F. LES ÉTABLISSEMENTS

Dans son précédent rapport sur les crédits de l'administration pénitentiaire, votre rapporteur pour avis avait regretté le manque de lisibilité des actions annoncées en matière de construction d'établissements pénitentiaires. A cet égard, le présent projet de loi de finances marque une heureuse évolution puisqu'un projet cohérent est proposé pour l'ensemble de la législature sur le fondement de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 .

1. Les projets en cours de réalisation

Le programme « 4.000 places », en cours de réalisation, prévoit la construction de six établissements : une maison d'arrêt à Seysses (Haute-Garonne), un centre pénitentiaire au Pontet (Vaucluse), une maison d'arrêt à Séquedin (Nord), un centre pénitentiaire à Liancourt (Oise), une maison d'arrêt à La Farlède (Var) et une maison d'arrêt à Chauconin-Neufmontiers (Seine-et-Marne).

La maison d'arrêt de Seysses devrait être mise en service en janvier 2003 et le centre pénitentiaire du Pontet en mars 2003.

La mise en service des quatre autres établissements devrait s'étaler entre le 4 ème trimestre 2003 et le 2 ème trimestre 2005.

Un autre programme a été décidé (programme « 1800 places »), qui prévoit la construction de maisons d'arrêt à Saint-Denis de la Réunion , Lyon et Nice .

2. Le nouveau programme de construction prévu par la loi d'orientation et de programmation pour la justice

La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 prévoit la mise en oeuvre d'un programme de construction d'établissements pénitentiaires, qui comportera 11.000 places, dont 7.000 consacrées à l'augmentation de la capacité du parc et 4.000 en remplacement de places obsolètes.

Dès le 21 novembre 2002, le détail du programme pénitentiaire a été présenté par le garde des sceaux.

En pratique, 13.200 places devraient être construites au cours des prochaines années , si l'on ajoute aux 11.000 places prévues par la loi d'orientation et de programmation les 1.800 places prévues par le précédent Gouvernement mais dont la construction n'a pas encore commencé et les 400 places que contiendront les futurs établissements réservés aux mineurs.

Ce programme devrait permettre de remédier à la surpopulation carcérale et de rééquilibrer la carte pénitentiaire.

a) Les caractéristiques des futurs établissements

Le Gouvernement souhaite que les futurs établissements pénitentiaires soient plus sûrs, plus humains et mieux équipés.

- Afin de renforcer la sécurité , les nouveaux établissements bénéficieront de dispositifs de sûreté intérieure complémentaires et d'une protection périmétrique (double enceinte délimitant un chemin de ronde surveillée en permanence par des miradors).

En outre, de nouvelles technologies seront mises en place : brouillage des téléphones portables, développement des tunnels à rayons X, mise en place de systèmes d'alarme performants et généralisation des appareils de reconnaissance par biométrie.

Les maisons centrales seront dotées de dispositifs renforcés de sécurité passive (dispositifs anti-évasions, dispositifs anti-intrusion) et active (dispositifs de surveillance et d'intervention). Une étanchéité forte sera établie entre les différents quartiers pour contenir et réduire l'ampleur des phénomènes collectifs.

- Pour améliorer les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires , les futurs établissements devraient comporter 400 à 600 places et être divisés en unités de 200 places au maximum.

Afin d'améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires, un soin particulier sera apporté à l'ergonomie des postes de travail (locaux de surveillance et miradors), aux espaces de réunion ainsi qu'au développement d'activités sociales.

Pour les personnes détenues, la priorité est donnée à la qualité de vie et à l'hygiène. Des aménagements particuliers à l'intérieur de la prison seront prévus : lieux de vie en commun pour préparer à une meilleure réinsertion, facilités d'accès et d'information des familles de détenus.

- Des équipements spécifiques seront prévus : des cellules pour personnes handicapées seront équipées de sanitaires et de mobiliers adaptés. Des cellules aménagées permettront l'accueil des mères et des enfants dans des conditions plus satisfaisantes : des salles de jeux pour les enfants, un espace extérieur spécifique et un accès aisé sur la cour de promenade seront mis en place.

