurs d'asiles soit, en France, les « premières demandes » utilisée dans les statistiques de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui est la source de référence pour la comptabilisation en APD de ces dépenses.

La détermination des dépenses comptabilisables en APD se fait ainsi à partir du programme 303 « immigration et asile ». Seules sont retenues les dépenses concernant les plates-formes d'accueil, les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (hébergement), les hébergements d'urgence et d'accompagnement social, dont la comptabilisation est clairement prévue par les directives du CAD.

En ce qui concerne la France, en 2016, le montant d'APD définitif déclaré au CAD au titre de l'accueil des réfugiés s'est élevé à 422 millions d'euros . La hausse observée entre 2015 et 2016 est imputable à la hausse du nombre des demandes et à la prise en compte de dépenses des collectivités territoriales non comptabilisées jusqu'à aujourd'hui (+35 M€) dans la déclaration de la France 3 ( * ) . La part de l'APD résultant de la prise en compte des réfugiés a ainsi légèrement augmenté dans le cas de la France, passant de 4 % en 2015 à 4,5 % en 2016, ce qui reste en dessous de la moyenne des pays du CAD, qui se situe à environ 10 %.

2. Des évolutions toutefois contrastées

La comparaison avec les autres pays donateurs permet de mettre en perspective la politique française d'APD. Il ressort de cette comparaison qu'un groupe de pays du Nord de l'Europe (Scandinavie, Royaume-Uni et jusqu'à l'Allemagne) forme désormais un groupe avancé en matière d'APD, qui a institué cette politique comme une priorité explicite, ce qui n'exclut pas des débats au sein des Parlements et de l'opinion (encadré ci-dessous).

En 2016, les pays du nord de l'Europe , qui se sont fixés pour objectif d'atteindre un ratio d'APD/RNB de 1 %, confirment leur détermination à maintenir leurs efforts. La Norvège et la Suède sont ainsi les deux premiers donateurs du CAD en part du RNB, avec des ratios proches voire supérieurs à 1 % depuis 2009. Cet objectif de 1 % fait l'objet d'un large consensus politique et sert de cadrage à la programmation budgétaire, les débats publics se concentrant surtout sur l'amélioration de l'efficacité de l'aide et de la « redevabilité ».

Par ailleurs, l'exception britannique est remarquable, puisque le Royaume-Uni, troisième donateur du CAD en valeur, se distingue par l'atteinte de l'objectif de 0,7 % depuis 2013 . Cet objectif a été consacré par la loi de programmation sur la cible d'aide publique au développement de mars 2015. Le premier ministre Theresa May a indiqué à Paris le 21 juillet 2016 que l'objectif de 0,7 % serait maintenu. Il faut cependant ajouter que cette exception budgétaire au sein d'un budget qui a été soumis à de sévères coupes fait l'objet de contestations régulières au Parlement britannique .

Les États-Unis et le Japon se caractérisent par une stabilité des montants d'APD qui se traduira toutefois par des variations de ratios sensibles. Premier donateur en valeur (33,6 Mds de dollars en 2016), les États-Unis se caractérisent néanmoins par un ratio d'aide faible (0,18 % du RNB en 2016). N'ayant jamais adhéré à l'engagement international des 0,7 %, les États-Unis ne se considèrent pas liés par cet objectif, bien qu'au cours des dernières années le Département d'Etat et l'USAID (agence chargée du développement) aient constamment cherché à accroître la quote-part américaine. Cette tendance devrait s'inverser brutalement avec le changement d'administration intervenu en janvier 2017 . La maquette du budget 2018 affiche ainsi une coupe de 31 % des ressources de l'USAID et une fusion de cette agence avec le Département d'Etat . S'il reste peu probable que le Congrès entérine une baisse aussi drastique des ressources affectées à l'aide américaine au développement, celles-ci devraient néanmoins se réduire.

Le Japon est lui le quatrième donateur du CAD en volume avec 10 368 MUSD en 2016. L'agence de développement japonaise, la Japan International Cooperation Agency (JICA) gère l'ensemble de la politique d'aide publique au développement du pays. Celle-ci se trouve plutôt dans une phase d'expansion. Entre 2015 et 2016, la tendance de l'APD brute totale est à la hausse avec 9,8 Md USD en 2015 et 11,4 Md USD en 2016. Le budget annuel alloué à la JICA a également augmenté entre 2015. A l'occasion du sommet G7 d'Ise Shima, en mai 2016, le Premier Ministre Abe a annoncé l'établissement d'un « Partenariat pour les infrastructures de qualité » dont l'objectif principal est de promouvoir le développement des investissements japonais dans les infrastructures de qualité grâce à une coopération renforcée avec d'autres pays ainsi que des organisations internationales.

La JICA tends ainsi actuellement à concentrer ses efforts sur le développement de partenariats avec des organisations internationales pour favoriser le développement de son action dans des pays-tiers. Dans cette perspective, l'agence de développement japonaise a mis en place en mai 2016 un fonds commun avec la Banque asiatique de développement (BAD) doté d'1,5 Md USD et visant à soutenir les investissements du secteur privé pour le développement de nouvelles infrastructures en Asie, et a signé avec la BAD un accord en mai 2017 en vue d'améliorer les systèmes de santé et promouvoir la mise en place d'une couverture santé universelle en Asie. La JICA a également signé un accord de prêt à hauteur de 34,1 Md JPY avec la Banque africaine de développement en juillet 2017 en vue de fournir des financements au secteur privé et soutenir la croissance économique en Afrique.

On observe par ailleurs une forte augmentation de l'APD allemande et italienne du fait de la crise migratoire et l'afflux de réfugiés .

L'Allemagne en particulier est devenue en 2016 le deuxième donateur du CAD, devançant ainsi le Royaume-Uni, avec une APD atteignant 24,7 Md USD. Cette nette augmentation est notamment liée à la crise des réfugiés que traversent les pays européens. Compte-tenu du nombre de réfugiés accueillis par l'Allemagne (près d'1 million depuis 2015), celle-ci consacre 25 % de son APD aux coûts imputés des réfugiés en 2016 , ce qui représente une hausse de 106 % de ce poste de dépense entre 2015 et 2016.


* 2 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » et 110 « Aide économique et financière au développement ».

* 3 Devant la pression exercée sur les centres d'accueil administrés par le ministère de l'Intérieur, les collectivités territoriales ont créé des places supplémentaires financées sur leurs fonds propres. Les dépenses relatives aux services fournis aux demandeurs (nourriture, hébergement, services juridiques principalement) sont valorisées en APD à partir de 2016 et s'élèvent à 35 M€ (toutefois, seul un petit nombre de collectivités a fourni ces chiffres).

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