C. UN RISQUE DE CHANGE INSUFFISAMMENT COUVERT

1. Le risque constant de l'insuffisance de « basage budgétaire initial »

Traditionnellement, les dépenses en devises étrangères du Quai d'Orsay ne faisaient pas l'objet d'une couverture du risque de change. On a longtemps considéré que les cas dans lesquels le risque de change était favorable compensaient ceux dans lesquels le risque de change était défavorable. Toutefois en période de contrainte budgétaire accrue telle que nous la connaissons aujourd'hui, il ne paraît pas de bonne gestion de ne pas couvrir le risque de change.

La part des dépenses réalisées en dollar et en devises étrangères dans les dépenses est telle que l'équilibre du programme 105 dépend très largement des hypothèses économiques retenues lors des arbitrages budgétaires initiaux et notamment de la parité euro-dollar .

La compensation de la sous-budgétisation initiale du programme 105
de 2006 à 2015

Les mouvements budgétaires infra-annuels rendus nécessaires pour faire face à la sous-budgétisation initiale du programme 105 ont été nombreux de 2006 à 2011, qu'il s'agisse de la loi de finances rectificative, du dégel de la réserve de précaution, de l'utilisation de décret d'avance, du redéploiement de crédits du programme 105, etc. Selon un rapport de la Cour des Comptes 33 ( * ) d'octobre 2015, ils se sont élevés à 162,4 millions d'euros en 2006, 238,5 millions d'euros en 2008, avant d'entamer, à partir de 2009, leur décroissance avec 123,62 millions d'euros en 2009 puis 107 millions d'euros en 2011. Les mesures de rebasage se sont succédées à hauteur de 60 millions d'euros en 2007, 40 millions d'euros en 2008, 41,2 millions d'euros en 2010 et 107 millions d'euros en 2011.

De 2011 à 2015, la programmation budgétaire s'était révélée adaptée aux besoins. Mais en 2015, l'écart entre la parité euro-dollar prévue en loi de finances initiale et la parité réellement observée au cours de l'année a induit une insuffisance de crédits estimés par la Cour des Comptes à 200 millions d'euros, dont 149 millions d'euros non couverts par la réserve de précaution . Ceci annonçait le retour de mouvements budgétaires infra-annuels et l'ouverture de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative pour 2015 à hauteur de 94,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 95 millions d'euros en crédits de paiement . Selon la Cour des Comptes, une dépréciation de 10 centimes sur le taux de l'euro par rapport au dollar induit un renchérissement de 40 millions d'euros pour les contributions internationales .

Le budget est donc à la merci des l'effet d'une éventuelle dépréciation de l'euro par rapport au dollar .

Vos rapporteurs pour avis rappellent que la fixation de la parité euro-dollar dans les hypothèses de construction budgétaire ne dépend pas du MEAE qui au contraire la subit lorsqu'elle est erronée. L 'introduction d'un mécanisme d'ajustement des crédits libellés en devises étrangères en cas de variations trop importantes entre la parité initialement définie et la parité constatée entre l'euro et les monnaies étrangères (essentiellement le dollar) serait souhaitable . L'application de ce mécanisme reposerait sur le ministère de l'économie et des finances auquel il appartient de veiller à ce type d'ajustement économique.

2. La nécessaire couverture du risque de change

Cette question se pose de façon récurrente, depuis que lors de la vente du campus universitaire de Kuala Lumpur, l'effondrement de la monnaie malaisienne de 30 % en 2 jours a conduit à une perte au change supérieure à 20 millions d'euros . La vente dont le montant devait être de 223 millions d'euros n'a finalement rapporté que 203 millions d'euros. Cette perte au change a été intégralement supportée par le ministère des affaires étrangères. Ceci paraît contestable à vos rapporteurs pour avis. Il leur paraît souhaitable qu'une telle situation, si elle devait se reproduire, ce qui au vu de cette expérience précitée ne semble pas envisageable, donne lieu, à l'avenir, à un endossement complet par le ministère de l'économie et des finances qui n'aurait pas mis en place, alors que cela relève clairement de sa compétence, la couverture du risque de change. La diminution de recettes de la cession du campus de Kuala Lumpur avait eu pour répercussion immédiate la diminution des droits de tirage sur le compte d'affectation spéciale pour investir dans l'entretien lourd ou l'acquisition de biens immobiliers situés à l'étranger.

