III. UNE SITUATION DES PRISONS TOUJOURS PRÉOCCUPANTE

A. UN CLIMAT DE VIOLENCE NOURRI PAR UNE SURPOPULATION CARCÉRALE PERSISTANTE

Au 1 er octobre 2013, la France comptait 67 310 personnes écrouées détenues pour 57 435 places opérationnelles, soit une sur-occupation théorique de 117,2 % qui recoupe toutefois d'importantes disparités.

À cet égard, les orientations définies dans la circulaire de la garde des sceaux du 19 septembre 2012 pour lutter contre la surpopulation carcérale ne paraissent pas avoir produit d'effets significatifs : sur un an, la population carcérale continue d'augmenter, à un rythme certes moindre que par le passé (+ 0,9 % entre le 1 er octobre 2012 et le 1 er octobre 2013 ).

Les conditions de détention continuent dans ce cadre à être un sujet de préoccupation majeur, même si votre rapporteur a pris note avec satisfaction des mesures prises par la garde des sceaux dans le courant de l'année écoulée pour faire appliquer la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : publication du décret n° 2013-368 du 30 avril 2013 relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires, nouvelles instructions données en juin 2013 pour la mise en oeuvre des dispositions de la loi pénitentiaire sur la prohibition des fouilles intégrales systématiques, en particulier.

1. Un relatif ralentissement de la hausse du nombre de personnes détenues

Les données disponibles depuis 2000 permettent de constater que l'augmentation du nombre de personnes détenues au cours des douze dernières années résulte pour l'essentiel de l'augmentation du nombre de personnes condamnées, cette augmentation allant de pair avec une diminution de la durée de maintien sous écrou sur la période (avec toutefois une remontée à partir de 2008, probablement imputable à l'entrée en vigueur des « peines planchers » 31 ( * ) ). A contrario , le nombre de prévenus diminue sur la période (voir tableau).

Évolution de l'indicateur des durées moyennes sous écrou
des condamnés et de détention provisoire

Champ : France entière

Année

Durée moyenne sous écrou des condamnés 1

Durée moyenne de détention provisoire 2

Entrées de condamnés

Population moyenne de condamnés 3

Indicateur de durée moyenne sous écrou des condamnés
en mois

Entrées de prévenus

Population moyenne de prévenus

Indicateur de durée moyenne
de détention provisoire
en mois

2000

17 755

32 379

21,9

50 963

18 172

4,3

2001

20 768

32 038

18,5

46 471

16 116

4,2

2002

23 135

33 487

17,4

58 410

18 488

3,8

2003

22 549

36 004

19,2

59 348

21 301

4,3

2004

26 206

38 260

17,5

58 591

20 942

4,3

2005

24 755

39 413

19,1

60 956

19 933

3,8

2006

30 036

40 850

16,3

56 766

19 108

4,0

2007

34 775

44 559

15,4

54 936

17 804

3,8

2008

36 743

48 722

15,9

52 115

16 365

3,8

2009

36 499

50 466

16,6

48 061

15 956

4,0

2010

35 214

50 981

17,4

47 405

15 549

3,9

2011

39 754

54 385

16,4

47 315

15 990

4,1

2012

43 084

58 919

16,4

46 676

16 367

4,2

1 Durée moyenne sous écrou, en mois : (population moyenne /entrées) x 12

2 Durée moyenne de détention provisoire, en mois : (population moyenne de prévenus / entrées de prévenus) x 12

3 Population moyenne : (population au 1er janvier de l'année n + population au 1er janvier de l'année n + 1) / 2

Source : Statistique trimestrielle de la population prise en charge en milieu fermé (DAP-PMJ5)

Les tendances les plus récentes mettent en évidence une augmentation de la mise à exécution des courtes peines d'emprisonnement . Ainsi, au 1 er janvier 2013, deux tiers des condamnés (66,5 %) purgeaient une peine de moins de trois ans, soit le même pourcentage qu'au 1 er janvier 2012. L'analyse en fonction du quantum de peine montre toutefois que :

- entre le 1 er janvier 2012 et le 1 er janvier 2013, la tendance est à une augmentation du nombre de condamnés écroués pour des peines de un an à moins de trois ans (+ 5,5 %) : ils représentent désormais 30 % de l'ensemble des condamnés sous écrou ;

- de la même façon, les condamnés aux peines les plus courtes (moins d'un an) ont eux aussi augmenté entre 2012 et 2013 (+ 6,4 %) et regroupent désormais 36,4 % de l'ensemble des condamnés écroués.

Parallèlement, le nombre de condamnés écroués pour des peines allant de trois à cinq ans augmente également fortement dans le courant de l'année 2012 (+ 7,2 %). Consécutivement, la part des condamnés écroués pour une peine de cinq ans ou plus passe de 23,4 % à 22,5 % entre 2012 et 2013.

Comme l'année passée, ces données traduisent à la fois une augmentation du nombre de peines d'emprisonnement ferme prononcées par les juridictions et une augmentation de leur taux de mise à exécution .

