3. Mais le choix de procéder par ordonnance reste inacceptable pour le Parlement

Tant sur le fond que sur la forme -et malgré les mises en garde sévères au niveau européen- le procédé dont use le Gouvernement n'est pas acceptable et l'ensemble des professionnels concernés le dénonce avec force, d'autant plus que beaucoup d'entre eux s'inquiètent du contenu du projet d'ordonnances.

Il aurait fallu que le Parlement puisse procéder à l'examen minutieux d'un dispositif qui va s'appliquer à l'ensemble du monde rural, qui pourra, dans certains cas, remettre en cause des projets d'infrastructure et qui, au travers des mesures de gestion proposées pour les sites, aura des effets sur l'exercice du droit de propriété.

a) Le refus du dialogue au niveau du Parlement

En juin 1998, sur la base du rapport relatif à la mise en oeuvre de la directive adoptée à l'unanimité par votre Commission, M. Jean-François Le Grand a rapporté devant le Sénat, qui les a adoptées, les conclusions d'une proposition de loi relative à la mise en oeuvre du réseau écologique européen dénommé " Natura 2000 " 2 ( * ) . Dans la discussion générale, les orateurs avaient insisté sur la nécessité d'un cadre législatif qui réglemente les procédures de concertation, tant sur la désignation des sites que sur leur gestion. Il y était également question de la nécessité de prévoir -sous une forme ou sous une autre- la prise en charge par la puissance publique des contraintes de gestion imposées aux propriétaires ou aux gestionnaires des espaces intégrés dans le réseau écologique européen.

En réponse, la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, après s'être livrée à une critique en règle du dispositif de la Commission, a refusé tout dialogue constructif, puisqu'elle n'a proposé aucun amendement. Bien plus, elle a opposé l'article 40 à l'article de la proposition de loi relatif à l'indemnisation des propriétaires et gestionnaires concernés, en déclarant préférer une approche contractuelle pour rémunérer un service rendu à la collectivité par ces propriétaires ou ces gestionnaires.

On ne peut que regretter une telle attitude alors même que le Sénat souhaitait débattre sans esprit partisan et de façon pragmatique des meilleurs moyens à mettre en oeuvre. Le texte soumis à l'examen de la Haute Assemblée pouvait être modifié et complété, à l'issue d'un débat approfondi.

b) La validation rétroactive de certains sites désignés comme ZPS

En ce qui concerne la désignation des sites intégrant le réseau écologique européen, la principale lacune du texte de transposition concerne la désignation des zones de protection spéciale (ZPS) en application de la directive 79/409/CEE Oiseaux sauvages.

On peut rappeler que le réseau " Natura 2000 " intègre également ces ZPS et que les obligations de gestion découlant de l'article 6 de la directive 92/43/CEE " Habitats naturels " s'appliquent, depuis le 5 juin 1994, tant sur les ZPS désignées à cette date que sur celles créées ultérieurement.

Or, à ce jour, il n'existe, en droit interne, aucune procédure juridique préétablie et transparente. Le choix de ces ZPS a été fait à partir d'un inventaire d'identification scientifique validé au niveau régional et qui constitue l'inventaire des zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

De plus, ce zonage, établi sans règle de concertation connue, et sans avoir recueilli l'avis des principaux intéressés se voit reconnaître une valeur juridique indirecte opposable aux autorités administratives chargées de la gestion de l'espace.

Ainsi, la juridiction administrative a-t-elle jugé à plusieurs reprises que " l'absence de prise en compte d'une ZNIEFF relève d'une erreur manifeste d'appréciation dans le rétablissement de l'état initial de l'environnement " 3 ( * ) . De même, dans le cadre des " porter à connaissance ", les préfets indiquent aux communes les éléments à prendre en compte lors de l'établissement de leurs documents d'urbanisme, et la présence de ZNIEFF sur leur territoire doit y être mentionnée.

Dans ces conditions, il est inacceptable d'envisager qu'un arrêté du seul ministre de l'environnement " légalise ", de manière rétroactive, ces ZPS déjà désignées même si elles ont fait l'objet d'une transmission à la Commission européenne. Au-delà de l'effet juridique attaché aux ZNIEFF en droit interne, ces ZPS feront l'objet, s'agissant de leur gestion, d'obligations pesant sur les gestionnaires et les propriétaires concernés.

Ceci est d'autant plus critiquable que le projet de décret, dont votre rapporteur a eu connaissance, instaure pour l'avenir, et s'agissant des ZPS, une procédure de concertation au niveau départemental associant les communes, ainsi que les établissements publics et consulaires concernés, qui auront deux mois pour se prononcer.

c) Des lacunes concernant la gestion des espaces intégrés dans le réseau écologique européen

Le Gouvernement privilégie une approche contractuelle négociée avec les gestionnaires concernés pour assurer la conservation des milieux sélectionnés mais fait également application des mesures réglementaires, notamment au titre des parcs nationaux, des réserves naturelles, des biotopes ou des sites classés.

Le projet d'ordonnance est muet sur l'adoption de mesures nouvelles qui viendraient s'ajouter au dispositif réglementaire existant. Or, des interlocuteurs, tels France Nature Environnement, considèrent que les mesures protectrices sont insuffisantes notamment lorsque les contrats ne seront pas adoptés ou correctement appliqués.

Il aurait été légitime que le Parlement puisse débattre de la nécessité d'instaurer ou non de nouvelles règles protectrices en matière d'environnement.

S'agissant du contenu des contrats eux-mêmes conclus entre l'Etat et les gestionnaires des espaces naturels, plusieurs incertitudes demeurent :

- l'article 24 du projet d'ordonnance précise que le contrat appelé " Natura 2000 " définit la nature et les modalités des prestations de l'Etat ainsi que les engagements du bénéficiaire qui en constituent la contrepartie. Mais, le projet de décret précise également, en ce qui concerne le document d'objectifs définit par arrêté préfectoral, que les cahiers des charges des mesures contractuelles doivent inclure, outre l'inventaire des aides et prestations d'entretien ou de travaux, " le descriptif des engagements non rémunérés conditionnant l'obtention des mesures rémunérées ".

Quelle sera l'étendue de ces engagements, sous quelle forme seront-ils définis et négociés avec les gestionnaires des espaces concernés ?

- Le projet d'ordonnances prévoit que les prestations de l'Etat sont interrompues si les engagements du contractant ne sont pas respectés, mais qu'en est-il, à l'inverse, si l'Etat n'assure plus les financements sur lesquels il s'était engagé ? Les aléas de l'annualité budgétaire pèsent sur les crédits inscrits au budget du Fonds de gestion des milieux naturels qui financera les mesures de gestion du réseau " Natura 2000 ".

En définitive, les mesures de gestion spécifiques qui s'appliqueront dans les sites " Natura 2000 " auront des répercussions sur l'exercice du droit de propriété. Il n'est pas anormal, alors, de souhaiter que, s'agissant d'un droit fondamental, le Parlement soit associé à la définition de ces mesures.

Pour toutes ces raisons, votre commission vous proposera d'adopter un amendement tendant à supprimer la directive 92-43/CEE " Habitats naturels " de la liste des directives faisant l'objet du projet de loi d'habilitation.

* 2 JO Débats Sénat - Séance du 29 juin 1998, p. 3581 à 3604.

* 3 TA. Poitiers, 27 juin 1990 - Soc. pour l'étude et la protection de la nature en Aunis et Saintonge.

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