Question de Mme ROSSIGNOL Laurence (Oise - SER) publiée le 24/06/2021

Mme Laurence Rossignol attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur la situation de l'office national des forêts (ONF) et plus largement sur l'état des forêts françaises. Depuis les années 1960, l'ONF s'est progressivement tourné vers des objectifs quantitatifs de volume de bois produit plutôt que vers la gestion durable d'une forêt diverse et résistante, génératrice d'externalités positives. En 1970, le directeur général de l'ONF affirmait déjà qu'« à tous les niveaux, il faudra créer l'obsession de la productivité ». Le passage d'une gestion durable à une gestion rentable a véritablement été acté au lendemain des tempêtes de 1999 qui ont dévasté les forêts françaises.

Le véritable problème de la filière bois française n'est pourtant pas tant celui du volume produit que celui de la valeur ajoutée : alors que la forêt française se classe troisième au rang européen en termes de ressources, la balance commerciale de la filière bois, malgré quelques améliorations au cours des dernières années, connaît une situation de déficit alarmante. La crise sanitaire n'a rien arrangé : la demande mondiale de bois, notamment de la Chine et des États Unis, s'est accrue, tout comme le prix de cette matière première, fragilisant ainsi le secteur de la construction. Il est urgent que notre pays se dote d'un réseau dense de scieries et d'acteurs participant à la transformation du bois pour pallier ce déficit.

Dans son récent rapport sur la filière bois, une députée pointe avec raison les défis devant lesquels se trouvent la filière bois française ; elle alerte tout aussi justement sur les dangers qui pèsent sur nos forêts, notamment le changement climatique et les invasions de différents nuisibles, mais elle semble oublier que c'est « l'obsession de la rentabilité » guidant l'ONF qui a conduit à la situation actuelle, dont la forêt du Morvan est un modèle exemplaire : elle est aujourd'hui composée à plus de 50 % de résineux (douglas et épicéa principalement) contre 25 % en 1950, date marquant le début des plantations massives de ces essences. Ces espaces boisés auxquels on applique les méthodes de l'agriculture intensive ne constituent en aucun cas des forêts durables mais plutôt des parcelles de monoculture. Le rapport de 2019 sur l'environnement en France estimait ainsi que 32 % des forêts était dans un état défavorable mauvais et 45 % dans un état défavorable.

Ces forêts ne permettent pas la régénération des sols, sont extrêmes fragiles face aux maladies, aux nuisibles et au changement climatique. De même, la biodiversité de ces espaces est mise en péril par la logique productiviste qu'on leur applique, accentuant la pression subie par certaines espèces animales et augmentant ainsi les risques de zoonoses. Le programme France Relance par l'intermédiaire duquel ont été annoncé 200 millions d'euros en faveur de la filière bois ne rompt pas avec cette pensée productiviste, les 150 millions alloués pour l'adaptation de nos forêts au changement climatique ne sont pas suffisants.

Le vicomte de Martignac, dans son exposé des motifs du projet de code forestier du 29 décembre 1826 devant la chambre des députés, affirmait que « la conservation des forêts est l'un des premiers intérêts des sociétés et, par conséquent, l'un des premiers devoirs des gouvernements. Nécessaires aux individus, les forêts ne le sont pas moins aux États. Ce n'est pas seulement par les richesses qu'offre l'exploitation des forêts sagement combinée qu'il faut juger de leur utilité : leur existence même est un bienfait inappréciable pour les pays qui les possèdent ».

Elle lui demande comment le Gouvernement compte relever le double défi, écologique et économique, devant lequel se trouve la forêt française et ainsi préserver ces « bienfaits inappréciables ».

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Réponse du Ministère de l'agriculture et de l'alimentation publiée le 03/02/2022

