B. L'ENVELOPPE SPÉCIALE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, OU LA NÉCESSITÉ DE TENIR LA PAROLE DE L'ÉTAT

1. L'histoire mouvementée d'un outil de financement au fonctionnement complexe, voire opaque, qui a largement échappé au contrôle du Parlement

Comme votre commission le déplorait déjà l'an dernier, l'histoire de « l'enveloppe spéciale transition énergétique » (Este) 68 ( * ) aura été marquée par le recours à « des montages financiers complexes, voire opaques , régularisés a posteriori en loi de finances rectificative (LFR) et dont les modalités n'ont du reste cessé d'évoluer, rendant de fait difficile leur contrôle par le Parlement » 69 ( * ) .

Créée par la loi éponyme du 17 août 2015 et censée n'être qu'une des composantes d'un fonds plus vaste d'1,5 milliard d'euros dédié au « financement de la transition énergétique » qui n'aura en réalité jamais vu le jour 70 ( * ) , l'Este, qui est gérée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), devait être dotée de 750 millions entre 2015 et 2017, par tranches annuelles de 250 millions.

Alors qu'un premier montage consistant à lui affecter une partie des dividendes de la CDC avait été envisagé puis abandonné au vu des difficultés juridiques et opérationnelles d'une telle opération 71 ( * ) , l'Este fut abondée, en loi de finances rectificative pour 2015, par une première enveloppe de 250 millions de crédits budgétaires ouverts sur le programme 174 72 ( * ) pour couvrir les avances déjà faites par la CDC.

Pour 2016 et selon le même mécanisme, 500 millions d'autorisations d'engagement, presque aussitôt ramenés à 450 millions après le retrait de 50 millions au profit de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), et 150 millions de crédits de paiement ont été ouverts en loi de finances rectificative pour 2016, portant au total l'enveloppe disponible à 700 millions d'autorisations d'engagement et 400 millions de crédits de paiement. Pour 2017, aucun crédit de paiement supplémentaire n'a été ouvert.

Dans son analyse de l'exécution budgétaire 2016, la Cour des comptes a souligné l'inutilité de l'abondement décidé fin 2016 compte tenu des crédits disponibles 73 ( * ) . Elle a surtout rappelé que l'Este « constitue un instrument de débudgétisation de plusieurs dispositifs de la mission, et [que] son fonctionnement budgétaire demeure dérogatoire ». Sur le premier point, il apparaît que « plusieurs enveloppes de l'Este recouvrent partiellement ou totalement d'autres dispositifs d'intervention de l'État ou des opérateurs relevant du ministère ». Sur le second, la Cour estime en particulier que la régularisation du dispositif de gestion déléguée par la CDC opérée en mars 2016 « ne [lève] pas toutes les difficultés de gestion opérationnelle » et « [traite imparfaitement] la question de la consommation des autorisations d'engagement » 74 ( * ) , en mettant en oeuvre un circuit de décisions extrabudgétaires dérogatoires du droit commun 75 ( * ) .

Au total, la Cour recommande de fermer l'Este au 31 décembre 2017 , « de clôturer l'ensemble des paiements liés aux engagements de [l'Este à la même date] et d'annuler les AE non couvertes par des paiements à cette date ».

2. Pour répondre à l'impasse du financement, un durcissement des règles de gestion et l'annonce d'un nouvel abondement en loi de finances rectificative

Au détour d'une seule et unique phrase, le présent projet de budget indique que « les 350 M€ d'autorisations d'engagement reportés en 2017 au titre de l'enveloppe spéciale de transition énergétique ne seront pas couverts par des crédits de paiement à partir de 2018 et feront donc l'objet d'un retrait ».

Ce faisant, le Gouvernement entend tirer les conséquences de l'impasse du financement qu'avait déjà pointée le ministre, et dont la responsabilité revient en réalité à son prédécesseur , dans une circulaire datée du 26 septembre dernier. Rappelant que « les crédits de paiement versés à la [CDC au titre de l'Este] s'élèvent à 400 M€ alors que les engagements conclus dans le cadre de ce dispositif s'élèvent à 750 M€, soit une impasse de financement de 350 M€ », cette circulaire demande aux préfets d'« appliquer strictement [des] règles de gestion » destinées à limiter au maximum les engagements restant à couvrir.

En pratique, les règles drastiques de gestion ainsi fixées - nullité des conventions en cas de vice de forme, rejet systématique des demandes de reports de délais au cas où les travaux n'auraient pas débuté avant la fin de l'année, refus des demandes d'avenants ou de redéploiements des crédits, etc. - pourraient conduire au rejet de très nombreux projets .

Face aux inquiétudes suscitées par la circulaire dans les territoires et à l'incompréhension des acteurs locaux qui, répondant à l'appel de l'État, avaient décidé de s'investir pleinement dans la transition énergétique, le Gouvernement a finalement prévu l'ouverture, en loi de finances rectificative pour 2017, sur le programme 174, « de 70,0 M€ en CP, associée à un redéploiement de 5,0 M€ en CP sur le programme, pour solder les restes à payer des actions en faveur des territoires à énergie positive pour la croissance verte financées par le fonds de financement pour la transition énergétique (FFTE) ».

