C. UNE STABILISATION DE LA DÉPENSE FISCALE LIÉE À LA RÉFORME DU CRÉDIT D'IMPÔT TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

En 2018, la dépense fiscale rattachée, à titre principal, au programme 174, devrait s'élever à près de 2,8 milliards d'euros , à rapporter aux 4,3 milliards de dépenses fiscales de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » 78 ( * ) (sur un total de près de 100 milliards de dépenses fiscales inscrites au budget 2018).

Depuis 2014, la dépense associée au programme (+129,7 % entre 2014 et 2017) a été portée par deux dynamiques :

- la montée en puissance continue du « crédit d'impôt pour la transition énergétique » (CITE) depuis la réforme intervenue en 2015 (qui en a porté le taux de 15 % à 30 %, supprimé de la condition de « bouquet de travaux » et élargi le champ des dépenses éligibles), d'une part,

- et l'augmentation des réductions de taxes intérieures de consommation pour les industries intensives en énergie , qui suit mécaniquement la trajectoire de hausse de la « composante carbone » incluse dans ces taxes, d'autre part.

Selon les estimations du Gouvernement, l'année 2018 devait être marquée par une relative stabilité de la dépense fiscale (+2,4 %) en raison du recentrage du CITE sur les dépenses jugées les plus pertinentes, et ce dès la fin de l'année 2017 dans son projet initial.

Compte tenu du report de la réforme au début de l'année 2018 décidé à l'Assemblée nationale, les économies attendues sur 2018 n'auront donc lieu et le coût du CITE pourrait même croître en raison de « l'effet rebond » occasionné par les annonces successives sur les dépenses de la fin de l'année 2017, dans des proportions qui sont aujourd'hui difficiles à estimer.

Dans le même temps, les dépenses en faveur des industries intensives en énergie restent dynamiques car portées par la hausse de la taxe carbone dont elles sont exonérées en grande partie pour préserver leur compétitivité.

Principales dépenses fiscales 79 ( * ) rattachées à titre principal au programme 174

(en millions d'euros)

Chiffrage pour 2014

Chiffrage pour 2015

Chiffrage pour 2016

Chiffrage pour 2017

Chiffrage pour 2018

Logements

Crédit d'impôt transition énergétique (CITE)

Objectif : diminuer la consommation énergétique des logements

619

874

+41,2 %

1 678

+91,2 %

1 675

-0,2 %

1 560
texte initial
-6,9 %
1 675
après AN
=

Dégrèvement égal au quart des dépenses à raison des travaux d'économie d'énergie sur la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les organismes HLM et les SEM

Objectif : aider le secteur immobilier public pour des travaux d'économies d'énergie

70

59
-15,7 %

80
+35,6 %

nc

nc

Industries intensives en énergie

Taux réduit de TICPE, TICGN et TICC au profit des installations intensives en énergie et soumises au régime des quotas d'émission de gaz à effet de serre de la directive 2003/87/CE (SCEQE) 80 ( * )

Objectif : éviter la double taxation du carbone

13 81 ( * )

110
+746,2 %

228
+107,3 %

350
+53,5 %

515
+47,1 %

Taux réduit de TICPE, TICGN et TICC au profit des installations intensives en énergie et exerçant une activité considérée comme exposée à un risque important de fuite de carbone 82 ( * )

Objectif : éviter les délocalisations

-

70
LR 2016

10 83 ( * )

140
LFI 2017
+100 %
14
LFI 2018
+40 %

220
LFI 2017
+57,1 %
18
LFI 2018
+28,6 %

-


22
LFI 2018
+22,2 %

Carburants

Réduction de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel à l'état gazeux destiné à être utilisé comme carburant

Objectif : aider le développement du carburant-gaz

125

158
+26,4 %

155
-1,9 %

156
+0,6 %

155
-0,6 %

Carburants (suite)

Taux réduit de taxe intérieure de consommation pour les butanes et propanes utilisés comme carburant sous condition d'emploi

