3. La justice de proximité, une réforme effective, des ajustements nécessaires

La loi de programmation quinquennale du 9 septembre 2002 a institué un nouvel échelon judiciaire dans le ressort de chaque cour d'appel 83 ( * ) dénommé juridiction de proximité , afin de donner une réponse simple rapide et efficace aux petits litiges de la vie quotidienne. Ce dispositif a été complété en 2003 par une loi organique 84 ( * ) ayant défini leur statut et les conditions de leur recrutement, puis étendu en 2005 afin de doter les juges de proximité de compétences élargies tant en matière civile que dans le domaine pénal 85 ( * ) .

Un groupe de travail chargé de faire le point sur la mise en oeuvre de cette réforme 86 ( * ) a rendu ses conclusions en novembre 2005 (rapport Charvet), démontrant que les juridictions de proximité s'installaient progressivement dans le paysage judiciaire tout en proposant des améliorations au dispositif en vigueur, notamment dans le domaine de la formation.

- Un recrutement revu à la baisse

La LOPJ s'était assigné l'objectif ambitieux de recruter 3.300 juges de proximité en cinq ans (correspondant à 330 ETPT), soit 750 juges en moyenne par an. La première promotion de juges de proximité (32) a été installée dans les juridictions de proximité en septembre 2003. Compte tenu du rythme lent des recrutements et des besoins réels apparus dans les juridictions, le ministère de la justice a rapidement révisé ses prévisions à la baisse, évaluant finalement les effectifs nécessaires à 1.000 juges de proximité .

Plusieurs raisons expliquent cette évolution.

Comme le souligne le rapport d'exécution de la LOPJ pour l'année 2005 87 ( * ) : d'une part, la capacité de traitement des dossiers de candidature par les cours d'appel, par la mission « juges de proximité » placée auprès du directeur des services judiciaires pour instruire les dossiers transmis au CSM et par le CSM lui-même ainsi que la capacité de formation de l'ENM 88 ( * ) se sont révélés limitées ; d'autre part, l'appauvrissement du vivier des candidats conjuguée à une sélection plus forte des candidatures liée tant à la brièveté de la formation initiale qu'à l'extension des compétences des juridictions de proximité a entraîné un ralentissement des recrutements, « confirmé au premier semestre 2006 ». La diminution très nette du nombre de dossiers transmis à la mission juges de proximité entre 2003 et le premier semestre 2006 est à cet égard significative (de 293 à 31).

Ce contexte a amené le CSM et le ministère de la justice depuis 2005 à ne retenir principalement que des candidats justifiant d'une expérience professionnelle dans le domaine judiciaire ou d'un niveau de qualification juridique particulièrement élevé. Ainsi les professions libérales juridiques ou judiciaires sont-elles actuellement surreprésentées au détriment d'autres profils. Au cours de son audition le 21 novembre dernier, le garde des sceaux a confirmé la rigueur de la sélection actuellement opérée.

En outre, le nombre de démissions de juges de proximité depuis 2003 -10 89 ( * ) - et de désistements de candidats soumis à un stage probatoire ou à un stage préalable -83- pèse également sur les effectifs. Les arguments les plus fréquemment invoqués pour expliquer cette désaffection sont les conditions -difficiles- d'exercice et l'ambiance de travail (mauvais accueil dans les juridictions) ou encore l'insuffisance des connaissances juridiques.

S'ajoute à ces difficultés le manque d'attractivité de certains ressorts, à l'instar de ce qui prévaut à l'occasion des mouvements de mutation des magistrats. Ainsi, le rapport Charvet notait que « si les cours de Paris, Versailles, Aix-en-Provence, Montpellier et Toulouse comptent de nombreux candidats, il n'en est pas de même dans les cours de Douai, Reims, Metz, Nancy par exemple. Toutefois, même dans les cours où les candidats sont en nombre important, certaines juridictions ne sont jamais demandées : c'est le cas notamment dans la cour d'Aix-en-Provence des juridictions de Haute Provence, dans la cour de Montpellier de celles de l'Aveyron ou encore dans la cour de Nîmes de celle de la Lozère. Il est nécessaire de relancer une campagne de recrutement avec des moyens appropriés faisant appel aussi bien à la presse quotidienne régionale qu'à la presse professionnelle en direction des personnes ayant reçu une formation juridique. » 90 ( * )

Au 15 octobre 2006, on dénombrait 585 juges de proximité en fonction dans 330 juridictions (sur 476 à pourvoir, soit près de 70 %), étant précisé que la réforme demeure inappliquée aux collectivités d'outre-mer, faute des mesures d'extension nécessaires 91 ( * ) . Le tribunal de proximité (pénal) de Paris concentre le plus grand nombre de ces juges (22) tandis qu'on en dénombre 8 à Montpellier. A contrario, certaines juridictions ne sont pas dotées de juges de proximité soit à la suite d'une démission (Limoges, Cannes, Saint-Malo), soit faute de candidats (Verdun ou Luneville).