Ainsi, pendant l'année 2012, l'ensemble des juridictions a prononcé 129 300 peines exécutoires d'emprisonnement ferme (contre 123 700 en 2011, soit une augmentation de 4,5 %) et en a exécuté 128 900 , soit un taux d'exécution proche de 100 % (contre un taux de 90,8 % en 2011).

On constate toutefois un ralentissement de l'augmentation de la population détenue (voir tableau), signe de l'arrivée à son terme de l'effort entrepris au début de l'année 2011 pour résorber le « stock » de peines d'emprisonnement en attente d'exécution.

Nombre de personnes
détenues hébergées

Évolution par rapport
à l'année précédente

1 er octobre 2012

66 704

+ 4 %

1 er novembre 2012

67 225

+ 3,9 %

1 er décembre 2012

67 674

+ 3,7 %

1 er janvier 2013

66 572

+ 2,8 %

1 er février 2013

66 746

+ 1,6 %

1 er mars 2013

66 995

+ 0,8 %

1 er avril 2013

67 493

+ 0,5 %

1 er mai 2013

67 839

+ 1,1 %

1 er juin 2013

67 977

+ 1,6 %

1 er juillet 2013

68 569

+ 1,8 %

1 er août 2013

67 683

+ 1,4 %

1 er septembre 2013

67 088

+ 1,5 %

1 er octobre 2013

67 310

+ 0,9 %

Source : ministère de la justice

Comme l'année passée, les violences volontaires expliquent en 2013 plus du quart (28 %) des personnes sous écrou. Suivent les infractions à la législation sur les stupéfiants (14 %), les viols et agressions sexuelles (13 %), les vols qualifiés (11 %), les escroqueries (8 %), les vols simples (8 %), les homicides volontaires (6 %) et les homicides et blessures involontaires (6 %).

2. L'état de surpopulation chronique des maisons d'arrêt

Au 1 er octobre 2013, les établissements pénitentiaires disposaient de 57 435 places opérationnelles, ce qui correspond à un taux d'occupation global théorique de 117,2 %, en hausse depuis plusieurs années (il était de 112,4 % en 2011 et de 115,23 % en 2012).

Ce taux global n'a toutefois qu'une signification relative. En effet, les établissements pour peine (centres de détention, maisons centrales, centres de semi-liberté) sont en principe régis par un numerus clausus , et certains d'entre eux présentent des capacités de détention supérieures au nombre de détenus accueillis. Tel est notamment le cas d'un certain nombre de centres de semi-liberté (celui de Montargis présente un taux d'occupation de 40 % ou celui de Maxéville de 46,4 % par exemple).

En revanche, beaucoup de maisons d'arrêt, auxquelles le numerus clausus n'est pas applicable, sont surpeuplées.

Au nombre de 98, les maisons d'arrêt reçoivent en théorie les personnes prévenues en détention provisoire (personnes détenues en attente de jugement ou dont la condamnation n'est pas définitive) ainsi que les personnes condamnées dont la peine ou le reliquat de peine n'excède pas deux ans.

Toutefois, compte tenu du numerus clausus applicable aux établissements pour peine, nombre d'entre elles hébergent des détenus condamnés à des peines bien supérieures à deux ans : ainsi, au 1 er août 2013, environ 21 % (soit 6 140 personnes) sur les 29 671 condamnés détenus en maison d'arrêt ou quartier maison d'arrêt purgeaient une peine supérieure à deux ans d'emprisonnement (contre seulement 13 % au 1 er août 2012). C'est notamment le cas à la maison d'arrêt d'Angers où plusieurs détenus purgeaient une peine criminelle à la date de la visite de votre rapporteur.

Au total, au 1 er octobre 2013, 121 établissements ou quartiers présentaient une densité inférieure à 100 %, tandis que 40 présentaient un taux d'occupation supérieur à 150 % .

Par ailleurs, le taux d'occupation est en pratique sous-estimé car le nombre de places opérationnelles est calculé à partir non du nombre de cellules mais de leur surface (par exemple, une cellule dont la surface est comprise entre 11 m 2 et 14m 2 compte pour deux places).

Le défaut de pertinence de ces moyennes a conduit M. Pierre-Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS, à retenir la notion de « détenus en surnombre » en ne prenant en compte que les établissements présentant un taux d'occupation supérieur à 100 %. D'après ses calculs, le nombre de détenus en surnombre s'élevait au 1 er octobre 2013 à 12 887 , soit une augmentation de 4,2 % sur un an.

Cet état de surpopulation chronique contraint les directeurs d'établissement à placer plusieurs personnes dans la même cellule, certaines d'entre elles étant même amenées à dormir sur des matelas posés à même le sol.

Ainsi, à la date de la visite de votre rapporteur, le quartier maison d'arrêt du centre pénitentiaire d'Aix-Luynes accueillait 900 détenus pour 615 places (taux d'occupation de 146 %) et comptait une soixantaine de matelas posés au sol. De même, avec un taux d'occupation supérieur à 200 %, le quartier maison d'arrêt du centre pénitentiaire de Longuenesse comptait 52 détenus dormant à même le sol le jour de la visite de votre rapporteur.

