Avis n° 170 (2015-2016) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 novembre 2015

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N° 170

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME III

IMMIGRATION, INTÉGRATION ET NATIONALITÉ

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 164 à 169 (2015-2016)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

La commission des lois du Sénat, réunie le mercredi 18 novembre 2015, sous la présidence de M. Philippe Bas, président, a examiné, sur le rapport pour avis de M. François-Noël Buffet 1 ( * ) , les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2016 à la politique de l'immigration .

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis, a tout d'abord constaté que le budget de la mission a été élaboré selon des principes en rupture par rapport aux précédents budgets : en effet, l'augmentation de l'action dédiée à l'asile s'est également accompagnée de l'augmentation des crédits dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière. En outre, les crédits du programme consacré à l'intégration et à l'accès à la nationalité française ont également progressé.

Cette évolution est en partie liée à l'anticipation de la réforme du droit des étrangers, actuellement en cours de discussion au Parlement.

Le rapporteur pour avis, a toutefois regretté la sous-utilisation chronique des salles d'audience délocalisées et de la vidéo-audience.

Après avoir exposé les tendances de l'immigration régulière pour l'année 2014, M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis, a constaté qu'il n'existait pas d'évaluation du coût réel de la politique d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. En particulier, il a regretté que l'indicateur permettant d'évaluer l'effectivité des reconduites soit construit sans intégrer le nombre de décisions d'éloignement prononcées. Il a toutefois estimé que le bilan de la lutte contre les filières d'immigration clandestine était positif, en particulier grâce à l'action de l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST).

Enfin, M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis, s'est encore une fois inquiété de la faiblesse des moyens accordés à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) : les contraintes financières qui pèsent sur l'OFII, alors même que ses missions ont été largement développées, risquent de le mettre dans l'incapacité d'exercer ses missions, en particulier parce que le budget de l'allocation pour demandeurs d'asile n'est pas intégré au sein d'un budget annexe.

Sous réserve de ces observations et de l'abondement des crédits au bénéfice de l'OFII et aux besoins du traitement de l'éloignement, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la politique d'immigration et d'intégration par les programmes n° 303 : « Immigration et asile » et n° 104 : « Intégration et accès à la nationalité française » du projet de loi de finances pour 2016.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent rapport pour avis est consacré à une partie de la mission « Immigration, asile et intégration » : soit, d'une part, au sein du programme « Immigration et asile », les actions suivantes : « Circulation des étrangers et politique des visas », « Lutte contre l'immigration irrégulière » et « Soutien », d'autre part, la totalité du programme « Intégration et accès à la nationalité française ». Les crédits consacrés à l'asile du programme « Immigration et asile » font en effet l'objet d'un rapport spécifique de notre collègue Esther Benbassa.

Dans le cadre du projet de loi de finances initial pour 2016, les crédits examinés par votre rapporteur pour avis se montent à 170,3 millions d'euros en autorisations d'engagement (sur les 703,6 millions d'euros de la mission « Immigration, asile et intégration ») et 169,6 millions d'euros en crédits de paiement (sur un total de 702,9 millions d'euros), soit une augmentation de 9,6 % et 7,8 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2015.

Les principes ayant guidé l'élaboration du budget de la mission pour 2016 ont été différents de ceux des années précédentes. En effet, alors qu'au cours de ces dernières années, la légère augmentation des crédits liés à l'asile était compensée, d'une part, par une diminution des actions menées en matière de lutte contre l'immigration irrégulière et, d'autre part, par une diminution du second programme de cette mission, relatif à l'intégration des étrangers et à l'accès à la nationalité française, la hausse substantielle des crédits de la mission portent aussi bien sur les crédits de l'asile que sur ceux dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière et ceux du second programme de la mission, relatif à l'intégration et à l'accès à la nationalité française .

Ce budget anticipe en partie le vote du projet de loi relatif au droit des étrangers, en cours de discussion au Parlement, notamment la réforme du contrat d'accueil et d'intégration 2 ( * ) .

Par-delà l'analyse budgétaire, votre rapporteur tentera d'évaluer le coût de la politique d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, en analysant dans ce cadre l'efficacité de la politique de lutte contre les filières d'immigration irrégulière.

I. UNE AUGMENTATION BIENVENUE DES CRÉDITS DÉDIÉS À LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE ET À L'INTÉGRATION

A. UNE AUGMENTATION INÉDITE DES CRÉDITS DU PROGRAMME 303 HORS ASILE

Au sein du programme 303 « Immigration et asile », l'action « Lutte contre l'immigration irrégulière » demeure le deuxième poste de dépense de la mission « Immigration, asile et intégration » après l'action « Garantie de l'exercice du droit d'asile ».

Avec 76,6 millions d'euros en AE (hors titre II) et 76,7 millions d'euros en CP (hors titre II), cette action, qui rassemble l'ensemble des mesures prises dans le domaine de l'immigration irrégulière, représente 12 % du programme 303.

Les crédits de cette action avaient été diminués depuis le projet de loi de finances pour 2011, mais ils avaient subi des baisses particulièrement fortes pour la loi de finances pour 2013 (baisse de 14 % en AE et de 11 % en CP), en 2014 (baisse de 3 % en AE et de 8,5 % en CP). Toutefois, ils avaient été stabilisés dans le projet de loi de finances pour 2015.

Dans le projet de loi de finances initiale pour 2016, ils progressent de près de 20,5 % permettant de renouer avec le niveau de la loi de finances pour 2012.

B. UNE RATIONALISATION DE LA GESTION DES CENTRES DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE À POURSUIVRE

1. Des dépenses à rationaliser

Comme l'avait constaté votre rapporteur dans son rapport pour avis pour les crédits de la loi de finances pour 2015, les travaux de réhabilitation et de modernisation des centres de rétention administrative (CRA) font souvent l'objet de retards importants.

