III. L'AIDE JURIDICTIONNELLE : UN AJUSTEMENT QUI NE RÉSOUT PAS L'ENJEU DU FINANCEMENT STRUCTUREL

L'aide juridictionnelle, régie par la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique 89 ( * ) , modifiée par la loi du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits 90 ( * ) , permet de garantir au justiciable qu'un avocat pourra le défendre, malgré l'insuffisance de ses moyens.

L'admission à l'aide juridictionnelle est prononcée sous condition de ressources. Elle est accordée, selon la loi, à la « personne dont l'action n'apparaît pas manifestement irrecevable ou dénuée de fondement » 91 ( * ) . Elle entraîne pour le bénéficiaire, l'avance par l'État de la totalité ou d'une partie 92 ( * ) des frais afférents aux prestations d'auxiliaires de justice qui pourraient être engagés dans le cadre des procédures, qu'il s'agisse de prestations d'avocats, d'huissiers, d'experts ou d'enquêteurs sociaux mandatés par les juridictions. Toutefois, il ressort des auditions de votre rapporteur pour avis qu'en pratique, les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) suivent une « logique de guichet », et n'ont guère la possibilité d'apprécier le fond de l'affaire.

Les admissions à l'aide juridictionnelle sont instruites par les (BAJ) présents dans chaque tribunal de grande instance (TGI).

L'avocat du bénéficiaire de l'aide peut renoncer à sa rétribution et recouvrer contre la partie tenue aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle l'indemnité que lui a allouée la juridiction, ou encore être rémunéré par le bénéficiaire de l'aide lorsque la décision de justice rendue à son profit lui a procuré des ressources telles que, si elles avaient existé au moment de la demande d'aide, cette aide n'aurait pas été accordée. En pratique, les deux facultés sont très rarement utilisées.

A. UN DÉBUT D'AJUSTEMENT DE LA RÉTRIBUTION DES AVOCATS

1. L'augmentation des ressources budgétaires et extra-budgétaires

Le projet de loi de finances pour 2017 prévoit une augmentation de 12 % des crédits budgétaires dédiés à l'aide juridictionnelle, soit plus de 40 millions d'euros de ressources supplémentaires. Les crédits de paiement et les autorisations d'engagement de cette action intégrée au programme 101 « Accès au droit et à la justice » atteignent ainsi 370,9 millions d'euros en 2017, contre 330,7 millions d'euros en 2016.

Ces crédits budgétaires seront complétés, pour 2017, par l'augmentation des ressources extra-budgétaires telles qu'elles avaient été prévues par les lois de finances pour 2015 et 2016.

L'évolution du financement extra-budgétaire de l'aide juridictionnelle
prévue par les lois de finances pour 2015 et 2016

La loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 a créé trois nouvelles recettes affectées au Conseil national des barreaux (CNB), aux fins de financement de l'aide juridictionnelle et résultant :

- d'une augmentation de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance (TSCA) appliquée aux contrats de protection juridique, un prélèvement forfaitaire de 25 millions d'euros étant affecté au CNB 93 ( * ) ;

- de la revalorisation du montant de la taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice, la ressource étant limitée à 11 millions d'euros 94 ( * ) . Initialement fixée à 9,15 euros, elle est passée à 11,60 euros, soit une augmentation de 22 %. Cette taxe est acquittée par l'huissier, pour le compte de son client ;

- du presque doublement (+ 41% en moyenne) des droits fixes de procédure dus par chaque condamné à une instance pénale. Ces droits variaient de 22 euros à 375 euros, selon l'importance de l'instance. Ils s'échelonnent, après augmentation, de 31 à 527 euros, pour un rendement escompté de 7 millions d'euros.

La loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, a réduit à deux types de recettes le financement complémentaire de l'aide juridictionnelle :

- en relevant à 35 millions d'euros le produit de la TSCA affecté au CNB ;

- en substituant aux recettes provenant de la taxe sur les actes des huissiers et du droit fixe de procédure pénale un prélèvement forfaitaire sur le produit d'une partie des amendes pénales. Ce montant a été fixé à 28 millions d'euros pour 2016.

Il est ainsi prévu, pour 2017, d'augmenter de nouveau le produit des recettes affectées au Conseil national des barreaux (CNB) qui a pour mission de reverser ces fonds aux caisses des règlements pécuniaires entre avocats (CARPA), qui assurent le règlement aux avocats des rétributions correspondant à l'aide juridictionnelle, via l'union nationale des CARPA.

