V.  LES DISPOSITIONS INTERESSANT LE SECTEUR POSTAL (ARTICLE 1ER)

A. LE SERVICE PUBLIC DE LA POSTE : UN RENDEZ VOUS MANQUÉ AVEC LA NATION

1. Le service public postal mérite un grand débat national

Parmi les sujets, aussi nombreux que variés, qui sont listés dans le projet de loi d'habilitation, s'il en est un qu'il est inadmissible d'y voir figurer, c'est bien celui du service public de la poste .

Le service public n'est pas seulement un moyen de répondre aux besoins les plus fondamentaux de nos concitoyens. Il n'est pas seulement un fondement de notre droit public. Il est aussi, depuis près d'un siècle, un instrument d'unification du territoire et de développement économique. Il est, surtout, un des piliers actuels du contrat républicain .

Comme le souligne un récent rapport du Commissariat général du plan sur les services publics en réseau 14 ( * ) , les secteurs de l'électricité, du gaz, du transport ferroviaire, de la poste et des télécommunications ont été organisés dans notre pays suivant une approche typiquement française, conduisant à la création d'un puissant opérateur national, fortement intégré, en situation de monopole, contrôlé par l'Etat, investi de missions de service public et vecteur des stratégies nationales dans son domaine d'activité.

Cette approche a résulté de la convergence de préoccupations économiques (les rendements croissants justifiant des situations de monopole naturel) ; d'intérêt général (aménagement du territoire et cohésion sociale) ; de progrès social et de stratégie industrielle (politique énergétique, recherche et développement).

L'Etat a traditionnellement joué un rôle central dans l'organisation de ces services publics de réseau, rôle proéminent mais multiforme : régulateur, prescripteur du service public, porteur des stratégies industrielles, garant des grands équilibres économiques. Il a aussi été la tutelle et l'actionnaire des opérateurs publics.

Parmi ces services publics, La Poste jouit d'une situation particulière : son universalité et sa forte présence territoriale font qu'aucun autre grand service public de réseau ne bénéficie d'une telle proximité avec la population. La Poste entretient une relation privilégiée avec le public, comme avec les élus locaux. Son rôle sociologique est majeur : le bureau de poste appartient au paysage d'une commune, comme l'église, l'école et la mairie.

a) Gouvernés par le principe d'adaptabilité, les services publics doivent être dotés des moyens de s'adapter à la nouvelle donne économique et technologique

Mais les mutations de l'environnement de ces grands services publics de réseau appellent désormais des évolutions décisives.

La législation communautaire , qui pousse à la libéralisation des marchés, n'est bien souvent que le facteur le plus manifeste du changement imposé à nos grands opérateurs publics. Mais d'autres déterminants expliquent ces évolutions. Le rapport précité du Commissariat général du plan cite d'ailleurs, parmi d'autres facteurs :

- les évolutions technologiques : nouvelles technologies de communication ; production décentralisée d'électricité sans " effet d'échelle " ; transports par méthaniers pour le gaz ; interopérabilité, suivi du fret et technologie pendulaire pour le rail ; informatisation croissante des traitements postaux ;

- les évolutions de marché : explosion des besoins de télécommunications ; développement des trafics transfrontaliers ; commerce électronique et progression des activités de messagerie express pour le secteur postal.

Sous l'influence des progrès techniques, de la globalisation de l'économie, de la constitution du grand marché unique et de la diffusion d'une concurrence désormais européenne, certains de ces services publics ont donc été amenés à se moderniser, sans toutefois que ne soient reniés les grands principes qui les fondent.

Ainsi en a-t-il été, par exemple, des télécommunications , au terme d'un processus communautaire progressif, qui s'est traduit, en France, par un large débat national conduit, en 1995 et 1996, par le ministre chargé des télécommunications, M. François Fillon. Le Parlement a eu toute sa place dans ce débat, mené au Sénat par notre collègue Gérard Larcher au nom de votre commission. Débat fructueux, qui a conduit à la réforme du statut de l'opérateur public et à l'ouverture du secteur à la concurrence par deux lois du 26 juillet 1996.

