C. LE COÛT ÉLEVÉ DU CONTENTIEUX RELATIF À L'ÉLOIGNEMENT

La complexité du droit des étrangers génère un contentieux important et un taux de condamnation de l'État relativement élevé . En effet, ce taux atteint 28,2 % devant les tribunaux administratifs et 8 % en appel.

En premier lieu, l'État est condamné à des frais irrépétibles, qui s'élèvent en 2014 à 8,4 millions d'euros - pour 8 348 jugements condamnant l'État. En 2013, ce montant a été de 9,5 millions d'euros .

Au 25 août 2015, ce montant atteint 5,2 millions d'euros , en légère baisse par rapport à 2014 pour la même période.

Si les annulations ont dans un premier temps été motivées par des raisons de forme, elles le sont désormais essentiellement au regard de la légalité interne des décisions . L'atteinte au droit à une vie privée et familiale est la cause la plus fréquente des annulations, suivi de l'erreur manifeste d'appréciation pour le renouvellement de la carte de séjour étudiant ou l'attribution de la carte de séjour « étranger malade » et l'erreur de fait, portant sur l'appréciation de la contribution à l'éducation et à l'entretien d'un enfant, par exemple.

En second lieu, l'État acquitte près de 5,8 millions d'euros au titre des prestations d'avocats en matière de contentieux des étrangers .

Toutefois, la direction des libertés publique et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'Intérieur assiste les préfectures en leur proposant des veilles jurisprudentielles actualisées sur le droit des étrangers ainsi que des paragraphes argumentés leur permettant de répondre aux principaux moyens soulevés de manière récurrente. En cas de contentieux de série, la DLPAJ met au point un mémoire type qu'elle diffuse auprès des préfectures qui l'adaptent ensuite aux circonstances de chaque espèce. Si la question est particulièrement sensible, la DLPAJ assure la rédaction du mémoire et en tout état de cause, la direction assure la défense relevant directement du ministre de l'intérieur (cassation, premier et dernier ressort devant le Conseil d'État ou première instance devant le tribunal administratif de Paris), sans recourir à des avocats, sauf en matière d'asile, en considération des volumes en cause.

À ces montants s'ajoute le coût de l'aide juridictionnelle exposé au titre du contentieux administratif relatif aux étrangers.

D. LE BILAN DE LA LUTTE CONTRE LES FILIÈRES D'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE ET CONTRE LA FRAUDE DOCUMENTAIRE

1. Des moyens conséquents dédiés à la lutte contre les filières d'immigration irrégulière

Lors de son audition par votre rapporteur, Mme Anne-Laure Arassus, commissaire de police adjointe au chef de l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) a dressé un bilan de la lutte contre les filières d'immigration irrégulières .

L'OCRIEST est un service dépendant de la police aux frontières, composé de 120 personnes , comprenant 20 postes créés au sein de l'office à compter de septembre 2015.

L'OCRIEST est divisée en 6 groupes d'enquêteurs, spécialisés par grandes parties du monde.

Ce service dispose d'une compétence nationale exclusive dans le domaine de la lutte contre les filières d'immigration clandestine et dispose d'un maillage territorial conséquent puisqu'il existe 47 brigades mobiles de recherches implantées sur le territoire, y compris outre-mer.

Au total, près de 600 enquêteurs ont en charge la lutte contre les filières, ce qui est un nombre relativement élevé au regard des moyens humains dédiés par d'autres pays à cette politique.

Implantation territoriale des services de la police aux frontières

Source : DCPAF

Comme l'a souligné Mme Anne-Laure Arassus, la notion de filière d'immigration irrégulière ne fait pas l'objet d'une définition juridique.

Toutefois, les services du ministère de l'intérieur la présentent comme un « groupement structuré, souvent hiérarchisé et cloisonné, transnational, qui aide contre rémunération un ou plusieurs candidats à l'immigration irrégulière à être acheminé(s) d'un pays vers un autre ou à y séjourner irrégulièrement ». L'importance d'un réseau s'apprécie d'abord par le prisme de sa structure, de son degré de complexité, du nombre et de la spécialisation de ses membres et de la répartition des rôles.

Les filières d'immigration clandestine peuvent être distinguées selon qu'elles ont pour objet de fournir des faux documents, d'aider à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'étrangers, d'employer des étrangers sans titre ou de se livrer à la traite des êtres humains. Dans ce dernier cas, l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTH) est tenu informé, la brigade de répression du proxénétisme (BRP) l'étant en cas d'enquête sur des faits commis à Paris.