Objectif : favoriser les économies d'énergie

105

102
-2,9 %

102
=

102
=

104
+2,0 %

Taux réduit de taxe intérieure de consommation sur le gaz de pétrole liquéfié (GPL)

Objectif : aider le développement du GPL

91

81
-11 %

75
- %

75
=

75
=

Taux réduit applicable au super sans plomb 95-E10 (incorporant jusqu'à 10 % de biocarburants) 84 ( * )

Objectif : aider le développement des biocarburants

-

-

69

69
=

69
=

Réseaux d'énergie renouvelable

Taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 5,5 % pour la fourniture par réseaux d'énergie d'origine renouvelable

Objectif : augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation

50

55
=

55
=

55
=

55
=

Coût total toutes dépenses fiscales incluses 85 ( * )

1 131

1 458

+28,9 %

2 469

+69,3 %

2 598

+5,2 %

2 661
texte initial
+2,4 %
2 776
après AN
+6,9 %

Sources : projets annuels de performances des projets de loi de finances pour 2016, 2017 et 2018

1. Avant sa transformation en prime en 2019, le recentrage du crédit d'impôt transition énergétique pose question
a) Une dépense dynamique dont l'efficacité reste insuffisamment évaluée

Depuis sa création en 2000, l'histoire du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), qui vise à réduire la consommation énergétique des logements, est marquée par une instabilité chronique 86 ( * ) qui nuit à la prévisibilité de la règle fiscale pour les acteurs économiques.

Chaque année ou presque, de nombreux aménagements ont été décidés à des fins parfois opposées , selon qu'il fallait contenir une dépense fiscale qui « dérapait », ou qu'il s'avérait au contraire nécessaire de redynamiser le secteur de la rénovation énergétique des bâtiments.

La trajectoire de la dépense fiscale illustre ces difficultés de pilotage : après avoir culminé en 2009 à près de 2,8 milliards d'euros, le coût du crédit d'impôt a ensuite reflué sous l'effet d'une réduction de son taux comme du périmètre des travaux éligibles, à 620 millions en 2014. Depuis la réforme de 2015, la dépense fiscale est repartie à la hausse pour se stabiliser à près d'1,7 milliard en 2016 et 2017.

Évolution de la dépense fiscale du « crédit d'impôt développement durable » (CIDD) puis « crédit d'impôt transition énergétique » (CITE)

(en millions d'euros)

Source : Évaluations des voies et moyens, tome II, annexes aux projets de loi de finances

Malgré les reconductions successives intervenues en lois de finances pour 2016 et pour 2017, le dispositif se caractérise surtout par l'absence d'évaluation réelle de son efficacité, qui est pourtant régulièrement contestée .

En 2015, une étude de l'UFC-Que Choisir 87 ( * ) jugeait ainsi que le crédit d'impôt était un « dispositif coûteux sans effet d'entraînement sur le marché » et qu'il « [orientait] mal les dépenses d'investissement des ménages » en corrélant les aides à la nature des équipements, et non au niveau de performance énergétique atteint après travaux.

Dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire 2015, la Cour des comptes déplorait qu'une telle évaluation de la dépense n'ait pas été conduite « en vue de s'assurer qu'elle ne soit pas qu'un soutien au secteur du bâtiment et qu'elle contribue réellement efficacement à la transition énergétique », jugement réitéré depuis sur l'exécution de l'exercice 2016.

La remise au Parlement, d'ici au 1 er septembre 2017, d'un rapport du Gouvernement sur le sujet était prévue 88 ( * ) mais n'est à ce jour pas intervenue . En avril dernier, une étude de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a cependant visé à « [fournir] de premiers éléments d'évaluation » du CITE 89 ( * ) . C'est sur la base, notamment, des conclusions de cette étude que le Gouvernement a proposé, dans le présent projet de loi de finances, de nouveaux aménagements du crédit d'impôt.

b) Un recentrage du crédit d'impôt opéré de façon trop rapide et sans concertation