Les crédits de vacations versées aux juges de proximité au cours du premier semestre 2006 ont atteint un montant de près de 1,1 million d'euros.

Les hommes, âgés en moyenne de 61 ans, représentent plus de 50 % des juges de proximité, tandis que les femmes exerçant ces fonctions sont plus jeunes (50 ans). Les professions libérales juridiques et judiciaires réglementées (44 %) et les titulaires d'un diplôme équivalent à BAC+4 et justifiant de quatre années d'expérience juridique (39 %) sont majoritaires. On ne compte que 8 % d'anciens magistrats judiciaires ou administratifs et très peu d'anciens fonctionnaires des services judiciaires (1 %), de conciliateurs de justice (3 %) ou de personnes justifiant de vingt-cinq années d'exercice de fonctions d'encadrement ou de direction dans le domaine juridique (5 %). 244 juges de proximité (soit près de 42 %) exercent concomitamment à leur fonction une autre activité professionnelle.

- Une activité accrue

L'activité des juges de proximité s'est considérablement enrichie depuis 2002 à la faveur de la nouvelle répartition des compétences des juridictions de première instance définie en 2005.

L'activité civile des juges de proximité s'est sensiblement accrue . Ainsi, la proportion de juges ne tenant qu'une audience tous les deux mois a décru de 23 à 9 %, le nombre d'affaires retenus par audience ayant augmenté de 7,6 à 11,4 %. Les affaires au fond portées devant ces juridictions ont quadruplé entre 2004 et 2005 passant de 18.500 à 77.500, le contentieux de l'injonction de payer ayant progressé encore plus fortement pour atteindre 244.929 (contre 8.548 en 2004).

La participation aux formations collégiales du tribunal correctionnel s'est mise en place dans plus de 80 % des tribunaux de grande instance. Ce dispositif institué en 2005 emporte la satisfaction des chefs de juridiction. Toutefois, le rapport Charvet signale que cet échevinage revêt des formes très variables selon les ressorts . L'implication des juges de proximité diffère en effet fortement selon les tribunaux : dans certains, elle se limite à la participation à l'audience et au délibéré, tandis que dans d'autres, ces juges jouent un rôle plus actif en préparant les dossiers, en rapportant à l'audience et, le cas échéant en rédigeant les jugements. La présidente de l'Association nationale des juges de proximité a indiqué être pleinement associée au processus de décision dans le cadre de sa participation aux jugements correctionnels. De plus, alors que certaines juridictions ont systématisé cette pratique, d'autres ne l'appliquent qu'à titre expérimental et ce, contrairement à l'intention du législateur.

L'échevinage en matière correctionnelle est donc très diversement mis en oeuvre. Il paraît à cet égard nécessaire, dans un souci d'assurer une égalité de traitement des justiciables, que le ministère de la justice veille à une application plus uniforme de ce volet de la réforme. Le garde des sceaux, au cours de son audition, le 21 novembre, a souligné que l'effectivité de ce dispositif dépendait des chefs de juridiction.

- Une réforme diversement appréciée par les personnels de l'institution judiciaire

Pour le ministère de la justice, les relations instaurées entre les juges professionnels, les personnels des greffes et les juges de proximité sont « bonnes, voire excellentes », ce qu'ont confirmé les représentantes de l'Association nationale des juges de proximité.

Reconnaissant qu'ils s'étaient « adaptés aux circonstances », les représentants de l'Association nationale des juges d'instance , pour leur part, ont porté une appréciation mitigée sur cette réforme . Ils ont rappelé leur position de principe, jugeant la création des juridictions de proximité inutile, coûteuse et complexe pour le justiciable compte tenu de la nouvelle répartition des compétences entre le tribunal d'instance et la juridiction de proximité. L'arrivée des juges de proximité leur est apparue déconnectée des besoins réels des juridictions, « brouillant ainsi l'image du tribunal d'instance ». Ils ont considéré qu'un recours accru à la conciliation aurait constitué un meilleur moyen pour régler les petits litiges de la vie quotidienne. Ils ont regretté que l'instauration des juridictions de proximité ait conduit à judiciariser des affaires auparavant traitées de manière satisfaisante en dehors du circuit judiciaire, « l'offre ayant nourri la demande ».