Ainsi, il peut être observé que le CRA et la zone d'attente de Mayotte ont finalement été livrés le 31 juillet 2015, après trois prolongations de délai, alors que la date prévisionnelle avait été fixée au 8 décembre 2014. Le coût total de ce projet immobilier s'élève à 26,4 millions d'euros , pour la création de 136 places pour le CRA - qui comptait auparavant 100 places, dans un cadre toutefois très dégradé - et 12 places pour la zone d'attente.

Au regard du contexte migratoire, les crédits au titre du fonctionnement hôtelier des CRA, des locaux de rétention administrative et des zones d'attente ont été portés à 20,6 millions d'euros pour l'année 2016, soit une augmentation de près de 8 % par rapport aux crédits ouverts au titre de l'année 2015 , permettant de placer en rétention 1 400 étrangers en situation irrégulière supplémentaires 3 ( * ) .

Par délégation de la direction générale des étrangers en France (DGEF), les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI) et les services administratifs et techniques de la police nationale sont chargés de la gestion de ces crédits. Il peut être rappelé que les SGAMI, qui remplacent les secrétaires généraux pour l'administration de la police (SGAP), ont été créés en 2014, notamment afin d'intégrer les forces de gendarmerie dans leur périmètre. Il en existe un par zone de sécurité et de défense et ils ont notamment pour fonction de rationaliser la dépense et de mutualiser le soutien des services du ministère de l'intérieur dans la zone.

Lors de son audition par votre rapporteur, M. Frédéric Joram, sous-directeur de la lutte contre l'immigration régulière au sein de la DGEF, a estimé que le soutien assuré par les SGAMI était satisfaisant.

Comme cela avait été déjà souligné dans les rapports pour avis sur les crédits de cette mission, au titre des années 2013, 2014 ou 2015, les CRA se caractérisent par leur taux d'occupation variable, en baisse depuis 2008, où il était de 68 %, à 43 % en 2012 . Toutefois, ce taux a remonté légèrement en 2013, à 48 %, et il peut être constaté qu'en 2014, cette hausse se poursuit puisque ce taux atteint 52,7 % . Cette amélioration s'explique également par des travaux visant à réduire le nombre de places là où il est constaté une sous-occupation, comme à Rennes, où 14 places ont été supprimées à compter du 1 er janvier 2015.

Toutefois, certaines structures, disposant parfois d'un nombre de places important, comme le CRA de Toulouse-Cornebarrieu, sont encore sous occupées, puisque le taux d'occupation y stagne autour de 37 %. Cet élément, relevé par votre rapporteur dans son avis pour les crédits de la mission « Immigration », hors asile, pour l'année 2015, montre qu'une marge de progression existe encore.

2. La sous-utilisation chronique des salles d'audience délocalisées et de la vidéo-audience
a) Les salles d'audience délocalisées

Comme cela avait été observé dans le rapport pour avis pour le projet de loi de finances pour 2015, les salles d'audience délocalisées sont encore très peu utilisées.

En premier lieu, seules trois salles d'audience délocalisées sont en fonction, sur les 27 CRA existants.

Par ailleurs, la mise en service de l'annexe du tribunal de grande instance de Bobigny, à la zone d'attente de Roissy, a été encore une fois repoussée. Ce report est motivé par la demande du ministère de la justice de transformer l'une des salles d'audience en salle d'attente.

Toutefois, ce motif avait déjà été avancé l'année dernière pour justifier que l'annexe ne soit pas ouverte en 2014, alors même que les travaux de mise en conformité des locaux, recommandés par la mission Bacou-Guillenschmidt, avaient été réalisés. Or aucune mesure ne semble avoir été prise depuis un an pour transformer effectivement une des salles d'audience en salle d'attente.

b) La vidéo-audience

Théoriquement possible dans le cadre du contrôle de la rétention administrative par le juge des libertés et de la détention (JLD), aucune vidéo-audience ne s'est tenue en raison du refus opposé à la mise en oeuvre de cette modalité, tant par les magistrats que par les avocats.

Cette possibilité a été étendue aux juridictions administratives , en cas de contestation par un étranger placé en rétention de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet par l'article 14 du projet de loi relatif au droit des étrangers actuellement en cours de discussion au Parlement 4 ( * ) .

Toutefois, il est à craindre qu'un tel dispositif ne soit pas davantage utilisé.

3. Un budget dédié à l'assignation à résidence modeste, malgré une augmentation

L'assignation à résidence est la mesure de principe préalable à un éloignement, comme le dispose la directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008 dite « directive Retour ».

Toutefois, cette mesure est assez rarement prononcée, au regard du risque que l'étranger se soustrait à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet. Depuis 2011, le nombre d'assignations à résidence croît cependant rapidement, puisque 668 mesures ont été prononcées en 2012, 1 263 en 2013, 2 293 en 2014 . Pour le premier semestre 2015, cette tendance se maintient, puisque 1 621 d'arrêtés d'assignation à résidence ont été pris par les préfectures.

Le projet de loi relatif au droit des étrangers actuellement en cours de discussion au Parlement a notamment pour objet d'améliorer les conditions de recours à l'assignation à résidence, ce qui pourrait permettre d'en faire une mesure plus souvent utilisée par les préfectures.

Enfin, si les étrangers placés en rétention dispose d'une assistance juridique , dont le coût atteint en 2014 près de 4,5 millions d'euros en 2014 et 4,6 millions d'euros en 2015, les étrangers assignés à résidence ne disposent d'aucune mesure d'accompagnement juridique spécifique. Toutefois, dans le cadre du projet de loi relatif au droit des étrangers précité, en conformité avec une recommandation de Mme Éliane Assassi et de votre rapporteur à l'occasion de leur rapport d'information sur les centres de rétention 5 ( * ) , un article additionnel a été adopté, prévoyant qu'un décret définit les modalités selon lesquelles les étrangers assignés à résidence bénéficient d'une information pour permettre l'exercice effectif de leurs droits et préparer leur départ.