Dans la version initiale du texte, l'article 8 prévoyait de proroger le CITE d'une année, jusqu'au 31 décembre 2018, mais d' exclure du champ des équipements éligibles 90 ( * ) :

- les portes d'entrée, volets isolants et fenêtres à compter du 28 mars 2018, après une baisse du taux du crédit d'impôt de 30 % à 15 % à partir du 27 septembre, à raison d'un rapport coût-bénéfice environnemental jugé peu favorable ;

- les chaudières fioul à haute performance énergétique dès le 27 septembre 2017, au motif que le fioul est l'énergie la plus carbonée et qu'il n'y a plus lieu de la soutenir, conformément aux orientations du plan Climat visant à sortir des énergies fossiles.

Alors que les dépenses consacrées aux fenêtres, volets isolants et portes d'entrée donnant sur l'extérieur représentaient, en 2015, plus de la moitié des dépenses totales éligibles au CITE, une part en augmentation continue depuis 2012, le rapport IGF/CGEDD relève en effet :

- d'une part, que le montant moyen de crédit d'impôt nécessaire pour permettre une économie d'un MWh en réalisant l'isolation des parois vitrées est de 1 350 euros, contre 100 euros pour l'isolation de la toiture ;

- d'autre part, que cette catégorie de dépenses comporte des effets d'aubaine et répond autant à des enjeux de confort (isolation phonique, par exemple) ou de sécurité (portes blindées) qu'à des préoccupations environnementales.

En « [recentrant] le crédit d'impôt vers les matériaux, équipements et appareils présentant le meilleur rapport coût-bénéfice environnemental », l'article 8 entendait aussi, et bien que cet objectif ne soit pas mis en avant, freiner la dynamique des dépenses : 115 millions d'économies étaient attendus sur 2018 et la dépense devait être contenue à 875 millions en 2019 .

Le manque de concertation dont la réforme a fait l'objet, ainsi que les délais très courts dans lesquelles elle devait être mise en oeuvre, ont suscité de vives protestations, face auxquelles le Gouvernement a choisi de supprimer cet article, pour le redéposer en deuxième partie - ce qui ne le rendrait applicable qu'à partir de 2018 - après l'organisation d'une audition sur le sujet à l'Assemblée nationale.

À cette occasion, l'Ademe a préconisé le maintien du crédit d'impôt pour les fenêtres en cas « de remplacement du simple vitrage » ainsi que dans les copropriétés, où « l'argument financier est plus important » qu'en logement individuel pour réaliser des travaux ; en outre « plutôt que de stigmatiser » le fioul, l'agence proposait d' augmenter le seuil d'éligibilité de toutes les chaudières au crédit d'impôt pour inciter à l'amélioration de leur performance énergétique et de faire « passer de 30 à 50 % » le CITE sur les pompes à chaleur et chaudières biomasse « en cas de remplacement d'une chaudière fioul ».

c) Une sortie en sifflet d'ici au 30 juin 2018

La solution finalement retenue par le Gouvernement revient à maintenir les exclusions des portes d'entrée, volets isolants et fenêtres et des chaudières fioul mais à en décaler l'application , au 1 er janvier 2018 pour les portes et volets isolants, ou au 1 er juillet 2018 pour les fenêtres et chaudières fioul, avec une période transitoire, entre le 1 er janvier et le 30 juin 2018, où ces deux derniers types d'équipements seront éligibles à un taux réduit de 15 % mais sous condition :

- pour les fenêtres, de remplacement d'un simple vitrage par un double ou triple vitrage ;

- pour les chaudières fioul, du relèvement du seuil de performance énergétique, à 92 % contre 90 % selon les informations transmises à votre rapporteur.

Parallèlement, deux autres dépenses deviennent éligibles dès le 1 er janvier :

- les droits et les frais liés au raccordement à un réseau de chaleur ou de froid , ce qui permettra de couvrir l'ensemble des réseaux de chaleur ou de froid, y compris lorsque la collectivité ou l'exploitant est propriétaire des équipements éligibles et en facture l'utilisation au contribuable, pour autant que ce coût soit bien individualisé ;

- les dépenses d' audits énergétiques , en ce qu'ils permettent de définit des itinéraires de travaux pour parvenir, au besoin en plusieurs étapes, au niveau de performance d'un bâtiment basse consommation (BBC).

