III. 2015, UNE ANNÉE CHARNIÈRE POUR LA RÉFORME DE LA JUSTICE

L'année 2015 pourrait être, pour le ministère de la justice, une année charnière, puisque plusieurs projets à l'étude devraient commencer d'être mis en oeuvre.

Tel est le cas, notamment, des nouveaux financements de l'aide juridictionnelle ou de la réforme de l'organisation judiciaire étudiée dans le cadre de la réflexion sur la justice du XXI ème siècle.

Dans le même temps, l'entrée en vigueur de réformes décidées depuis longtemps serait une nouvelle fois reportée.

Enfin, la mise en oeuvre d'un premier pan de la réforme territoriale pourrait avoir des incidences sur la réforme de la justice. L'exemple du tribunal de grande instance de Lyon montre toutefois que d'une contrainte on peut faire une opportunité.

A. DE NOUVEAUX FINANCEMENTS POUR L'AIDE JURIDICTIONNELLE

Les difficultés récurrentes de financement de l'aide juridictionnelle (AJ) et l'extension progressive du champ des procédures pénales dans lesquelles le droit à l'assistance d'un avocat a été reconnu, ont rendu nécessaire de s'interroger sur les moyens d'assurer un financement pérenne de cette dépense nécessaire.

Les extensions récentes du champ d'intervention de l'avocat
dans les procédures pénales non juridictionnelles

Depuis la réforme de la garde à vue, le droit à l'assistance de l'avocat gagne peu à peu, sous l'effet conjugué de la jurisprudence constitutionnelle et des exigences européennes, les autres procédures pénales.

Ainsi, trois dispositions adoptées en 2014 ont étendu ce champ d'intervention de l'avocat.

La première concerne l'audition libre et garantit la rétribution de l'avocat qui assiste la personne suspectée. Elle a été introduite par une loi du 27 mai 2014 transposant une directive européenne sur le droit à l'information dans les procédures pénales 13 ( * ) . Cette assistance de l'avocat, qui entrera en vigueur à compter du 1 er janvier 2015, devrait représenter une dépense d'un peu plus de 16,5 millions d'euros.

La deuxième disposition porte sur les déferrements de suspects devant le procureur de la République, pour leur signifier qu'il envisage de les poursuivre. Elle a été mise en place par la même loi du 27 mai 2014 et devrait coûter 2,5 millions d'euros.

Enfin, les dernières dispositions ont été adoptées dans la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales 14 ( * ) . Elles prévoient une rétribution de l'avocat lorsqu'il assiste des personnes retenues ou placées en rétention parce qu'elles sont suspectées d'avoir violé les obligations du contrôle judiciaire auquel elles sont astreintes (article 141-1 du code procédure pénale), parce qu'elles sont placées au dépôt de nuit des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny ou Créteil (article 803-3 du même code) ou parce qu'elles ont été interpellées dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen (article 695-27 du même code).

La liste des extensions du champ d'intervention des avocats n'est pas close. Ainsi, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement au présent projet de loi de finances qui prévoit la rétribution de l'avocat assistant une personne lors de la transaction pénale prévue à l'article 41?1?1 du code de procédure pénale, ainsi qu'à l'occasion de sa comparution devant la commission d'application des peines dans le cadre de la libération sous contrainte prévue à l'article 720 du même code.

De nombreux rapports se sont succédés, qu'ils soient parlementaires, comme celui de notre ancien collègue M. Roland du Luart en 2007, gouvernementaux ou établis par les professionnels eux-mêmes.

Les deux plus récents sont ceux du groupe de travail de votre commission des lois, présentés par nos collègues Mme Sophie Joissains et M. Jacques Mézard 15 ( * ) , et celui commandé par le Gouvernement à notre collègue député, M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

• Les propositions de financements complémentaires du Gouvernement

S'inspirant manifestement des conclusions de ce dernier rapport, le présent budget a retenu trois nouvelles sources de financement, destinées à la fois à compenser la baisse de la dotation budgétaire d'aide juridictionnelle et à assumer le coût supplémentaire des nouvelles interventions de l'avocat votées cette année.

Elles se déclinent de la manière suivante :

- une augmentation de la taxe forfaitaire sur les actes d'huissiers de justice. Aujourd'hui fixée à 9 euros 15, elle passerait à 11 euros 60, soit une augmentation de 22 %. Cette taxe est acquittée par l'huissier, pour le compte de son client (article 302 bis Y du code général des impôts). Son rendement attendu est de 11 millions d'euros ;

- le presque doublement (+ 41% en moyenne) des droits fixes de procédure dus par chaque condamné à une instance pénale. Ces droits varient actuellement de 22 euros jusqu'à 375 euros, selon l'importance de l'instance, de l'ordonnance pénale à la cour d'assises. Ils s'échelonneraient, après augmentation, de 31 à 527 euros, pour un rendement escompté de 7 millions d'euros 16 ( * ) ;

- une augmentation de 2,6 points de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance de protection juridique, dont le taux passerait de 9 % à 11,6 %. Le produit attendu serait de 25 millions d'euros. Les représentants de la fédération française des sociétés d'assurance entendus par votre rapporteur ont vivement contesté la pertinence et la justification d'une telle taxe.

Le produit de l'ensemble de ces taxes (43 millions d'euros) serait directement reversé au conseil national des barreaux, comme l'était la contribution pour l'aide juridique (parfois nommée « le timbre de 35 euros ») supprimée l'année dernière. Cette diversification des sources de financement de l'aide juridictionnelle s'accompagne donc d'une débudgétisation de cette dépense.

