D. DÉTERMINER LES BESOINS, AGIR EN CONSÉQUENCE

1. La nécessité d'un constat objectif et partagé entre tous les acteurs

Malgré le fait que la question se soit toujours posée, la France n'a pas encore arrêté de position claire sur le degré de mobilisation potentielle du satellite et des autres technologies pour réaliser ses objectifs de couverture numérique du territoire. Or, alors que le plan France très haut débit est en cours d'ajustement, cette question se pose d'autant plus aujourd'hui que de nouveaux objectifs ont été posés : « bon haut débit » en 2020, très haut débit en 2022 et société du Gigabit en 2025. S'agissant du « bon haut débit », le communiqué de presse déjà cité du 27 septembre dernier précisait seulement que « l'ensemble des technologies disponibles seront mobilisées pour garantir à l'ensemble des foyers un accès au bon haut débit dès 2020 » et mentionnait, parmi ces technologies « les solutions satellitaires nouvelles déployées à cet effet ».

C'est pourquoi votre rapporteure salue le travail d'identification du nombre de foyers potentiellement intéressés par le satellite et les autres technologies actuellement engagé par l'ensemble des acteurs .

Un tel travail d'objectivation des besoins et des solutions apparaît en effet fondamental afin de prendre des décisions en connaissance de cause et ainsi, répondre à la situation de chaque territoire en y effectuant les déploiements les plus rationnels d'un point de vue économique .

À ce stade de la démarche, il serait, selon le ministre de la Cohésion des territoires, question de 500 000 à 800 000 foyers à couvrir 65 ( * ) . Au-delà du territoire métropolitain, votre rapporteure souligne que la solution satellitaire pourrait être particulièrement appropriée pour les zones les plus reculées de la Guyane, à l'image du satellite Jupiter 2 récemment déployé au Brésil, et pour maintenir une continuité de service en cas de catastrophe naturelle, telle que celle récemment observée aux Antilles.

À nouveau, votre rapporteure entend souligner la nécessité de tenir un discours de vérité : la fibre ne pourra pas se rendre partout rapidement. Il est donc nécessaire d'offrir un bouquet de technologies efficaces en complément ou dans l'attente de la fibre.

2. Plusieurs leviers existent : réallouer de la bande passante, lancer de nouveaux satellites.

Une fois le degré de mobilisation du satellite arrêté, plusieurs solutions sont envisageables pour utiliser cette technologie, à la fois pour le bon haut débit et pour le très haut débit.

Pour le « bon haut débit » avant 2020, une solution pourrait être d' allouer sur le territoire national une bande passante plus importante que ce qui est actuellement prévu par les opérateurs sur les satellites déjà en vol, ou devant être lancés très prochainement . C'est notamment cette solution que propose Eutelsat au Gouvernement, pour apporter du bon haut débit à 180 000 nouveaux utilisateurs dès 2019.

Afin d'atteindre une cible d'utilisateurs supérieure, la construction , par l'industrie européenne, de satellites supplémentaires d'ici à 2020 pour le « bon haut débit », puis 2022 pour le très haut débit, qui intègreraient les technologies les plus récentes développées avec le soutien de l'État dans le cadre du projet THD-SAT, pourrait être retenue.

S'agissant de l'utilisation du satellite pour remplir l'objectif du Gigabit en 2025, le problème sera surtout celui de la rentabilité économique de la technologie satellite à cet horizon, qui dépendra de la capacité des industriels à continuer à faire baisser le coût de revient de la bande passante par satellite pour que cette technologie reste compétitive face aux solutions terrestres.

3. Un enjeu industriel stratégique

La situation est aujourd'hui paradoxale : si notre industrie satellitaire est bien positionnée pour répondre aux mutations du marché, aucun satellite n'est en cours de construction par les industriels français en vue de couvrir la France . Autrement dit, alors même que nous disposons d'une industrie de pointe, elle n'est pas mise en valeur.

Et, alors que la concurrence sera de plus en plus vive sur ce secteur, Eutelsat - dont Bpifrance est le principal actionnaire 66 ( * ) - envisage de recourir à l'un des satellites VHTS de son partenaire américain Viasat 67 ( * ) , qui sera construit par Boeing , pour couvrir la France en très haut débit. Notons cependant que, selon le ministère de l'économie, un tel projet ne permettrait de servir que 200 000 locaux en France métropolitaine, dans la mesure où seuls 10 % de la bande passante - soit une centaine de gigabits - de ce satellite pourrait être focalisée sur le territoire national, en raison de la taille des réflecteurs actuels, qui ne permet pas de focaliser plus de bande passante sur un territoire comme celui de la France métropolitaine.