Les dépenses d'assignation à résidence seraient portées à 1,3 million d'euros pour le budget au titre de l'année 2016, soit une augmentation de 25 % , permettant de décider ces assignations à résidence au sein de structures associatives ou hôtelières à titre onéreux.

Toutefois, ce montant reste relativement modeste, au regard du budget consacré aux centres de rétention administrative, de l'ordre de 30 millions d'euros .

C. UNE FORTE AUGMENTATION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 104 DÉDIÉS À L'INTÉGRATION ET À L'ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

Contrairement aux années précédentes, où la stabilisation des crédits de l'asile était notamment financée par la diminution des crédits du programme 104 relatif à l'intégration et à l'accès à la nationalité française, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une augmentation de près de 21,3 % des crédits en AE-CP par rapport à 2015 , puisque les crédits sont de 58 millions d'euros (AE-CP) pour l'année 2015, contre 70,3 millions d'euros (AE-CP) pour 2016.

Sur les 12 millions d'euros d'augmentation, 4,2 millions d'euros sont consacrés à la subvention pour charges de service public allouée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui augmente ainsi de 40 %, et 5 millions d'euros au financement de 500 places supplémentaires au sein de centres provisoires d'hébergement (CPH), en plus des 1 136 places actuelles. Les CPH permettent d'héberger et d'accompagner les réfugiés, en vue de leur intégration. À l'initiative de votre rapporteur, les missions de ces centres ont été précisées dans le cadre du projet de loi relatif à la réforme de l'asile, au sein du code de l'action sociale et des familles (articles L. 349-1 à L. 349-4 nouveaux) 6 ( * ) . Les 3 millions d'euros restants permettront de financer l'élévation du niveau de langue exigé dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration , actuellement en cours de refonte par le projet de loi relatif au droit des étrangers précité.

Enfin, la maquette du programme a été modifiée pour intégrer une action 16 nouvelle, dédiée au plan de traitement des foyers de travailleurs migrants , qui finance l'amélioration des conditions de vie et de logement de ces résidents immigrés vieillissants. Cette action a été dotée de 9,2 millions d'euros (AE-CP). Ces crédits étaient auparavant intégrés dans une autre action de ce programme, l'action 12, consacrée à l'accompagnement des étrangers primo-arrivants , et faisait l'objet d'un financement de 9,5 millions d'euros (AE-CP).

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 par les députés, ceux-ci ont adopté un amendement n° II-74 du Gouvernement visant à augmenter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » de près de 98,65 millions d'euros , dont 26,25 millions d'euros pour le programme 104, consacrés exclusivement à l'augmentation de la subvention pour charge de service public de l'OFII qui passe donc de 10,4 millions d'euros en 2015 à 41 millions d'euros , soit un quadruplement de celle-ci.

D. UNE INTERROGATION PERSISTANTE SUR LES MOYENS ALLOUÉS À L'OFII

Dans son rapport précédent sur les crédits du projet de loi de finances pour 2015, votre rapporteur s'était inquiété du caractère incertain du financement de l'OFII , en observant que la subvention pour charges de service public attribuée à l'OFII était en diminution de 36 % depuis 2010 - la quasi-totalité de cette subvention ayant été annulée par la loi de finances rectificatives pour 2014 -, alors même que l'OFII allait assurer un certain nombre de nouvelles missions.

Par-delà l'augmentation des moyens accordés à l'OFII, qui se traduit par l'augmentation de sa subvention pour charge de service public, la question de la capacité de l'OFII à assurer les nouvelles missions nombreuses et compliquées qui lui ont été assignées reste posée . Avec une augmentation de 126 ETPT , qui traduit un effort substantiel dans la période de restriction actuelle, les effectifs de l'OFII retrouvent leur niveau de l'année 2008 (916, contre 920 en 2008), alors même que depuis cette date, le périmètre d'intervention de l'OFII a substantiellement augmenté en s'inscrivant en outre dans un contexte de crise migratoire d'un niveau inédit.

En particulier, dans le cadre de la réforme de l'asile, l'OFII aura la charge de gérer le dispositif national d'accueil (DNA) ainsi que l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), dont le montant budgété pour 2016 est de 137,5 millions d'euros , pour une hypothèse de 44 800 bénéficiaires. Or, en exécution budgétaire, le coût de l'allocation temporaire d'attente (ATA) 7 ( * ) pour l'année 2014 a été de 176,4 millions d'euros . La différence a été financée par une avance de trésorerie de Pôle Emploi, qui assurait la gestion de cette allocation 8 ( * ) .

Alors même que l'OFII dispose d'une capacité financière très inférieure à Pôle Emploi, et donc d'une trésorerie ne lui permettant pas de consentir une avance comme le faisait Pôle emploi, le budget de l'ADA n'est pas isolé au sein d'un budget annexe de l'OFII mais directement intégré dans sa comptabilité, comme un compte de tiers , ce qui signifie que l'OFII devra assumer sur ses ressources les conséquences d'une sous-budgétisation de l'ADA , qui semble assez probable.

Or le montant de l'ADA est quasiment équivalent au reste du budget de l'opérateur : il existe donc un risque réel de fragilisation de l'opérateur et un effet d'éviction des dépenses au détriment des missions d'intégration et d'accompagnement linguistique des étrangers en situation régulière, alors même que l'une des ambitions affichées du projet de loi relatif au droit des étrangers en cours de discussion au Parlement est d'améliorer cette intégration, en particulier par l'élévation du niveau de langue dispensé.