Afin de préciser encore les caractéristiques des futurs établissements, le garde des sceaux et le secrétaire d'Etat chargé des programmes immobiliers de la justice ont confié à M. René Eladari, ingénieur général honoraire des Ponts et Chaussées, la mission de réfléchir et de faire des propositions sur la conception des nouveaux établissements pénitentiaires.

Votre rapporteur pour avis souhaite souligner l'importance particulière des études préalables à la construction d'établissements pénitentiaires. Certains établissements récents, tels que le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly ou la maison d'arrêt de Luynes, souffrent de défauts de conception évidents qui nuisent à leur bon fonctionnement.

b) Une répartition sur l'ensemble du territoire

Le projet gouvernemental prévoit la construction de vingt établissements pénitentiaires pour adultes, qui devraient être répartis de la manière suivante 5( * ) :

Etablissements pénitentiaires pour adultes (20 établissements)

Localisation

Type

Capacité

Mont de Marsan

CP (1)

400

Agglomération de Dunkerque

CP

400

Agglomération de Lille

CP

400

Agglomération du Havre

CP

400

Agglomération de Beauvais

CP

400

Agglomération de Lyon

MA (2)

600

Rhône-Alpes 1

CP

600

Rhône-Alpes 2

CP

600

Nice

MA

600

Ajaccio

CP

300

Orléans (Ingre)

CP

600

Ile de France

CD (3)

600

Rennes

CP

600

Le Mans (Coulaines)

CP

400

Alençon

MC (4)

150

Alsace

CP

500

Nancy

CP

500

Béziers

CP

600

Agglomération de Poitiers

CP

400

A localiser

MC

150

(1) CP = centre pénitentiaire (établissement composé au minimum d'un quartier maison d'arrêt et d'un quartier pour condamnés)

(2) MA = maison d'arrêt (établissement accueillant des prévenus et des condamnés à des peines inférieures à 1 an)

(3) CD = centre de détention (établissement accueillant exclusivement des détenus condamnés à une peine d'une durée supérieure à 1 an)

(4) MC = maison centrale (établissement sécuritaire accueillant les détenus les plus dangereux).


Par ailleurs, 1.600 places seront construites outre-mer, comprenant la nouvelle maison d'arrêt de la Réunion, dont la construction a été décidée par le précédent Gouvernement, et le remplacement de la maison d'arrêt de Basse-Terre en Guadeloupe.

Enfin, 2000 places sont réservées pour la mise en place de concepts pénitentiaires nouveaux. Leur localisation sera déterminée à l'issue des missions respectivement confiées à M. Pierre Eladari (conception des nouveaux établissements pénitentiaires) et à M. Jean-Luc Warsmann, député (courtes peines d'emprisonnement).

c) Des conditions de réalisation facilitées

Les lois d'orientation et de programmation pour la justice et pour la sécurité intérieure ont prévu des dispositifs destinés à faciliter la réalisation des futurs établissements pénitentiaires :

- l'article 3 de la loi d'orientation et de programmation pour la justice a modifié la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire. Rappelons que l'article 2 de cette loi a permis de recourir au secteur privé pour la construction d'établissements pénitentiaires et la gestion de certaines tâches au sein de ces établissements. Tout en clarifiant cet article, la loi d'orientation et de programmation a élargi le champ des procédures utilisables en précisant que la convention entre l'Etat et la personne ou le groupement de personnes doit être un marché passé selon les procédures prévues par le code des marchés publics, sans en désigner aucune en particulier. Le texte ne prévoit plus l'approbation d'un cahier des charges par décret en Conseil d'Etat, ce qui pourrait permettre de gagner six à neuf mois ;

- l'article 4 de la loi d'orientation et de programmation pour la justice a pour sa part étendu la procédure d'expropriation dite « d'extrême urgence » prévue par l'article L. 15-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique aux terrains choisis pour la construction d'établissements pénitentiaires ;

- enfin, l'article 3 de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure a permis à l'Etat de financer par crédit-bail la construction des bâtiments destinés à la justice, à la police et à la gendarmerie. Ce dispositif permet de passer un marché avec un organisme financier qui assure le financement de l'ensemble de la prestation : construction et exploitation.