Si la plus grande progressivité des exclusions décidées est bienvenue, il est très probable que l'annonce du schéma initial, puis la sortie en sifflet finalement mise en place conduiront, au moins pour les fenêtres, à un effet rebond important des dépenses sur la fin de l'année 2017 qui augmentera d'autant le coût du CITE en 2018, dans des proportions que le Gouvernement ne sait pas évaluer aujourd'hui.

Si la réforme est adoptée en l'état, le gain budgétaire net serait nul pour 2018 (compte non tenu de l'effet rebond évoqué plus haut), et pourrait atteindre un ordre de grandeur de 700 millions en 2019 , répartis de la façon suivante :

- 720 millions d'économies à raison de l'exclusion des portes, fenêtres et volets isolants ;

- et 15 millions d'économies au titre de l'exclusion des chaudières fioul,

desquels il faudrait déduire 6 millions de charges nouvelles liées à l'extension du crédit d'impôt aux frais et droits de raccordement à un réseau de chaleur ou de froid, et 15 millions estimés au titre de l'inclusion des audits énergétiques.

Coût estimé du crédit d'impôt transition énergétique en 2018 et 2019
en fonction de l'évolution du périmètre des dépenses éligibles

(en millions d'euros)

2018

2019

Avec la réforme prévue dans le projet de loi initial
(dont économies attendues)

1 560
(- 115)

875
(- 800)

Avec la réforme adoptée à l'Assemblée nationale
(dont économies attendues)

1 675
(=)

975
(- 700)

Source : projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2018
et réponses du Gouvernement aux questions de votre rapporteur

d) Des taux réduits pérennes pour les fenêtres et les chaudières fioul seraient préférables

Si l'exclusion des portes d'entrée au 1 er janvier 2018 paraît justifiée au regard du faible gain énergétique obtenu, votre rapporteur ne partage pas l'analyse du Gouvernement s'agissant des fenêtres et des chaudières fioul.

Même si l'isolation des fenêtres est moins efficace sur le plan énergétique que d'autres travaux, la pérennisation d'un taux réduit sous la condition de remplacement d'un simple vitrage , qui contribue malgré tout à l'amélioration de l'efficacité énergétique du bâti, serait préférable à leur exclusion pure et simple dès lors que ces dépenses constituent souvent un point d'entrée dans le parcours de rénovation thermique de son logement.

De la même façon, un taux réduit pérenne pour les chaudières fioul à haute performance permettrait de poursuivre le renouvellement d'un parc vieillissant 91 ( * ) et d'orienter les consommateurs vers les appareils à condensation les plus performants, ce d'autant plus que la mesure coûte peu et que les ménages concernés 92 ( * ) n'ont que peu d'alternatives (pas d'accès aux réseaux de gaz et reste à charge trop important pour basculer en chaudière biomasse malgré le « coup de pouce » prévu en 2018 dans le cadre des certificats d'économies d'énergie [CEE] 93 ( * ) ).

Enfin, selon les informations transmises à votre rapporteur, le relèvement des exigences de performance énergétique des chaudières fioul éligibles jusqu'au 30 juin exclurait en pratique la quasi-totalité des références du marché et orienterait vers des appareils vers lesquels les ménages n'iront pas, dès lors que le crédit d'impôt ne couvrira pas le surcoût induit 94 ( * ) .

e) Une transformation en prime annoncée mais difficile à mettre en oeuvre

Annoncée par le Président de la République lors de la campagne électorale et confirmée par le Gouvernement pour une mise en oeuvre en 2019, la transformation du CITE en « prime immédiatement perceptible au moment des travaux, et non l'année suivante » aura l'avantage de lever la contrainte d'avance des fonds , ce qui facilitera l'accès au dispositif des ménages aux revenus les plus modestes.