Enfin, il peut être rappelé que sur son fonds de roulement qui ne représente actuellement que 33 jours de fonctionnement, ce qui le rend inférieur aux ratios prudentiels, l'OFII doit en particulier financer les dépenses relatives au réacheminement de migrants présents à Calais, ce qui représente pour dix semaines un coût de près de 600 000 euros.

II. L'IMMIGRATION RÉGULIÈRE ET LES NATURALISATIONS EN 2014-2015

A. LE MAGHREB ET LA CHINE, PREMIÈRES SOURCES DE L'IMMIGRATION RÉGULIÈRE

La structure par pays d'origine de l'immigration légale (titre de séjour supérieur à trois mois) en 2014 est présentée ci-dessous. Ces éléments portent sur les 20 principaux pays-sources qui représentent 149 246 personnes sur un total de 219 659 personnes, soit les deux tiers de l'immigration légale.

Les données 2014 sont toutefois provisoires - elles ne pourront être consolidées qu'en mars de l'année n+2 - et les premiers chiffres 2015 ne seront disponibles qu'au début de l'année 2016.

Structure par pays d'origine de l'immigration légale en 2014

Économique

Familial

Étudiants

Divers

Humanitaire

Total -rang-

nombre

%

nombre

%

Maroc

1 931

7,5

14 649

56,7

7 829

1104

294

25 807 -1-

Algérie

747

2,9

18 825

74

3441

1613

788

25 414 -2-

Chine (Hong-Kong inclus)

1 088

7,1

2 743

17,9

10 350

800

355

15 336 -3-

Tunisie

1 442

10,2

8 728

61,9

3 371

428

147

14 116 -4-

États-Unis d'Amérique

2 062

29

1 042

14,6

2 843

1 175

1

7 123 -5-

Turquie

505

8

3 628

58

1 012

556

558

6 259 -6-

Brésil

750

14,1

1 208

22,7

2 909

435

23

5 325 -7-

Côte d'Ivoire

214

4

2 852

54

1 327

251

636

5 280 -8-

Sénégal

518

9,8

2 639

50,2

1 641

151

307

5 256 -9-

Fédération de Russie

452

8,8

1 552

30,3

1 297

579

1 240

5 120 -10-

Mali

874

19,1

2 362

51,7

666

213

452

4 567 -11-

Congo RDC

154

3,4

2 081

45,8

401

400

1 511

4 547 -12-

Cameroun

146

3,3

2 444

55

1 054

270

530

4 444 -13-

Inde

1 202

27,5

1 110

25,4

1 827

183

51

4 373 -14-

Japon

747

23,3

619

19,3

1 570

263

0

3 199 -15-

République de Corée

159

5,2

231

7,6

2 537

109

0

3 036 -16-

Guinée

155

5,5

893

31,7

754

145

870

2 817 -17-

Sri-Lanka

166

6,6

733

29

34

62

1 528

2 523 -18-

République du Congo

82

3,3

1 291

52,8

366

259

447

2 445 -19-

Viet-nam

139

6,1

671

29,7

1 216

217

16

2 259 -20-

Source : questionnaire budgétaire pour la loi de finances pour l'année 2015

Les tendances des années précédentes se maintiennent, puisque les pays du Maghreb et la Chine restent encore en 2014 les principales sources de l'immigration régulière, mais il existe cependant des fluctuations parfois importantes d'une année sur l'autre, pour certains pays, liées vraisemblablement aux conflits ou aux difficultés particulières que traversent certains pays, comme l'illustre l'exemple du Mali, qui de 7 ème pays-source en 2011 n'était plus qu'à la 13 ème place en 2012. Les ressortissants du premier pays d'Afrique sub-saharienne représenté, la Côte d'Ivoire, sont en 8 ème position (5 280).

L'immigration en provenance des États-Unis est en diminution sensible, de près de 30 % par rapport à 2011.

Le Sri Lanka et la République de Corée, apparus en 2012 parmi les 20 premiers pays-sources, continuent leur progression. Les Comores, qui occupaient le 9 ème rang en 2013, ne figurent plus dans le tableau des 20 premiers pays d'origine. Par ailleurs, la Guinée, la République du Congo et le Viet-nam font leur apparition dans ce tableau, occupant respectivement les 17 ème , 19 ème et 20 ème rang.

Il n'y a pas de changement majeur dans la structure de l'immigration depuis l'année 2013 : l'immigration économique est particulièrement significative (supérieure à 1 000) en provenance des États-Unis, du Maroc, de Tunisie et d'Inde. L'immigration familiale demeure prédominante (supérieure à 8 000) en provenance des trois pays du Maghreb, en progression. Les étudiants étrangers les plus nombreux sont originaires de Chine et du Maroc, suivis de la Tunisie, de l'Algérie et des États-Unis.

B. UNE IMMIGRATION RÉGULIÈRE PRINCIPALEMENT FAMILIALE

Comme l'a précédemment relevé votre rapporteur dans le cadre de son rapport sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France 9 ( * ) , l'immigration régulière est principalement d'origine familiale , puisqu'en 2014, près de 92 000 titres sur 210 000 - soit 43 % - ont été délivrés pour ce motif.

L'immigration estudiantine est la deuxième source d'immigration et représente 30 % de l'immigration globale en 2014 : 65 403 titres ont été délivrés pour ce motif en 2014. Ce chiffre est en hausse par rapport aux années 2012 et 2013 mais il se rapproche du niveau atteint en 2010 et en 2011.

L'immigration de travail est quant à elle très faible puisque seuls 9 % des titres délivrés en 2014 ont été délivrés pour un motif professionnel.

Cette proportion importante de l'immigration familiale et la faiblesse relative de l'immigration de travail sont des caractéristiques de la France au sein des pays de l'OCDE.

