B. LE POINT SUR LA PRISE EN CHARGE DES MALADIES SOMATIQUES EN MILIEU CARCÉRAL

La prise en charge médicale des détenus a connu des progrès majeurs à la suite de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale qui a confié la prise en charge sanitaire des personnes détenues au service public hospitalier.

S'agissant des soins somatiques, chaque établissement dispose d'une unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA), structure sanitaire rattachée au service public hospitalier assurant durant la journée et les jours ouvrables les soins dans les disciplines suivantes : médecine générale, soins dentaires, radiologie, soins infirmiers. En outre, certaines consultations spécialisées, dont la psychiatrie, peuvent s'y dérouler. Dans tous les établissements, l'UCSA dispose d'au moins un cabinet de consultation médicale, d'une salle de soins infirmiers et d'un cabinet dentaire.

Dans tous les établissements d'une capacité supérieure à 150 places, l'UCSA dispose en outre d'un appareil de radiologie pour le dépistage de la tuberculose et les radiographies courantes.

Dans toutes les maisons d'arrêt d'une capacité supérieure à 400 places, et dans tous les établissements pour peines d'une capacité supérieure à 150 places, l'UCSA est dotée d'un cabinet d'ophtalmologie.

En outre, chaque établissement pénitentiaire est rattaché à un établissement public de santé qui assure les consultations spécialisées, les traitements ambulatoires programmés ne pouvant être réalisés en UCSA, les urgences ainsi que les hospitalisations programmées.

Les hospitalisations somatiques d'urgence et de courte durée sont quant à elles réalisées dans les hôpitaux de proximité au sein de chambres sécurisées. Un programme de sécurisation de ces chambres a été mené entre 2004 et 2006, financé par l'administration pénitentiaire.

Par ailleurs, l'arrêté interministériel du 24 août 2000 a prévu que les hospitalisations programmées, de plus de 48 heures, seront réalisées dans l'une des huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) dont la construction a commencé en 2003 -six sont désormais en service : Nancy (17 lits) et Lille (21 lits) en 2004, Lyon (23 lits) en 2005, Bordeaux (16 lits), Marseille (45 lits) et Toulouse (16 lits) en 2006 ; deux autres devraient ouvrir : Paris (25 lits) en janvier 2008 et Rennes (19 lits) fin 2008-.

L'unité parisienne sera créée au sein du groupe hospitalier de la Pitié Salpêtrière et assumera pour partie les fonctions actuellement dévolues à l'établissement public de santé national de Fresnes , placé sous la tutelle conjointe du ministre de la Santé et du ministre de la justice.

Votre rapporteur s'est rendu le 27 septembre dernier dans l'UHSI de Lyon et, le 17 octobre, dans l'établissement public de santé national de Fresnes.

L'UHSI : une prise en charge conforme à l'exigence médicale et aux considérations de sécurité

L'UHSI est une structure hospitalière à part entière implantée dans un centre hospitalier universitaire (CHU). Elle garantit aux condamnés un niveau de soin comparable à celui de tout autre patient. La sécurité en est assurée par :

- les agents de l'administration pénitentiaire chargés de surveiller les personnes détenues et de concourir à la sécurité du personnel médical ;

- la gendarmerie nationale responsable des escortes des personnes détenues entre l'établissement pénitentiaire et l'UHSI ;

- la police nationale, enfin, chargée de la sécurité extérieure de l'unité et du contrôle de son accès.

Les UHSI sont conçues sur un modèle identique, une structure organisée sur deux niveaux :

- le premier étage regroupe l'unité de soins et ses chambres individuelles avec sanitaires ;

- le rez-de-chaussée consacré à la partie administrative ainsi qu'à la zone des parloirs.

A Lyon, à la date de la visite de votre rapporteur, 11 lits sur 23 étaient occupés. L'effectif comporte quatre surveillants (3 la nuit), deux médecins à temps plein et deux internes, 14 postes d'infirmiers, 12 postes d'aides-soignants, un psychologue, un kinésithérapeute.

L'UHSI dispose d'un plateau technique à caractère général. Les soins plus spécialisés peuvent être assurés dans les différents services du CHU.

