II. LES GRANDS AXES DE LA POLITIQUE DE LUTTE ANTITERRORISTE

À nouveau en 2016, la mise en oeuvre de la politique de sécurité a été marquée par la lutte antiterroriste qui mobilise prioritairement les forces de sécurité intérieure et absorbe l'essentiel des créations de postes décidées depuis deux ans. Au-delà de ces aspects budgétaires, la politique de lutte antiterroriste doit également être examinée à l'aune des dispositifs de lutte contre la radicalisation mis en oeuvre par les pouvoirs publics, de la mobilisation intense des mesures de police administrative et de l'élaboration d'une nouvelle doctrine d'emploi des forces chargées d'intervenir en cas de crise terroriste.

A. LA MISE EN oeUVRE DU PLAN DE LUTTE CONTRE LA RADICALISATION VIOLENTE ET LES FILIÈRES TERRORISTES

1. Le bilan de l'activité du département de lutte contre la radicalisation au sein de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste

Un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes a tout d'abord été mis en place à compter du printemps 2014, sous l'égide de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), qui s'est dotée d'un département de lutte contre la radicalisation, composé de 20 personnes, dont une conseillère technique psychologue et un représentant des services pénitentiaires.

Le dispositif s'articule autour du centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR), qui a une double vocation : recueillir les renseignements relatifs à des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation mais aussi soutenir et assister les familles et proches de ces personnes.

Le CNAPR recueille les signalements effectués par le biais du numéro vert 29 ( * ) , par Internet ou par un service territorial, quand le signalement a été effectué directement auprès d'un commissariat ou d'une brigade de gendarmerie. Entre le 29 avril 2014 et le 31 octobre 2016, le CNAPR a reçu 41 156 appels . Il a enregistré 5 668 signalements : 3 921 via un appel au numéro vert (69,18 % des signalements), 752 par l'intermédiaire d'un formulaire saisi sur Internet (13,27 % des signalements) et 995 par le biais de courriels transmis par un service de renseignement territorial (17,55 % des signalements).

Les renseignements collectés font l'objet d'une transmission en temps réel à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), au service central du renseignement territorial (SCRT) et aux préfectures des départements d'origine des signalements. Par ailleurs, quand le signalement concerne un détenu, les éléments sont transmis à la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice.

Les éléments échangés font ensuite l'objet d'un suivi entre le CNAPR, les services et les préfectures et sont enregistrés dans un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé FSPRT 30 ( * ) , placé sous la responsabilité de l'UCLAT.

Par ailleurs, le ministre de l'intérieur a décidé, en juillet 2015, de se doter d'une structure de coordination supplémentaire avec la création d'un état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), directement rattaché à son cabinet. D'après les précisions fournies à votre rapporteur pour avis, la mission de l'EMOPT est de coordonner, d'animer et de contrôler, à l'échelon central, le suivi des personnes radicalisées.

Réunissant des représentants de tous les services impliqués dans la lutte contre le terrorisme (direction générale de la sécurité intérieure, direction centrale de la police judiciaire, service central du renseignement territorial, direction générale de la gendarmerie nationale...), l'EMOPT doit, grâce à la centralisation des informations collectées, vérifier leur fiabilité et leur exhaustivité pour s'assurer, compte tenu de la dispersion territoriale des différents services concernés, que la totalité des « signaux faibles » est bien prise en compte, qu'un service chef de file est bien désigné pour chaque cas, que le suivi nécessaire est effectivement mis en place et que l'environnement des individus signalés fait également l'objet de toute l'attention nécessaire. À cet effet, l'EMOPT peut également s'appuyer sur les données contenues dans le FSPRT.

Le ministère de l'intérieur a fait valoir à votre rapporteur que cette structure ne constituait pas un « service en tant que tel, mais à la fois une méthode et un carrefour », en raison notamment du fait qu'il n'était « constitué que de représentants des services qui gardent un lien direct avec eux et auxquels ils sont rattachés ».

Même si le ministère précise que l'EMOPT travaille en relation étroite avec l'UCLAT, votre rapporteur se déclare néanmoins sceptique quant à l'utilité de cette structure supplémentaire, dont les missions recoupent en grande partie celles de l'UCLAT.

2. Le volet territorial de la lutte antiterroriste

Sur le plan territorial, l'État a mis en oeuvre une politique visant à assurer le suivi des situations de radicalisation qui sont portées à la connaissance des pouvoirs publics, afin d'assurer le traitement de ces situations sur le plan sécuritaire ou d'organiser leur prise en charge individuelle en matière d'accompagnement, notamment social.

À cet effet, une circulaire aux préfets du ministre de l'intérieur, en date du 29 avril 2014, formalise ce dispositif local d'accompagnement en imposant la création, dans chaque département, d'une cellule de suivi dédiée. Associant le procureur de la République, les acteurs institutionnels et associatifs compétents, ainsi que les collectivités territoriales disposant de ressources en matière d'accompagnement social, ces cellules de suivi ont vocation à examiner les différents cas de signalements adressés par le CNAPR, mais également ceux qui pourraient être détectés localement par les services de police ou de gendarmerie.