C. LA GÉNÉRALISATION DES PLATEFORMES D'INSTRUCTION DES DEMANDES D'ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

Dans le cadre de la déconcentration de l'instruction des demandes de naturalisation, le regroupement des pôles d'instruction des demandes au sein de plateformes interdépartementales en application des recommandations faites par l'Inspection générale de l'administration dans son rapport de 2012 a été poursuivi, après que l'expérimentation de cette nouvelle organisation, menée au sein de trois régions, en Lorraine (Nancy), en Franche-Comté (Besançon), depuis le 1 er septembre 2013, et en Picardie (Beauvais), depuis le 1 er janvier 2014, a été jugée concluante.

En effet, un rapport de l'IGA mené sur l'expérimentation a conclu que dans ces trois régions, les trois principaux objectifs assignés à la réforme ont été atteints.

En premier lieu, l'harmonisation des pratiques de réception et d'instruction, facilitée par l'instruction au sein d'un point régional unique des demandes, permet d'assurer une meilleure égalité pour l'accès à la nationalité française . Notre ancienne collègue Mme Hélène Lipietz, qui avait rapporté les crédits Immigration, hors asile, au nom de votre commission pour l'année 2013, avait en effet constaté d'importantes disparités dans le taux d'acquisition de la nationalité française selon les départements, sans aucune justification : « les taux de décisions favorables par département figurent en annexe du présent rapport. On y observe une diminution quasi générale du taux de naturalisations et des divergences entre départements qui ne s'expliquent pas de manière évidente » 10 ( * ) .

L'objectif de mutualiser les ressources et d' améliorer la qualité de l'instruction de la demande a été également rempli.

Enfin, l'Inspection générale de l'administration a constaté que le pilotage du réseau par l'administration centrale du ministère de l'intérieur serait amélioré en cas de généralisation de l'expérimentation.

Il a donc été décidé de généraliser ces plateformes interdépartementales d'instruction des demandes de naturalisation au cours de l'année 2015 . Ce déploiement permettra de ramener à une quarantaine le nombre de sites chargés du traitement des demandes d'acquisition de la nationalité française.

Au 1 er octobre 2015, 34 plateformes interdépartementales d'instruction ont été créées sur les 43 prévues à terme.

III. LE COÛT ÉLEVÉ D'UNE POLITIQUE D'ÉLOIGNEMENT AUX RÉSULTATS DÉCEVANTS

A. LA DIFFICILE ÉVALUATION DU NOMBRE D'ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE SUR LE TERRITOIRE

L'évaluation du nombre d'étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire national est par hypothèse compliquée à mener.

Plusieurs indicateurs permettent cependant d'évaluer ce nombre. Parmi ceux-ci, le nombre de personnes bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) permet de fournir une estimation basse de ce nombre. En effet, l'AME n'est accessible qu'aux étrangers en situation irrégulière.

Ce nombre est en forte augmentation depuis 2007 et s'établit pour 2014 à 284 298 bénéficiaires . Entre 2010 et 2014, le nombre de bénéficiaires a augmenté de près de 24,7 %.

Nombre de bénéficiaires de l'AME depuis 2010

2010

228 036

2011*

208 974

2012

252 437

2013

282 425

2014

284 298

Source : réponse au questionnaire budgétaire

* La baisse significative du nombre de bénéficiaires en 2011 est une conséquence mécanique de la mise en oeuvre du droit de timbre pour bénéficier de l'AME, qui a conduit un certain nombre d'étrangers à ne pas accéder à ce dispositif. Symétriquement, en 2012, la forte progression observée s'explique par un effet de rattrapage, dû à la suppression du dispositif cette année-là.

D'autres indicateurs permettent d'appréhender cette réalité, en particulier le nombre de demandeurs d'asile déboutés , de l'ordre de 40 000 par an, au regard de leur très faible taux d'éloignement ou le nombre de personnes mises en cause au titre d'infractions relatives au délit d'entrée, de circulation ou de séjour irréguliers sur le territoire .

B. UNE ÉVALUATION DE L'EFFICACITÉ DE LA POLITIQUE D'ÉLOIGNEMENT ET DE SON COÛT LARGEMENT PERFECTIBLE

1. Un indicateur d'activité ne permettant pas d'évaluer l'efficacité de l'action des services en matière d'éloignement

L'indicateur 3.1, retenu dans le projet annuel de performance pour mesurer le nombre de reconduites à la frontière exécutées, n'est pas pertinent pour mesurer l'efficacité réelle de la politique d'éloignement .

En effet, cet indicateur rapporte le nombre d'éloignements effectués à destination des pays tiers à l'Union européenne sur la somme des éloignements effectués vers les pays tiers à l'Union européenne, vers les pays de l'Union européenne et les réadmissions ou remises d'étrangers originaires de pays tiers. Ce taux est de 37 % pour l'année 2014. La construction de cet indicateur présente le défaut de ne pas intégrer le nombre de décisions d'éloignement prononcées .

Pour examiner l'efficacité réelle de la politique d'éloignement, il conviendrait au contraire d'intégrer le nombre de décisions d'éloignement prononcées en produisant un indicateur rapportant le nombre d'éloignements à destination de pays tiers à l'Union européenne - qui sont effectivement les éloignements les plus difficiles à mener - réellement exécutés, par rapport aux décisions d'éloignement prononcées à l'encontre de ressortissants tiers à l'Union européenne .

Cet indicateur reflèterait alors véritablement l'effort mené en matière d'éloignement. Comme cela a été souligné dans le rapport sur le projet de loi relatif au droit des étrangers, ce taux oscille aux alentours de 20 % pour les ressortissants de pays tiers à l'Union européenne.