Ces représentants ont ajouté que l'arrivée des juges de proximité avait alourdi la charge de travail des tribunaux d'instance. Ainsi, une grande partie de la formation des juges de proximité a été en pratique assumée par les juges d'instance fortement sollicités par des juges novices. En outre, la mise en place de ce nouvel échelon de première instance a généré un surcroît de travail, pour les secrétariats greffes communs aux tribunaux d'instance et aux juridictions de proximité. Le ministère de la justice a reconnu la faiblesse des moyens supplémentaires alloués aux greffes, 17 postes de greffiers supplémentaires ayant été pourvus en mars 2006 (à la fois pour la mise en place de cette réforme et pour compenser les tâches nouvelles liées à la mise en oeuvre de la loi Borloo). Pour 2007, ces moyens humains devraient être renforcés.

Les représentants des juges d'instance ont par ailleurs porté une appréciation critique sur la qualité des jugements des juges de proximité en matière civile . Ils ont signalé que les décisions n'étaient pas toujours exécutables ou encore que ce juge omettait parfois de statuer ou ne parvenait pas toujours à rédiger correctement ses jugements. Ils ont relevé l'impuissance du juge d'instance, souvent saisi de ces difficultés par les justiciables, mais impuissants à l'égard de décisions insusceptibles d'appel 92 ( * ) . Ils ont souhaité une réforme afin de permettre aux juges d'instance de rectifier le jugement d'un juge de proximité bien que cela puisse conduire à alourdir la charge de travail des juges d'instance.

En revanche, la qualité des décisions rendues en matière pénale ne semble pas contraster avec celle des jugements des tribunaux de police. La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu son premier arrêt à l'encontre d'une décision d'un juge de proximité le 17 février 2004. Depuis lors, seules 8 décisions sur 187 pourvois en cassation ont fait l'objet d'une censure. Comme l'a indiqué la Cour de cassation dans une communication publiée à la fin de l'année 2005, « à la lecture des décisions, on observe que les motifs de cassation sont rigoureusement identiques à ceux qui fondaient, jusqu'à présent, la censure des décisions rendues par les juges de police. (...). Les décisions des juges de proximité qui ont été jusqu'à présent soumises à l'examen de la chambre criminelle ne présentent pas de particularités par rapport à celles qui étaient jusqu'alors rendues par des magistrats professionnels ». Les représentants de l'Association nationale des juges d'instance ont évoqué quelques situations dans lesquelles le juge de proximité n'était pas parvenu à diriger son audience de police, faute d'une autorité suffisante.

Au demeurant, comme le souligne le rapport Charvet, « les difficultés que rencontrent les juges de proximité, notamment lorsque sont soulevées des exceptions de procédure ou en raison de l'évolution des procédés techniques de constatation des infractions entraînant de nouvelles modalités de contestation ne doivent pas être sous-estimées. » Ces considérations ont d'ailleurs conduit le groupe de travail sur la justice de proximité à demander un accroissement du temps de la formation consacrée aux fonctions pénales.

- Des améliorations attendues

Actuellement, la formation des juges de proximité prévoit un stage théorique de cinq jours à l'ENM, suivi -suivant que le candidat aux fonctions doit ou non accomplir un stage probatoire- soit d'un stage de formation préalable de seize jours en juridiction soit d'un stage probatoire de vingt-quatre jours en juridiction.

Dès l'entrée en fonction des premiers juges de proximité, il est apparu nécessaire de renforcer leur formation initiale, jugée insuffisante tant par les intéressés que par le groupe de travail sur les juridictions de proximité . L'extension des compétences en 2005 et les difficultés de recrutement n'ont fait qu'accroître cet impératif.

Soucieux d'améliorer la qualité du service rendu aux justiciables, le ministère de la justice a donc annoncé la publication, avant la fin de l'année, d'un projet de décret, inspiré des propositions du groupe de travail. Ce texte prévoit notamment l' allongement de la durée du stage théorique à l'ENM en vue de renforcer les enseignements techniques.