Non sans que le service public des télécommunications ait été conforté à travers une prise en charge mutualisée de son financement par l'ensemble des opérateurs. Non sans que l'aménagement du territoire ait été imposé comme une exigence centrale du nouveau cadre réglementaire. Non sans que le statut des personnels ait été préservé. Non sans que les droits des consommateurs aient été renforcés.

Quatre ans après cette modernisation réussie d'un de nos grands services publics, comment remettre en cause le bien fondé d'une démarche équilibrée, qui allie ouverture à la concurrence et modernisation du statut de l'opérateur historique ? Baisses de tarifs, augmentation considérable de l'offre de services, innovations technologiques incessantes : les faits sont là et parlent d'eux-mêmes.

La loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a, quant à elle, procédé d'une démarche moins ambitieuse. Plutôt que de réaliser toutes les adaptations nécessaires, elle s'est calquée sur le minimum d'ouverture à la concurrence imposée par la législation communautaire, sans qu'une réflexion d'ensemble sur le statut de l'opérateur -on pense en particulier au gestionnaire du réseau de transport placé " en son sein " - ne soit réellement menée. Malgré le caractère timoré -voire ambigu- des dispositions adoptées, cette loi, à l'amélioration de laquelle le rapporteur de la Commission des Affaires économiques Henri Revol a beaucoup oeuvré, marque une étape importante dans une évolution qui est cependant loin d'être achevée. En tout état de cause, et malgré un calendrier chaotique maintes fois dénoncé par votre commission, le débat a bel et bien eu lieu. Il aurait même pu s'avérer constructif, sans un arbitrage politicien tardif et malencontreux, qui lui conféra finalement un caractère partisan. Les débats de la commission mixte paritaire sont, à cet égard, particulièrement révélateurs.

Dans le secteur gazier , le Gouvernement annonce -depuis fort longtemps- l'inscription " imminente " à l'ordre du jour du projet de loi relatif à la modernisation du service public du gaz naturel et au développement des entreprises gazières, adopté en conseil des ministres en mai dernier. Si l'exécutif n'a pas outre mesure l'air pressé de débattre d'un sujet épineux au sein de la majorité, le principe d'un tel débat est-il, au moins, acquis. La date limite de transposition, fixée au 10 août 2000, est quant à elle d'ores et déjà dépassée.

Seule La Poste est privée du grand débat national qu'appellent les changements économiques, technologiques et réglementaires à l'oeuvre dans son secteur d'activité . A cet égard, comment interpréter l'affirmation de l'exposé des motifs du projet de loi qui indique que " l'habilitation n'est pas demandée pour les directives dont l'objet et la portée politiques justifient un débat par la représentation nationale, à l'occasion d'un projet ou d'une proposition de loi : il en va ainsi notamment des directives(...) 98/30 (gaz) " ? A contrario, faut-il lire que le service public postal n'a pas d'objet ni de portée politique tels qu'un débat par la représentation nationale se justifie ? Votre commission ne saurait bien évidemment souscrire à une telle analyse !

Le glacis idéologique sous lequel est étouffé le débat postal est incompatible avec la nécessité de l'adaptation des services publics . L'adaptabilité est, ne l'oublions pas, une des trois principales caractéristiques des services publics français, avec la continuité et l'égalité. Cette capacité de réaction aux attentes des usagers et aux besoins de l'économie doit demeurer l'essence des services publics.

b) Un devoir politique trop longtemps différé

Depuis la publication du rapport d'information de notre collègue Gérard Larcher " Sauver La Poste : devoir politique, impératif économique " , rédigé sous l'égide du groupe d'études sur l'avenir de La Poste et adopté 15 ( * ) en octobre 1997, votre commission ne cesse de réclamer la discussion d'une grande loi d'orientation postale qui assure l'avenir de La Poste et intègre les évolutions rendues nécessaires par le droit communautaire -et notamment par l'adoption de la directive du 15 décembre 1997 sur les service postaux communautaires, libéralisant partiellement le secteur-.

