B. UN EFFORT PARTICULIER POUR LA SANTÉ MENTALE

1. Les troubles psychiatriques des adolescents

Lors de ses déplacements, votre rapporteure a été alertée par les professionnels sur la difficulté à prendre en charge des mineurs souffrant de troubles du comportement, faisant échec à toute action éducative. Un consensus parmi les professionnels semble attester d'une forte prévalence des troubles du comportement parmi les mineurs pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse.

Ce constat empirique est corroboré par plusieurs études épidémiologiques 22 ( * ) démontrant une prédominance clinique des troubles psychopathologiques chez les mineurs relevant de la PJJ ou de l'aide sociale à l'enfance 23 ( * ) . L'enquête épidémiologique de l'Inserm de 1998 24 ( * ) démontrait une prévalence plus importante d'idées suicidaires, de dépressions et de troubles psychiques. 50 % des garçons et 42 % des filles de la PJJ avaient été les auteurs de conduites violentes dans l'année.

Néanmoins, les souffrances des mineurs entrent rarement dans les grilles nosographiques psychiatriques traditionnelles, à savoir les classifications des maladies. Les études épidémiologiques établissent en effet une concentration de troubles du comportement ou psycho-sociaux, caractérisés par des désordres psychiques ou des débordements caractériels violents, mais rarement de véritables pathologies psychiatriques. Ces troubles renvoient à des pathologies limites à dominante comportementale, dites « borderline 25 ( * ) » .

Le personnel soignant travaillant au sein des structures de la PJJ rappelle également la difficulté scientifique de poser un diagnostic de pathologie mentale sur un adolescent, à un âge de la vie critique et transitoire.

Ces troubles inquiètent les professionnels de la PJJ qui se sentent démunis et impuissants. Les éducateurs considèrent trop souvent que le soin relève exclusivement des structures de santé. Les structures de soins ambulatoires et hospitalières, quant à elles, ne se reconnaissent pas compétentes pour répondre aux comportements difficiles des mineurs qui ne relèvent d'aucune pathologie mentale caractérisée. À l'opposé, lorsqu'un jeune est hospitalisé en psychiatrie, ce séjour peut être source de stigmatisation et justifier le refus ultérieur de la PJJ de reprendre en charge le mineur. Ces logiques de filières opposant prises en charge éducative et psychiatrique conduisent à exclure de la prise en charge des adolescents difficiles « incasables ».

Les pratiques professionnelles des psychiatres sont peu comprises par la PJJ. En effet, l'hospitalisation contrainte n'est plus aujourd'hui la pierre angulaire du soin psychiatrique. Les médecins refusent - et il convient de s'en féliciter - tout retour d'une tentation asilaire dans le secteur psychiatrique. Les médecins sont d'autant plus réticents à hospitaliser un enfant en l'absence de demande de sa part et sans autorisation des parents.

Il est cependant parfois nécessaire d'éloigner le jeune d'un hébergement PJJ où son comportement délirant et agressif nuit à sa prise en charge mais également à l'ensemble du travail éducatif de l'établissement. Ces situations de crise expliquent un recours massif aux urgences psychiatriques 26 ( * ) , où la contention est recherchée plus que l'établissement d'un protocole de soin. Le recours non préparé aux urgences a pourtant le désavantage d'entraîner ultérieurement un refus de soin de la part de l'enfant.

2. Une synergie entre action éducative et protocole de soins qui reste à construire

Le constat d'une carence d'une offre de soins adaptée aux adolescents en danger est ancien. La circulaire interministérielle du 3 mai 2002 déplorait déjà « l'absence de structures adaptées ou l'insuffisance des collaborations entre professionnels 27 ( * ) ». Elle invitait à « décloisonner les logiques institutionnelles » pour proposer des réponses multiples « à la fois éducatives, sociales, médico-sociales, judiciaires ou thérapeutiques qui ne se substituent pas les unes aux autres, peuvent se cumuler en tant que de besoin ou se relayer sans discontinuité ».

En dépit de rapprochements cruciaux avec la création d'un diplôme universitaire « Adolescents difficiles : approches éducatives et psychopathologiques » à l'université Pierre et Marie Curie Paris VI participant de la formation d'une culture pluridisciplinaire commune, votre rapporteure ne peut que partager le constat des professionnels de la PJJ, à savoir l'échec de la mise en réseau des réponses institutionnelles. Votre rapporteure tient également à rappeler que cette situation s'inscrit dans un contexte général de pénurie de pédopsychiatres et de lits d'hospitalisations pour les adolescents, l'accès aux soins ambulatoires étant lourdement entravé par les délais d'attente 28 ( * ) . De plus, la prise en charge psychiatrique des adolescents est depuis longtemps fragilisée par la difficulté d'articulation entre les secteurs de psychiatrie pour adulte et les intersecteurs de pédopsychiatrie.