Lors de la visite de votre rapporteur, un débat s'est engagé entre les représentants du corps médical et ceux de l'administration sur la place accordée aux règles de sécurité au sein de l'unité.

Le médecin responsable de l'unité a regretté que la sécurité pénitentiaire tende à primer sur le respect des règles de déontologie médicale. Il a évoqué par exemple les fouilles systématiques pratiquées lors de la réintégration du détenu à la suite de consultations extérieures, alors même que celui-ci n'est jamais sans surveillance. Les agents de surveillance ont fait valoir qu'ils étaient tenus responsables de la sécurité des personnes au sein de l'unité. Ils ont aussi relevé que le cas s'est déjà présenté d'un détenu tirant parti d'une consultation extérieure pour s'emparer d'un scalpel.

Les responsables de l'administration pénitentiaire ont estimé, pour leur part, que l'équilibre leur paraissait respecté entre la prise de risque et le respect de l'éthique médicale.

Quel avenir pour l'établissement public de santé national (EPSN) de Fresnes ?

La création d'un hôpital prévu pour la prise en charge des maladies somatiques, structure unique en France, remonte à 1895. Après la réforme de 1994, l'hôpital devient en 1995 établissement public de santé à vocation nationale.

L'établissement compte 99 lits avec un taux d'occupation de 86 % en 2006. Les personnels regroupent les médecins (24 ETPT), le personnel hospitalier non médical (230 ETPT), le personnel pénitentiaire (140 ETPT dont 135 personnels de surveillance).

Au cours d'une table ronde qui a réuni les représentants du corps médical ainsi que ceux de l'administration pénitentiaire, votre rapporteur a d'abord souhaité obtenir des précisions sur le profil des patients accueillis au sein de cette structure.

Les médecins ont noté que l'on retrouvait à Fresnes les principales pathologies observées dans les autres hôpitaux tout en soulignant certaines pathologies atypiques propres au milieu carcéral notamment en rééducation.

La rééducation constitue d'ailleurs une des activités principales de l'établissement (en 2006, le nombre de lits en chirurgie a été diminué de moitié pour augmenter d'autant le service de médecine physique et de rééducation). La liste d'attente pour accéder à ce service demeure excessivement longue (le temps d'attente complique la rééducation qui exige dès lors une prise en charge plus lourde que si l'intervention avait pu être conduite rapidement). Sans doute une partie du travail avec le patient est-elle orientée vers l'autorééducation afin d'assurer son autonomie une fois retourné en établissement pénitentiaire. La situation de l'intéressé peut toutefois exiger la réintégration dans une cellule aménagée. Or les établissements pénitentiaires en comptent un nombre insuffisant ce qui implique le maintien du détenu en milieu hospitalier.

Plusieurs médecins ont noté que la prise en charge somatique des détenus permettait de déceler des troubles psychiatriques encore non révélés et qu'ils observaient souvent une imbrication entre maladies somatiques et psychiatriques.

La principale tendance observée reste le vieillissement de la population (avec le développement des maladies d'Alzheimer et des démences).

Cette situation peut justifier des aménagements de peine : en 2006, 17 libérations conditionnelles ainsi que 17 suspensions de peine pour raisons médicales ont été accordées.

Les suspensions de peine pour raisons médicales

L'article 720-1 du code de procédure pénale, introduit par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits du malade, prévoit que les personnes condamnées atteintes d'une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l'état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention peuvent bénéficier d'une suspension de peine. Au 30 juin 2007, 317 mesures de ce type avaient été accordées sur 420 demandes présentées depuis la promulgation de la loi soit un taux d'accord de 64,69 %. Parmi les principaux motifs de refus, il faut mentionner le « pronostic vital non engagé », l' « état de santé compatible avec le maintien en détention » (80 % des cas reposent sur ces deux motifs), les « expertises non concordantes » 18 ( * ) , l' « absence d'hébergement spécialisé pour accueillir la personne ».

A Fresnes, faute de structures d'hébergements médicalisés, onze des quarante-cinq aménagements de peine proposés aux magistrats en 2004 ont été rejetés.