Si le montant retenu, de 75 millions au total, doit permettre de couvrir le besoin de financement de l'année 2018 , l'incertitude demeure pour les exercices ultérieurs , les conventions signées prévoyant un étalement des paiements jusqu'en 2021. À cet égard, la formulation retenue - outre qu'elle n'évoque même plus l'enveloppe spéciale mais le fonds dont elle constitue pourtant, de fait, la seule composante -, cette formulation laisse à penser que cet abondement pourrait valoir solde de tout compte . Au passage, votre rapporteur observe qu'aucune précision n'est apportée sur les actions du programme qui verront leurs crédits amputés, au total, de 5 millions.

Le 20 novembre dernier, le ministre a finalement signé une circulaire complémentaire pour assouplir certaines des règles de gestion posées deux mois plus tôt. Les conventions qui auraient été signées dans l'urgence, sans délibération préalable de la collectivité concernée, pourront être régularisées par l'adoption d'une délibération intervenant après leur signature. Quant à la notion de démarrage effectif des actions avant le 31 décembre 2017, elle est clarifiée et pourra être attestée, par exemple, par l'existence d'un acte juridique d'achat ou de passation de marché voire, si les travaux ont été réalisés en régie, par la démonstration d'une action concrète.

3. Le nombre de projets engagés mais susceptibles de ne pas être financés est à ce stade difficile à évaluer

Au 30 octobre 2017, la CDC n'avait en réalité versé que 169,3 millions d'euros 76 ( * ) sur les 700 millions d'engagements de l'Este - et 219,3 millions sur 750 si l'on intègre les 50 millions reversés à l'Anah.

Dès lors que l'intégralité ou presque des 750 millions 77 ( * ) a été engagée, et si l'on tient compte de l'abondement de 75 millions de crédits prévu en loi de finances rectificative pour 2017, le niveau des projets susceptibles de ne pas être financés pourrait donc atteindre un maximum de 275 millions, mais sera sans doute moindre en pratique : en effet, il est probable que tous les projets n'aboutiront pas et l'on constate d'ores et déjà que le montant des actions évalué dans les conventions excède souvent les coûts effectivement constatés.

Le Gouvernement lui-même reconnaît naviguer à vue : le ministère indique « [chercher] à disposer de la vision la plus claire et la plus précise des conventions TEPCV et de l'état d'avancement des projets afin de trouver les solutions les plus adaptées pour tenir les engagements de l'État ». Il précise à votre rapporteur qu'« un état des lieux précis est donc en préparation et permettra d'asseoir les décisions » et, tout en attestant que « la parole de l'État sera tenue », concède qu'« il est cependant encore trop tôt pour répondre à toutes les interrogations qui remontent » du terrain.

Votre rapporteur donne acte au Gouvernement de ses efforts pour tenir la parole de l'État mais en appelle à la programmation de moyens supplémentaires pour couvrir l'ensemble des projets viables jusqu'en 2021.


* 68 Dont la majeure partie des moyens est consacrée aux initiatives des territoires en matière de transition énergétique. Selon les données fournies par le Gouvernement à votre rapporteur, 565 territoires lauréats ont été désignés et les aides sont ainsi réparties : 55 % sur le bâtiment et l'espace public, 26 % sur la mobilité durable, 8 % sur les énergies renouvelables, 4 % sur la biodiversité, 4 % sur l'éco-sensibilisation et 3 % sur l'économie circulaire.

* 69 Avis n° 141 (2016-2017) du 24 novembre 2016 sur le projet de loi de finances pour 2017.

* 70 Outre les 750 millions promis pour l'Este, étaient annoncés, sur trois ans, la mobilisation des certificats d'énergie (150 millions), le redéploiement d'enveloppes existantes du programme d'investissements d'avenir (PIA) (300 millions) et des ressources et investissements en fonds propres de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) (150 autres millions), soit au total, Este incluse, 1,35 milliard, soit 150 millions en-deçà de l'objectif affiché initialement.

* 71 L'affectation exceptionnelle de dividendes de la CDC, à hauteur de 250 millions d'euros annuels au maximum sur trois ans, aurait elle-même été compensée pour l'État par l'augmentation des dividendes en provenance d'EDF, d'autant plus improbable compte tenu de la situation financière de l'entreprise que l'État lui-même a ensuite accepté un versement en actions, plutôt qu'en numéraire, des dividendes au titre des exercices 2016 et 2017.

* 72 Majorant au passage d'un tiers les crédits du programme par rapport à la loi de finances initiale, avant que le nouvel abondement décidé un an plus revienne à plus que doubler l'autorisation budgétaire initiale...

* 73 « L'ouverture réalisée en LFR [pour 2016] ne dispose d'aucune justification opérationnelle, puisque le volume disponible de CP auprès de la CDC gestionnaire du dispositif [près de 149 millions sur les 250] était non seulement très largement suffisant pour assurer la fin de gestion 2016, mais également pour couvrir en très grande partie les besoins de paiements en 2017 » , Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire 2016 de la mission « Écologie, mobilité et développement durables ».

* 74 Ces autorisations sont consommées globalement au moment du versement de la subvention à la CDC alors qu'elles devraient être consommées individuellement à chaque signature d'une convention de financement.

* 75 « Affectations » de crédits, « engagements » consolidant les montants d'engagements pris par le ministre et « paiements » consolidant les montants payés au titre des conventions.

* 76 Déduction faite des 50 millions d'euros rétablis au profit de l'État et reversés ensuite à l'Anah.

* 77 Le 14 novembre dernier, le secrétaire d'État auprès du ministre évoquait à l'Assemblée nationale l'engagement de « près 748 millions d'euros de projets ».

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