Face au rapport d'exclusion réciproque entre réponse éducative et psychiatrique et constatant la rareté de dispositifs répondant aux besoins en soins pénalement obligés, la DPJJ a mis en place une mission d'appui nationale chargée d'étudier les articulations entre la PJJ et la psychiatrie 29 ( * ) , a créé un réseau de conseillers techniques psychiatre, présents dans chaque DIR et a décidé de l'évaluation des dispositifs spécifiques.

Trois types de dispositifs spécifiques sont recensés :

- la structure intersectorielle pour adolescents difficiles (SIPAD) de Nice, qui est une structure hospitalière prenant en charge des mineurs suivis par l'aide sociale à l'enfance ou la PJJ ;

- les deux instituts socio-éducatifs médicalisés pour adolescents (ISEMA) , établissements sociaux ou médico-sociaux (ESSMS) expérimentaux qui accueillent des mineurs placés par le conseil départemental ou par la PJJ ;

- et le dispositif expert régional pour adolescents difficiles (DERPAD) qui ne prend pas en charge directement les mineurs, mais accompagne les professionnels.

L'évaluation de ces dispositifs atteste de la qualité de la prise en charge, appréciée par les magistrats et appelle à pérenniser ces expérimentations 30 ( * ) . Ces établissements doivent cependant être mieux connus des magistrats : si les places à la SIPAD et à l'ISEMA d'Eure-et-Loir sont régulièrement utilisées, l'ISEMA de Montjoie a été très peu utilisé par la PJJ depuis son ouverture 31 ( * ) .

La démarche « PJJ promotrice de santé » participe également à la résolution des tensions qui existent dans le champ de la santé mentale des adolescents difficiles en renforçant la formation des professionnels de la PJJ et en encourageant à la construction de partenariats.

Lors de son déplacement à l'UHEC de Lille, les personnes entendues par votre rapporteure ont salué les partenariats avec l'Établissement public de santé mentale (EPSM) de l'agglomération lilloise, qui offre avec le Centre psychiatrique d'accueil et d'admission (CPAA) une solution en cas d'urgence et permet une première évaluation. Les professionnels travaillent particulièrement à la préparation d'hospitalisations programmées au Centre Médico-Psychologique Franco Basaglia.

Un projet de renouvellement d'un accord-cadre entre la direction générale de la santé et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse est en réflexion afin de relancer la construction d'un réseau partenarial et d'une culture commune.

* *

*

Sous réserve de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme Protection judiciaire de la jeunesse pour le projet de loi de finances pour 2016.


* 22 Luc-Henry Choquet, Maxence Miera et Stéphane Callens, Retraitement de l'enquête sur « La santé des 14-20 ans pris en charge par la PJJ sept ans après », INSERM, DPJJ, décembre 2011.

* 23 Drs Aurélien Chatagner et Jean-Philippe Raynaud, « Adolescents et urgences psychiatriques : revue de la littérature et réflexion clinique », in Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, janvier 2012.

* 24 Marie Choquet, Sylvie Ledoux, Christine Hassler et Catherine Pare, Enquête INSERM à l'initiative de la DPJJ, adolescents (14-21 ans) de la protection judiciaire de la jeunesse et santé , octobre 1998.

* 25 Philippe Jeammet, La psychopathologie des adolescents en grande difficulté, Actes du séminaire Santé/justice cité par le rapport de l'IGAS, Enquête sur la prévention et la prise en charge des adolescents et jeunes adultes souffrant de troubles psychiatriques, 2004.

* 26 Dr Aurélien Chatagner, M. Luc-Henry Choquet, Dr Jean Philippe Raynaud, La consultation en urgence psychiatrique des adolescents pris en charge par l'ASE et la PJJ, Qui sont-ils ? Quels sont leurs parcours ? , étude financée par le pôle recherche de la DPJJ.

* 27 Circulaire interministérielle (DGS/DHOS/DGAS/DPJJ) n° 2002/282 du 3 mai 2002 relative à la prise en charge concertée des troubles psychiques des enfants et adolescents en grande difficulté.

* 28 Le rapport d'information n° 1662 (2013-2014) du député M. Denys Robiliard en conclusion des travaux de la mission sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie rappelait déjà que « la pédopsychiatrie, organisée en intersecteur, souffre particulièrement d'une insuffisance de moyens » et constatait des délais d'attente anormaux qui rendait difficile l'accès aux soins.

* 29 Dr Botbol, rapport final de la mission d'appui PJJ/psychiatrie, mai 2011.

* 30 DPJJ/Service d'audit central national, Étude sur les dispositifs spécialisés de prise en charge santé mentale pour les mineurs suivis par la DPJJ, décembre 2012.

* 31 DPJJ/Service d'audit central national, Étude sur les ISEMA, décembre 2013.

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