2. Une difficile maîtrise des frais de justice

a) Une hausse exponentielle des frais de justic e pris en charge par le budget du ministère de la justice

Les frais de justice qui recouvrent toutes les dépenses occasionnées par une procédure civile, pénale ou administrative 34 ( * ) connaissent une hausse exponentielle de 40 % en deux ans. Cette évolution témoigne des difficultés du ministère de la justice à maîtriser ce poste budgétaire.

Afin de juguler la progression très rapide des crédits (10 % en moyenne entre 1989 et 1998), des initiatives - sensibilisation des juridictions, suivi des dépenses - ont été engagées en 1996. Celles-ci ont porté leurs fruits, les dépenses ayant respecté la limite des crédits ouverts en loi de finances initiale.

L'année 2002, caractérisée par une accélération de la dépense , a rompu avec cette évolution. En 2003, l'abondement de près de 30 millions d'euros voté en loi de finances rectificative n'a pas permis de couvrir la dépense annuelle. En 2004, le ministère de la justice évalue la dépense à 411 millions d'euros, soit un dépassement de près de 73 millions d'euros. Le graphique ci-après retrace cette tendance à la hausse des frais de justice.

ÉVOLUTION DE LA DÉPENSE DES FRAIS DE JUSTICE
1998-2004

En millions d'euros

Source : ministère de la justice

La dotation budgétaire prévue par le projet de loi de finances pour 2005 s'élève à 358 millions d'euros (y compris les crédits inscrits sur le chapitre des expérimentations). Les mesures nouvelles d'un montant de 20 millions d'euros se répartissent en un ajustement de crédits destiné à tenir compte de l'évolution des dépenses en matière pénale (9,2 millions d'euros) et en matière civile (10,16 millions d'euros) et une enveloppe pour financer l'accès des sourds et des malentendants à la justice par la prise en charge des frais d'interprétariat (0,64 million d'euros).

D'un montant de 251,5 millions d'euros en 2003 contre 172 millions d'euros en 1998, les frais pénaux, plus gros poste de dépenses (74 %), progressent de 46,5 %. 70 % de cette hausse est imputable à deux blocs de dépenses : les frais criminels d'expertises médicales (par exemple génétiques) et les frais d'expertises sur la téléphonie mobile. Les frais engagés dans le domaine civil d'un montant de 50,5 millions d'euros affichent une augmentation, moins forte mais néanmoins soutenue, de près de 18 %.

Trois autres domaines accusent une hausse très nette :

- les dépenses d'interprètes et de traduction dont l'augmentation très importante (30 %) s'explique par le nombre croissant de procédures impliquant des étrangers surtout originaires de l'Europe de l'Est ;

- les dépenses d'expertises non tarifées (18 %) dont la croissance est due en partie à l'imputation par certaines juridictions des expertises d'empreintes génétiques (qui ne sont pas tarifées) ;

- les dépenses de gardiennage des scellés (16 %).

Le contexte est actuellement peu favorable à une réduction des frais de justice, la société attendant de la justice qu'elle mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour la manifestation de la vérité.

Les causes de l'accroissement global des frais de justice sont doubles.

En premier lieu, plusieurs réformes successives en matière pénale ont imposé des procédures qui génèrent des frais de justice et induit des dépenses nouvelles. On peut citer par exemple :

- la loi du 15 juin 2000 précitée qui a engendré des charges nouvelles liées aux indemnités versées aux jurés d'assises siégeant en appel ou encore aux frais d'expertise psychologique ou d'enquête de personnalité correspondant aux mesures d'investigation sur les conséquences de l'infraction pour les victimes ;

- la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure qui a étendu les données recensées dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (article 29) ; celui-ci contenait seulement 2.824 empreintes en 2002 contre 22.640 au 31 août 2004 et devrait s'enrichir de près de 10.000 profils supplémentaires ;

- la loi n° 2003-87 du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants dont le décret d'application a été publié le 1 er avril 2003  qui a entraîné un volume de consultations médicales supplémentaires estimé à 25.000 ;

- la loi du 9 mars 2004 précitée qui ne comprend pas moins de onze mesures nouvelles susceptibles d'avoir un impact sur les frais de justice (frais de location de camion, d'entrepôts pour les opérations d'infiltration, frais d'écoutes téléphoniques dans les nouvelles d'hypothèses d'intervention du juge des libertés et de la détention et du procureur de la République dans le cadre des enquêtes de flagrance, possibilité de prise en charge des frais de déplacement des victimes au cours de l'enquête...).