La lutte contre les filières s'effectue par le biais de l'infraction d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers en bande organisée, puni d'une peine de 10 ans de prison et relevant de la criminalité organisée, ce qui permet de recourir à des techniques d'investigation particulières.

Au cours de l'année 2014, 226 filières ont été démantelées (contre 203 en 2013 et 178 en 2012). Parmi ces 226 filières démantelés, 68 ont nécessité la mise en oeuvre de mesures de coopération internationale. Parmi ces 226 structures, 110 filières étaient dédiées à l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, 102 filières avaient recours à la fraude documentaire, 2 étaient spécialisées dans l'organisation de mariages de complaisance et 12 organisaient des reconnaissances indues d'enfants.

Ces 226 filières ont impliqué 1 834 personnes dont 1 349 ont été placées en garde à vue et 683 déférées devant un magistrat.

Au cours des dix premiers mois de 2015, 227 filières ont été démantelées 13 ( * ) , aboutissant à la mise en cause de 1 602 personnes. Le taux des personnes déférées, de l'ordre de 37 %, est relativement élevé .

Les dix principales nationalités des filières d'immigration irrégulière démantelées en France au cours des dix premiers mois de l'année 2015

Nationalité

Nombre de filières démantelées

Tunisie

17

Chine

16

Maroc

15

Brésil

11

Haïti

11

République démocratique du Congo (Congo - RDC)

10

Algérie

10

Albanie

9

Pakistan

9

Sénégal

8

Enfin, il peut être observé que de nombreuses filières d'immigration irrégulière poursuivent également d'autres objectifs criminels : le plus souvent, il s'agit de proxénétisme, mais il peut s'agir de trafic de stupéfiants et, dans une moindre proportion, de vol organisé.

En revanche, il n'a jamais été constaté de lien entre ces filières d'immigration irrégulière et le terrorisme.

L'action de l'OCRIEST à Calais

Dans la région du Pas-de-Calais, la lutte contre les filières d'immigration irrégulière s'est fortement accentuée. La lutte porte en particulier contre les filières d'acheminement vers le Royaume-Uni. Ainsi, sur les 10 premiers mois de 2014, 8 filières d'acheminement vers le Royaume-Uni ont été démantelées. En 2015, pour la même période, près de 26 filières de cette nature ont été démantelées, dont 24 à l'initiative de la police aux frontières.

Ces filières se caractérisent par la forte implication de la communauté albanaise ainsi que dans certains cas, par l'abandon de la logique communautaire des filières . En effet, alors que la plupart des filières sont généralement organisées selon une logique communautaire, celle-ci tend à s'estomper à Calais, les filières irakiennes et kurdes ayant en particulier tendance à acheminer les migrants sans considération de leur nationalité.

L'action de l'OCRIEST à Calais est renforcée par la brigade de recherches de Lille.

Il existe enfin un important de travail de coopération internationale policière, mené par l'Office, en particulier avec la Belgique, les Pays-Bas mais aussi avec le Royaume-Uni. En effet, des réseaux de passeurs agissant dans le nord de la France sont implantés au Royaume-Uni.

La coopération avec le Royaume-Uni a d'ailleurs été renforcée, avec la mise en place en novembre 2015 d'un premier groupe d'enquêteurs commun à l'OCRIEST et à la National Crime Agency, chargés de la lutte contre les filières d'immigration.

2. Le bilan de la lutte contre la fraude documentaire

La lutte contre la fraude documentaire repose sur la Mission de délivrance sécurisée des titres (MDST), qui a remplacé en 2012 la Mission de prévention et de lutte contre la fraude documentaire (MPLFD). Cette mission est rattachée à la direction de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) et placée sous l'autorité du secrétaire général adjoint du ministère de l'intérieur. La mission a pour fonction de coordonner la lutte contre la fraude documentaire et à l'identité .

Le bureau de la lutte contre le travail illégal et les fraudes à l'identité (BLTIFI), dépendant de la direction de l'immigration (DIM) au sein de la direction générale des étrangers en France (DGEF), est l'expert en matière de fraude commise par des ressortissants étrangers, notamment lors de la délivrance de titres de séjour. Ces fraudes concernent en effet environ 80 % des fraudes documentaires commises, expliquant le maintien d'une compétence identifiée au sein de la DGEF.