En 2007, le Conseil d'Etat a, pour la première fois, rappelé le service hospitalier à ses obligations à l'égard des détenus malades qui bénéficient d'une suspension de peine mais restent en prison faute d'un lieu d'accueil à leur sortie. Il était saisi en référé par un détenu malade bénéficiaire en octobre 2006 d'une suspension de peine pour raisons médicales mais toujours détenu à Fresnes, faute de disposer d'un lieu d'accueil à l'extérieur.

Le Conseil d'Etat a ainsi estimé que les dispositions légales « mettent à la charge de l'AP-HP [Assistance publique - Hôpitaux de Paris ] (...) l'obligation de veiller à la continuité des soins assurés » au détenu et que même si celui-ci « ne nécessite ni un service de soin aigu en médecine gériatrique, ni une hospitalisation de long séjour » il appartient à l'AP-HP d'« orienter ce patient vers une structure adaptée à son état ».

S'agissant des relations entre les personnels hospitaliers de l'établissement public de santé national de Fresnes et les personnels de surveillance, les interlocuteurs de votre rapporteur ont souligné que « chacun avait fait un pas vers la culture de l'autre ». Les médecins peuvent accéder directement aux cellules sans passer par le truchement d'un surveillant -contrairement au principe observé au sein des UHSI. Ils n'ont pas accès à l'intégralité du dossier pénal mais disposent des informations les plus pertinentes -en particulier quant au statut du condamné (prévenu ou condamné) qui peut avoir des incidences sur le suivi médical. Ils ont souligné leur attachement au secret médical , condition du « pacte de confiance » qui les lie aux patients, tout en indiquant qu'ils communiquaient les éléments nécessaires à l'aménagement de peine.

L'atmosphère de l'établissement est très différente de celle qui règne en prison. Les médecins ont souligné qu'ils accomplissaient leur mission sans crainte pour leur sécurité. Ils ont observé que la sécurisation périmétrique de l'établissement favorisait une plus grande souplesse au sein de la structure. S'agissant des visites, les personnes valides ont accès aux parloirs. Dans certains cas, sur autorisation administrative, après avis du médecin, les visites peuvent être autorisées dans les chambres. Pour les patients en soins palliatifs, les visites se font dans la chambre, portes ouvertes et les familles restent le temps voulu.

L'EPSN, grâce à la forte simplification de l'équipe médicale et à la bonne articulation entre personnel hospitalier et pénitentiaire, paraît constituer un élément utile dans le dispositif d'ensemble de prise en charge médicale des personnes détenus.

Il n'en est pas moins aujourd'hui confronté à deux incertitudes. D'abord, l'articulation de l'EPSN avec l'UHSI créée au sein de la Pitié Salpetrière en 2008 doit être clarifiée et la complémentarité entre les deux structures affirmée.

Ensuite et surtout, l'état de l'infrastructure est très préoccupant. Les installations sont vétustes, voire dangereuses : ni les installations électriques, ni l'eau sanitaire, ni la protection au feu ne répondent aux normes actuelles. L'état de dégradation imposerait une rénovation complète.

Le point sur la prise en charge psychiatrique des détenus

Avant même que l'ensemble de la prise en charge médicale des détenus ne soit transférée au secteur public hospitalier par la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge psychiatrique était assurée depuis 1977 par les établissements de santé -dispositif généralisé en 1986 par la création des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire et la mise en place des services médico-psychologiques régionaux (SMPR).

Dans chaque région pénitentiaire, un ou plusieurs secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, placés sous l'autorité d'un psychiatre hospitalier, sont rattachés à un établissement public de santé ou à un établissement de santé privé admis à participer à l'exécution du service public hospitalier. Chacun de ces secteurs comporte notamment un service médico-psychologique régional (au nombre de 26) aménagé dans un établissement pénitentiaire. Quant à l'hospitalisation en établissement de santé, en application de l'article D. 398 du code de procédure pénale, elle ne peut actuellement être réalisée que sous le régime de l'hospitalisation d'office, dans des établissements habilités à recevoir des patients hospitalisés sans consentement.

L'accès aux soins et la diversité de l'offre de soins sont variables selon les établissements pénitentiaires. La capacité globale des 26 SMPR s'élève à 360 lits et places, ce qui permet d'assurer essentiellement une prise en charge de jour. Seuls 2 SMPR disposent d'une couverture paramédicale nocturne. Dans les autres cas, les patients détenus sont simplement hébergés de nuit.

