EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 15 novembre 2017, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 185
- Diplomatie culturelle et d'influence - de la mission « Action extérieure de l'Etat » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018.

M. Robert del Picchia . - Les crédits du programme 185, « diplomatie culturelle et d'influence » s'élèvent à 718 millions d'euros, au sein d'une mission « Action extérieure de l'État » qui représente, au total, un peu plus de trois milliards d'euros.

Les crédits de ce programme progressent de 0,3 %, après un recul important pendant deux ans d'affilée. Ce recul avait été dénoncé avec vigueur l'an dernier, par nos collègues Jacques Legendre et Gaëtan Gorce, co-rapporteurs du programme.

La stabilisation des crédits du programme en 2018 est donc notable, c'est une bonne nouvelle, dans le contexte budgétaire actuel. Mais, dans le détail, nous verrons que la situation est très nuancée.

La dotation de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) s'élève à 399 millions d'euros, en augmentation de + 0,5 %. Mais, vous le savez, cette légère augmentation masque une annulation de crédits d'un montant de 33 millions d'euros, en cours d'exercice 2017. Cette annulation, rappelons-le, est intervenue dans le cadre plus large des mesures d'économie prises par le gouvernement en juillet pour maintenir le déficit budgétaire en dessous de 3 %. Ces mesures ont porté, au total, sur 4,5 milliards d'euros.

Concernant l'AEFE, la mesure correspond à 9 % de la dotation de l'agence, hors crédits de sécurisation du réseau. Pour y faire face, l'agence joue sur sa trésorerie au détriment des établissements. Elle a, par ailleurs, décidé d'augmenter le taux de la participation financière complémentaire que lui versent les établissements sur les frais de scolarité. Ce taux passera de 6 % à 9 % l'an prochain, avec la promesse de redescendre à 7,5 % en 2019. Nous devrons suivre de très près l'évolution de ce taux au cours des prochaines années.

Pour les établissements disposant de peu de réserves, la diminution des subventions de l'État signifie une augmentation des frais de scolarité. Or ceux-ci ont déjà augmenté régulièrement depuis dix ans, l'État ayant déjà puisé dans les réserves constituées par les parents d'élèves.

Le risque de remise en cause, à terme, du modèle de l'enseignement français à l'étranger est réel.

Nous estimons donc, d'une part, que le ministère doit s'efforcer de trouver des solutions de lissage dans le temps des conséquences de l'annulation de crédits pour les établissements, qui sont d'autant plus en difficulté que leurs réserves ont déjà, par le passé, été ponctionnées. D'autre part, pour l'avenir, les crédits de l'enseignement français à l'étranger doivent être sanctuarisés, et ne plus constituer un outil de régulation budgétaire. Compte tenu de la structure du programme 185, dans lequel l'AEFE représente 55 % des crédits et où la plupart des autres lignes du programme sont engagées en début d'année par des délégations faites aux postes ou pour les bourses, il serait un peu facile de faire systématiquement porter l'effort sur les crédits encore disponibles de l'AEFE. Cette pratique doit cesser.

Enfin, une réflexion de fond doit être engagée sur l'avenir de l'AEFE, son développement et son financement, afin de préserver le modèle de l'enseignement français à l'étranger, qui est le fleuron de notre diplomatie d'influence.

Les crédits de l'action culturelle extérieure diminuent de 1,6 % avec des évolutions contrastées. En effet, les crédits de l'Institut français sont stables, tandis que ceux du réseau continuent à diminuer.

Les moyens de l'Institut français, qui avaient baissé de 25 % depuis sa création en 2011, sont, pour la première fois, en légère augmentation. L'État semble ainsi marquer sa volonté de continuer à s'appuyer sur cet opérateur pivot de l'action culturelle extérieure. La subvention de l'Institut français s'élève à 29 millions d'euros, auxquels il faut ajouter une petite dotation, très insuffisante, du ministère de la culture, d'un montant de 1,4 million d'euros.

Toutefois, depuis l'échec du rattachement du réseau culturel à l'Institut français, la question de la place et du rôle de cet opérateur n'est pas totalement résolue.

Le Président de la République a indiqué, lors de la semaine des ambassadeurs, qu'il souhaitait mener à bien un rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française. Celle-ci est elle-même en très grande difficulté financière et peu soutenue par l'État. La subvention à la Fondation Alliance française a diminué de près de 20 % depuis 2013. La somme totale des subventions aux alliances françaises s'élève pour 2018 à 7,8 millions d'euros, en baisse de 11 %, auxquels il faut ajouter environ 30 millions d'euros correspondant à 280 agents mis à disposition, pour 813 alliances françaises.