Quelle ne fut pas la déception de votre commission de constater que le Gouvernement avait, par un amendement inséré, en mars 1999, au détour d'un texte de loi en discussion 16 ( * ) , fait adopter un article de loi dans le code des postes et télécommunications, transposant " à la sauvette " une partie de la dite directive ! Cet artifice procédural permettait en effet à l'exécutif de faire l'économie d'un débat sur la situation de La Poste. Est-ce à dire que certaines échéances électorales à venir avaient davantage motivé le Gouvernement dans son entreprise que l'intérêt bien considéré de La Poste, de ses personnels et de ses clients ?

Un tel procédé ne pouvait que scandaliser votre Haute assemblée. Comment imaginer que le débat sur le service public postal puisse être réduit à l'examen hâtif d'un cavalier législatif inséré dans un texte soumis, qui plus est, à la procédure de l'urgence ?

Le Sénat se refusa, bien entendu, à cautionner une telle méthode, aggravée, qui plus est, par une accumulation de promesses non tenues de la part du Gouvernement.

c) Le débat postal promis par le Gouvernement : subterfuge, mensonge ou omission ?

En mars 1999, non content de priver la nation d'un débat public pourtant nécessaire, l'exécutif ne s'est pas privé d'user de manoeuvres dilatoires -pour utiliser un vocabulaire conforme à la courtoisie républicaine mais en deçà des réalités - pour amener la représentation nationale à adopter le dispositif législatif concerné.

C'est chronologiquement tout d'abord la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications (CSSPPT) 17 ( * ) qui fut saisie, pour avis, en janvier 1999, d'un projet de dispositions législatives de transposition de la directive européenne 97/67/CE du 15 décembre 1997 ultérieurement transformé en amendement gouvernemental au projet de loi d'aménagement du territoire.

Comme l'indique son avis, publié le 20 janvier, elle fit " immédiatement savoir au ministre " :

- qu'elle " rejetait cette procédure qui priverait le Parlement d'un large débat sur l'ensemble de la question du service public postal , essentiel pour l'avenir de La Poste " ;

- mais " qu'un engagement du Gouvernement de déposer et faire examiner au Parlement avant la fin de l'année 1999 un projet de loi global de réglementation du secteur postal libérerait en revanche l'avis de la Commission et lui permettrait d'entrer dans la discussion des termes de l'amendement, l'urgence d'un vote étant évidente " .

Ayant obtenu du ministre une telle assurance, la commission supérieure a, en conséquence, transmis au Gouvernement son avis sur les dispositions en cause.

Cet engagement du Gouvernement a d'ailleurs été réitéré à l'Assemblée nationale, lors de l'adoption de l'amendement concerné, en des termes, il est vrai, relativement ambigus.

Ainsi, au compte rendu des débats du 2 février 1999 18 ( * ) figurent les propos suivants du ministre :

" La Commission supérieure du service public a été consultée sur ce texte. (...) Nous comprenons sa préoccupation, (..) que je sais partagée sur tous ces bancs, que puisse être examinée par le Parlement un projet d'ensemble se rapportant à ces questions du service public de La Poste.

C'est pourquoi, comme je l'ai indiqué à la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, j'ai proposé au premier ministre que le Gouvernement dépose, dans les prochains mois, un projet de loi qui donnera aux activités postales un cadre juridique complet et qui confortera ainsi la lisibilité d'ensemble de notre réglementation relative au service public. Il permettra, par ailleurs, de débattre largement -je pense que nous en avons besoin- du service public, de sa modernisation, de son encouragement par les pouvoirs publics et par le Gouvernement. "

Outre qu'il est assez cocasse que le Gouvernement, tout en escamotant le débat, en souligne la nécessité, ces propos montraient clairement qu'une échéance était prévue pour examiner enfin, dans son ensemble, l'avenir du secteur postal.

Pourtant le doute -habilement entretenu par l'intéressé ?- demeure quant aux intentions réelles du ministre, celui-ci déclarant ensuite, au cours de la même séance du 2 février, que la CSSPPT avait d'ores et déjà été saisie de ce " projet législatif d'ensemble ", ce qui n'était évidemment pas le cas, sauf à considérer que les maigres dispositions transmises le 16 janvier en tenaient lieu. Or c'est justement l'insuffisance de ces dispositions qui avait amené la CSSPPT à exiger du ministre l'engagement du dépôt d'un texte ultérieur, plus ambitieux.