Ces propositions de nouveaux financements sont loin de clore le débat pour au moins deux raisons.

• Des économies mal engagées

Votre rapporteur constate en premier lieu que les économies attendues par le Gouvernement, en matière d'aide juridictionnelle (AJ), tardent à venir.

La loi de finances pour cette année avait prévu plusieurs mesures de cette nature, qui devaient permettre d'économiser 32 millions d'euros sur la dépense d'AJ. Or, il n'en a rien été.

En effet, le présent projet de loi de finances abandonne la première de ces pistes d'économie, la démodulation du barème d'indemnisation des avocats rétribués à l'AJ, qui devait entrer en vigueur au 1 er janvier prochain et rapporter 15 millions d'euros d'économies.

Le Gouvernement espérait économiser 5,8 millions d'euros en améliorant les procédures permettant de faire prendre en charge la dépense d'aide juridique par une assurance de protection juridique. Or, au début de l'automne, les textes réglementaires requis n'avaient toujours pas été publiés.

Par ailleurs, aucune déjudiciarisation susceptible de réduire le champ d'intervention de l'avocat n'est intervenue cette année. Au contraire, comme on l'a vu précédemment, ce champ s'est encore étendu. Cette piste d'économies est donc fermée.

Restent, comme seules mesures de diminution de la dépense annoncées l'an passé, celles relatives à un meilleur contrôle dans l'attribution de l'AJ ou à l'amélioration de la procédure permettant à un avocat de se faire rétribuer par la partie qui succombe plutôt que par l'aide juridictionnelle. Interrogés sur ce point par votre rapporteur, les services du ministère de la justice ont prévu d'en dresser un bilan au début de l'année prochaine.

• Une question toujours en suspens : sur quelles populations faire porter l'effort de financement de l'aide juridictionnelle ?

Votre rapporteur observe que le choix du Gouvernement, validé par l'Assemblée nationale, est de faire contribuer trois populations au financement de l'aide juridictionnelle : les clients des huissiers, les délinquants condamnés et les détenteurs d'un contrat de protection juridique.

Or, cette question est au coeur de toute réforme pérenne de l'aide juridictionnelle. Sur quels contribuables faire porter l'effort ?

L'inscription des crédits correspondants dans le budget de l'État permet de le faire porter par toute la collectivité, de manière équitable.

Toutefois, compte tenu du contexte budgétaire, il est nécessaire de trouver de nouvelles sources de financement, ce qui suppose de délimiter de nouveaux assujettis.

Plusieurs pistes ont été évoquées.

Le rapport précité de nos collègues Mme Sophie Joissains et M. Jacques Mézard proposait une augmentation des droits d'enregistrement, ce qui était aussi une solution préconisée par le conseil national des barreaux. L'avantage en est que l'assiette est particulièrement large, puisque ces droits sont perçus à l'occasion de ventes immobilières, de cessions de fonds de commerce, de droits de succession ou de certaines opérations sur les sociétés.

Une autre piste, évoquée par la commission présidée par M. Jean-Michel Darrois en 2009, était la taxation du chiffre d'affaires des professions juridiques, en particulier les avocats.

Écartée comme inéquitable par nos collègues Mme Sophie Joissains et M. Jacques Mézard, parce qu'elle taxerait ceux qui accomplissent la prestation d'aide juridique, elle repose sur le constat que, dans la profession d'avocat, une minorité assume la très grande majorité de ces missions, quand une large part n'en accomplit jamais aucune.

Ainsi, selon les chiffres fournis à votre rapporteur par les services du ministère de la justice, 57,72 % des 60 000 avocats français n'assurent aucune mission d'aide juridictionnelle, quand, en revanche, 16,5 % d'entre eux effectuent plus des trois quarts de ces missions (85 %). La rétribution des avocats pour leurs missions d'aide juridictionnelle représente 2,18 % du chiffre d'affaires total de la profession.

La dernière piste était celle de la contribution pour l'aide juridique, qui visait à faire financer une partie de l'AJ par ceux qui saisissent la justice. Cette solution emprunte à la logique du ticket modérateur.

Elle a été supprimée l'an passé, au motif qu'elle constituait un obstacle à l'accès au juge. Les services du ministère de la justice avaient ainsi fait valoir à votre précédent rapporteur pour avis, notre collègue Mme Catherine Tasca, qu'on constatait une baisse de 13% des saisines pour les contentieux de plus faible montant, comme ceux des injonctions de payer. En outre, un plus grand nombre de justiciables aurait sollicité l'aide juridictionnelle, dans l'unique but d'être exempté du droit de timbre, ce qui provoquait un effet contreproductif de cette taxation.

Le Sénat a rejeté l'amendement du rapporteur général de la commission des finances, notre collègue M. Albéric de Montgolfier, destiné à rétablir cette contribution - à un montant plus faible - afin de remplacer les nouvelles taxations proposées par le Gouvernement.


* 13 Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales.

* 14 Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales .

* 15 « Aide juridictionnelle : le temps de la décision », rapport d'information n° 680 (2013-2014) de Mme Sophie Joissains et M. Jacques Mézard, fait au nom de la commission des lois déposé le 2 juillet 2014. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-680-notice.html.

* 16 La taxe forfaitaire sur les actes huissiers et le droit fixe de procédure pénale et civile n'ont pas été modifiés depuis le 1 er janvier 1998. Ces revalorisations sont donc les premières depuis cette date.

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