C. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION SUR LA TRANSPOSITION PAR ORDONNANCES DE LA DIRECTIVE 97/67

Les dispositions législatives qu'il est proposé d'adopter par voie d'ordonnance complètent la transposition partielle de la directive de 1997 opérée par l'article 19 (article 15 bis du projet de loi) de la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.

1. Des dispositions qui pourraient, sans réel inconvénient technique, sortir du champ de l'habilitation

D'après les informations communiquées par le Gouvernement, les dispositions envisagées sont de portée essentiellement technique. Il s'agit en particulier :

- de fixer une procédure d'autorisation par le ministre chargé des postes des activités nouvellement ouvertes à la concurrence en 1999 (envois de correspondance faisant partie du service universel mais hors services réservés -entre 351 et 2000 grammes-, envois à valeur déclarée et envois recommandés). Cette procédure d'autorisation n'est qu'une option prévue par la directive, qui n'oblige en aucun cas les Etats membres à la mettre en oeuvre ;

- de renforcer les moyens juridiques permettant notamment d'assurer le respect du monopole de La Poste sur les services réservés (recueil d'informations auprès des opérateurs, pouvoirs d'enquêtes, sanctions pénales). Ces dispositions ne relèvent pas à strictement parler de la transposition de la directive. Elles sont plutôt une adaptation (nécessaire, le rapport précité " Sauver La Poste " le disait déjà, en 1997) du cadre législatif actuel, inadapté depuis de longues années.

La question du renforcement des moyens de contrôle du respect du monopole postal se pose en effet depuis longtemps et n'est pas exclusivement liée à l'ouverture partielle à la concurrence introduite en droit national en 1999.

Votre commission estime donc que ces dispositions pourraient sans inconvénient trouver leur place dans le projet de loi d'orientation postale dont elle souhaite (depuis trois ans) la discussion prochaine.

En définitive, le texte envisagé par le Gouvernement porte d'une part sur une disposition optionnelle de la directive et d'autre part sur l'adaptation -certes utile- d'un droit ancien dont l'absence, y compris depuis l'ouverture partielle à la concurrence il y a deux ans, n'a pas gêné La Poste.

Le coeur du dispositif de la directive du 15 décembre 1997 -et notamment le champ des services réservés à La Poste- a déjà été transposé en 1999.

2. Une méthode du Gouvernement qui révèle une grave sous-estimation des enjeux postaux et un réel mépris du Parlement

Sur le fond , votre commission rappelle que son rapport d'information de 1999, adopté conjointement avec le groupe d'études sur la poste, préconisait l'instauration d'une autorité indépendante pour la réglementation du secteur postal, compétente sur le secteur du courrier.

Au-delà de la question de principe des modalités de la régulation des services publics de réseau, c'est aussi la nécessité d'une symétrie de traitement des services publics qui incite votre rapporteur à renouveler une telle recommandation. Il est, au moins, important qu'il en soit débattu.

Sur la forme, votre commission désapprouve totalement la méthode de transposition employée par le Gouvernement.

Malgré ses déclarations, le Gouvernement escamote le débat public sur les questions postales en " saucissonnant " la directive de 1997, en en insérant un premier " bout " par cavalier législatif et en transcrivant le reliquat par ordonnance.

C'est, nous dit-on, pour gagner du temps, pour aller vite, pour ne pas être les " mauvais élèves " de la classe communautaire.

C'est uniquement à cette fin, laisse-t-on entendre, que l'urgence est déclarée sur ce projet de loi.

Ce scénario n'est pas neuf, il devient même systématique s'agissant des questions qui fâchent au sein de la majorité plurielle.

C'est celui de " l'urgence lente ", déjà dénoncé au Sénat, par la voix de notre collègue Henri Revol pour la transposition de la directive " électricité ", ou encore par nos collègues Philippe Marini, Pierre Hérisson et Gérard Larcher pour les nouvelles régulations économiques.

Scénario dont tout porte à craindre qu'il pourrait se reproduire pour le gaz.

" L'urgence lente " du Gouvernement Jospin : voici un terme qui mérite désormais toute sa place au royaume des oxymores, compte-tenu de l'utilisation répétée qui en est faite, à côté du " soleil noir " de Gérard de Nerval ou des " affreuses douceurs " de Charles Baudelaire.