En second lieu, la sophistication des techniques d'enquête et d'établissement de la preuve renchérit le coût des recherches, par exemple en matière d'empreintes génétiques, et des réquisitions, par exemple dans le domaine de la téléphonie mobile. En progression de 56,5 % par rapport à 2003, ce dernier poste qui couvre les réquisitions adressées aux opérateurs ainsi que les loueurs de matériel d'écoute, a atteint 74,5 millions d'euros en 2004, soit 26 % de la dépense globale des frais de justice. Cette progression s'explique par le recours de plus en plus fréquent aux interceptions sur le réseau mobile pratiquées par les opérateurs en grand nombre et dans des délais très brefs (un mois). On en dénombrait 10.500 en 2003 contre 3.024 en 2001. Au surplus, il est parfois difficile de porter un jugement sur les tarifs pratiqués, faute de connaître les coûts réels des recherches effectuées.

En outre, le garde des sceaux a relevé lors de la présentation du budget 2005 le 22 septembre dernier les lacunes du circuit de décision « qui ne permet pas un réel suivi des dépenses ». Il a en effet indiqué qu'il n'était pas rare de voir des prestations payées deux fois ou des factures honorées pour des prestations inutiles pour la procédure (mise en fourrière ou apposition des scellés).

b) Les initiatives engagées par le ministère de la justice pour 2005 pour remédier à cette situation

Le dispositif actuel, qui permet aux magistrats de prescrire librement des procédures sans considération des coûts avait été conçu dans le souci d'être opérationnel et rapide. Il atteint aujourd'hui ses limites. Si l'accroissement de certaines dépenses est automatique 35 ( * ) , il existe néanmoins des marges de manoeuvre réelles pour mieux appréhender et maîtriser les coûts.

En sus des mesures strictement budgétaires, le ministère de la justice a décidé d'engager un plan d'action pour réaliser des économies tout en préservant la liberté de prescription des magistrats . Il comporte trois volets :

- une plus grande sensibilisation des magistrats prescripteurs à la nécessaire maîtrise des frais de justice . Le ministère de la justice a en effet indiqué à votre rapporteur pour avis que la formation initiale et la formation continue des magistrats n'abordaient que très succinctement le sujet des frais de justice. En outre, il apparaît que les magistrats prescripteurs ignorent l'impact financier des mesures qu'ils ordonnent ;

- une gestion plus rigoureuse des frais de justice . Une rationalisation du circuit de la dépense ainsi qu'une meilleure organisation de la chaîne de la commande sont à l'étude notamment en vue de mettre en place une comptabilité des engagements aujourd'hui inexistante. Un suivi de la dépense paraît également indispensable ;

- la fixation ou la négociation de tarifs acceptables en matière de téléphonie mobile et d'expertise, ainsi que la mise en concurrence des prestataires . Le ministère de la justice envisage de mettre en place une tarification des analyses génétiques standard, dont le coût unitaire qui lui est facturé se révèle beaucoup trop élevé par rapport au coût de revient estimé. Par ailleurs, une négociation est en cours avec les loueurs de matériel d'interception et les différents opérateurs téléphoniques. A l'instar des dépenses de santé, il s'agit de définir des « références opposables ».

En outre, le garde des sceaux lors de son audition devant votre commission a estimé que le transfert des charges vers les ministères prescripteurs (intérieur et défense), à un moment envisagé, risquait de porter atteinte à l'autorité des magistrats du parquet sur les officiers de police judiciaire.

Votre rapporteur pour avis se félicite de ces initiatives qui s'efforcent de préserver le dispositif actuel en l'adaptant . En effet, les justiciables admettraient difficilement que la justice se prive de techniques d'investigation désormais incontournables pour la résolution des enquêtes, notamment criminelles. Le ministère de la justice fait la preuve de sa volonté de rechercher une gestion optimale des crédits.

c) Les inquiétudes liées au caractère limitatif des frais de justice prévu par la LOLF

Les obligations nouvelles résultant de la loi organique relative aux lois de finances, qui confère un caractère limitatif aux frais de justice, à compter de 2006 suscitent l'inquiétude de l'ensemble des acteurs de l'institution judiciaire (organisations représentatives des magistrats professionnels, syndicats des fonctionnaires des greffes, la plupart des chefs de cours et principaux représentants de la profession d'avocat). Ceux-ci craignent en effet de devoir renoncer à des procédures d'investigation pourtant indispensables, faute de crédits suffisants et, partant, d'amplifier l'incompréhension des citoyens à l'égard de la justice qui pourrait être soupçonnée d'inertie.