2. L'absence d'évaluation du coût de la lutte contre l'immigration irrégulière

Au regard du nombre d'acteurs impliqués dans la lutte contre l'immigration irrégulière, il est difficile d'identifier tous les acteurs concourant à cette action et le coût réel de cette politique.

En effet, si les effectifs de la police aux frontières sont quasiment exclusivement dédiés à cette mission, les effectifs de la police nationale et de la gendarmerie nationale y participent aussi, ainsi que les douanes, selon des proportions qu'il est difficile de mesurer.

Par ailleurs, l'inspection du travail participe à cette politique, dans le cadre de la lutte contre le travail sans autorisation des étrangers, puisque 15,6 % des 1 568 dossiers concernant l'emploi d'étrangers sans titre transmis à l'OFII l'ont été par les services de l'inspection du travail.

Enfin, des moyens militaires sont engagés dans le cadre de cette politique, en particulier outre-mer.

Comme l'avait rappelé notre ancienne collègue Hélène Lipietz, dans son rapport pour avis au nom de la commission des lois pour les crédits immigration hors asile, pour le projet de loi de finances pour 2013, l'évaluation du seul coût de l'éloignement mené en 2009 par l'Inspection générale de l'administration était de 232 millions d'euros par an , soit environ 12 000 euros par reconduite 11 ( * ) . Toutefois, le chiffre de 415,2 millions d'euros annuellement dépensés pour financer cette politique a été avancé par notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond, dans son rapport spécial pour les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » au titre du projet de loi de finances pour 2009 12 ( * ) , sans toutefois que certaines dépenses ne soient prises en compte dans le calcul, comme le coût du contentieux.

Sans doute, il existe un document de politique transversale (DPT) consacré à la politique française de l'immigration et de l'intégration, mais il ne rend que très imparfaitement compte de l'effort consacré à la lutte contre l'immigration irrégulière, certains acteurs participant à cette politique n'y étant pas intégrés.

En tout état de cause, la politique de lutte contre l'immigration irrégulière est une politique tout à fait distincte de la politique relative à l'immigration régulière , orientée sur l'intégration.

Au regard du nombre significatif d'acteurs impliqués dans la lutte contre l'immigration irrégulière, dépendant de ministères très distincts et de l'importance du sujet, un document de politique transversale spécifiquement dédié à cette politique semblerait donc justifié .

C. LE COÛT ÉLEVÉ DU CONTENTIEUX RELATIF À L'ÉLOIGNEMENT

La complexité du droit des étrangers génère un contentieux important et un taux de condamnation de l'État relativement élevé . En effet, ce taux atteint 28,2 % devant les tribunaux administratifs et 8 % en appel.

En premier lieu, l'État est condamné à des frais irrépétibles, qui s'élèvent en 2014 à 8,4 millions d'euros - pour 8 348 jugements condamnant l'État. En 2013, ce montant a été de 9,5 millions d'euros .

Au 25 août 2015, ce montant atteint 5,2 millions d'euros , en légère baisse par rapport à 2014 pour la même période.

Si les annulations ont dans un premier temps été motivées par des raisons de forme, elles le sont désormais essentiellement au regard de la légalité interne des décisions . L'atteinte au droit à une vie privée et familiale est la cause la plus fréquente des annulations, suivi de l'erreur manifeste d'appréciation pour le renouvellement de la carte de séjour étudiant ou l'attribution de la carte de séjour « étranger malade » et l'erreur de fait, portant sur l'appréciation de la contribution à l'éducation et à l'entretien d'un enfant, par exemple.

En second lieu, l'État acquitte près de 5,8 millions d'euros au titre des prestations d'avocats en matière de contentieux des étrangers .

Toutefois, la direction des libertés publique et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'Intérieur assiste les préfectures en leur proposant des veilles jurisprudentielles actualisées sur le droit des étrangers ainsi que des paragraphes argumentés leur permettant de répondre aux principaux moyens soulevés de manière récurrente. En cas de contentieux de série, la DLPAJ met au point un mémoire type qu'elle diffuse auprès des préfectures qui l'adaptent ensuite aux circonstances de chaque espèce. Si la question est particulièrement sensible, la DLPAJ assure la rédaction du mémoire et en tout état de cause, la direction assure la défense relevant directement du ministre de l'intérieur (cassation, premier et dernier ressort devant le Conseil d'État ou première instance devant le tribunal administratif de Paris), sans recourir à des avocats, sauf en matière d'asile, en considération des volumes en cause.

À ces montants s'ajoute le coût de l'aide juridictionnelle exposé au titre du contentieux administratif relatif aux étrangers.

D. LE BILAN DE LA LUTTE CONTRE LES FILIÈRES D'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE ET CONTRE LA FRAUDE DOCUMENTAIRE

1. Des moyens conséquents dédiés à la lutte contre les filières d'immigration irrégulière

Lors de son audition par votre rapporteur, Mme Anne-Laure Arassus, commissaire de police adjointe au chef de l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) a dressé un bilan de la lutte contre les filières d'immigration irrégulières .

L'OCRIEST est un service dépendant de la police aux frontières, composé de 120 personnes , comprenant 20 postes créés au sein de l'office à compter de septembre 2015.

L'OCRIEST est divisée en 6 groupes d'enquêteurs, spécialisés par grandes parties du monde.

Ce service dispose d'une compétence nationale exclusive dans le domaine de la lutte contre les filières d'immigration clandestine et dispose d'un maillage territorial conséquent puisqu'il existe 47 brigades mobiles de recherches implantées sur le territoire, y compris outre-mer.

Au total, près de 600 enquêteurs ont en charge la lutte contre les filières, ce qui est un nombre relativement élevé au regard des moyens humains dédiés par d'autres pays à cette politique.

