II. LE SATELLITE : UN ÉLÉMENT DU BOUQUET TECHNOLOGIQUE NÉCESSAIRE À LA COUVERTURE NUMÉRIQUE DU TERRITOIRE

Dans son discours du 18 juillet dernier, à l'occasion de la conférence nationale des territoires, au Sénat, le Président de la République invitait, s'agissant de la couverture numérique du territoire, à « envisager les complémentarités technologiques », affirmant qu'il est « impossible de tenir la promesse de tirer de la fibre dans tous les logements de la République », considérant cette perspective « intenable technologiquement et financièrement ».

Un discours responsable doit en effet être tenu sur la couverture numérique de notre territoire. Si la fibre constitue indiscutablement la solution technologique à privilégier à terme, il est aujourd'hui possible de faire appel à des technologies pouvant être déployées plus rapidement en vue de tenir les objectifs établis au plan national dans le cadre du plan France très haut débit.

La technologie de communication de données par satellite est sans aucun doute l'un des outils à mobiliser en tant que solution complémentaire à la fibre, inscrite dans un mix technologique, pour les cas les plus complexes et coûteux à couvrir par des réseaux terrestres, c'est-à-dire pour les zones les moins denses et les logements les plus isolés.

Pourtant, son rôle dans la fourniture d'accès à internet reste, en France, assez modeste. Cette solution est également trop méconnue dans nos territoires.

Alors que les modalités du plan France très haut débit pourraient faire l'objet d'ajustements dans les semaines à venir, il est avant tout nécessaire de définir le degré de mobilisation potentielle du satellite aujourd'hui attendu en France, dans le cadre d'une démarche objective et rationnelle d'établissement des besoins de déploiement des infrastructures numériques.

Au-delà de la réponse aux besoins en matière d'aménagement numérique du territoire, il s'agit d'un enjeu industriel majeur pour notre pays. L'industrie française et européenne a bénéficié d'un important soutien public pour développer la recherche et développement (R&D) nécessaire à la proposition de solutions compétitives. Elle est aujourd'hui bien positionnée pour répondre aux attentes du marché. Il est donc essentiel que l'ensemble des acteurs s'entende afin de privilégier la couverture numérique de notre territoire par une infrastructure de fabrication européenne.

A. UNE TECHNOLOGIE HERTZIENNE ADÉQUATE POUR COUVRIR LES ZONES LES MOINS DENSES DE NOTRE TERRITOIRE.

1. La nécessité du recours aux technologies hertziennes pour tenir les délais du plan France très haut débit

Le déploiement des technologies filaires (la fibre optique, le câble ou le réseau historique en cuivre) fait face à des difficultés physiques et financières pour atteindre les territoires peu denses et les habitats isolés.

En effet, alors que le débit offert par les réseaux en cuivre décroît rapidement avec la distance par rapport à l'équipement réseau, le coût d'une ligne en fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH) croît à mesure que la population diminue . Selon le Centre national d'études spatiales (CNES), ce coût est de 1 000 à 3 000 euros par ligne pour les derniers 70 à 90 pourcents de la population à couvrir, et de 3 000 euros à 10 000 euros par ligne pour les dix derniers pourcents.

En conséquence, une étude conduite par l'Idate et présentée au colloque de la FIRIP en juillet dernier estimait que, en 2022, près de deux millions de locaux ne bénéficieraient toujours pas d'un débit de 8 Mbit/s via les solutions filaires. Et cinq millions de locaux seraient toujours privés d'un débit de 30 Mbit/s .

Le satellite constitue, avec la boucle locale radio et les solutions 4G fixes, une des solutions hertziennes qu'il est possible de mobiliser en vue de pallier ces difficultés. L'étude de l'Idate établissait une première typologie du recours à ces diverses solutions :

- les locaux ne disposant pas du FttH et faisant face à un faible débit ADSL (inférieur à 3 ou 8 Mbit/s), mais bénéficiant d'une bonne couverture 4G constitueraient la cible pour l'accès à internet fixe via la 4G, qui permettrait d'apporter le bon haut débit à près de 700 000 foyers ;

- les locaux sans FttH, à faible débit ADSL et mal couverts en 4G seraient, quant à eux, la cible adéquate pour le satellite et pour la boucle locale radio, qui permettraient d'apporter le bon haut débit à 1,3 million de foyers et le très haut débit à 5 millions de foyers.

Les zones peu denses de notre territoire sont donc amenées à utiliser un bouquet de technologies filaires et hertziennes selon les caractéristiques propres à chaque territoire.