Le produit de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance affecté au CNB passe ainsi de 35 à 45 millions d'euros, d'une part, tandis que la fraction du produit des amendes prononcées en application du code pénal et du code de procédure pénale 95 ( * ) qui lui est aussi affectée passe de 28 à 38 millions d'euros.

Au total, le budget consacré à l'aide juridictionnelle atteindra, en 2017, 453,9 millions d'euros, financés par 370,9 millions d'euros de crédits budgétaires (+ 40,1 millions d'euros par rapport à 2016) et 83 millions d'euros de ressources extra-budgétaires (+ 20 millions d'euros par rapport à 2016).

Votre rapporteur pour avis observe toutefois que ce budget sera diminué de 8,7 millions d'euros de crédits budgétaires, suite à la réduction des crédits de paiement et autorisations d'engagement adoptée à l'Assemblée nationale et déjà évoquée. Le budget consacré à l'aide juridictionnelle ne sera ainsi pour 2017 plus que de 445,7 millions d'euros, dont 31,4 millions d'euros de crédits budgétaires.

2. L'augmentation de la rétribution des avocats

Cet effort budgétaire correspond au financement de l'augmentation de la rétribution des avocats, au titre de l'aide juridictionnelle.

Pour les avocats des justiciables, la contribution de l'État résulte du produit d'une unité de valeur dont le montant est fixé par la loi et d'un coefficient qui diffère selon la nature de la procédure 96 ( * ) , prévu par un barème fixé par voie règlementaire 97 ( * ) .

L'article 57 du projet de loi de finances pour 2017 prévoit que l'unité de valeur de référence, fixée jusqu'à présent à 26,50 euros 98 ( * ) , est ainsi augmentée à hauteur de 30 euros dans le projet de loi de finances initial pour 2017, après avoir déjà été augmentée de 22,5 euros à 26,5 euros en 2016.

Un amendement, déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale et adopté en séance publique, a finalement porté le niveau de l'unité de valeur à 32 euros. Cela correspond à une évolution très significative de 20,8 % entre 2017 et 2016 et de 42,2 % entre 2015 et 2017.

Auparavant, l'unité de valeur avait été déjà été augmentée, certes, dans une bien moindre mesure, en 2014 (+ 1,5 %), 2007 (+ 8 %) et 2004 (+ 2 %).

Par ailleurs, cette unité de valeur devient l'unique référence, toute modulation géographique étant supprimée. La suppression de cette modulation géographique interviendra par voie règlementaire. Les barreaux étaient jusqu'à présent répartis en trois groupes 99 ( * ) pour tenir compte des distinctions géographiques d'exercice de la profession, ce qui, selon le Gouvernement, ne se justifiait plus.

Ce dernier a également engagé une démarche de contractualisation, sans l'inscrire dans la loi, entre les présidents de tribunal de grande instance et les barreaux, afin de verser à ces derniers une dotation supplémentaire d'aide juridictionnelle en fonction des besoins et des efforts particuliers consentis au sein de chaque barreau.

En 2017, les possibilités de contractualisation locale existantes vont être étendues, afin de permettre un élargissement du champ des missions pouvant donner lieu à majoration de rétribution. Les missions éligibles sont en effet aujourd'hui restreintes à certaines procédures comme l'instruction criminelle ou l'assistance des étrangers devant le juge des libertés et de la détention par exemple.

Ce dispositif de contractualisation est censé compenser, pour certains barreaux, le manque à gagner provoqué par la suppression de la modulation géographique. Il s'agit d'un système à l'encontre duquel les représentants de certains barreaux expriment des réticences, estimant que ce n'est pas le rôle des chefs de juridiction de définir les priorités des barreaux. Selon les informations transmises par la Chancellerie à votre rapporteur pour avis, une enveloppe de 8,1 millions d'euros est prévue pour financer ce dispositif, incluse dans celle des crédits budgétaires supplémentaires pour 2017 (+ 40 millions d'euros déjà évoqués).

Lors de leur audition par votre rapporteur pour avis, les représentants des avocats ont attiré son attention sur ce projet de refonte du barème de rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle. Ils lui ont fait part de leur inquiétude, déjà exprimée l'année dernière, selon laquelle en dépit de la revalorisation de l'unité de valeur, la modification du barème pourrait aboutir à diminuer la rétribution de l'avocat.