Le Gouvernement est attaché à la pérennité de l'office national des forêts (ONF) et entend conserver l'unité de gestion des forêts publiques, domaniales et communales, par l'ONF. Pour mener une politique forestière ambitieuse et développer les usages du bois, l'État a besoin d'un ONF fort et performant, au regard des défis que rencontre la forêt face au changement climatique et du potentiel qu'elle représente par la valorisation des matériaux bois dans l'atténuation du changement climatique. Il s'agit de maintenir les différents services que les forêts publiques rendent, que ce soit les services économiques, environnementaux, climatiques ou sociétaux. La gestion durable et multifonctionnelle est au cœur du modèle de l'ONF et doit le rester. Ce principe est un élément central du nouveau contrat d'objectif entre l'État et l'ONF pour la période 2021-2025. Pour autant, l'ONF connaît depuis plusieurs années une situation financière en déséquilibre, aggravée récemment par la crise des scolytes dans l'Est de la France, la crise économique et l'impact du changement climatique. Cette situation appelle donc des réponses conjoncturelles mais aussi structurelles, notamment sur son modèle de financement. L'endettement de l'ONF atteint aujourd'hui 350 millions d'euros (M€) et menace la pérennité de l'établissement. Dans ce contexte, le Gouvernement a décidé de renouveler, dans le cadre du contrat État-ONF 2021-2025, sa confiance en l'ONF, garant de la gestion durable et multifonctionnelle des forêts publiques, tout en engageant des mesures importantes visant à lui redonner des perspectives soutenables. L'État maintient le statut de l'établissement public à caractère industriel et commercial de l'ONF et réaffirme qu'il n'existe aucun projet de privatisation. Ce contrat conforte les missions d'intérêt général (MIG) portées par l'ONF, et consacre la notion de prise en charge à coût complet de ces missions, quel qu'en soit le commanditaire. De son côté l'État s'engage sur un financement complet des MIG qu'il confie à l'ONF. La revalorisation des financements accordés au titre des MIG, à périmètre constant, sur la biodiversité et en outre-mer va permettre de rétablir cet équilibre, et représente 12 M€ depuis 2021 et atteindra 22 M€ en 2024. Les MIG confiées par l'État à l'ONF représenteront ainsi 55 M€ par an. En complément, le Gouvernement décide de mobiliser 60 M€ supplémentaires répartis entre 2021 et 2023 (30 M€ en 2021, 20 M€ en 2022 et 10 M€ en 2023) pour soutenir son établissement en renforçant la subvention d'équilibre. Ceci vient en complément des 140 M€ de versement compensateur annuel. Enfin, dans le cadre du volet forestier du plan France Relance, une dotation de 30 M€ a été allouée pour 2021 à l'ONF pour financer la reconstitution des forêts domaniales atteintes par les crises sanitaires, parmi lesquelles notamment celle des scolytes, ainsi que 1 M€ pour mettre en place de nouveaux vergers à graines de l'État sur des essences d'avenir en lien avec le changement climatique. En contrepartie de ces engagements de l'État, il est demandé à l'établissement un effort de réduction de ses charges à hauteur de 5 % à l'horizon de cinq ans afin d'atteindre l'équilibre financier de l'établissement en 2025. Il est ainsi attendu de l'ONF la poursuite de la mise en œuvre de son schéma d'emplois (- 95 ETP par an) sur la durée du prochain contrat État-ONF et une modération de ses dépenses de fonctionnement à hauteur de 4 M€ dès 2022. Ceci représente une baisse inférieure à 5 % du montant des charges annuelles sur la durée du contrat. Dans le cadre de cet effort, l'État demande à l'établissement de préserver le maillage territorial pour garantir le niveau de services auprès des communes. En parallèle, le Gouvernement a souhaité maintenir l'association étroite des communes forestières à la gouvernance de l'ONF. L'ONF et la FNCOFOR vont s'engager dans une convention arrêtant leurs engagements réciproques sur 2021-2025. Par ailleurs, sur la base d'une comptabilité analytique réformée, l'ONF va assurer une transparence économique et financière renforcée vis-à-vis de l'État, des communes forestières et de ses administrateurs. Initialement envisagé après un réexamen à compter de 2023, le Président de la République a annoncé qu'aucun soutien complémentaire des communes propriétaires de forêts au budget de l'ONF ne sera sollicité. Cette décision doit permettre de s'engager ensemble avec les communes forestières au développement de la filière, en particulier en développant la contractualisation de la vente de bois. En synthèse, le Gouvernement entend ici, avec ses engagements forts et ses orientations précises, donner à l'ONF de la visibilité et des perspectives soutenables, assurer un retour progressif à l'équilibre financier en associant toutes les parties prenantes et lui donner des outils pour mieux maîtriser à l'avenir son modèle économique. L'importance accordée à l'ONF par le Gouvernement reflète l'ambition portée pour la filière forêt-bois et la volonté de placer cette filière au cœur de sa stratégie dé-carbonation. En effet, la filière permet de compenser environ 20 % des émissions françaises de CO2. Elle joue aussi un rôle majeur en matière d'atténuation du changement climatique. Ce rôle repose sur la résilience des forêts, et notamment sur leur capacité à s'adapter à ce changement climatique. Or les sécheresses des années 2003, 2018 et 2019, ainsi que les attaques de scolytes des forêts d'épicéas de l'Est de la France ont été des alertes fortes sur la résilience des forêts. Pour répondre à ce défi, le Gouvernement a décidé, dès juillet 2020, d'investir 200 M€ dans la filière forêt et bois. Dès juillet dernier, le Premier ministre a renforcé ces moyens à hauteur de 100 M€, portant ainsi l'effort à 300 M€ dans le cadre du plan France Relance. Dans le cadre du plan France 2030 annoncé par le Président de la République le 12 octobre dernier, 500 M€ sont dédiés pour les forêts françaises et la filière bois. Les assises de la forêt et du bois sont l'occasion de partager les enjeux et de construire des solutions opérationnelles permettant de déployer au mieux ces moyens. Conscients de l'impact de la crise des scolytes, le Gouvernement français a instauré dès 2018 des aides à l'exploitation et à la commercialisation des bois colonisés par ces insectes et les a prolongés systématiquement. Au regard des impacts sur les finances des communes propriétaires de forêt, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et la ministre chargée de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ont décidé un mécanisme de soutien exceptionnel en faveur des communes forestières particulièrement touchées par la crise des scolytes, et qui entraîne une dégradation importante de leur situation financière. Par ailleurs, les modalités de constitution d'un fonds d'amorçage pour les communes forestières font actuellement l'objet de discussions avec la Banque des Territoires. De même, des échanges avec les représentant de Régions de France et de la fédération nationale des communes forestières doivent être menés prochainement afin de déterminer l'architecture optimale du dispositif. L'ensemble de ces efforts illustre la détermination du Gouvernement à répondre aux enjeux de la filière forêt et bois.

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