Question de M. DÉTRAIGNE Yves (Marne - UC) publiée le 16/09/2021

M. Yves Détraigne souhaite appeler l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur la procédure applicable à la citation directe en matière de diffamation.
L'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que si la citation est à la requête du plaignant, d'une part, « elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie », d'autre part, elle sera notifiée au ministère public (« dénonciation au parquet »). Ce même article précise que ces formalités doivent être observées à peine de nullité de la poursuite.
La jurisprudence montre que de nombreuses procédures sont annulées pour non-respect de ces deux exigences formelles, étant précisé que ces dernières sont applicables devant le tribunal correctionnel en matière de diffamation publique, le tribunal de police en cas de diffamation privée et la juridiction civile, y compris lorsqu'elle est saisie selon la procédure de référé.
Certaines formalités prescrites par la loi de 1881 peuvent parfaitement se justifier au regard des droits de la défense. Il en va ainsi de la règle imposant que la citation désigne précisément les propos ou écrits incriminés et en donne la qualification pénale. Il importe en effet que le « défendeur soit mis à même de préparer utilement sa défense dès la réception de la citation, et, notamment, puisse, s'il est poursuivi pour diffamation, exercer le droit, qui lui est reconnu par l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, de formuler en défense une offre de preuve dans un délai de dix jours à compter de la citation » (décision n° 2013-311 question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 17 mai 2013, Société Écocert France)
Il semble en être différemment, en revanche, de l'élection de domicile et de la notification au parquet qui paraissent conditionner l'accès au juge à des règles de recevabilité d'un formalisme excessif et porter ainsi une atteinte disproportionnée au droit au recours effectif.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la règle de l'élection de domicile a été assouplie par la Cour de Cassation afin de tenir compte des règles de multipostulation en région parisienne (1ère chambre civile, 24 septembre 2009, pourvoi n° 08-12.381). Deux ans plus tard, la juridiction suprême a accepté l'élection de domicile chez un avocat dont le cabinet n'est pas situé dans la commune de la juridiction saisie (22 septembre 2011, pourvoi n° 10-15445).
Toutefois, certaines Cours d'appel semblent « résister » à cette jurisprudence. Ainsi la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a jugé en 2015 qu'une assignation contenant élection de domicile au cabinet d'un avocat situé à Valbonne devait être déclarée nulle et de nul effet. Dans cette espèce, les plaignants auraient donc dû solliciter un avocat domicilié professionnellement à Grasse, siège de la juridiction saisie (Cour d'appel Aix-en-Provence, 23 avril 2015, n° 14/15004).
Pour un particulier sans avocat, il semble que la seule solution pour échapper à la nullité de la procédure soit de faire appel à un huissier situé dans la ville où siège la juridiction saisie (tribunal de grande instance Nanterre, 1ère chambre, 27 janvier 2011, n° 10/10750). L'élection de domicile doit être faite à l'étude de cet huissier, adresse à laquelle les défendeurs doivent ensuite faire signifier toute éventuelle offre de preuve, dans les conditions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881.
Par conséquent, il lui demande s'il envisage une simplification des articles 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881.

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Réponse du Ministère auprès de la ministre de la transition écologique - Logement publiée le 20/10/2021

Réponse apportée en séance publique le 19/10/2021

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 1800, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Yves Détraigne. Madame la ministre, je souhaite appeler l'attention de la Chancellerie sur la procédure applicable à la citation directe en matière de diffamation.

L'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit que, si la citation est à la requête du plaignant, elle doit contenir élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et être notifiée au ministère public pour que la poursuite ne soit pas frappée de nullité.

La jurisprudence montre que de nombreuses procédures sont annulées pour non-respect de ces deux exigences.

Pourtant, si certaines formalités exigées par la loi peuvent parfaitement se justifier au regard des droits de la défense, il semble en être différemment, en revanche, de l'élection de domicile et de la notification au parquet, qui paraissent conditionner l'accès au juge à des règles de recevabilité d'un formalisme excessif et porter ainsi une atteinte disproportionnée au droit au recours effectif.

C'est la raison pour laquelle la règle de l'élection de domicile a été assouplie par la Cour de cassation, afin de tenir compte des règles de multipostulation en région parisienne. Or certaines cours d'appel semblent résister à cette jurisprudence, ce qui oblige, par exemple, un particulier sans avocat à faire appel à un huissier situé dans la ville où siège la juridiction saisie.

Par conséquent, je vous demande, madame la ministre, s'il est envisagé une simplification, qui serait utile, des articles 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Détraigne, à titre liminaire, je vous rappelle, s'agissant des jurisprudences judiciaires que vous évoquez, qu'il n'appartient pas au Gouvernement de commenter les décisions de justice.

Les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, auxquelles vous faites référence, prévoient des règles strictes, qui ont été édictées d'abord dans l'intérêt de la défense. Le formalisme, certes rigoureux, qu'elles imposent, constitue une garantie de la liberté d'expression, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 mai 2013, dont vous faites état.

En effet, le Conseil constitutionnel semble avoir considéré dans cette décision que l'ensemble des exigences formelles de l'article 53 ne constituaient pas une atteinte substantielle au droit d'agir devant les juridictions. Ces dispositions permettent que le défendeur puisse préparer utilement sa défense dès la réception de la citation et, notamment, s'il est poursuivi pour diffamation, exercer le droit de formuler en défense une offre de preuve dans un délai de dix jours à compter de la citation.

Par ailleurs, il convient de relever que la Cour de cassation a apporté des assouplissements dans l'application de ces dispositions, en considérant notamment que le plaignant peut élire domicile, de manière expresse et non implicite, au cabinet de son avocat, à condition que ce dernier ait sa résidence professionnelle dans la ville où siège la juridiction saisie.

De même, il peut élire domicile chez toute personne physique ou morale répondant aux exigences de l'article 53 précité, y compris à la mairie du siège de la juridiction.

Au vu de ces éléments, qui relativisent sensiblement le constat de formalisme excessif que vous dressez, il n'est pas envisagé de modifier les articles 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, dont l'équilibre apparaît satisfaisant.

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