N° 109

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2017

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances pour 2018 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME VII

COHÉSION DES TERRITOIRES (POLITIQUE DE LA VILLE)

Par Mme Annie GUILLEMOT,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , président ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mme Anne-Marie Bertrand, M. Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mmes Michelle Gréaume, Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Robert Navarro, Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, MM. Dominique Théophile, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 235 , 264 rect. , 266 rect. , 273 à 278 , 345 et T.A. 33

Sénat : 107 , 108 et 110 à 114 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Lors de son discours sur la politique de la ville prononcé à Tourcoing le 14 novembre dernier, le Président de la République, M. Emmanuel Macron a souligné que « la politique de la ville doit mobiliser l'ensemble du gouvernement. Et au-delà l'ensemble de la Nation . » Assurant avoir entendu l'appel de Grigny, il appelait ainsi à « une grande mobilisation nationale pour les habitants des quartiers » afin que « le visage des quartiers ait changé d'ici la fin du quinquennat ».

L'APPEL DE GRIGNY DU 16 OCTOBRE

Lors des États Généraux de la Politique de la Ville, le 16 octobre dernier, des maires de villes en charge de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et des associations de terrain travaillant auprès de la jeunesse et des populations fragiles, ont appelé « à un effort constant et permanent du gouvernement » en matière de politique de la ville. Ils réclamaient la mise en oeuvre de dix mesures concrètes à mettre en oeuvre avant le budget 2018 :

1. La suspension immédiate de la réduction des contrats aidés, leur maintien et leur renouvellement.

2. Le rétablissement immédiat des financements de la politique de la ville, réduits arbitrairement et unilatéralement en cours d'année pendant l'été.

3. Un fonds d'urgence immédiat doté de 100 millions d'euros pour 100 quartiers parmi ceux connaissant les plus grandes difficultés, tout en préservant les 150 millions de la DPV.

4. Le doublement du budget de la politique de la ville (à 1 milliard d'euros) pour relancer ce droit à l'expérimentation qu'est la politique de la ville, simplifier le soutien à la vie associative (via les dispositifs des collectivités, de l'État et de l'Europe), flécher de manière accentuée les crédits ministériels au sein des QPV.

5. Le fléchage, de manière transparente, des moyens de la formation professionnelle (2 milliards d'euros sur les 15 annoncés) pour les rendre utiles à la Nation et aux QPV. L'objectif est d'axer l'action sur la remobilisation professionnelle et de flécher les moyens sur les publics les plus éloignés de l'emploi et sur des secteurs et métiers en développement et en devenir.

6. Le rétablissement et le renforcement, dans les territoires les plus fragiles, des effectifs de police et de moyens de justice qui ont été petit à petit retirés.

7. Un signal politique fort : la désignation d'un Ministre de la Ville ayant rang de Ministre d'État et le poids institutionnel et politique pour notamment : contraindre l'ensemble des ministères à apporter leurs contributions spécifiques aux quartiers prioritaires et d'être en capacité pour mobiliser l'ensemble des forces vives de la nation, régions, départements, agglomérations, communes, chambres consulaires, les partenaires sociaux et les associations.

8. La désignation d'un Président de l'ANRU qui rendra à l'Agence sa vocation initiale, instance souple en dialogue direct avec les élus et en soutien des projets : suppression des règles précédemment instaurées, complexes et bureaucratisées, imposées à l'Agence.

9. Le lancement, avec l'aide du Parlement et de l'État, des territoires d'expérimentations de projets et de reconquête républicaine, avec un effort adapté concentré et évalué notamment de l'Éducation nationale, de la Police, de l'emploi, de la culture et du sport.

10. La création d'une plateforme nationale qualifiée de recensement des solutions et initiatives issues des quartiers, d'un réseau accélérateur de ces solutions avec les régions, d'un fonds de développement et d'essaimage des solutions accélérées de 100 millions d'euros.

