N° 36

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 octobre 2000

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer , par ordonnances , des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire (Urgence déclarée),

Par M. Denis BADRÉ,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin,
Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Voir les numéros :

Sénat : 473 (1999-2000), 30 , 31 , 32 et 35 (2000-2001).

Union européenne .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Le ministre des affaires étrangères a présenté un projet de loi habilitant le Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire. Cette habilitation permettrait au gouvernement de transposer tout ou partie de plus de cinquante directives et de procéder aux adaptations de la législation liées à cette transposition.

Si elle était adoptée, la loi autoriserait notamment le Gouvernement à procéder par ordonnance à la refonte du code de la mutualité rendue nécessaire par la transposition de deux directives communautaires de 1992 relatives aux assurances. Elle rendrait possible, selon la même méthode, la réforme du code de la voirie routière afin de modifier le régime d'exploitation des autoroutes et des ouvrages d'art à péage.

Selon l'exposé des motifs, le recours à la procédure des ordonnances de l'article 38 de la Constitution permettrait d'améliorer rapidement la situation de la France en matière de mise en conformité de sa législation avec le droit communautaire et d'éviter ainsi que davantage de contentieux soient portés devant la Cour de justice des communautés européennes.

L'exposé des motifs indique que, dans la mesure où il s'agit de textes pour l'essentiel techniques, ce projet de loi d'habilitation préserverait les droits du Parlement en allégeant son programme de travail.

Votre commission a tenu à se saisir pour avis des articles 1er (uniquement sur les sept directives " techniques " concernant la commission des finances), et des articles 3 et 4 du présent projet de loi.

L'article 1er ne pose pas de difficultés en ce qu'il se contente d'autoriser la transposition de directives, afin de respecter nos engagements européens.

Outre les mesures législatives nécessaires à la transposition des directives 92/49 et 92/96, l'article 3 propose d'autoriser le gouvernement à procéder, par ordonnances, à la refonte du code de la mutualité, à supprimer dans le cadre de l'assurance complémentaire la période de stage de deux ans pendant laquelle l'assureur peut modifier le contrat ou y mettre un terme, à renforcer les pouvoirs de contrôle de la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance et à créer un fonds paritaire de garantie des institutions de prévoyance.

Il y a déjà deux ans, votre commission des finances s'était intéressée à la transposition des troisièmes directives aux mutuelles régies par le code de la mutualité. A cette occasion, elle avait émis des propositions concrètes à travers le rapport remis par un groupe de travail présidé par le président de la commission des finances, M. Alain Lambert 1 ( * ) . Elle souhaitait, à l'époque, le dépôt rapide d'un projet de loi.

Votre commission s'est également saisie de l'article 4 du projet de loi qui vise à habiliter le gouvernement à prendre des ordonnances dans les domaines suivants :

- suppression de la garantie de reprise de passif accordée par l'Etat aux sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) et prorogation des durées des conventions de concessions conclues entre l'Etat et certaines sociétés concessionnaires ;

- modification des diverses dispositions relatives aux péages pouvant être institués pour l'usage des autoroutes et des ouvrages d'art.

En constituant une commission d'enquête sur les transports en 1998, le Sénat avait préparé le débat en amont. De même que votre commission des finances au sujet des assurances, cette commission d'enquête avait fait des propositions concrètes en matière de financement routier, et souhaitait notamment la transposition rapide des directives relatives au système autoroutier 2 ( * ) . Le Sénat a poursuivi ses investigations par l'intermédiaire d'un groupe de travail sur le financement des infrastructures de transport au sein de votre commission. A l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2000, le ministre de l'équipement, des transports et du logement avait annoncé devant votre commission un projet de loi sur le sujet. Celle-ci s'est naturellement saisie de cet article.

Après examen des articles 3 et 4 du présent projet de loi, votre commission s'interroge sur les motivations qui ont conduit le gouvernement à proposer de prendre des mesures aussi importantes par voie d'ordonnances.

Il est vrai que l'exposé des motifs du projet de loi d'habilitation néglige complètement l'importance des sujets traités : " En l'espèce, l'habilitation demandée au Parlement est définie de manière précise, limitée dans le temps et porte principalement sur des directives de nature essentiellement technique " indique-t-il. Il ajoute, fort mal à propos, " on note enfin que l'habilitation n'est pas demandée pour des directives dont l'objet et la portée politiques justifient un débat par la représentation nationale ".

Considérer que le financement du système autoroutier ou que la refonte du code de la mutualité ne justifie pas de débat par la représentation nationale est pour le moins surprenant.

En outre, ce projet de loi véhicule une conception erronée et dangereuse de la construction européenne. En effet, il présente l'Europe non seulement comme celle qui sanctionne notre pays, mais également comme celle qui nous oblige à " mal légiférer " : pour mettre un terme aux procédures d'astreinte présentes ou à venir engagées par la commission européenne, le Parlement devrait se dessaisir de ses pouvoirs constitutionnels d'examen et de vote de la loi au profit du gouvernement. Or, sur les deux sujets dont votre commission a décidé de se saisir, il est très paradoxal de dessaisir le Sénat de ses pouvoirs alors même qu'il réclame depuis plusieurs années une transposition des directives dont il s'agit, et une réforme des secteurs considérés. Le gouvernement se prévaut donc d'un retard dont il est seul responsable.

Comment défendre l'idée de l'Europe des citoyens auprès des Français s'il revient au gouvernement le soin de négocier les directives puis de les transposer dans le droit interne ? Il apparaît au contraire indispensable que les citoyens, à travers la représentation nationale, puissent se prononcer sur la construction européenne à travers l'examen des directives élaborées par la Commission européenne.

Enfin, l'argument de l'urgence brandi par le gouvernement pour faire accepter ce projet de loi au Parlement n'est pas acceptable.

Le choix de légiférer par ordonnance aurait été contraint par la surcharge du calendrier parlementaire et la nécessité de légiférer rapidement. Mais le gouvernement est maître de l'ordre du jour du Parlement et il lui appartient entièrement de définir ses priorités et par conséquent d'inscrire en urgence les textes législatifs dont l'adoption lui paraît indispensable. D'ailleurs, il aurait eu toute liberté pour présenter un projet de loi transposant les directives 92/49 et 92/96 sur les assurances qui datent de 1992. Dans d'autres domaines, le gouvernement n'hésite pas à utiliser l'urgence. De surcroît, la procédure choisie ne devrait pas être si rapide puisque le gouvernement disposerait d'un délai de 6 mois pour prendre les ordonnances.

Votre rapporteur a plutôt le sentiment que l'obligation de transposition sert de prétexte au gouvernement pour introduire dans notre droit interne des dispositions qui n'ont aucun rapport avec la transposition de directives.

Pour toutes ces raisons, votre commission vous proposera de rejeter les articles 3 et 4 du présent projet de loi.

Elle vous proposera en revanche de donner un avis favorable aux dispositions de l'article 1er, pour les seules directives touchant aux compétences de la commission des finances, et sous réserve de l'avis des autres commissions.

* 1 Alain Lambert : Assurons l'avenir de l'assurance, rapport d'information sur la situation et les perspectives du secteur des assurances en France, n ° 45, 1998-1999, pages 91 à 94.

* 2 Gérard Larcher " Fleuve, rail, route : pour des choix nationaux ouverts sur l'Europe " Rapport n°479, session ordinaire de 1997-1998.

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