De la même façon, le paiement par anticipation de certains appels de fonds en période de dépréciation de l'euro doit être automatisé. Ainsi, la décision de la direction du budget, alors que le taux de change amorçait une pente défavorable à l'euro, de ne pas profiter de la réserve de précaution non utilisée à la fin de 2014 pour régler cinq appels à contributions d'opérations de maintien de la paix, normalement payables au début de l'année 2015 a conduit à devoir payer un surcoût net de 5,5 millions d'euros en 2015 . Vos rapporteurs pour avis estiment donc indispensable que le paiement par anticipation soit privilégié dans ce type de circonstances et lorsque la réserve de précaution le permet. Dans le cas contraire, il serait souhaitable et normal que les surcoûts éventuels soient supportés par le ministère de l'économie et des finances et non par le MEAE .

Dans ce domaine, une professionnalisation de la gestion des contributions internationales et une meilleure collaboration entre le ministère des affaires étrangères et le ministère de l'économie seraient grandement profitables.

3. Une amélioration du mécanisme de couverture du risque de change à poursuivre

Une convention pour la couverture du risque de change a été signée le 5 juillet 2006 entre le ministère des affaires étrangères et l'agence France Trésor. Elle doit permettre de couvrir le décalage dans le temps entre le vote des crédits budgétaires et le versement des contributions libellées en devises étrangères, donc le décalage à court terme. Toutefois, cette convention a des limites interprétatives selon lesquelles elle ne peut être mise en oeuvre que si le taux de change est égal ou supérieur au taux de référence retenu dans le projet de loi. Il en résulte qu'elle ne peut éviter les pertes au change, selon l'analyse de la Cour des Comptes présentée en annexe du présent rapport.

Sur ce mécanisme, le rapport prévu par l'article 129 la loi de finances 2016 34 ( * ) a été transmis à vos rapporteurs pour avis. Ce sont 37 recommandations qui ont été formulées en 2016 à l'issue d'un travail conjoint des inspections des deux ministères, il est temps qu'elles soient mises en oeuvre !

Des progrès ont pu être constatés, conforme aux attentes de votre commission. À ce jour, un mécanisme de couverture du risque de change des contributions aux organisations internationales a été mis en oeuvre après les importantes dépenses supplémentaires subies ces dernières années. Pour 2018, le mécanisme de couverture s'est élevé à 491 millions de dollars américains et 34,6 millions de francs suisses , soit respectivement 80 et 78 % de la prévision d'exécution dans ces devises sur les contributions obligatoires .

Selon les informations transmises à vos rapporteurs pour avis, Les ordres d'achats à terme effectués par le ministère pour les exercices 2016 et 2017 ont permis de sécuriser le budget du ministère. Les gains de change obtenus grâce aux OAT, par rapport au taux de budgétisation, se sont élevés à 9,3 millions d'euros en 2016 et à 12,5 millions d'euros en 2017. Pour 2018, le gain de change est estimé à 31,8 millions d'euros.

Ce gain de change représente une part infinitésimale des contributions obligatoires qui pèsent sur le programme 105. De plus, il est évident que le besoin de couverture du risque de change dépasse largement le champ des contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix. Les frais locatifs et les paies en monnaie locale des agents du réseau ne font l'objet d'aucune couverture du risque de change à ce jour, pas plus que les opérations de cessions ! Votre commission a déjà demandé la couverture complète des risques de change. Le ministère doit porter cette revendication, auprès du ministère de l'économie. Si un mécanisme de couverture n'est pas mis en place, selon votre commission, le risque de change devrait être supporté par Bercy !

Le MEAE a proposé à Bercy la passation d'ordres d'achat à terme pour les cinq ans à venir permettant de sécuriser une partie des créances des seules CIOMP en devises. La mise en oeuvre de la proposition du MEAE, qui nécessiterait une nouvelle convention avec l'Agence France Trésor, serait soumise à un accord préalable de la direction du budget et des comptables ministériels compétents. Pour votre commission, le champ de la sécurisation doit être étendu et la mise en place des mécanismes nécessaires à la gestion et à la professionnalisation de la gestion des risques de change est indispensable et urgente .


* 33 « Les contributions internationales de la France 2007 2014 », octobre 2015.

* 34 Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport établissant un bilan de l'utilisation du mécanisme d'achat à terme de devises utilisé depuis 2006 et un bilan du recours à la réserve de précaution pour couvrir les risques de change auxquels sont exposés les crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat ». Ce rapport examine également l'opportunité d'introduire un mécanisme budgétaire automatique et pérenne de couverture de ces risques de change.

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