Car cette méthode s'industrialise : elle devient systématique.

Le Gouvernement laisse s'accumuler les retards puis, une fois que lettres de mise en demeure et autres avertissements communautaires arrivent, il en prend prétexte pour faire l'impasse sur le débat parlementaire. Le Parlement serait-il tenté de s'en offusquer ? Comme il est facile alors de l'accuser de vouloir retarder la transposition du droit européen, et de lui demander de continuer à se taire !

Ainsi la directive " électricité ", adoptée en décembre 1996, à l'élaboration de laquelle la France a pris une large part, entrée en vigueur en février 1997, n'a-t-elle fait l'objet du dépôt d'un projet de loi que le 9 décembre 1998 ( deux ans après son adoption ). Discuté en urgence, bien évidemment, ce texte n'a pourtant été examiné à l'Assemblée nationale que le 23 mars 1999. C'est alors que le Gouvernement a jugé bon d'attendre encore huit mois pour l'inscrire à l'ordre du jour du Sénat, le 5 octobre 1999.

Délai que rien ne semble pouvoir justifier (sauf peut être la proximité des élections européennes, au printemps 1999 ?) et que le Sénat a d'autant plus dénoncé qu'après des mois d'atermoiements, le calendrier des dernières phases de la discussion législative fut fixé de telle sorte que votre commission ne put disposer en pratique que de quelques heures (!) pour l'examen de ce texte en nouvelle lecture.

Finalement, la loi fut promulguée le 10 février 2000, soit plus de trois ans après l'adoption de la directive, sans que ce retard ne soit en aucune sorte imputable à une quelconque mauvaise volonté parlementaire.

Il y a fort à craindre que la directive " gaz " ne soit transposée -si elle l'est un jour, et il faudra bien qu'elle le soit- dans des conditions de travail parlementaire tout aussi déplorables.

Si elle se généralise, la méthode de " l'urgence lente " se perfectionne également.

Elle donne lieu à des variantes de plus en plus sophistiquées. Avec le projet de loi actuel, elle " avance " encore d'un cran -ou plutôt elle rétrograde encore d'un échelon le caractère démocratique du débat-. Ce n'est plus sur des dispositions précises que le Parlement est appelé à se prononcer de toute urgence après des années d'attentisme, mais sur le principe d'un blanc seing donné au Gouvernement.

Une telle méthode est-elle conforme à l'esprit de notre Constitution, dont l'article 2 dispose que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants -le Parlement- et par la voie du référendum ?

Une telle méthode est-elle cohérente avec la déclaration solennelle du Premier ministre le 19 juin 1997, qui disait, dans sa déclaration de politique générale, " ne plus vouloir de ce jeu de défausse qui a trop souvent consisté à se décharger sur l'Europe de tâches qui auraient du être assumées dans le cadre national, à imputer à l'Union européenne des défaillances qui procédaient souvent de nos propres insuffisances " ?

Est-elle conforme au souhait maintes fois réaffirmé de rénover le rôle du Parlement ?

La réponse à toutes ces questions est malheureusement évidente.

Votre commission récuse donc fermement à l'avance toute accusation tendant à faire porter sur le Sénat la responsabilité de la non transposition de la directive postale. La discussion d'une loi d'orientation postale est en effet réclamée par votre commission depuis 1997. Des propositions très détaillées ont été formulées à cet effet, dont certaines ont d'ailleurs été traduites sous forme de proposition de loi 22 ( * ) .

S'il peut exceptionnellement permettre, compte tenu de l'engagement européen de notre pays, le recours à la procédure des ordonnances, comment le Parlement pourrait-il accepter un tel mode de traitement pour un service public si cher aux Français ?

Le service public postal mérite mieux que de tels subterfuges, surtout à l'heure où la renégociation de la directive de 1997 et la symbolique entrée en bourse de la poste allemande soulignent la rapidité des mutations de ce secteur et l'ampleur de la réflexion à mener dans notre pays.

En conséquence, votre commission vous proposera un amendement tendant à supprimer la directive postale de la liste des textes que le Gouvernement est habilité à transposer par ordonnances.

* 22 Proposition de loi de M. Gérard Larcher et plusieurs de ses collègues sur le service universel bancaire.

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