Le même article a autorisé l'Etat à recourir au système de la location avec option d'achat . Dans ce système, l'administration met un terrain à la disposition d'un prestataire privé sous forme d'autorisation d'occupation temporaire. Sur la base des besoins détaillés formulés dans le cahier des charges, le prestataire privé finance, réalise puis loue les établissements dont l'administration pénitentiaire a besoin. Au terme de la durée de location du bien, l'Etat peut acquérir l'établissement.

Ces différents dispositifs devraient faciliter la réalisation, dans des délais acceptables, du programme de construction d'établissements pénitentiaires.

3. Les constatations de votre commission

Dans le cadre de la préparation du présent rapport, votre rapporteur pour avis a visité la maison d'arrêt de Borgo et le centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure.

a) La maison d'arrêt de Borgo

La maison d'arrêt de Borgo, mise en service le 18 novembre 1993, est située à 17 km de Bastia. Sa capacité théorique est de 263 places. Elle comporte un quartier hommes (140 cellules), un quartier femmes (9 cellules), un quartier accueil (10 cellules), un quartier de semi-liberté (10 cellules) et un quartier mineurs (27 cellules).

Jusqu'il y a peu, la maison d'arrêt accueillait la plupart du temps un nombre de détenus très inférieur à sa capacité (112 détenus le 1 er janvier 2000 pour une capacité de 263 places). Cette situation s'est modifiée au cours de la dernière année, l'établissement ayant accueilli jusqu'à 200 détenus (175 le jour de la visite de votre rapporteur pour avis).

Cette évolution pose des difficultés sérieuses à la direction de la maison d'arrêt, dès lors que le budget d'un établissement est calculé en fonction du nombre de journées de détention au cours de l'année n-1. Ce système montre à l'évidence ses limites en cas de variation brutale du nombre de détenus.

Le 24 octobre 2002, la maison d'arrêt accueillait 103 prévenus et 76 condamnés. Parmi ces derniers, seuls 27 étaient condamnés à une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure à un an. Malgré les prescriptions de la loi interdisant l'incarcération des condamnés à de plus longues peines en maison d'arrêt, 36 détenus étaient condamnés à des peines délictuelles comprises entre un an et dix ans d'emprisonnement, 13 étaient condamnés à des peines criminelles.

La population pénale accueillie à la maison d'arrêt de Borgo n'est pas représentative de l'ensemble de la population pénale. Près de 25 % des prévenus sont poursuivis pour meurtre ou assassinat.

Au cours de sa visite, votre rapporteur pour avis a pu constater que les locaux étaient en bon état, ce qui n'est pas le cas pour l'ensemble des établissements mis en service au début des années 1990. La maison d'arrêt de Borgo est dotée d'équipements d'excellente qualité : terrain de sport, gymnase, salle de spectacles.

Elle comporte également de vastes zones d'ateliers totalement inutilisées. De la même manière, aucune activité de formation professionnelle n'était jusqu'à présent mise en oeuvre. Cette situation s'explique notamment par le fait que les détenus, plus qu'ailleurs, reçoivent un soutien financier de leurs familles qui ne les incite pas à souhaiter travailler en prison. Une formation à l'informatique vient seulement de commencer. Une formation à la cuisine devrait également être mise en place en 2003.

Les différents intervenants rencontrés par votre rapporteur pour avis ont notamment formulé les remarques suivantes :

- le nombre de cellules du quartier de semi-liberté paraît insuffisant au regard du nombre de détenus qui pourraient prétendre à cette mesure ;

- la maison d'arrêt ne dispose plus de personnel technique chargé de la cuisine, en sorte que l'élaboration des repas est confiée à un personnel de surveillance assisté de détenus, ce qui paraît pour le moins singulier ;

- l'insuffisance de la présence de psychiatres ou de psychologues ne permet pas un suivi satisfaisant des détenus souffrant de troubles psychiatriques ;

- le poste central d'information de la maison d'arrêt, qui permet la surveillance de l'établissement et la gestion de l'ouverture de certaines portes, est situé dans les locaux administratifs et non à l'entrée de la zone de détention comme c'est le cas habituellement ; une telle situation est susceptible de poser des problèmes de sécurité.

