IV. DES TRIBUNAUX D'INSTANCE EN GRANDE DIFFICULTÉ

Avec les juridictions de proximité qui leur sont associées, mais qui devraient disparaître prochainement 27 ( * ) , les tribunaux d'instance sont, pour les justiciables, l'incarnation de la justice civile proche des gens.

Cette proximité se manifeste par le maillage territorial de ces tribunaux, que la carte judiciaire a réduit, 178 tribunaux d'instance et autant de juridictions de proximité étant supprimés sur les 473 existants, pour seulement 7 créés.

Elle se manifeste aussi dans les contentieux dont ils sont saisis (le crédit, le surendettement, les tutelles, les litiges portant sur des montants inférieurs à 10 000 euros, le contentieux locatif, le bornage et l'élagage...), et dans leur accès aisé pour le justiciable : les parties se défendent elles-mêmes et, si elles peuvent se faire assister, l'avocat n'est pas obligatoire.

Cette justice du quotidien apparaît aujourd'hui en grande difficulté : son activité ne cesse de croître, sans que les moyens qui lui sont alloués soient suffisants. Fragilisés par la réforme de la carte judiciaire, éprouvés par les réformes qui ont accru leur charge de travail, les juges d'instance ont l'impression, selon l'expression employée au cours de son audition par la présidente de l'association nationale des juges d'instance, Mme Émilie Pecqueur, d'être « les parents pauvres de la justice ».

A. DES TRIBUNAUX CONFRONTÉS À UN ACCROISSEMENT DE LEUR CHARGE DE TRAVAIL, QUI N'ONT PAS REÇU LES MOYENS NÉCESSAIRES

1. Une charge de travail accrue par les réformes récentes

• Une activité qui ne cesse de croître

En 2010, les tribunaux d'instance et les juridictions de proximité ont été saisis de 692 470 nouvelles affaires soit 2,2 % de plus qu'en 2009.

Depuis 2001, le nombre des affaires nouvelles portées devant les tribunaux d'instance n'a cessé de croître. En légère augmentation de 2001 à 2003, en 2005 et en 2006, il a connu une forte progression en 2004 (+ 7 %), dépassant le seuil des 600 000 affaires nouvelles par an. La tendance s'est encore accentuée en 2008 et en 2009 (+ 3,8 % et + 5,1 %) : le seuil des 700 000 affaires nouvelles par an se rapproche inéluctablement.

Le nombre d'affaires terminées par les tribunaux d'instance et les juridictions de proximité suit la même tendance. Proche de 656 000 en 2010, en hausse de 0,8 %, il a progressé de 21 % depuis 2001.

Le nombre d'affaires terminées en 2010 restant, comme les années précédentes, inférieur à celui des affaires nouvelles, le stock d'affaires restant à traiter continue de croître, à presque 600 000 affaires au 31 décembre 2010.

• Des réformes qui ont accru la charge des tribunaux d'instance

La réforme de la protection juridique des majeurs 28 ( * ) a accru le domaine d'intervention du juge d'instance en matière de protection de la personne, et donc sa charge de travail. Elle s'est accompagnée d'une obligation de révision de l'intégralité du stock des mesures de tutelles en cours au 1 er janvier 2009 qui constitue pour ces juridictions un effort qui, bien que transitoire, reste considérable.

En augmentant de 21 500 à 75 000 euros, le montant maximal que peut atteindre un crédit à la consommation, la loi n° 2010-737 du 1 er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a étendu la compétence du tribunal d'instance à des crédits et elle a mécaniquement accru le nombre de dossiers dont les juges d'instance pourront être saisis.

Le transfert du contentieux du surendettement des particuliers et de la procédure de rétablissement personnel opéré par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l'exécution des décisions de justice a lui aussi accru la charge de travail du juge d'instance. Les représentants de l'association nationale des juges d'instance ont à cet égard observé que « les effets de la déjudiciarisation d'une partie de la procédure, qui devait permettre une réduction de la charge de ce contentieux, ont été absorbés par une augmentation du nombre de dossiers déposés de l'ordre de 20 % depuis le début de l'année 2011, et une augmentation du nombre de recours formés contre les décisions de la commission ».

Les tribunaux d'instance devront aussi assumer une charge de travail supplémentaire en raison de la suppression de la juridiction de proximité, prévue par le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles. En effet, les juges d'instance redeviendront compétents pour le contentieux civil d'un montant inférieur à 4 000 euros dont s'occupaient, jusqu'à présent les juges de proximité. Or ce contentieux représente chaque année près de 100 000 affaires, soit plus de 17 % du contentieux civil de l'instance .

Notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour votre commission sur le projet de loi relatif à la répartition des contentieux évaluait à 68 ETPT de magistrats les créations de postes nécessaires pour permettre aux tribunaux d'instance d'absorber ce contentieux 29 ( * ) . Les représentants de l'ANJI évoquent le chiffre de 109 ETPT. Penser que ces emplois seront pourvus, par délégation, par les juges de proximité est imprudent : sans même prendre en considération qu'ils sont en principe appelés à d'autres tâches, leur mandat arrive bientôt à échéance et il n'est pas renouvelable. Or, les difficultés de recrutement de juges de proximité qui sont constatées depuis leur création ne pourront qu'être aggravées par la suppression de leur juridiction.


* 27 Le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, examiné en lecture définitive par l'Assemblée nationale le 16 novembre 2011 prévoit en effet la suppression de la juridiction de proximité.

* 28 Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

* 29 Rapport n° 394 (2010-2011) de M. Yves DÉTRAIGNE, fait au nom de la commission des lois, p. 47-48 ( http://www.senat.fr/rap/l10-394/l10-394.html ).

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