Le rapprochement Institut-Fondation est souhaitable, s'il est l'occasion d'impulser une nouvelle dynamique, et non pas un moyen de gérer la pénurie de ressources. Nous aurons un débat en séance publique le 21 novembre sur l'avenir de l'Institut français, qui permettra de faire un point sur ces questions.

Enfin, s'agissant des crédits de la culture, les moyens d'intervention du réseau continuent de diminuer. Ils subissent un rabot de 5,2 %, toutes actions confondues. Le réseau fait preuve d'inventivité, pour trouver des ressources propres de plus en plus diversifiées. Mais il est menacé par une incertitude juridique, puisque le statut d'autonomie des établissements du réseau, indispensable à leur fonctionnement, n'est pas conforme aux principes de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Ce problème demeure non résolu.

La situation de l'AEFE est préoccupante, en raison des mesures d'annulation de crédits prises au cours de l'exercice 2017. Ce budget pour 2018 est néanmoins le premier depuis longtemps dans lequel les crédits de l'Institut français, et ceux de l'attractivité de l'enseignement supérieur et de la recherche, sont stabilisés. C'est pourquoi, malgré mes réserves personnelles, s'agissant notamment du budget de l'AEFE, mon avis pour la commission sur l'ensemble de la mission est néanmoins favorable.

M. André Vallini . - Depuis l'élargissement des compétences du ministère des affaires étrangères au commerce extérieur et au tourisme, le programme 185 comporte des objectifs de diplomatie économique. En dehors des crédits du tourisme, ces objectifs ne correspondent toutefois pas à des crédits budgétaires du programme 185.

La diplomatie économique est en effet portée, d'une part, par l'ensemble du réseau diplomatique, et, d'autre part, par les services du ministère de l'économie et des finances à l'étranger. L'opérateur Business France en est aussi un acteur important, placé sous une triple tutelle (Affaires étrangères, Économie et Finances, Cohésion des territoires).

Une mission a été confiée à M. Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, sur la politique d'encouragement aux exportations et les évolutions possibles de l'agence Business France.

Nous suivrons avec attention les suites de cette mission - peut-être pourrions-nous d'ailleurs, Monsieur le président, auditionner Christophe Lecourtier à l'issue de sa mission ?

M. Christian Cambon . - C'est prévu.

M. André Vallini . - À notre sens, trois champs d'action sont prioritaires :

- l'amélioration de la lisibilité et de l'accessibilité des dispositifs pour les PME, qui sont insuffisamment informées de ce qu'elles pourraient faire à l'international ;

- la rénovation des outils financiers de soutien à l'export ;

- et l'implication des territoires, en particulier des régions, indispensables au succès des actions menées.

S'agissant de la promotion du tourisme, la subvention de l'agence Atout France, d'un montant de 33 millions d'euros, diminue de 1,2 %. Le secteur touristique a connu un repli en 2016. Or ce secteur est crucial pour notre économie : il représente 8 % du PIB, 2 millions d'emplois et 40 milliards d'euros de recettes annuelles.

Plusieurs plans de relance ont été mis en oeuvre, dont deux comités d'urgence pour le tourisme en 2016, qui ont permis de dégager 10 millions d'euros. La situation s'améliore en 2017. Les Japonais reviennent en France, de même sur les Chinois et les Américains.

Atout France bénéficie par ailleurs de produits des recettes additionnelles des droits de visa. Ce mécanisme n'a pas pu jouer en 2017, en raison des difficultés du secteur, mais il devrait rapporter 4,6 millions d'euros en 2018.

Un Conseil interministériel a dévoilé la feuille de route du gouvernement pour le tourisme en juillet dernier. Ce plan nécessitera des financements importants pour son volet « investissement ».

En tout état de cause, l'État devra mettre de l'argent sur la table pour attirer des cofinancements supplémentaires des régions et du secteur privé.

Une réflexion est en cours concernant les plateformes internet, telles que Tripadvisor, Booking ou Air BnB, dont certaines seraient prêtes à contribuer à la promotion du tourisme, mais à condition de ne pas être immatriculées en France comme opérateur de tourisme. Par ailleurs, les sociétés d'autoroutes, dont les bénéfices s'élèvent à près de deux milliards d'euros, devraient être incitées à contribuer, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Elles doivent être mobilisées.