En ce qui concerne le personnel de la maison d'arrêt, l'ensemble des postes prévus à l'organigramme ne sont pas pourvus, en particulier en ce qui concerne les chefs de service pénitentiaires et les personnels administratifs, ce qui pose des difficultés sérieuses à la direction de l'établissement. Le taux d'absentéisme est élevé, particulièrement pendant l'été.

Les représentants des organisations professionnelles rencontrées par votre rapporteur pour avis ont estimé que les effectifs de la maison d'arrêt demeuraient insuffisants. Ils ont critiqué l'absence de revalorisation depuis 2000 de l'indemnité compensatrice de frais de transport prévue pour les fonctionnaires exerçant en Corse . Ils ont enfin souligné les difficultés rencontrées par les personnels dans la recherche de logements.

Le Gouvernement a récemment annoncé le transfert en Corse de certains condamnés incarcérés sur le continent. Le programme de construction d'établissements pénitentiaires prévoit la construction d'un centre pénitentiaire dans l'agglomération d'Ajaccio. Devant votre commission des Lois, M. Dominique Perben, ministre de la justice, a indiqué que, dans l'attente de la livraison du nouvel établissement, les détenus transférés seraient incarcérés soit à Borgo soit dans l'actuelle maison d'arrêt d'Ajaccio. En pratique, la maison d'arrêt de Borgo accueille déjà un nombre significatif de condamnés.

b) Le centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure

Le centre pénitentiaire de Moulins comporte une maison d'arrêt et une maison centrale. La maison d'arrêt a une capacité théorique de 154 places et la maison centrale une capacité de 168 places.

Le 1 er décembre 2002, la maison d'arrêt accueillait 203 détenus, dont 82 condamnés à des peines d'une durée supérieure à un an d'emprisonnement. La maison centrale accueillait 122 détenus, dont 22 condamnés à des peines comprises entre 20 et 30 ans de réclusion criminelle et 23 à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le centre pénitentiaire de Moulins est confronté de manière récurrente à des difficultés de personnel. Le directeur du centre pénitentiaire a pris ses fonctions en septembre dernier. Il est entouré de trois directrices adjointes, qui ont pris leurs fonctions à la même période. L'une d'entre elles, qui dirige la maison centrale, a été titularisée en septembre.

La même situation se retrouve dans les autres corps. Alors que le centre pénitentiaire compte huit postes de chef de service pénitentiaire de deuxième classe, quatre seulement sont pourvus. Lors du dernier mouvement de cette catégorie de personnel, aucune candidature n'a été enregistrée pour cet établissement. Dans ces conditions, il est très fréquent que des personnels soient affectés à Moulins dès leur sortie de l'école, alors que la maison centrale accueille une population pénale particulièrement difficile.

Une telle situation appelle sans doute une réflexion sur les moyens de valoriser l'exercice de fonctions pénitentiaires dans les établissements les plus difficiles.

Au cours de sa visite, votre rapporteur pour avis a pu constater que les moyens en personnel médical de l'unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) étaient insuffisants, notamment en ce qui concerne la psychiatrie. Le nombre de consultations dans cette discipline a en effet beaucoup augmenté au cours des dernières années. En outre, l'établissement compte de plus en plus de détenus âgés, pour lesquels des prises en charge particulières sont parfois nécessaires.

Les cuisines de l'établissement sont vétustes et mériteraient d'être refaites. En ce qui concerne l'entretien et la maintenance de l'établissement, un contrat a été passé avec une société privée. Toutefois, ce contrat ne couvre pas l'ensemble des besoins de l'établissement. Ainsi, l'unité de consultations et de soins ambulatoires de la maison centrale fait l'objet d'un nettoyage par l'entreprise extérieure mais pas l'unité de consultations et de soins ambulatoires de la maison d'arrêt !

Il convient enfin de signaler que la maison d'arrêt, mise en service en 1984, devait à l'origine accueillir un quartier de femmes qui n'a jamais été ouvert. Dans ces conditions, un bâtiment de l'établissement qui devrait être consacré à la détention sert en fait à certaines tâches administratives.

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice consacrés à l'administration pénitentiaire.

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