Implantation territoriale des services de la police aux frontières

Source : DCPAF

Comme l'a souligné Mme Anne-Laure Arassus, la notion de filière d'immigration irrégulière ne fait pas l'objet d'une définition juridique.

Toutefois, les services du ministère de l'intérieur la présentent comme un « groupement structuré, souvent hiérarchisé et cloisonné, transnational, qui aide contre rémunération un ou plusieurs candidats à l'immigration irrégulière à être acheminé(s) d'un pays vers un autre ou à y séjourner irrégulièrement ». L'importance d'un réseau s'apprécie d'abord par le prisme de sa structure, de son degré de complexité, du nombre et de la spécialisation de ses membres et de la répartition des rôles.

Les filières d'immigration clandestine peuvent être distinguées selon qu'elles ont pour objet de fournir des faux documents, d'aider à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'étrangers, d'employer des étrangers sans titre ou de se livrer à la traite des êtres humains. Dans ce dernier cas, l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTH) est tenu informé, la brigade de répression du proxénétisme (BRP) l'étant en cas d'enquête sur des faits commis à Paris.

La lutte contre les filières s'effectue par le biais de l'infraction d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers en bande organisée, puni d'une peine de 10 ans de prison et relevant de la criminalité organisée, ce qui permet de recourir à des techniques d'investigation particulières.

Au cours de l'année 2014, 226 filières ont été démantelées (contre 203 en 2013 et 178 en 2012). Parmi ces 226 filières démantelés, 68 ont nécessité la mise en oeuvre de mesures de coopération internationale. Parmi ces 226 structures, 110 filières étaient dédiées à l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, 102 filières avaient recours à la fraude documentaire, 2 étaient spécialisées dans l'organisation de mariages de complaisance et 12 organisaient des reconnaissances indues d'enfants.

Ces 226 filières ont impliqué 1 834 personnes dont 1 349 ont été placées en garde à vue et 683 déférées devant un magistrat.

Au cours des dix premiers mois de 2015, 227 filières ont été démantelées 13 ( * ) , aboutissant à la mise en cause de 1 602 personnes. Le taux des personnes déférées, de l'ordre de 37 %, est relativement élevé .

Les dix principales nationalités des filières d'immigration irrégulière démantelées en France au cours des dix premiers mois de l'année 2015

Nationalité

Nombre de filières démantelées

Tunisie

17

Chine

16

Maroc

15

Brésil

11

Haïti

11

République démocratique du Congo (Congo - RDC)

10

Algérie

10

Albanie

9

Pakistan

9

Sénégal

8

Enfin, il peut être observé que de nombreuses filières d'immigration irrégulière poursuivent également d'autres objectifs criminels : le plus souvent, il s'agit de proxénétisme, mais il peut s'agir de trafic de stupéfiants et, dans une moindre proportion, de vol organisé.

En revanche, il n'a jamais été constaté de lien entre ces filières d'immigration irrégulière et le terrorisme.

L'action de l'OCRIEST à Calais

Dans la région du Pas-de-Calais, la lutte contre les filières d'immigration irrégulière s'est fortement accentuée. La lutte porte en particulier contre les filières d'acheminement vers le Royaume-Uni. Ainsi, sur les 10 premiers mois de 2014, 8 filières d'acheminement vers le Royaume-Uni ont été démantelées. En 2015, pour la même période, près de 26 filières de cette nature ont été démantelées, dont 24 à l'initiative de la police aux frontières.

Ces filières se caractérisent par la forte implication de la communauté albanaise ainsi que dans certains cas, par l'abandon de la logique communautaire des filières . En effet, alors que la plupart des filières sont généralement organisées selon une logique communautaire, celle-ci tend à s'estomper à Calais, les filières irakiennes et kurdes ayant en particulier tendance à acheminer les migrants sans considération de leur nationalité.

L'action de l'OCRIEST à Calais est renforcée par la brigade de recherches de Lille.

Il existe enfin un important de travail de coopération internationale policière, mené par l'Office, en particulier avec la Belgique, les Pays-Bas mais aussi avec le Royaume-Uni. En effet, des réseaux de passeurs agissant dans le nord de la France sont implantés au Royaume-Uni.

La coopération avec le Royaume-Uni a d'ailleurs été renforcée, avec la mise en place en novembre 2015 d'un premier groupe d'enquêteurs commun à l'OCRIEST et à la National Crime Agency, chargés de la lutte contre les filières d'immigration.

2. Le bilan de la lutte contre la fraude documentaire

La lutte contre la fraude documentaire repose sur la Mission de délivrance sécurisée des titres (MDST), qui a remplacé en 2012 la Mission de prévention et de lutte contre la fraude documentaire (MPLFD). Cette mission est rattachée à la direction de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) et placée sous l'autorité du secrétaire général adjoint du ministère de l'intérieur. La mission a pour fonction de coordonner la lutte contre la fraude documentaire et à l'identité .

Le bureau de la lutte contre le travail illégal et les fraudes à l'identité (BLTIFI), dépendant de la direction de l'immigration (DIM) au sein de la direction générale des étrangers en France (DGEF), est l'expert en matière de fraude commise par des ressortissants étrangers, notamment lors de la délivrance de titres de séjour. Ces fraudes concernent en effet environ 80 % des fraudes documentaires commises, expliquant le maintien d'une compétence identifiée au sein de la DGEF.

Le bureau s'appuie sur un réseau de référents au sein des préfectures, notamment les chefs des bureaux des services étrangers. Chaque année, ces référents transmettent au BLTIFI un bilan des fraudes constatées et des mesures mises en place pour lutter contre elles. Les chefs de service des étrangers et les référents « fraude » des préfectures ont été réunis pour un séminaire axé sur les fraudes au séjour, le 2 juin 2015.

Par ailleurs, le BLTIFI est en lien étroit avec la DCPAF et l'OCRIEST.