Une clarification du financement de la politique du tourisme est plus que jamais nécessaire. Une mission a été constituée sur ce sujet par le gouvernement, qui remettra prochainement ses conclusions, peut-être pourrons-nous là aussi en débattre au sein de notre commission.

Les crédits accordés aux bourses étudiantes sont stables, et la subvention à Campus France augmente de 0,7 %. Cette stabilisation est toutefois tardive. Le nombre d'étudiants boursiers du gouvernement français a baissé de 24 % entre 2010 et 2016, tandis que le montant total des bourses diminuait de 30 %. La France a récemment reculé d'une place dans le classement des pays d'accueil de la mobilité étudiante internationale.

À titre de comparaison, les programmes de bourses à l'intention d'étudiants étrangers représentent en France 65 millions d'euros, tandis que l'organisme allemand en charge de la mobilité étudiante, le DAAD, consacre 191 millions d'euros à la mobilité entrante, soit trois fois plus.

Les Allemands, soit dit en passant, ne paient pas le coût des OPEX et je ne comprends pas que ce coût ne soit pas sorti du budget français, au regard des normes européennes de déficit budgétaire.

Les crédits de la diplomatie scientifique sont en forte augmentation (+ 21 %). Pourtant, les instruments traditionnels de la diplomatie scientifique reculent, qu'il s'agisse des dotations pour opérations au réseau ou des programmes d'échanges scientifiques destinés à faciliter la mobilité des jeunes chercheurs.

La hausse des crédits de la diplomatie scientifique s'explique en fait par l'imputation sur cette enveloppe de la contribution du Quai d'Orsay à l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit. Cette fondation a été créée fin 2016 avec l'objectif de réunir 100 millions de dollars d'ici à 2019. Le ministère contribue à la constitution de ce fonds à hauteur de 6,5 millions d'euros en 2018. Deux opérations pilotes ont été lancées en Irak et au Mali.

Je terminerai en évoquant l'invitation récente, lancée par le président de la République à l'intention des chercheurs, enseignants, étudiants, ONG et entrepreneurs américains, à la suite de la sortie des États-Unis de l'accord de Paris.

Les premiers retours sont très positifs. 1 822 candidats étudiants ou chercheurs ont fait parvenir à Campus France un projet détaillé. Deux tiers de ces candidats sont américains, dont 100 proviennent d'universités prestigieuses.

Ce programme sera financé par le 3 e programme d'investissements d'avenir (PIA3), à hauteur de 30 millions d'euros, selon le principe « 1 euro de moyens additionnels pour 1 euro dépensé par les établissements ». Les établissements doivent donc trouver 30 millions d'euros, et ouvrir à des chercheurs étrangers des postes très concurrentiels. Pour ces établissements, les difficultés sont loin d'être levées. L'Allemagne a lancé un programme similaire.

Les incertitudes sont très fortes sur ce budget, s'agissant notamment du budget de l'AEFE. Les moyens de la diplomatie culturelle sont globalement insuffisants. C'est pourquoi j'émets un avis négatif sur ce programme.

M. Ronan Le Gleut . - Je voterai contre ce budget. L'annulation de crédits subie par l'AEFE entraîne une augmentation du taux de la participation financière des établissements, qui passe de 6 % à 9 %. C'est une catastrophe dont on ne mesure pas toute l'amplitude. Nous recevons tous les jours des alertes d'établissements, par exemple de Lomé, Manille ou Hong Kong. Le lycée français de Zurich, aujourd'hui conventionné, débat d'un éventuel dé-conventionnement. Nous allons perdre des établissements du fait de cette décision.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je voterai également contre ce budget. Au-delà des 33 millions d'euros de crédits annulés, il y a aussi suppression de 500 postes sur trois ans dont 80 postes d'expatriés et 100 postes de résidents en 2018, ce qui aura aussi une incidence immédiate sur les frais de scolarité. Les familles sont inquiètes car elles n'ont aucune visibilité sur l'évolution de ces frais. Le maintien de la qualité de l'enseignement est également en question.

Une éventuelle réforme de l'AEFE devrait être fondée sur une concertation nationale. Les élèves français représentent un tiers des effectifs. Il faut avoir une vision globale de ce qu'est la mission de l'agence. Il y a à ce sujet un excellent rapport parlementaire, celui de Mme Claudine Lepage et de M. Philip Cordery. Nous ne partons pas de rien dans cette réflexion sur le modèle de l'agence, qu'il faut envisager au-delà de notre tropisme franco-français.