D'après les dernières informations transmises par la Chancellerie à votre rapporteur pour avis, une étude est actuellement en cours sur le temps de travail des avocats nécessaire en moyenne pour traiter chaque type de contentieux, sur laquelle s'appuierait ensuite le ministère afin de réviser le barème des prestations soumises à l'aide juridictionnelle.

En l'état, l'unité de valeur est supposée représenter 30 minutes de travail, de sorte que, dans un certain nombre de cas, le barème ne correspond plus à la réalité du travail fourni ou, tout au moins, nécessaire. Plus largement, s'ils ont salué la revalorisation de l'unité de valeur, les représentants de la profession d'avocat ont estimé nécessaire la poursuite de cet effort.

3. Un financement sous-évalué

L'annexe du projet de loi de finances pour 2017 estime le coût total des différentes mesures en année pleine à 133 millions d'euros, sur la base d'une revalorisation de l'unité de valeur à 30 €. Cette estimation comprend également l'enveloppe dédiée à la contractualisation entre les barreaux et les tribunaux de grande instance, ainsi que le relèvement du plafond de ressources d'admission à l'aide juridictionnelle, intervenu en 2016 100 ( * ) .

Or, votre rapporteur pour avis a relevé que le montant total des ressources complémentaires consacrées en 2017 au financement de ces mesures ne s'élève qu'à 123 millions d'euros.

Certes, l'étude d'impact du projet de loi de finances pour 2017 évoque un coût légèrement inférieur en 2017 du fait des délais de paiement de l'aide juridictionnelle, mais uniquement à hauteur de 4,7 millions d'euros. Resterait donc un besoin de financement de 5,3 millions d'euros en 2017 et de 10 millions d'euros les années suivantes, cet effet retard du délai ne jouant que la première année.

En outre, l'augmentation complémentaire de l'unité de valeur à 32 € adoptée à l'Assemblée nationale, d'un coût supplémentaire estimé à 58,2 millions d'euros en année pleine, dont 14,6 millions dès 2017, ne s'accompagne pas d'un financement complémentaire.

Lors de leur audition par votre rapporteur pour avis, les représentants du ministère de la justice ont indiqué qu'il n'y avait pas nécessité de faire appel à un financement nouveau et ont évoqué la possibilité de redéploiement des crédits du programme « Accès au droit et à la justice », grâce au rééquilibrage des enveloppes prévues au titre de la contractualisation locale et du barème.

Votre rapporteur pour avis, sans précision complémentaire, ne peut qu'émettre des réserves sur la fiabilité de ce financement et craint que d'autres actions du programme 101, comme les crédits alloués au réseau judiciaire de proximité ou à la médiation familiale, soient mis à contribution pour compenser le besoin accru de financement de l'aide juridictionnelle .

Cette inquiétude de votre rapporteur pour avis est accrue par la baisse des crédits budgétaires de 8,7 millions d'euros votée à l'Assemblée nationale, qui interviendrait uniquement sur le budget de l'aide juridictionnelle 101 ( * ) .

La question de la mobilisation de nouveaux financements complémentaires, susceptibles de garantir un financement structurel et pérenne de l'aide juridictionnelle, continue donc de se poser.


* 89 Loi n° 91-647 relative à l'aide juridique.

* 90 Loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits.

* 91 Article 7 de la loi n° 91-647 relative à l'aide juridique.

* 92 En cas d'aide juridictionnelle partielle.

* 93 Article 1001 du code général des impôts.

* 94 Article 302 bis Y du code général des impôts.

* 95 Article 42 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.

* 96 Le coefficient de base fixé par le décret pour le divorce par consentement mutuel vaut, par exemple, 30 unités de valeur, quand une procédure devant les conseils des prud'hommes avec départage en vaut 36.

* 97 Décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

* 98 Le montant de l'unité de valeur est indiqué hors taxes.

* 99 Le montant de l'unité de valeur selon les groupes était de 26,5 euros, 27,5 euros ou 28, 5 euros.

* 100 La loi de finances pour 2016 a permis de relever le plafond d'admission à l'aide juridictionnelle, qui est passé pour une personne seule de 941 euros à 1 000 euros et a également été indexé sur l'inflation.

* 101 Le Gouvernement prévoit une « montée en puissance plus progressive que prévue du dispositif d'aide à la médiation ».

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