Composition des cellules préfectorales de suivi de la radicalisation

Selon une étude récemment effectuée par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), portant sur 95 départements, la composition de ces cellules est la suivante :

- services de l'État : les services de l'éducation nationale, de la police nationale notamment les services de renseignement, de la gendarmerie nationale, sont en grande majorité présents dans les cellules de suivi et y participent de manière active. Par ailleurs, les délégués du préfet, les représentants des agences régionales de santé (ARS) et des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations sont présents dans la moitié des départements. Depuis une instruction envoyée en janvier 2016 par le ministère des affaires sociales et de la santé, les ARS se mobilisent plus intensément dans les cellules de suivi pour apporter leur expertise sur les situations qui nécessitent un suivi psychiatrique ;

- services du ministère de la justice : différents acteurs (procureurs de la République, protection judiciaire de la jeunesse et services pénitentiaires d'insertion et de probation) assurent une présence importante de ce ministère au sein des cellules de suivi, notamment pour permettre la coordination sur les situations qui nécessitent ou qui font déjà l'objet d'une prise en charge judiciaire. De même, dans les juridictions interrégionales spécialisées et dans les tribunaux de grande instance les plus importants, des assistants spécialisés ont été recrutés au titre de la lutte contre la radicalisation pour assurer une action en la matière en coordination avec les cellules préfectorales et les partenaires locaux engagés dans la prévention et la lutte contre la radicalisation. Il est à noter que dans certaines préfectures, un représentant de la protection judiciaire de la jeunesse fait partie intégrante de l'équipe mobile locale chargée de la prise en charge des personnes signalées ;

- collectivités territoriales : les conseils départementaux ont été associés dès la création du dispositif aux cellules de suivi notamment dans le cadre de l'évaluation et de la prise en charge des situations de radicalisation des mineurs. Des collaborations sont ainsi nées entre les cellules de suivi et les cellules de recueil d'informations préoccupantes concernant ces situations à travers des protocoles d'échanges d'informations et d'accompagnement des mineurs. Les communes font quant à elle partie des cellules de suivi dans un tiers des cas étudiés et leur rôle tend à s'affirmer dans les dispositifs de prise en charge en raison de leur implication naturelle en matière de mise en place de stratégies locales de prévention de la délinquance ;

- réseaux de professionnels et associatifs : ces acteurs présentent une grande variété (caisses d'allocations familiales, services de pôle emploi, prévention spécialisée, missions locales, associations d'aide aux victimes, maison des adolescents, réseau de soutien à la parentalité, association de lutte contre les dérives sectaires, etc.) et interviennent dans différents champs : psychologique, social, professionnel, éducatif, accompagnement à la parentalité, aide aux victimes. Ils sont mobilisés soit pour l'accompagnement des familles qui se trouvent démunies face à ces situations ou bien dans la prise en charge psychologique des personnes signalées et également dans la réinsertion sociale et professionnelle de ces personnes ;

- responsables religieux de confiance : ces acteurs sont encore peu présents dans les cellules de suivi (17 départements) bien que la circulaire du 29 avril 2014 encourage les préfets à les associer.

En moyenne, les cellules se réunissent une à deux fois par mois. Dans les départements où le nombre de signalements est important, leur réunion peut être hebdomadaire. Les cellules de suivi mènent des actions diverses au profit des jeunes signalés comme radicalisés, qu'il s'agisse d'actions socio-éducatives, de soutien psychologique, de protection de l'enfance, ou socio-professionnelles, en vue de définir des axes de sortie de la radicalisation et de réinsertion. Les actions sont menées en partenariat avec les services du conseil départemental, les associations locales mandatées par les préfectures, les missions locales, les associations de prévention spécialisées, les maisons des adolescents, les services de pôle emploi et les services des communes ou des intercommunalités. Les cellules désignent également des référents de parcours qui vont avoir pour mission de suivre la situation de la personne dans le cadre d'un parcours individualisé et de proposer en lien avec les partenaires les actions nécessaires à l'amélioration de la situation.

Les cellules mènent également des actions diverses à l'intention des familles : actions individuelles sous forme notamment de prise en charge et d'accompagnement par un psychologue sur le moyen ou long terme, actions collectives sous forme de groupes de parole à destination des familles dont un enfant est radicalisé ou est parti rejoindre une organisation terroriste et enfin actions de soutien à la parentalité à travers une thérapie familiale ou une médiation familiale. Ces actions sont menées en partenariat avec les services du conseil départemental, les caisses d'allocations familiales, les associations d'aide aux victimes, les intervenants sociaux en police ou en gendarmerie, les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents, de services de communes, d'associations de lutte contre les dérives sectaires, et même, quand ils sont associés au dispositif, avec des responsables religieux de confiance.


* 29 0800 005 696.

* 30 Fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, dont l'acte juridique de création a été dispensé de publication en application de la loi « informatique et libertés ».

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