D'une manière générale, si ce dispositif sanitaire a considérablement amélioré l'accès des détenus à l'offre de soins, il se révèle néanmoins insuffisant en matière de prise en charge des troubles mentaux, compte tenu de l'ampleur des besoins. De ce fait, la loi de programmation et d'orientation pour la justice du 9 septembre 2002 a créé des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour accueillir en établissements de santé l'ensemble des hospitalisations pour troubles mentaux de personnes écrouées, qu'elles soient consentantes ou non. De plus, les données définitives de l'étude épidémiologique rendue publique en 2006, apparaissent inquiétantes. Ses résultats -correspondant au nombre minimum de détenus pour lesquels un trouble mental est indiscutable- font apparaître que 3,8 % des détenus souffrent d'une schizophrénie nécessitant un traitement, soit environ quatre fois plus qu'en population générale, 17,9 % présentent un état dépressif majeur, soit quatre à cinq fois le taux en population générale et 12 % souffrent d'anxiété généralisée.

Cette étude permet aussi d'éclairer les antécédents sociaux, judiciaires et médicaux de la population étudiée : avant l'âge de 18 ans, 28 % des détenus ont été suivi par le juge des enfants et 22 % ont fait l'objet d'une mesure de placement ; 28 % déclarent avoir subi des maltraitances de nature physiques, psychologiques ou sexuelles et 16 % des détenus ont été hospitalisés pour raisons psychiatriques avant leur incarcération.

Le nombre élevé de pathologies mentales, en particulier de schizophrénies sévères, nécessite une réflexion sur l'expertise psychiatrique. Une conférence de consensus sur ce sujet s'est tenue les 25 et 26 janvier 2007 sous les auspices de la Fédération française de psychiatrie.

S'agissant plus particulièrement de l'offre de soins, le ministère de la santé a jugé opportun de renforcer la prise en charge psychiatrique en permettant une présence accrue de psychologues dans les équipes psychiatriques intervenant auprès des patients détenus dans le cadre général fixé par les orientations du plan psychiatrie et santé mentale. Au-delà, il a été convenu d'améliorer les conditions d'hospitalisation à plein temps des patients détenus en lançant une première tranche de 460 lits d'hospitalisation au sein d'unités d'hospitalisation spécialement aménagées (UHSA) dans les hôpitaux.

Cette première étape qui doit porter ses effets dès 2008 sera prolongée en 2010 par une seconde tranche de 245 lits supplémentaires, portant ainsi à 17 le nombre d'UHSA.

Les crédits inscrits dans la mission « Santé » pour 2008 devraient permettre le recrutement de 300 nouveaux médecins coordonnateurs -dont le nombre serait ainsi porté de 150 à 450 en mars 2008- chargés de mettre en oeuvre l'injonction de soins dans le cadre du suivi socio-judiciaire. Ce renforcement est indispensable pour garantir la pleine entrée en vigueur de la loi du 10 août 2007 sur le traitement de la récidive.

Selon l'étude épidémiologique précitée, 40 % des détenus présentent un risque suicidaire. Cependant, sur ce point, des progrès ont été enregistrés à la suite des recommandations du professeur Jean-Louis Terra présentées en 2003.

En premier lieu, l'administration pénitentiaire a favorisé la formation au repérage du risque suicidaire par le biais de la formation initiale au sein de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire et des actions de formation continue qui, à la fin de l'année 2006, avaient concerné 5.000 agents. Ensuite, la mise en place d'un système de détection et le déploiement des plans de prévention individualisés permettent l'évaluation du risque suicidaire individuel.

Enfin, plusieurs actions nationales ont été engagées depuis 2004, en particulier l'intégration dans le cahier des charges des nouveaux établissements pénitentiaires des préconisations relatives à la réduction des moyens d'accès dans les cellules.

Le nombre de suicides survenu en détention (93) au cours de l'année 2006 a baissé de 23 % par rapport à l'année précédente (et de 24 % par rapport à 2003, date de remise du rapport Terra qui avait fixé pour objectif une réduction de 20 % des suicides en cinq ans).

* 18 La mesure ne peut être octroyée que sur la base de deux expertises concordantes.

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