M. Christian Cambon . - Je précise qu'en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), nous voterons sur la totalité de la mission « Action extérieure de l'Etat », et non sur chaque programme.

M. Olivier Cadic . - Nous ne disposons pas de comparatif avec les systèmes éducatifs concurrents. Les Américains, les Britanniques ne mettent pas d'argent public sur des dispositifs comparables. Nous dépensons un demi-milliard d'euros pour l'enseignement français à l'étranger, ce qui correspond à un tiers du coût de cet enseignement. Cela a-t-il un sens, pour le contribuable, de financer un tiers du coût de scolarité des élèves étrangers ?

Les enfants français à l'étranger n'ont pas toujours accès à notre langue. Seuls 25 % d'entre eux sont scolarisés dans le réseau. Les deux tiers des enfants français en Amérique latine ne parlent pas français. Ne devrions-nous pas nous fixer l'objectif que tous les enfants français à l'étranger puissent parler français ? Avec le même budget, nous pourrions proposer un chèque-éducation fléché pour que chacun de ces enfants puisse apprendre le français, avec un contrôle régulier grâce au passage du DELF (diplôme d'études en langue française).

Nous pourrions faire d'une pierre trois coups en offrant ainsi un soutien à tous les enfants français à l'étranger, en reconfigurant le réseau pour lui permettre de se développer plus rapidement et en augmentant les moyens des alliances françaises et des instituts français.

C'est pourquoi je partage la suggestion du rapporteur qu'une réflexion de fond soit engagée sur l'avenir de l'AEFE et, au-delà, du financement de ce réseau.

Mme Sylvie Goy-Chavent . - La diminution globale des moyens est très alarmante. Les instituts français font un travail considérable pour l'enseignement du français à nos compatriotes et aux étrangers. Or leurs budgets sont très réduits. C'est l'image de la France qui en pâtit.

Les frais de scolarité des établissements d'enseignement français à l'étranger sont parfois prohibitifs, jusqu'à 7 000 euros par an, avec des cautions non remboursables de montants très élevés, auxquelles s'ajoutent des frais de transport et des frais annexes. L'image de la France est mise sur la sellette. Je crains que nous ne perdions notre notoriété à l'étranger.

M. Alain Cazabonne . - L'un des rapporteurs a évoqué l'impossibilité de retirer le coût des OPEX du calcul du déficit budgétaire de la France. Vingt-trois pays de l'Union européenne ont récemment décidé de s'engager dans une coopération structurée permanente dans le domaine de la défense. Ne pourrait-on pas leur demander une contribution financière ?

M. Robert del Picchia . - Je suis, moi aussi, opposé à l'évolution du budget de l'AEFE. C'est l'aspect négatif de ce budget. Mais je voterai positivement sur l'ensemble de la mission, afin de donner un signe d'encouragement.

Il faut actualiser le rapport de Mme Claudine Lepage et de M. Philip Cordery. Je propose une réflexion globale sur le financement, le développement et les objectifs de l'AEFE. Ne faudrait-il pas essayer, par exemple, d'obtenir des financements, ou des locaux, de la part des pays d'accueil ?

Les instituts français donnent une excellente image de la France, de même que les alliances françaises, qui enseignent le français à un nombre très importants d'étrangers, par exemple en Amérique du sud, en particulier au Mexique.

M. André Vallini . - Les instituts français font en effet un travail remarquable. Le rapprochement préconisé par le président de la République, lors de la semaine des ambassadeurs, entre l'Institut français et la Fondation alliance française, est souhaitable. Ce type de rapprochement suscite toujours des résistances. Rappelons-nous de l'épisode du rapprochement souhaité entre l'Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Cette initiative va dans le bon sens mais sa réalisation prendra du temps. Il faut créer une synergie entre les deux entités et éviter les concurrences stériles et coûteuses. En caricaturant quelque peu, les alliances françaises pourraient se concentrer sur l'enseignement du français et les instituts sur la diffusion culturelle. Nous aurons l'occasion d'en débattre en séance publique le 21 novembre.

Oui, l'Europe de la défense doit permettre d'alléger le fardeau français en matière militaire, mais elle avance lentement.

M. Christian Cambon . - Un débat sur l'avenir de l'Institut français aura en effet lieu en séance publique le 21 novembre prochain, à notre demande, conjointe avec celle de la commission de la culture.

Nous allons maintenant procéder à un vote unique sur les trois programmes de la mission « Action extérieure de l'État ».

La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » (26 voix pour, 13 contre et 2 abstentions).

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