2. Le satellite est à distinguer des technologies hertziennes terrestres

Les deux technologies hertziennes terrestres auxquelles il est aujourd'hui envisagé de recourir pour la couverture numérique de notre territoire sont donc la boucle locale radio et l'utilisation des réseaux mobiles de quatrième génération en situation fixe. Le propos n'est pas ici de procéder à une hiérarchisation entre ces différentes technologies, mais de rappeler qu'il sera probablement nécessaire de toutes les mobiliser afin de couvrir les territoires les moins peuplés.

La boucle locale radio (BLR) relie le dernier noeud de raccordement du réseau filaire aux abonnés par l'intermédiaire d'antennes qui véhiculent le signal. Contrairement aux réseaux commercialisés sous le terme « 4G fixe », il s'agit de réseaux dédiés à un usage fixe. Des réseaux utilisant la BLR ont été déployés sur fonds publics dans le cadre de la première génération de réseaux d'initiative publique à la fin des années 2000 (réseaux de type WiMax ou WiFiMax). Le coût, pour les collectivités territoriales, de ce type d'infrastructure n'était pas négligeable, car il nécessitait de financer les antennes, la construction des pylônes, et la maintenance des sites d'émission. Les pylônes mis en place à l'époque peuvent aujourd'hui accueillir la technologie LTE (pour Long Term Evolution ), utilisée pour la 4G, afin de fournir du très haut débit. C'est pour permettre aux collectivités qui le souhaitent d'effectuer cette modernisation que l'ARCEP entend libérer une partie de la bande des 3,5 GHz 39 ( * ) .

Depuis quelques mois, une solution dite de « 4G fixe » est commercialisée par Bouygues Telecom. Elle consiste à installer une box reliant le foyer aux antennes 4G, qui desservent également les terminaux mobiles. Autrement dit, le réseau n'est pas dédié à l'usage fixe : il est partagé entre les terminaux mobiles et les box 4G fixe. Le coût de l'infrastructure est, en principe 40 ( * ) , entièrement supporté par les opérateurs privés. L'accroissement du recours à cette solution suppose une accélération substantielle des déploiements des pylônes et antennes 4G car, en zone rurale, les sites sont distants de plusieurs kilomètres, et le débit comme la capacité décroissent rapidement avec la distance de l'utilisateur de la station de base.

3. Bien que pouvant présenter certaines limites en termes d'usage, la technologie satellitaire comporte des caractéristiques avantageuses pour la couverture numérique du territoire.
a) Pour que le satellite relie l'abonné au réseau internet, plusieurs types d'infrastructures interviennent

D'un côté de la chaîne, les opérateurs de satellites disposent de téléports comprenant des stations d'émission et de réception et à partir duquel ils relient leurs satellites au réseau internet. À l'autre bout de la chaîne, l'abonné est relié au satellite par l'intermédiaire d'une parabole . Au milieu, le satellite effectue la liaison entre le réseau internet et le modem de l'abonné : les données transitent de la parabole du téléport jusqu'à la parabole de l'abonné en passant par le satellite, et inversement. Autrement dit, le satellite est comparable aux points hauts des réseaux mobiles.

Source : www.nordnet.com

Il convient de souligner que, si le satellite est ici envisagé pour la fourniture d'internet à l'utilisateur final en situation fixe, il peut néanmoins répondre à une pluralité d'usages. Par exemple, au-delà de l'offre grand public, les communications électroniques par satellite peuvent être utilisées comme filet de sécurité en cas de défaillance des technologies terrestres. Un autre exemple mérite d'être mentionné, car il illustre la complémentarité entre les différentes technologies : le satellite peut être utilisé de façon complémentaire aux réseaux hertziens terrestres dans le cadre du « backhauling » pour desservir des utilisateurs très isolés et habitant sur des zones à relief important. En effet, les solutions hertziennes terrestres sont sensibles aux phénomènes d'obstruction du relief au cours de la propagation des ondes entre l'antenne relais et le terminal 41 ( * ) . L'utilisation conjointe du satellite et d'un relais terrestre hertzien bien positionné permet de pallier cette difficulté, à un coût a priori inférieur à celui du déploiement de réseaux hertziens terrestres sur l'ensemble du territoire concerné.

b) La technologie satellitaire présente certains avantages en matière de couverture numérique d'un territoire.

Les satellites couvrent de très grandes étendues géographiques avec un seul équipement et ce, sans zone d'ombre et immédiatement après déploiement .

