Question de M. JACQUIN Olivier (Meurthe-et-Moselle - SER) publiée le 16/12/2021

Question posée en séance publique le 15/12/2021

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

M. Olivier Jacquin. Ma question s'adresse à Mme la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Madame la ministre, je travaille depuis trois ans sur les questions relatives à l'ubérisation et je constate que vous êtes toujours à contresens et même à contretemps.

En 2018 et 2019, vous proposiez que les plateformes numériques de travail adoptent des chartes facultatives – presque de bienfaisance ! –, alors qu'au même moment la Cour de cassation requalifiait un travailleur de chez Uber en salarié, parlant même en 2020 de phénomène d'indépendance fictive.

Cette année, vous présentez une énième ordonnance sur le dialogue social des seuls livreurs et chauffeurs de VTC, ou voiture de transport avec chauffeur, alors même que le Parlement européen vote très largement la présomption de salariat pour tous les travailleurs de plateformes.

Au mois d'avril dernier, à Lisbonne, le Président de la République déclarait vouloir mettre ce sujet au cœur de l'agenda social de la présidence française de l'Union européenne.

Or, la semaine dernière, dans sa conférence de presse du 9 décembre, il n'a pas dit un mot sur le sujet, alors que, le jour même, le commissaire européen Nicolas Schmit présentait une proposition de directive venant au secours de tous les travailleurs des plateformes, pas seulement les livreurs et les VTC, et comportant la présomption de salariat, l'inversion de la charge de la preuve en matière de requalification, la transparence de l'algorithme – en d'autres termes, tout ce que vous nous refusiez lors de l'examen de la proposition de loi du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur ce même sujet au mois de mai dernier ! (L'orateur brandit le texte de la proposition de loi.)

Ma question est donc simple, madame la ministre : quand arrêterez-vous de protéger les plateformes plutôt que leurs travailleurs ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)


Réponse du Ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion publiée le 16/12/2021

Réponse apportée en séance publique le 15/12/2021

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion. Monsieur le sénateur Olivier Jacquin, je veux vous rassurer : nous continuons à avancer pour donner concrètement des droits aux travailleurs des plateformes. (M. Olivier Jacquin s'exclame.)

Je ne referai pas en quelques minutes les débats que nous avons d'ores et déjà eus à plusieurs reprises, mais il me semble utile de préciser que le projet de directive repose sur trois piliers principaux : une présomption légale et réfragable de salariat – j'y reviendrai –, une meilleure transparence de fonctionnement des algorithmes, un contrôle des effets de ces algorithmes sur les travailleurs eux-mêmes.

Vous m'interrogez sur le premier pilier. La Commission européenne a fait le choix de proposer une présomption réfragable de salariat sur la base de critères issus de certaines jurisprudences européennes.

L'approche retenue par la Commission européenne pose question quant à son intérêt même pour les travailleurs, comme en témoignent mes premiers échanges avec mes homologues européens. Ces interrogations trouveront leur réponse dans le processus normal d'adoption d'une directive : c'est un temps long, qui doit permettre de nombreuses itérations entre la Commission européenne, les États membres et le Parlement européen.

Toutefois, sans attendre, nous faisons le choix, en France, d'agir au plus vite pour renforcer les droits des travailleurs. Nous nous appuyons pour cela sur le dialogue social, ce qui devrait nous réunir. Je note d'ailleurs que le projet de directive s'inspire de notre modèle, en prévoyant expressément un rôle de consultation des représentants des travailleurs des plateformes. (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

Le projet de loi de ratification et d'habilitation que vous avez examiné le 15 novembre dernier, mesdames, messieurs les sénateurs, et qu'a rapporté votre collègue Frédérique Puissat, que je salue, est une étape importante dans la construction de ces droits.

Monsieur le sénateur, vous le voyez, en l'état, ce projet de directive européenne est complémentaire à notre projet de loi, qui vise à créer rapidement de nouveaux droits pour les travailleurs des plateformes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.

M. Olivier Jacquin. Vos arguments sont spécieux, madame la ministre. Vous invoquez le dialogue social alors que votre objectif est de casser le droit du travail en imposant du précariat par la jurisprudence et par un sous-statut d'indépendance. Vous parlez de vos homologues européens, mais l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la Belgique et le Portugal soutiennent la proposition du commissaire européen. Vous êtes isolée : réagissez ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Laurence Cohen, M. Pascal Savoldelli et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)

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