Au total, M. Pierre-Victor Tournier estime à 991 le nombre de détenus dormant sur un matelas posé à même le sol au 15 octobre 2013 , contre 657 l'année passée, soit une augmentation de près de 50 %.

La surpopulation reste le principal facteur de dégradation des conditions de détention. Elle nourrit de multiples tensions : comment, a par exemple demandé un détenu rencontré par votre rapporteur, suivre sérieusement une formation lorsque l'on partage une cellule de 9 m 2 avec deux autres détenus ?

La surpopulation soulève non seulement des difficultés de cohabitation entre détenus, elle complique également la gestion des déplacements au sein des établissements, suscitant de ce fait des retards aux entretiens avec les avocats, aux ateliers de formation, etc.

Le phénomène pèse également sur les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire, dont les effectifs sont toujours insuffisants pour prendre en charge l'ensemble de la population détenue dans l'établissement.

3. La violence en détention

La question de la violence en détention, que ce soit à l'encontre des personnels ou entre personnes détenues, demeure dans ce contexte un sujet d'inquiétude.

En 2012, à partir des comptes rendus d'évènements transmis par les directions interrégionales de l'administration pénitentiaires, on relève 778 agressions physiques à l'encontre de 1 033 personnels - soit un niveau quasiment constant par rapport à l'année précédente (775 agressions).

Le taux d'agressivité des mineurs reste le plus élevé : la probabilité pour un membre de l'administration pénitentiaire d'être agressé est presque 19 fois plus importante en détention pour mineurs qu'en détention générale.

Parallèlement, les comptes rendus d'évènements transmis par les directions interrégionales recensent 8 861 agressions entre personnes détenues en 2012, contre 8 365 en 2011. De janvier à juillet 2013, 5 082 agressions ont été constatées.

Nature des agressions commises entre personnes détenues

Homicides

Agressions sexuelles

Prise d'otage / Séquestration

Actes de tortures ou de barbarie

Violences avec arme ou objet

Humiliation

Coups isolés

Rixes

Racket

Total

2010

4

41

15

291

81

3 793

3 511

89

7 825

2011

3

62

22

337

104

4 493

3 245

99

8 365

2012

2

66

5

17

424

144

4 463

3 670

70

8 861

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Confrontée à l'augmentation de la population carcérale, l'administration pénitentiaire peine de plus en plus à faire régner l'ordre dans ses établissements : les menaces, rackets et violences en tous genres se développent, comme l'a relevé M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lors de son audition par votre rapporteur, et restent trop souvent impunis. Dans cette situation, il paraît urgent de doter les établissements concernés d'un bureau du renseignement , dont la tache consisterait à identifier les détenus qui menacent les autres et à les sanctionner.

De la même manière que votre rapporteur souhaite que les violences entre détenus soient intégrées dans les indicateurs de performance du programme n°107 : « administration pénitentiaire » (voir supra ), la mise en oeuvre d'une politique globale et cohérente de prévention et de sanction des violences commises entre détenus dans les établissements pénitentiaires devrait être à ses yeux une priorité pour l'administration pénitentiaire.

À la violence contre les autres s'ajoute également la violence contre soi-même, même si les déterminants du suicide sont extrêmement complexes et doivent être interprétés avec les plus grandes précautions.

À cet égard, on constate en 2012 une baisse relative du nombre de suicides et des tentatives de suicide en détention : 106 suicides en 2012 contre 116 en 2011, 1 777 « actes suicidaires » (suicides et tentatives de suicide) en 2012 contre 2 048 en 2011. Ce phénomène demeure toutefois à un niveau préoccupant.

Cette diminution, dans un contexte de progression de la population carcérale, est-elle liée au plan d'action mis en oeuvre par le ministère de la justice depuis juin 2009, qui s'est traduit par un renforcement de la formation du personnel pénitentiaire à ces questions ainsi que par l'adoption d'un certain nombre de mesures (« dotation de protection d'urgence », mise en place de cellules de protection d'urgence, expérimentation des « codétenus de soutien », etc.) ?

Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants de l'association des professionnels de santé exerçant en prison ont fait part de leurs réserves quant à un certain nombre de mesures décidées dans ce cadre (notamment le recours aux « codétenus de soutien » ou les instructions données pour surveiller régulièrement le détenu jugé fragile, qui se traduisent par des réveils réguliers pendant la nuit). Ils ont en revanche salué la création dans les établissements pénitentiaires de « quartiers arrivants », qui permettent de limiter l'effet du « choc carcéral » et ont sans doute contribué à réduire le nombre de suicides chez les détenus arrivants.


* 31 Selon une étude réalisée l'année dernière par le ministère de la justice, si l'application des « peines planchers » n'explique pas le recours plus important aux peines d'emprisonnement, elle s'est traduite en revanche par un allongement du quantum d'emprisonnement ferme, qui est passé en moyenne de 8,2 à 11 mois. Voir « Peines planchers : application et impact de la loi du 10 août 2007 », Fabrice Leturcq, Infostat justice, octobre 2012, n°118.

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