Séduisante dans son principe, cette réforme pose cependant plusieurs difficultés budgétaires et techniques .

Sur le plan budgétaire d'abord, l'année de transition 2019 sera marquée par un doublement des dépenses , le crédit d'impôt perçu sur les travaux réalisés en 2018 se cumulant avec le versement « en temps réel » de la prime pour les opérations réalisées en 2019. À périmètre constant, et compte tenu de la réforme du CITE adoptée à l'Assemblée, la dépense atteindrait alors environ 2 milliards d'euros.

Sur le plan technique, plusieurs points devront être traités.

Il importera d'abord de définir par quel organisme et selon quelles modalités la prime sera versée ; sur le premier point, cette mission sera-t-elle confiée aux services de l'État ou externalisée, par exemple, auprès de l'Agence de services et de paiement (ASP), de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ou de l'Ademe ? Sur le second point, recourra-t-on à la plateforme impots.gouv.fr, désormais bien connue des contribuables, ou à une nouvelle interface dédiée ?

Pour toucher tous les publics, en particulier les ménages aux revenus modestes qui sont aussi souvent les plus éloignés de l'accès à l'information, un effort important de communication sur le nouveau dispositif devra être entrepris.

Enfin, une vigilance particulière devra être portée sur le contrôle des dépenses éligibles, qui ne pourra se fonder sur la seule remise d'un devis ; une vérification systématique de la part des services instructeurs pourrait s'avérer difficile à mettre en oeuvre et exigera en tous les cas une forte mobilisation de moyens humains.

2. La dépense fiscale en faveur des industries intensives en énergie est mécaniquement portée par la hausse de la taxe carbone
a) Le coût des taux réduits de taxes intérieures de consommation augmente mécaniquement avec la hausse de la taxe carbone

Pour préserver la compétitivité des industries intensives en énergie , deux taux réduits de taxes intérieures de consommation 95 ( * ) ont été créés en lois de finances pour 2014 et 2015 :

- le premier bénéficie aux installations déjà soumises au marché européen d'échange de quotas d'émissions : pour éviter une double taxation de leurs émissions, le taux applicable à ces installations a été gelé à son niveau de 2013, ce qui les exonère de la taxe carbone ;

- le second profite aux installations qui exercent une activité considérée comme exposée à un risque important de fuite de carbone 96 ( * ) ; en pratique, sont concernées des installations dont les activités relèvent du marché de quotas mais qui sont trop petites pour y être incluses de plein de droit. Afin de ne pas les dispenser de toute contribution carbone mais d'en limiter la charge, le taux qui leur est appliqué a été gelé à son niveau de 2014, incluant une taxe carbone de 6,50 euros la tonne de CO 2 .

Dès lors que les « taux pleins » de taxes intérieures de consommation incluent une taxe carbone dont le poids croît à un rythme soutenu - une trajectoire haussière que le présent projet de loi amplifie encore -, le coût des taux réduits augmente donc mécaniquement et fortement : entre 2015 et 2018, la dépense fiscale liée au taux réduit pour les installations soumises au marché de quotas aura été multipliée par près de cinq en année pleine, passant de 110 millions d'euros à 515 millions . Sur la même période, le coût du taux réduit pour les activités exposées à un risque de fuite de carbone aura plus que doublé, à 22 millions pour 2018. Cette dernière dépense a cependant été fortement réévaluée à la baisse par rapport aux projections passées ( cf. tableau ) en raison d'erreurs déclaratives des bénéficiaires qui n'ont pu être identifiées qu'à partir des déclarations 2016 97 ( * ) .

