Question de M. TABAROT Philippe (Alpes-Maritimes - Les Républicains) publiée le 02/12/2021

M. Philippe Tabarot attire l'attention de M. le Premier ministre sur la situation des enfants de Harkis qui réclament leurs droits à réparation devant les tribunaux, après que le Conseil d'État a condamné l'État, dans sa décision du 3 octobre 2018, à réparer financièrement le préjudice d'un enfant de Harki ayant été contraint de vivre son enfance dans les camps de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) et de Bias (Lot-et-Garonne).
Devant les juridictions administratives, le Gouvernement oppose régulièrement la règle de la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968, relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics pour refuser tout droit à réparation aux enfants de Harkis, contraignant ainsi les juges à rejeter les différentes demandes de réparation.
Un projet de loi, portant reconnaissance et réparation du drame dont les enfants de Harkis ont été les victimes, est actuellement en cours de discussion à l'Assemblée nationale. Dès lors, la règle de la prescription quadriennale opposée par le Gouvernement aux enfants de Harkis pour rejeter leur demande de réparation est en totale contradiction avec la récente prise de position du Président de la République sur le drame vécu par les Harkis et leurs descendants.
Ainsi, il souhaiterait connaître sa position quant à la possible suppression de la prescription quadriennale opposée par le Gouvernement aux Harkis et leurs descendants devant les juridictions administratives.

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Transmise au Ministère auprès de la ministre des armées - Mémoire et anciens combattants


Réponse du Ministère auprès de la ministre des armées - Mémoire et anciens combattants publiée le 19/05/2022

Dans sa décision du 3 octobre 2018, le Conseil d'État, statuant en cassation sur un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Versailles, a jugé qu'« après avoir caractérisé comme indignes les conditions de vie qui ont été réservées aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles dans des camps, comme le camp Joffre et le camp de Bias, ainsi que les restrictions apportées à leurs libertés individuelles, du fait, en particulier, du contrôle de leurs courriers et de leurs colis, de l'affectation de leurs prestations sociales au financement des dépenses des camps et de l'absence de scolarisation des enfants dans des conditions de droit commun, la cour administrative d'appel de Versailles a donné aux faits qui lui étaient soumis une exacte qualification en jugeant qu'avait ainsi été commise une faute de nature à engager la responsabilité de l'État  » (Conseil d'État, 10ème et 9ème chambres réunies, 3 octobre 2018, n° 410611). Dans ses conclusions rendues sur cette affaire, le rapporteur public avait proposé d'indemniser le préjudice subi par le requérant, relevant que l'administration n'avait jamais opposé la prescription. En effet, l'opposition de la prescription n'est pas un moyen d'ordre public. Elle ne peut donc être relevée d'office par le juge administratif et il appartient, par suite, à la partie qui est susceptible d'en bénéficier de s'en prévaloir expressément (en ce sens, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, du 21 juin 2006, n° 276045, pour les règles de prescription applicables en matière de pensions militaires d'invalidité). S'agissant des préjudices liés au séjour dans les camps de transit et hameaux de forestage des harkis et de leurs enfants, les règles de prescription applicables résultent de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics. L'article 6 de cette loi dispose que « les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi ». Les créanciers de l'État ne peuvent en effet en être relevés en tout ou en partie qu'en raison de circonstances particulières, notamment de la situation du créancier. L'opposition de la prescription quadriennale en défense, lorsque celle-ci est opposable à une demande d'indemnisation formulée à son encontre, est ainsi une obligation légale pour le ministère. Les litiges concernant les préjudices liés aux conditions de séjour dans les camps et hameaux de forestage n'échappent pas à cette règle. Or, même le choix d'un point de départ du délai de prescription particulièrement favorable aux demandeurs, à savoir la date d'accession à la majorité ou celle de fermeture administrative du dernier camp, le 1er janvier 1976, ne permet pas d'éviter la prescription des créances en question, ainsi que l'ont systématiquement jugé les tribunaux administratifs saisis de telles requêtes. On recense toutefois sept requêtes, désormais anciennes, à l'occasion desquelles la prescription quadriennale n'avait pas été opposée devant les tribunaux administratifs de Bordeaux (4 requêtes), de Cergy-Pontoise (2) ou de Rouen (1). Dans ce cadre, il convient de relever qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 précitée, « L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ». Cet oubli n'a donc pas pu être corrigé en appel. Mais pour l'ensemble des autres requêtes, la prescription quadriennale a été opposée. Par ailleurs, dans la plupart de ces requêtes, les chefs de préjudice invoqués ne concernent pas uniquement le séjour dans les camps de transit et hameaux de forestage mais également d'autres manquements supposés, tels que le défaut de protection des membres des formations supplétives et de leurs familles après la conclusion des accords d'Evian ou de rapatriement de ces derniers en France, qui, se rattachant à la conduite des relations internationales de la France, échappent à toute compétence juridictionnelle. Le 20 septembre 2021, le Président de la République a solennellement reconnu la dette de la Nation à l'égard des harkis et assimilés. À ce titre, la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie, complétée par le décret n° 2022-393 du 18 mars 2022, a institué un régime de réparation spécifique, dans lequel le préjudice à réparer est regardé comme établi du seul fait que le demandeur a séjourné dans un camp de transit, un hameau de forestage ou toute autre structure dédiée spécifiquement à l'accueil des harkis à compter de 1962. La réparation prend la forme d'une somme forfaitaire individualisée, allouée sur décision d'une commission indépendante instituée auprès du Premier ministre. Cette procédure particulière retenue par le Gouvernement et instaurée par le législateur permettra de contourner l'obstacle légal de la prescription et d'indemniser les personnes remplissant les conditions requises. Ce droit spécifique à réparation sera naturellement ouvert aux personnes qui se seraient vu notifier un jugement défavorable dans lequel le juge aurait retenu l'exception de prescription quadriennale opposée en défense.

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