Ils octroient également une certaine souplesse dans les déploiements : lorsqu'une solution technologique plus performante devient disponible sur un territoire, la capacité du satellite ainsi libérée peut être réutilisée immédiatement en un autre point de la cellule du satellite.

Pour les zones les plus reculées, le satellite est une solution technologique offrant un coût par ligne très compétitif : le coût de déploiement par ligne du satellite est estimé par le CNES à 750 euros par ligne haut débit et 1 500 euros par ligne très haut débit partout sur le territoire.

Enfin, du point de vue des finances publiques, le satellite présente également l'avantage de ne pas engendrer de coût d'infrastructure de réseau pour la collectivité publique , dans la mesure où ce sont les opérateurs de satellites qui passent commande auprès des constructeurs.

c) Le satellite comporte certaines limites techniques pouvant potentiellement en affecter l'usage.

Le satellite partage certaines limites avec les autres réseaux hertziens :

- il existe un risque de congestion de la bande passante : le spectre de fréquences étant une ressource rare, les opérateurs de réseaux hertziens sont conduits à limiter la capacité du réseau effectivement disponible à un instant donné, lorsqu'un nombre important d'abonnés sont connectés en même temps 42 ( * ) ;

- le service peut théoriquement être perturbé par les conditions météorologiques , néanmoins, les opérateurs peuvent mettre en place des solutions permettant de pallier les difficultés liées aux intempéries - ce qui justifie le choix de certains refuges de montagne de recourir au satellite.

Il existe cependant une limite technique inhérente au satellite géostationnaire : le caractère élevé du délai de latence . La latence, ou ping , est définie par l'ARCEP comme le temps mis par un paquet de données pour parcourir la distance entre un serveur et l'équipement terminal. Les satellites fournissant de l'internet sont actuellement situés en orbite géostationnaire (c'est-à-dire qu'ils sont en position fixe au-dessus d'une zone de la Terre à couvrir, à 36 000 kilomètres d'altitude). Par conséquent, la distance entre le terminal et le satellite engendre des délais de latence plus importants que pour une connexion filaire ou hertzienne terrestre (la latence de la solution satellitaire est de l'ordre de 0,5 seconde contre, par exemple, 60 millisecondes pour un réseau en cuivre sur longue distance).

Ceci peut rendre certains usages impossibles comme, pour le grand public, le jeu vidéo en ligne ou les enchères en ligne 43 ( * ) . Certains considèrent également que la latence rend quelques peu inconfortables les conversations téléphoniques (effectuées, pour les satellites internet, à travers la voix sur IP).

Cependant, si la latence due à la distance est incompressible, le temps de traitement au sol peut être amélioré, à travers des terminaux intégrant différentes solutions d'accélération du protocole de transfert. Par ailleurs, selon les données publiées par l'ARCEP, le temps de téléchargement d'une page web pour une ligne en cuivre longue est de 4 à 5 secondes. Dès lors, le critère de la latence apparaît à relativiser pour la plupart des usages de l'internet.

La latence incompressible est, à tout le moins, une des raisons qui motivent le développement de projets de constellations de satellites en orbite basse (entre 200 et 2 000 km) permettant d'obtenir une latence similaire à celle des réseaux terrestres (40 millisecondes). Les satellites en orbite géostationnaire, moyenne (de 2 000 à 36 000 km, dont il découle une latence d'environ 200 millisecondes) ou basse, seront donc, à terme, complémentaires.


* 39 ARCEP, Consultation publique, Attribution de fréquences de la bande 3410-3460MHz pour le très haut débit radio en France métropolitaine, 13 juillet 2017.

* 40 En revanche, les zones concernées par les plans de couverture des zones blanches en centre-bourg disposent d'infrastructures faisant l'objet d'un cofinancement entre les collectivités territoriales (avec le soutien de l'État) et les opérateurs privés.

* 41 Le faisceau d'un satellite géostationnaire peut également être obstrué par le relief.

* 42 Les réseaux filaires peuvent aussi connaître, bien que dans une moindre mesure, des phénomènes de congestion. La différence entre ces technologies provient de la « taille du tuyau », qui délimite le volume total de données que le réseau peut traiter.

* 43 S'agissant de la télémédecine, si la chirurgie à distance ne paraît pas possible à cause de la latence, le diagnostic à distance, le suivi de paramètres vitaux ou encore l'échographie peuvent être pratiqués à travers une liaison satellitaire.

Page mise à jour le

Partager cette page