La Commission supérieure a d'ailleurs clairement fait savoir qu'il ne saurait en être ainsi, dans un avis de mars 1999 : " Réunie en séance plénière le 3 mars 1999 pour débattre des modalités de transposition de la directive européenne 97/67/CE du 15 décembre 1997, la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications considère qu'elle n'a pas encore été saisie du projet de loi annoncé par le ministre dans sa lettre du 20 janvier 1999 , qui " donnera aux activités postales un cadre juridique complet ". En conséquence, elle attend les nouvelles initiatives du Gouvernement pour formuler ses observations ".

Cet engagement du ministre fut réitéré en séance publique au Sénat le 25 mars 1999 par la voix de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, lors de la discussion de l'article 15 bis du projet de loi d'aménagement du territoire, pour lequel, à l'initiative de la commission spéciale présidée par le président Jean François-Poncet et dont le rapporteur était notre collègue Gérard Larcher, Le Sénat avait refusé d'adopter l'article portant transposition partielle de la directive , estimant la méthode indigne du débat requis pour le service public postal.

En lieu et place de la transposition partielle de la directive, le texte adopté par le Sénat pour l'article 15 bis disposait que : " Une loi d'orientation postale interviendra dans les six mois à compter de la publication de la présente loi ". Il ne fut finalement pas retenu par l'Assemblée nationale.

D'ailleurs, infirmant implicitement les propos tenus en séance par son représentant, quant à la transmission déjà intervenue d'un texte plus complet, le Gouvernement a transmis à la CSSPPT le 28 décembre 1999 un avant projet de loi portant diverses dispositions d'harmonisation communautaire , dans lequel figuraient notamment des mesures tendant à parachever la transposition de la directive. Ce sont d'ailleurs ces dispositions que le Gouvernement s'apprête à prendre par ordonnances si le Parlement l'y habilite.

Faut-il voir dans ce texte fourre-tout le fameux projet législatif " d'ensemble " moult fois promis sur les questions postales ? Nul ne saurait le prétendre s'agissant d'un texte " patchwork " , sans autre ambition que de transcrire au minimum minimorum la directive de 1997 et qui n'a en outre pas franchi les limbes de la pré-consultation. Aucun rapport avec la loi d'orientation postale réclamée par votre commission depuis plus de 3 ans.

La Poste est-elle donc condamnée à voir son sort se régler en catimini, dans l'atmosphère confinée des cabinets et des couloirs de Bercy ? A force de vouloir ne surtout faire aucune vague en abordant de front un sujet -il est vrai- difficile, n'est-ce pas à coup sûr l'avenir de l'opérateur postal qui se trouve hypothéqué par la loi du silence dans laquelle il est enfermé ?

Au delà de la sincérité des intentions gouvernementales, qui se trouve remise en cause par des actes si peu en accord avec les déclarations passées sur le futur grand débat d'ensemble, c'est le secteur postal qui est atteint par la désinvolture avec laquelle sont traités les grands enjeux de son avenir. Et pourtant -l'actualité le démontre chaque jour- l'heure des choix a sonné.

* 14 Paru à la documentation française en mars 2000.

* 15 Sénat, Rapport n° 42, 1997-1998.

* 16 La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.

* 17 Président : Jacques Guyard, Député. Vice-Présidents : Alain Gouriou, Député, Pierre Hérisson, Sénateur. Membres : Jean Besson, François Brottes, Jacques Desallangre, Gabriel Montcharmont, Gérard Terrier, Députés ; Gérard Delfau, Pierre Laffitte, Gérard Larcher, Jean-Marie Rausch, René Trégouët, François Trucy, Sénateurs. Personnalités qualifiées :Jean-Claude Rauch, Nicolas Curien, Laurent Virol.

* 18 Page 715 du Journal officiel, 2 ème séance du 2 février 1999.

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