Le Président de la République a indiqué vouloir agir dans deux directions : « ramener le droit commun dans les quartiers, afin que chacun ait accès aux mêmes services » et agir en faveur de « l'émancipation des habitants » en prenant notamment des mesures en matière de sécurité, d'emploi, de lutte contre les discriminations, d'éducation et de culture.

Souhaitant « coconstruire » avec les acteurs concernés, le Président de la République a notamment annoncé la mise en place d'un conseil présidentiel des villes réunissant des personnalités issues des quartiers et le lancement d'une grande concertation avec les habitants. En outre, il a demandé à M. Jean-Louis Borloo de travailler avec le ministre chargé de la ville pour établir un plan d'actions qui serait présenté en mars prochain. Sur le plan budgétaire, il s'est engagé à sanctuariser les crédits de la politique de la ville sur le quinquennat et à maintenir les dotations spécifiques aux collectivités ayant de nombreux quartiers populaires.

Votre rapporteure constate que plusieurs des mesures annoncées par le Président de la République ou son ministre de la Cohésion des territoires, M. Jacques Mézard, répondent aux préconisations que votre rapporteure avait faites avec Mme Valérie Létard lors de l'évaluation de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite loi Lamy 1 ( * ) . Elle y reviendra plus amplement dans la suite du rapport.

S'agissant du programme 147 « politique de la ville », désormais rattaché à la mission « Cohésion des territoires », les crédits du programme sont en diminution s'agissant des autorisations d'engagement en raison de la diminution importante des crédits dédiés au nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU). Mais ils sont stables s'agissant des crédits de paiement.

S'agissant du NPNRU, les crédits dédiés sont portés à 10 milliards d'euros dont un milliard versé par l'État. Action Logement contribuera au financement de deux milliards supplémentaires. Les deux milliards restants pourraient être versés par les bailleurs sociaux. Néanmoins, en raison des débats liés à la réforme des aides personnelles au logement, cette participation n'est pas actée à ce stade.

En matière d'emploi, le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures : la réforme des contrats aidés et une nouvelle expérimentation des contrats francs. Votre rapporteure est très attentive à l'impact de ces mesures pour les habitants des quartiers prioritaires.

Lors d'une réunion tenue le mercredi 29 novembre, la Commission des affaires économiques a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur les crédits du programme « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2018. Elle a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 52 sexies du projet de loi de finances rattaché à la mission « Cohésion des territoires ».

I. UNE SANCTUARISATION DES CRÉDITS DE LA POLITIQUE DE LA VILLE

A. L'ENGAGEMENT DE SANCTUARISER LES CRÉDITS PENDANT LE QUINQUENNAT ET DE NE PAS PROCÉDER À DES COUPS DE RABOT

1. L'engagement de sanctuariser les crédits pendant le quinquennat

Le gouvernement s'est engagé à sanctuariser pendant le quinquennat les crédits dédiés à la politique de la ville sur la base des crédits de paiement prévus pour 2017 dans la loi de finances initiale, soit un montant de 430 millions d'euros par an.

Pour 2018, les crédits du programme 147 « politique de la ville » sont en diminution de 16,31 % en autorisations d'engagement mais demeurent stables en crédits de paiement (+0,24 %). La baisse des crédits en autorisations d'engagement résulte principalement d'une forte baisse des crédits dédiés à l'action 4 « Rénovation urbaine et amélioration du cadre de vie ». Les crédits de l'action 1 « Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville » demeurent stables .