Le même effet lié à la hausse de la taxe carbone s'applique du reste aux taux réduits sur le gazole dont bénéficient le transport routier de marchandises et le transport public en commun de voyageurs , dont le coût a doublé ou presque triplé entre 2016 et 2018 98 ( * ) .

b) Des dispositifs de soutien multiples dont la lisibilité devrait être améliorée

Au-delà des taux réduits rattachés au programme 174, les industries grandes consommatrices bénéficient de dispositifs de soutien nombreux qui sont légitimes pour préserver leur compétitivité mais dont la lisibilité devrait être améliorée : aucun document budgétaire transverse ne les recense, certains mécanismes sont d'ordre extrabudgétaire et l'évaluation de certaines dépenses fait aujourd'hui défaut.

Parmi ces dispositifs figurent d'ores et déjà 99 ( * ) :

- la « compensation carbone » 100 ( * ) instaurée en 2016, qui a d'abord été financée sur les crédits du programme 345 « Service public de l'énergie » et qui est basculée depuis l'an dernier sur le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie » (99,9 millions d'euros en 2018) ;

- les trois taux réduits de contribution au service public de l'électricité (CSPE) créés en loi de finances rectificative pour 2015 en remplacement des plafonnements antérieurs de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) et de l'ancienne CSPE, et désormais considérées comme des dépenses fiscales rattachées au même programme 134. Votre rapporteur déplore le manque ou l'imprécision des évaluations disponibles pour en mesurer le coût : alors que celui-ci était estimé au total, l'an dernier, à 555 millions d'euros pour 2017, la dépense liée à deux des trois taux considérés 101 ( * ) est fortement réévaluée pour 2017 et 2018 (à respectivement 297 millions et 110 millions, contre 150 et 85 millions estimés l'an passé) et la troisième 102 ( * ) n'est tout simplement pas estimée (alors qu'elle était évaluée pour 2017 à 320 millions) ;

- la réduction du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) en contrepartie d'engagements de performance énergétique (188 millions d'euros en 2018 103 ( * ) ) ;

- enfin, la rémunération accrue de la participation au mécanisme d' interruptibilité électrique (96 millions en 2017 104 ( * ) ).

Selon les estimations de votre commission, l'ensemble de ces dispositifs représenterait un coût d'environ 1,3 milliard d'euros en 2017 et 1,7 milliard en 2018 105 ( * ) .

Si la légitimité de ces différentes mesures n'est pas en cause, il est regrettable que le législateur ne puisse disposer , à ce jour, d'une vision claire de l'ensemble des engagements pris et des effets de chacun d'entre eux afin d'en mesurer l'efficacité.

*

Enfin, votre rapporteur estime que, par cohérence avec l'objectif poursuivi de réduction de la consommation énergétique des logements, le taux réduit de TVA pour les travaux d'amélioration de la qualité énergétique des logements achevés depuis plus de deux ans devrait être rattaché à titre principal au programme 174 , comme le CITE qui a strictement le même objet, plutôt qu'au programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » de la mission « Égalité des territoires et logement ». Si l'on y ajoutait la dépense correspondante (1,2 milliard d'euros en 2018), les dépenses fiscales associées au programme atteindraient en réalité environ 4 milliards.

*


* 78 Outre le programme 174, la dépense fiscale de la mission se concentre, pour l'essentiel, sur le programme 203 « Infrastructures et services de transports » à raison principalement des réductions de taxes sur le gazole au profit des transporteurs routiers de marchandises (1,1 milliard en 2018) et du transport public en commun de voyageurs (182 millions en 2018).

* 79 Soit les dépenses fiscales sur impôts d'État ou sur impôts locaux prises en charge par l'État dont le coût est supérieur à 50 millions d'euros.

* 80 Créé par l'article 32 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 81 Dispositif entré en vigueur à compter du 1 er avril 2014.

* 82 Créé par l'article 57 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 83 Coût réévalué de la dépense fiscale 2015 tel que transmis à votre rapporteur ( cf. infra ).

* 84 Créé par l'article 17 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

* 85 Ce total intègre toutes les dépenses fiscales pour lesquelles une évaluation est disponible dans les documents budgétaires, et non uniquement celles détaillées dans le tableau.