La Gendarmerie nationale a constitué un réseau d'enquêteurs spécialisés dans la lutte contre la fraude documentaire (EFD), composé d'un militaire au moins par département. Ce sont les interlocuteurs privilégiés des différents services de l'État dans le département, mais aussi des mairies, des parquets des juges d'instruction ou des organismes sociaux.

En 2014, il a été constaté que les permis de conduire étrangers sont les documents faisant l'objet du plus grand nombre de fraudes (1 624 faux permis étrangers recensés, soit 51 % des faux détectés). Les actes d'état civil étrangers représentent la deuxième catégorie de documents les plus fraudés, avec 527 faux détectés en 2014, soit 16,6 % du total. Enfin, les passeports étrangers sont la troisième catégorie des documents frauduleux détectés, avec 509 cas (16 % du total).

En 2014, la proportion d'étrangers mis en cause en matière de fraudes documentaires marque un recul en 2014, après une légère hausse en 2013, et atteint désormais 60 % . Pour les infractions relatives aux faux documents d'identité, cette proportion se maintient à un niveau très élevé ( 87,1 %).

Nombre de personnes mises en cause au titre d'infractions
relatives à la fraude documentaire depuis 2011

Métropole

2011

2012

2013

2014

Nombre
de personnes mises en cause

Part d'étrangers

Nombre
de personnes mises en cause

Part d'étrangers

Nombre
de personnes mises en cause

Part d'étrangers

Nombre
de personnes mises en cause

Part d'étrangers

Faux documents d'identité

4 340

84,6 %

4 272

84,9 %

5 103

86,6 %

5 041

87,1 %

Faux documents concernant la circulation des véhicules

2 823

53,9 %

3 191

50,4 %

3 384

53,4 %

3 079

50,4 %

Autres faux documents administratifs

2 429

33,4 %

2 852

27,1 %

3 643

31,1 %

3 619

30 %

Total

9 592

62,6 %

10 315

58,2 %

12 130

60,7 %

11 739

59,9 %

Source : DCPJ

Selon les données de la DCPAF, pour l'année 2014, les nationalités des porteurs de faux documents les plus souvent relevées par la police aux frontières ont été les Albanais (près d'un porteur de faux document sur dix), suivis des Syriens, Algériens, Congolais-Brazzaville, Congolais RDC, Marocains, Tunisiens, Guinéens, Ukrainiens.

Les actions de coopération internationale sont essentielles pour une lutte efficace contre la fraude documentaire . En particulier, la DCPAF participe aux groupes de travail constitués à l'échelle de l'Union européenne, relatifs aux faux documents et à la fraude à l'identité et participe à des opérations européennes décidées par FRONTEX. La Gendarmerie nationale est par ailleurs membre du groupe EDEWG ( European document expert working group ) qui rassemble 57 laboratoires de police scientifique de 31 États européens. Ce groupe émet des recommandations sur la qualité des expertises de documents officiels.

Enfin, la DCPAF est le premier des services européens à alimenter la base des données européennes FADO ( False and Authentic Documents Online ), qui est une base répertoriant les principales caractéristiques des documents officiels authentiques des États européens et des principaux pays tiers. Cette base comprend également un fichier des documents officiels ayant fait l'objet de fraude.

*

* *

Sous réserve de ces observations et de l'abondement des crédits, au bénéfice de l'OFII, d'une part, et, d'autre part, aux besoins du traitement de l'éloignement, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la politique d'immigration et d'intégration par les programmes n° 303 : « Immigration et asile » et n° 104 : « Intégration et accès à la nationalité française » du projet de loi de finances pour 2016.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale des étrangers en France (DGEF)

M. Pierre-Antoine Molina , directeur général

Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

M. Yannick Imbert , directeur général

Direction du renseignement de la Préfecture de police

M. René Bailly , directeur du renseignement

Sous-direction de la lutte contre l'immigration irrégulière (direction générale des étrangers en France)

M. Frédéric Joram , sous-directeur, administrateur civil

M. Bruno Cruchant , chef du bureau de la prospective et du soutien

Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST)

Mme Anne-Laure Arassus , chef-adjoint


* 1 Le compte rendu de la réunion de commission est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20151116/lois.html#toc9

* 2 Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl14-655.html .

* 3 Voir le projet annuel de performance pour la mission « Immigration, asile et intégration », année 2016, p. 37.

* 4 Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl14-655.html .

* 5 La rétention administrative : éviter la banalisation, garantir la dignité des personnes, rapport d'information de Mme Éliane Assassi et M. François-Noël Buffet fait au nom de la commission des lois (n° 773, 2013-2014) ( http://www.senat.fr/rap/r13-773/r13-7736.html ).

* 6 Voir le rapport sur le projet de loi relatif à la réforme de l'asile de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois, (n° 425, 2014-2015), page 207 et suivantes ( http://www.senat.fr/rap/l14-425/l14-4251.pdf ).

* 7 À compter de 2016, l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) remplace l'allocation temporaire d'attente.

* 8 Ce financement de l'allocation temporaire d'attente par la trésorerie de Pôle emploi était une pratique récurrente.

* 9 Voir le rapport sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois, (n° 716, 2014-2015) ( http://www.senat.fr/rap/l14-716/l14-716.html ).

* 10 Avis n° 154 (2012-2013) de Mme Hélène Lipietz, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2012, p. 15.

* 11 Avis de Mme Hélène Lipietz, fait au nom de la commission des lois (n° 154, 2012-2013), p. 25.

* 12 Rapport général de M. Pierre Bernard-Reymond ( n° 99, 2008-2009), fait au nom de la commission des finances, p. 37.

* 13 Soit le nombre de filières démantelées pour l'ensemble de l'année 2014.

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