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 147 « POLITIQUE DE LA VILLE »

Actions

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

LFI 2017

PLF 2018

Évolution

LFI 2017

PLF 2018

Évolution

Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville

335 888 150

335 758 441

-0,04 %

335 888 150

335 758 441

-0,04 %

Revitalisation économique et emploi

48 522 000

50 330 000

3,73 %

48 522 000

50 330 000

3,73 %

Stratégie, ressources et évaluation

29 913 510

29 318 354

-1,99 %

29 913 510

29 318 354

-1,99 %

Rénovation urbaine et amélioration du cadre de vie

100 036 000

15 000 000

-85,01 %

15 036 000

15 000 000

-0,24 %

Total

514 359 660

430 406 795

-16,31 %

429 359 660

430 406 795

0,24 %

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2018

2. L'engagement de ne pas procéder à des coups de rabot

M. Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, a affirmé à plusieurs reprises 2 ( * ) devant les sénateurs que la sanctuarisation du montant des crédits impliquait également qu'il n'y aurait pas d'annulation de crédits en cours d'exécution budgétaire.

Il convient en effet de rappeler que le gouvernement a annulé, par décret du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance, des crédits du programme 147 pour 2017 à hauteur de 130,3 millions d'euros en AE et de 46,5 millions d'euros en CP soit une contraction de 11 % des crédits.

Lors du débat en séance publique le 21 novembre 2017 sur la politique de la ville, M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires a précisé que les annulations décidées à l'été 2017 étaient la « conséquence d'engagements qui n'avaient pas été financés » par le précédent gouvernement.

Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) a indiqué à votre rapporteure que dans la mesure du possible ce sont les crédits du programme 147 gérés au niveau central qui ont fait l'objet d'annulation afin de préserver autant que faire se peut les crédits déconcentrés. Ainsi, ont notamment fait l'objet d'annulation :

- les crédits ouverts pour le financement du NPNRU soit 100 millions d'euros en AE et 15 millions CP ;

- des crédits pour des dispositifs fléchés en matière d'éducation à hauteur de 1,7 million d'euros (annulation de la ligne « Internats d'excellence » pour 1,3 million d'euros ainsi qu'une restriction sur les « Écoles de la deuxième chance » (emploi) et les « Cordées de la réussite » (éducation) pour 0,2 million d'euros chacune) ;

- des crédits versés à l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE) pour 1 million d'euros ;

- des crédits dédiés au financement des adultes-relais pour un montant d'environ 4 millions d'euros en AE et CP.

Des annulations de crédits au niveau local n'ont pu être évitées et ont concerné 21,9 millions d'euros soit 47 % des crédits annulés. Les préfectures ont néanmoins été invitées à préserver :

- les crédits finançant les actions des associations de proximité ;

- les crédits dédiés à la participation citoyenne ;

- et enfin les crédits en faveur du développement économique et de l'emploi.

Votre rapporteure regrette ces annulations de crédits et tout particulièrement celles affectant le financement du NPNRU. Elle considère qu'il s'agit d'un mauvais signal envoyé aux acteurs de la politique de la ville.

Elle tient également à rappeler que si les montants des subventions peuvent paraître à certains insignifiants, tel n'est pas le cas en pratique car les crédits de la politique de la ville ont un effet levier qui permet de mobiliser d'autres acteurs comme les collectivités territoriales ou les organismes HLM. Ainsi, en 2016, près de 28 600 actions et 11 500 porteurs de projets ont bénéficié de subventions pour un montant total de 274 millions d'euros. La subvention médiane s'élevait à 5 000 euros. L'effet levier a permis que l'octroi de subventions sur le programme 147 à hauteur de 230 millions d'euros justifiés sur l'exercice 2016 permette des cofinancements de plus de 1,2 milliard. L'annulation de crédits par le Gouvernement n'est donc pas anodine.

Votre rapporteure sera particulièrement vigilante sur le respect de l'engagement donné par le gouvernement d'une sanctuarisation des crédits sans annulation de crédits en cours d'exécution budgétaire.


* 1 Rapport d'information n° 662 (2016-2017) du 19 juillet 2017 « Politique de la ville : une réforme bien engagée mais fragilisée par un manque de moyens ».

* 2 Lors de son audition devant la commission des finances du Sénat le 22 octobre 2017 et lors du débat sur la politique de la ville en séance publique le 21 novembre 2017.

Page mise à jour le

Partager cette page