Les grandes lignes de la réforme de la formation initiale envisagée

SYSTÈME ACTUEL

NOUVEAU SYSTÈME

Stage préalable ou probatoire

Stage obligatoire sauf décision contraire du CSM

Formation initiale à l'ENM
5 jours + 1 jour à Paris

Formation initiale à l'ENM
12 jours

Stage préalable
formation initiale en juridiction
16 jours en 8 semaines

Stage préalable
formation initiale en juridiction 25 jours en 6 mois

Stage probatoire
formation initiale en juridiction : 24 jours en 12 semaines

Stage probatoire
formation initiale en juridiction 25 ou 35 jours en 6 mois suivant la décision du CSM

Source : Association nationale des juges de proximité

Les représentantes de l'Association nationale des juges d'instance se sont réjouies de cette avancée de nature à permettre aux juges de proximité d'approfondir leurs connaissances juridiques et de se sentir plus à l'aise dans l'exercice de leurs fonctions, notamment s'agissant de la rédaction des jugements. Elles n'ont cependant pas caché que ce nouveau dispositif risquait de décourager des candidatures, un temps plus long de formation paraissant difficilement conciliable avec l'exercice concomitant d'une activité professionnelle, souvent libérale.

En 2004, 185 juges de proximité ont suivi un stage de formation continue à l'ENM, contre 350 en mars 2005, 405 en juillet 2005 et 560 en septembre 2006. Pour 2007, 517 places devraient être offertes. Il n'en demeure pas moins, comme l'a indiqué l'ENM à votre rapporteur pour avis, qu'un certain nombre de juges de proximité n'ont toujours pas suivi de stage de formation continue en l'absence d'obligation en termes de rythme et de calendrier et bien que des sessions soient organisées tant à l'ENM qu'au niveau déconcentré des cours d'appel. Un dispositif plus contraignant en matière de formation continue consistant en 5 jours par an pendant 7 ans obligatoires pour les trois premières années -au lieu de 10 jours obligatoires au cours des 7 ans d'exercice- devrait donc également être proposé.

En outre, le ministère de la justice a annoncé la publication d'un décret -avant la fin de cette année- afin de permettre le remboursement des frais de déplacement entre le domicile du juge de proximité et sa juridiction d'affectation .

Comme l'ont mis en avant les représentantes de l'Association nationale des juges de proximité, l'interdiction faite aux juges de proximité issus de certaines professions juridiques et judicaires (avocats, notaires et huissiers en activité ou ayant cessé leur activité depuis moins de cinq ans) d'exercer leur fonction dans le tribunal dans le ressort duquel est situé leur domicile professionnel peut constituer une très lourde charge financière , notamment en province. L'absence de remboursement des frais de déplacement constitue une difficulté majeure pour les juges de proximité en décourageant les candidatures et en provoquant une grande lassitude chez les juges de proximité en exercice, particulièrement les plus anciens.

* 83 Article L. 231-1 du code de l'organisation judiciaire.

* 84 Loi organique n° 2003-153 du 26 février 2003 relative aux juges de proximité, complétée par le décret en Conseil d'Etat n° 2003-438 du 15 mai 2003 et l'arrêté du même jour.

* 85 Loi n° 2005-47 du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, complétée par deux décrets du 13 mai et du 25 mars 2005.

* 86 Composé de magistrats professionnels, de juges de proximité et de greffiers en chef et présidé par deux hauts magistrats : M. Dominique Charvet, premier président de la cour d'appel de Bastia et M. Jean-Claude Vuillemin, procureur général près la cour d'appel de Grenoble.

* 87 Rapport de l'inspection générale des services judicaires - octobre 2006 - page 29.

* 88 Qui ne peut recevoir plus de 150 stagiaires par session.

* 89 2 en 2004 et 8 en 2005.

* 90 Page 31.

* 91 L'année dernière, le ministère de la justice avait annoncé un projet de loi prévoyant l'extension de la loi de janvier 2005 à ces collectivités. Ce texte n'a pu être publié en raison des modifications qui ont dû être apportées à la suite de la refonte du code de l'organisation judicaire (nouvelle répartition des dispositions législatives et réglementaires). Un nouveau projet de texte a été soumis au ministère de l'outre-mer.

* 92 Article L. 231-3 du code de l'organisation judiciaire.

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