* 86 Cette instabilité est allée jusqu'à affecter sa dénomination même, le « crédit d'impôt développement durable » (CIDD) étant rebaptisé « crédit d'impôt pour la transition énergétique » (CITE) à compter de 2015.

* 87 Rénovation énergétique des logements : le crédit d'impôt, une mesure à grands frais qui manque sa cible environnementale, UFC-Que Choisir, service des études, octobre 2015, réalisée à partir des données de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

* 88 Art. 23 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

* 89 Aides à la rénovation énergétique des logements privés, IGF/CGEDD, avril 2017.

* 90 En revanche, ces deux catégories d'équipements restaient éligibles au taux réduit de TVA à 5,5 % pour les travaux d'amélioration de la qualité énergétique des logements achevés depuis plus de deux ans.

* 91 1 million d'appareils sur les 3 millions installés ont plus de vingt-cinq ans.

* 92 4 millions de ménages et 10 millions de personnes, avec une surreprésentation des ménages modestes et des territoires ruraux.

* 93 En cas de remplacement par une chaudière biomasse performante, la prime pourra aller jusqu'à 3 000 euros pour les ménages très modestes au sens de l'Anah (soit presqu'un ménage sur quatre) ou 2 000 euros pour les ménages modestes au sens de l'Anah (presqu'un ménage sur deux).

* 94 Seules 6 références, soit 9 % du marché de la rénovation des maisons individuelles, de deux marques différentes (dont aucune marque française), atteignent un rendement saisonnier de 92 %. Quant au surcoût induit, une chaudière fioul avec un rendement de 90 % revient environ à 6 800 euros (pose comprise) quand une chaudière fioul avec un rendement de 92 % atteint environ 9 200 (pose comprise).

* 95 Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), sur le gaz naturel (TICGN) et sur les charbons (TICC).

* 96 C'est-à-dire à un risque de délocalisation dans des pays aux législations environnementales moins rigoureuses, et donc au coût de l'énergie moindre.

* 97 Le tarif étant figé à son niveau de 2014, certains redevables avaient déclaré en 2015 des régularisations de consommation au titre de l'année 2014, ce qui a artificiellement gonflé l'assiette sur la base de laquelle la dépense avait été évaluée.

* 98 Pour passer, respectivement, de 425 millions à 1,1 milliard et de 84 millions à 182 millions.

* 99 S'y ajouteront les appels d'offres à venir en faveur de l'effacement industriel, ainsi que l'aide indirecte qui résultera, lorsque de nouvelles concessions hydroélectriques seront attribuées, de la modulation de la redevance hydraulique en cas d'approvisionnement d'industriels électro-intensifs.

* 100 Qui consiste à compenser une partie du surcoût de l'électricité lié à la mise en place du marché de quotas européen pour les industriels exposés à un risque significatif de fuite de carbone (art. 68 de la loi de finances pour 2016).

* 101 Taux réduit de CSPE « majoré » pour les entreprises soumises à forte concurrence internationale et Taux « super-réduit » de CSPE pour les entreprises hyper électro-intensives.

* 102 Taux réduit de contribution au service public de l'électricité (CSPE) « de base ».

* 103 Délibération de la CRE du 17 novembre 2016.

* 104 108 millions estimés dans la délibération de la CRE du 3 décembre 2015, réévalués par le Gouvernement à 96 millions à la suite des ajustements opérés par deux arrêtés du 3 octobre 2016.

* 105 Pour le détail du calcul, se reporter à l'avis n° 141 (2016-2017) du 24 novembre 2016 sur le projet de loi de finances pour 2017. L'estimation pour 2017 intègre le coût réévalué par le présent projet de loi de finances des taux réduits de taxes intérieures de consommation ; pour 2018, il fait l'hypothèse d'une dépense constante de taux réduit de CSPE « de base » (hypothèse basse) et d'appels d'offres en faveur de l'effacement industriel d'environ 9 millions (soit par approximation la moitié de l'enveloppe totale prévue pour l'effacement, qu'il soit résidentiel, tertiaire ou industriel).

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