Les industriels européens estiment être en mesure de fournir un premier satellite dès 2020 si une commande est passée rapidement. Dans ce contexte, votre rapporteure considère qu'il est nécessaire de faire des infrastructures produites en France une vitrine à l'export, et appelle l'ensemble des acteurs (constructeurs, opérateurs, fournisseurs d'accès à internet) à trouver un accord sur ce sujet , en vue d'obtenir une couverture de la France par des solutions domestiques . Cela permettrait à l'industrie, d'une part, de poursuivre la trajectoire de commande de satellites et, d'autre part, de pénétrer des marchés sur le segment sol, face aux acteurs extrêmement établis que sont Viasat, Hughes, ou Idirect. Cela renforcerait également, dans une certaine mesure, le niveau de sécurité des télécommunications nationales offertes par la composante satellitaire du plan France Très haut débit 68 ( * ) .

Pour votre rapporteure, les éléments suivants sont de nature à créer les conditions d'une commande par un opérateur privé.

Premièrement, la solution satellitaire devra être prise en compte par le plan France très haut débit dans des conditions optimisées , afin de réduire le frein que peut constituer la somme restant à la charge de l'abonné dans l'acquisition et/ou l'installation du kit satellitaire. Le plafond de la subvention étatique à l'installation d'un kit pourrait être relevé. À tout le moins, les conditions de prise en charge par les collectivités territoriales devraient être harmonisées sur les territoires concernés par l'offre satellitaire, afin de faciliter la lisibilité de la politique publique et l'attractivité de l'offre satellitaire. Il conviendrait, dans ce cadre, de favoriser une prise en charge a priori plutôt qu'un remboursement a posteriori par la collectivité.

Deuxièmement, une meilleure information des collectivités locales et des utilisateurs est nécessaire pour en favoriser la commercialisation . Les collectivités locales ont été désignées par le plan France très haut débit comme décisionnaires sur les zones identifiées comme ne relevant pas de l'initiative privée du fait de leur rentabilité trop faible. Elles sont, en conséquence, amenées à financer des programmes de soutien au déploiement de solutions. Elles devraient donc être mieux informées, notamment par les opérateurs, sur l'ensemble des technologies disponibles, leurs modalités techniques, leurs avantages et inconvénients et leurs modalités de commercialisation. Une telle information devrait également être offerte à l'utilisateur final, afin qu'il puisse choisir en connaissance de cause. Enfin, les collectivités elles-mêmes devraient mieux coordonner la définition de leurs besoins et le choix des leviers à mobiliser pour y répondre. Il y a un véritable besoin de pédagogie sur les technologies alternatives.

Troisièmement, et corrélativement, une discussion doit avoir lieu avec les fournisseurs d'accès à internet sur les raisons de l'absence de commercialisation des offres satellitaires et sur les voies et moyens d'améliorer cette situation. De tels échanges devraient avoir lieu en France mais également dans les autres pays susceptibles d'être couverts par les satellites à produire.


* 65 Le 24 octobre dernier, lors d'une séance de questions orales au Sénat, le ministre de la cohésion des territoires Jacques Mézard a indiqué que « l'Agence du numérique a commencé un travail de diagnostic, département par département, pour identifier les foyers qui ne seront pas couverts par le haut débit à cette échéance (2020) - et pour lesquels le satellite sera une solution, pour le moment - je vous prie de m'excuser pour l'imprécision : le potentiel est évalué entre 500 000 et 800 000 foyers ».

* 66 Bpifrance détenait, au 30 juin 2017, 26,4 % du capital d'Eutelsat, quand le fonds stratégique de participations regroupant six grands assureurs français en détenait 7,5 %, la China investment corporation 6,4 %, le reste étant constitué de capital flottant.

* 67 Eutelsat et Viasat sont partenaires dans le cadre de deux co-entreprises pour opérer et étendre l'empreinte commerciale du satellite KA-SAT dans l'internet à haut débit fixe et la mobilité en vol. La première entité, Euro Broadband Infrastructure, est détenue à 51 % par Eutelsat et à 49 % par ViaSat. Propriétaire des actifs satellitaires, son objet est de fournir des services de gros dans l'internet à haut débit et la mobilité à l'entité Euro Broadband Retail et aux distributeurs préexistants d'Eutelsat. Eutelsat a apporté le satellite KA-SAT comme actif à l'entité Euro Broadband Infrastructure. Eutelsat et ViaSat sont en discussion depuis plusieurs mois pour ajouter à la co-entreprise le satellite ViaSat-3, actuellement en cours de construction pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient.

L'intégration verticale de Viasat (il produit le segment sol, opère le satellite et se charge de la commercialisation de ses solutions internet) est un élément interprété comme lui permettant de commercialiser ses solutions dans des conditions favorables.

* 68 Les réseaux satellitaires actuellement déployés en France utilisent des stations de connexion et terminaux produits par Viasat, ce qui peut constituer une vulnérabilité du point de vue de la cybersécurité. Dans le même sens, au moins une partie des stations sol de connexion pourraient être basées en France alors que les stations Viasat utilisées par Eutelsat pour KaSat sont réparties sur l'ensemble du territoire européen, notamment en Irlande et à Chypre.

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