Le bureau s'appuie sur un réseau de référents au sein des préfectures, notamment les chefs des bureaux des services étrangers. Chaque année, ces référents transmettent au BLTIFI un bilan des fraudes constatées et des mesures mises en place pour lutter contre elles. Les chefs de service des étrangers et les référents « fraude » des préfectures ont été réunis pour un séminaire axé sur les fraudes au séjour, le 2 juin 2015.

Par ailleurs, le BLTIFI est en lien étroit avec la DCPAF et l'OCRIEST.

La Gendarmerie nationale a constitué un réseau d'enquêteurs spécialisés dans la lutte contre la fraude documentaire (EFD), composé d'un militaire au moins par département. Ce sont les interlocuteurs privilégiés des différents services de l'État dans le département, mais aussi des mairies, des parquets des juges d'instruction ou des organismes sociaux.

En 2014, il a été constaté que les permis de conduire étrangers sont les documents faisant l'objet du plus grand nombre de fraudes (1 624 faux permis étrangers recensés, soit 51 % des faux détectés). Les actes d'état civil étrangers représentent la deuxième catégorie de documents les plus fraudés, avec 527 faux détectés en 2014, soit 16,6 % du total. Enfin, les passeports étrangers sont la troisième catégorie des documents frauduleux détectés, avec 509 cas (16 % du total).

En 2014, la proportion d'étrangers mis en cause en matière de fraudes documentaires marque un recul en 2014, après une légère hausse en 2013, et atteint désormais 60 % . Pour les infractions relatives aux faux documents d'identité, cette proportion se maintient à un niveau très élevé ( 87,1 %).

Nombre de personnes mises en cause au titre d'infractions
relatives à la fraude documentaire depuis 2011

Métropole

2011

2012

2013

2014

Nombre
de personnes mises en cause

Part d'étrangers

Nombre
de personnes mises en cause

Part d'étrangers

Nombre
de personnes mises en cause

Part d'étrangers

Nombre
de personnes mises en cause

Part d'étrangers

Faux documents d'identité

4 340

84,6 %

4 272

84,9 %

5 103

86,6 %

5 041

87,1 %

Faux documents concernant la circulation des véhicules

2 823

53,9 %

3 191

50,4 %

3 384

53,4 %

3 079

50,4 %

Autres faux documents administratifs

2 429

33,4 %

2 852

27,1 %

3 643

31,1 %

3 619

30 %

Total

9 592

62,6 %

10 315

58,2 %

12 130

60,7 %

11 739

59,9 %

Source : DCPJ

Selon les données de la DCPAF, pour l'année 2014, les nationalités des porteurs de faux documents les plus souvent relevées par la police aux frontières ont été les Albanais (près d'un porteur de faux document sur dix), suivis des Syriens, Algériens, Congolais-Brazzaville, Congolais RDC, Marocains, Tunisiens, Guinéens, Ukrainiens.

Les actions de coopération internationale sont essentielles pour une lutte efficace contre la fraude documentaire . En particulier, la DCPAF participe aux groupes de travail constitués à l'échelle de l'Union européenne, relatifs aux faux documents et à la fraude à l'identité et participe à des opérations européennes décidées par FRONTEX. La Gendarmerie nationale est par ailleurs membre du groupe EDEWG ( European document expert working group ) qui rassemble 57 laboratoires de police scientifique de 31 États européens. Ce groupe émet des recommandations sur la qualité des expertises de documents officiels.

Enfin, la DCPAF est le premier des services européens à alimenter la base des données européennes FADO ( False and Authentic Documents Online ), qui est une base répertoriant les principales caractéristiques des documents officiels authentiques des États européens et des principaux pays tiers. Cette base comprend également un fichier des documents officiels ayant fait l'objet de fraude.

*

* *

Sous réserve de ces observations et de l'abondement des crédits, au bénéfice de l'OFII, d'une part, et, d'autre part, aux besoins du traitement de l'éloignement, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la politique d'immigration et d'intégration par les programmes n° 303 : « Immigration et asile » et n° 104 : « Intégration et accès à la nationalité française » du projet de loi de finances pour 2016.


* 13 Soit le nombre de filières démantelées pour l'ensemble de l'année 2014.

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