Dans le cadre de l'expérimentation de la globalisation des crédits menée à la cour d'appel de Lyon et par anticipation sur l'entrée en vigueur de la LOLF, l'enveloppe consacrée aux frais de justice d'un montant de 15,4 millions d'euros a perdu son caractère évaluatif .

Ainsi, cette cour s'est trouvée confrontée à des changements importants dans la consommation et la gestion de ses frais de justice.

En mars 2004, les crédits de frais de justice ont, pour la première fois, emprunté les circuits financiers de droit commun : comptabilité des engagements, ordonnancement et mandatements. Au 31 août 2004, le volume des paiements atteignait 9,2 millions d'euros pour tout le ressort. En outre, le ministère de la justice a salué la mobilisation des acteurs locaux pour assurer le suivi très précis de la dépense, identifier les difficultés pratiques et trouver des solutions pour y remédier.

M. Michel Cramet, coordonnateur au SAR de Lyon, a indiqué à votre rapporteur pour avis que la difficulté majeure du passage des frais de justice sous crédits limitatifs résidait dans l'impossibilité d'analyser ce poste budgétaire, faute d'un suivi prévisionnel des dépenses engagées. Il a expliqué qu'une application intranet alimentée par les magistrats avait été mise en place destinée à retracer l'évolution des engagements juridiques en temps réel.

En outre, M. Michel Cramet a indiqué à votre rapporteur qu'afin de responsabiliser les gestionnaires des juridictions du ressort sur l'objectif de maîtrise de cette dépense, il avait été décidé de mettre en place un système de « bonus-malus » selon les efforts de maîtrise consentis qui devrait être mis en oeuvre l'année prochaine. Ainsi, les juridictions qui parviendront à juguler la hausse des frais de justice pourrront être récompensées par un abondement de leur crédit de fonctionnement dans la limite de 1,7 % de cette enveloppe. A l'inverse, celles qui n'y seront pas parvenues seront pénalisées et se verront appliquer un malus, les crédits de fonctionnement devant être prélevés dans la limite de 1,7 % au profit des dépenses au titre des frais de justice.

Il est encore trop tôt pour tirer le bilan de la première année de l'expérimentation menée à la cour d'appel de Lyon. On ne peut néanmoins que se réjouir des initiatives engagées qui paraissent encourageantes et traduisent une réelle prise de conscience de la nécessité de limiter l'évolution exponentielle de ce poste budgétaire.

Le dispositif expérimental mis en place à Lyon doit être étendu à huit nouvelles cours d'appel (Angers, Basse-Terre, Bordeaux, Colmar, Metz, Nîmes, Pau et Versailles). Le projet de loi de finances pour 2005 prévoit à cet effet une dotation globalisée en matière de frais de justice d'un montant de 89,7 millions d'euros. En 2006, le caractère évaluatif des frais de justice de l'ensemble des cours d'appel sera supprimé.

L'approche pragmatique du ministère de la justice qui s'efforce d'anticiper les changements induits par la LOLF par le biais des expérimentations mérite d'être saluée.

En outre, afin d'apaiser la craintes et d'éviter des difficultés de fonctionnement dans les juridictions, le ministère de la justice a prévu de conserver une réserve de crédits pour faire face à de nouvelles dépenses (dépassements de crédits en raison d'affaires exceptionnelles) lorsque l'enveloppe initialement allouée est consommée. Ce système a permis à la cour d'appel de Lyon de financer ses frais de justice. Celle-ci a en effet reçu une dotation initiale d'un montant de 12,3 millions d'euros, une réserve d'aléas de 3 millions d'euros ayant été conservée par l'administration centrale (20 % de la dotation totale). Cette précaution paraît tout à fait judicieuse et témoigne du souci du ministère de la justice de rechercher les moyens de mettre en oeuvre le nouveau cadre budgétaire avec pragmatisme.

* 34 Les principales catégories de frais de justice distinguées par la nomenclature budgétaire sont les réquisitions aux opérateurs de télécommunication, les examens médicaux et expertise, les frais de fourrière, les frais d'huissier, les frais d'enquête, de contrôle judiciaire et de médiation, les frais postaux et les indemnités versées aux jurés.

* 35 Par exemple la revalorisation tarifaire de la consultation par un médecin généraliste engendre automatiquement un surcroît de dépense, de même que la majoration des tarifs d'affranchissement.

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